^wrwimtwifi'^ftmnfmimm mmiK Digitized by the Internet Archive in 2010 witli funding from Uni vers ity of Ottawa littp://www.arcliive.org/details/lesoeuvresdeinliaOOeinh LES ŒUVRES D'ÉGINHARI) TOPOGRAPHIE DE H. HHMIN DIDOT. — MESML ( EURE). I.KS ŒUVRES D'ÉGIIVHARD tkaihuks k.\ fkançais ALEXANDRE TEULET ARCHIVISTE-PALÉOGRAPHE, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE DES ANTIQUAIRES DE FRANCE, DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES d'ÉCOSSE , ETC. ,îi£ M. PARIS, LIBRAIRIK DK FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS KT C' IMI'liniKlRS DE l'institut DK KKWCt. RIE .(ACOB, 56. Les éditeurs se réservent le droit de 185H. reproiiîlcnoii a l'étrauger. , '' 0. M, i '' ^ AVERTISSEMENT. En 1843, j'ai publié, en deux volumes in-S", aux frais et sons les auspices de la Société de l'Histoire de France , les OEuvres complètes d'Éginhard, sous ce titre ; Einhardi omnia quœex- stant opéra primum in unum corpus collecta. Ce recueil fut apprécié avec une grande bienveillance par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres , qui , cette même année , le jugea digne de la première médaille d'or au concours des Antiquités nationales. Voici en quels termes M. le Rapporteur de la Com- mission s'exprimait au sujet de mon travail ; « Tout n'était pas fait sur Éginhard, même après les admi- rables travaux de M. Pertz dans sa Collection des Écrivains de la Germanie. On n'avait pas rassemblé dans un corps d'ou- vrage spécial tout ce qui nous reste des écrits du biographe de Charlemagne ; à un texte épuré par une critique habile et pa- tiente on n'avait pas joint une de ces versions scrupuleuse- ment fidèles que les savants eux-mêmes consultent avec fruit. AI. Teulet a rempli cette double tâche avec un soin conscien- cieux, nous dirions presque une admirable honnêteté. Il a fait plus encore : la source unique des Lettres d'Éginhard était un manuscrit de la ville de Laon qu'on croyait perdu ; ce manu- scrit, retrouvé par M. Haenel, est devenu pour M. Teulet l'objet EGIMIARO. a II, AVERTISSEMEKT. d'un travail o|iiaiàtre ; des pages , souillées d'énormes taches et à moitié détruites, qui avaient rebuté la patience des premiers éditeurs ont rendu a ses efforts des fragments inédits qu'il a complétés et restitués avec non moins de talent et de succès. Nous sommes redevables à M. ïeulet de dix lettres d'Éginhard jusqu'ici tout à fait inconnues. L'histoire lui tiendra compte de ces glanures précieuses, recueillies dans un champ déjà mois- sonné à plusieurs reprises. Les savants qui ont consacré tant de veilles à la publication des monuments originaux de notre histoire, accablés pour ainsi dire sous le poids des richesses qu'ils s'étaient chargés de faire connaître , n'avaient ni le loi- sir ni la pensée de pousser leurs investigations jusqu'aux limi- tes du possible. Pour se distinguer aujourd'hui on a besoin d'une persévérance plus minutieuse, et il faut dire que peu de personnes possèdent à un aussi haut de^é que M. Teulet cette qualité modeste, mais féconde, ete.x J'espère que ion me pardonnera cette citation. On com- prendra facilement que j'aime à rappeler un jugement qui a été pour moi une récompense infiniment précieuse , et d'ailleurs je suis heureux de trouver ici l'occasion d'exprimer toute ma reconnaissance au savant distingué qui fut en cette circonstance l'organe de l'illustre compagnie. C'est la partie accessoire de mon premier travail , la traduction française des OEuvres d'É- ginhard que je publie de nouveau aujourd'hui, après avoir préa- lablement demandé et obtenu à cet égard l'autorisation du Conseil de la Société de l'Histoire de France. Je remercie le Conseil de la faveur qu'il a bien voulu m'aceorder. J'en ai profité pour améliorer ma traduction , soit à l'aide des justes observations de la critique, soit en introduisant dans cette AVI-iniSSKMI-M". III siTondo ('ditioii toulos los niodilicatioiis quiiue révision géné- rale, un nouvel et sérieux examen ont pu nie suggérer. Je me suis efforcé de rendre cette traduction aussi exacte que possible, et sans vouloir prétendre qu'elle puisse suppléer pour les savants au texte même d'r.ginliard , j'aurai complètement atteint le but que je me suis proposé si ce volume obtient une place honorable dans une collection destinée à répandre et à popu- lariser la connaissance des écrivains originaux de notre histoire nationale. A. T. NOTICU SUR ÉGINHARD ET SUR SES OUVRAGES. Éginliard, ou plutôt Einhard, car son véritable nom est FAnhardiis [\], naquit au commencement du règne de Charlemagne. On manque de données cer- taines pour fixer d'une manière précise l'époque de sa naissance. Mais, comme nous savons qu'il fut élevé avec les enfants de Charlemagne , on peut le supposer à peu près du même âge que les fds aînés de ce prince (2); et, en fixant vers l'an 770 fépoque pro- bable de sa naissance , on arrive à des résultats qui se concilient parfaitement avec tous les faits de sa vie dont on connaît la date certaine et que nous énon- cerons successivement. Il est également difficile de déterminer avec précision quel fut son pays natal. Cependant l'opinion générale est qu'il naquit aux environs de l'Odenwald , dans celte partie de la France orientale qui forme aujourd'hui la province de Star- ci) On trouve Einhardus, Ainhardits, Eiiiharliis, Hcinliardus dans les documents et les manuscrits les plus anciens, Au dixième siècle le nom com- Hience à saltérei- : l'auteur de la Vie de S. Sébastien écrit A(jenardus, et Ton trouve déjà dans les Mss. du siècle suivant la forme Egiuanlits, Eginhardus. qui a fini par prévaloir et(iui a passé dans notre langue. (2) Pépin le Bossu naipiii vers 770. Charles, l'aîné des fils légitimes de tUarleniaRUi', naHAKD kenbourg du grand-duchc de Hesse-Dannstadt. L'n texte attribué à un auteur contemporain dit même positivement qu'il naquit dans le pays du Mein, «w pago Moingewi. Mais on ne peut guère regarder ce texte que comme la reproduction d'une tradition vraisemblable, car c'est un passage d'une prétendue préface de Walafridus Strabus, substituée , en tête de la Vie de Charlemagne, au prologue d'Éginhard. Or, cette préface n'existe que dans un seul manuscrit du quinzième siècle, et d'ailleurs elle contient un ana- chronisine évident (1), qui ne permet pas de l'attri- buer à un contemporain d'Éginhard. Ce fut en 788 que Charlemagne publia la célèbre constitution (2" de laquelle datent la renaissance des lettres au moyen àgc et le rétablissement de l'in- struction publique dans les Gaules et la Germanie. On peut croire que déjà il avait donné l'exemple et que l'école palatine, dont Alcuin fut le premier direc- teur (3), existait alors depuis plusieurs années. On sait que Charlemagne forma cette école en appelant auprès de lui un certain nombre de jeunes gens d'il- (I j Ou lit dans cette préface , dont nous donnons le teste ci-aprés, Piéam justificatives, n" ix, qu'Éginliard fut élevé dans le monastère de Fulde, par les soins de saint Boniface. Or, saint Boniface est mort au plus tard en 737, bien avant (|u'£ginhard vint au monde. (2) Constilittio de scholis pcr sintjula cpiscopia et monasteria insli- liididis, dans Haluze, I, 201-202. (3) Alcuin se fixa auprès de Charlemagne en 782. — M. Ampère {His- loire de (a litlcralure française, III , 28) révo) Voy. la lettre d'.\lcu'n que nous venons de cilcr. e( l'épigraniiru' de Walafridu;^ Stralms, PicrcsjHsIiJi'dtircs, n* x et xil. VIII ><>TICE SLR EliORAKfl destinée, car û ne fut pas , comme on lu cru et lépétp sur la foi du cartulaire de Lorsch, notaire et archi- chapelain de Charlemagne : des textes contemporains prouvent que , dans le partage des hautes fonctions distribuées aux anciens élèves de l'école palatine, il obtint celles de chef des travaux publics il). Aussi , en plusieurs endroits de ses ouvrages, notamment dans le chapitre xvii de la Vie de Charlemagnc, il a soin de mentionner les grands travaux entrepris par ce prince « pour l'ornement et l'utilité de son royaume, » et auxquels il dut prendre une part active. C'est en 802 que le nom d'Éginhard apparaît pour la })remière fois dans un acte public. Il est nommé dans la liste des grands ([ui avaient été chargés de la garde des otages saxons et qui devaient les représenter à l'as- semblée de Mayence (2). Comme celte liste ne con- tient guère que des noms de comtes et d'évêques, on peut en conclure que tous ceux dont elle fait mention étaient des personnages d'une position éminente et l)arvenus à l'âge viril. 11 serait donc difficile de sup- poser qu'à cette époque Éginbard eût moins de trente ans (3). En 806, il fut chargé d'aller porter au pape Léon l'acte du partage des États de Charlemagne. afin que ce pape y apposât sa signature (4). On a encore voulu conclure de cette mission diplomatique qu'É- '1, Voy. ci-apre», p. xxii, lépilaphe composée par Raban Pt i'exlraitrle la Chronique de Fontenelle, Pièces justificalives , n" xv. (2) Voy. Pièces justificatives. n° xiii. M. Pertz . en citant ce document dans son tom. Il Scriptor., p. WT. lui donne la date île SO." ; mais lors- qu'il l'a iinprimé plus tard dans son tom. I Lequm, p. 89-90, il l'a très- judicieusement reporté au mois de janvier ou février 802. (•1) En admettant quÉginhanl naquit en 770, il aurait eu trente-deux ans. {\ Annale>. .inii xOG. ei-apr-js. p 4t6. KT SIK Sl;.S Ol VHAGES. l.X j^Miihaid était Aovs iiulaifc ûv Cliarloitiagm^; mais c'est une asserlion qu'aucun texte ancien ne justifie. Plus t\gé que Louis le Débonnaire, Éginhanl avait vu grandi)' ce prince sous ses yeux, et il lui voua un attachement dont il ne se départit jamais. En 81;^, ilans l'assemblée solennelle qui se tint à Aix-la-Cha- pelle, ce fut Éginhard qui, d'après le témoignage authentique d'Erinoldus Nigellus, écrivain contem- porain (1), provoqua la déclaration par laquelle Char- lemagnc associa à l'empire Louis, son lils aîné. De- venu seul maître de la couronne impériale , Louis ne se montra point ingrat. Il maintint Éginhard dans ses fonctions de chef des travaux publics (2), et quel- que temps après, en 817, il le nomma gouverneui- de son fils Lothaire, lorsqu'il associa ce jeune prince à l'empire i3'. Kaban-Maur dit que Lothaire mourut en 8o5, à l'âge de soixante ans; en prenant cette date pour point de départ, on tiouve que ce prince avait déjà dix-huit ans en 814, lorsque Louis son père succéda à Charlemagne. Or Louis n'avait alors que trente-six ans. Peut-être ce peu de différence d'âge entre le père et le fils fut-il une des principales causes qui con- tribuèrent à développer l'ambition du jeune Lothaire et qui amenèrent dans l'empire tant de troubles et de malheurs. Quanta Éginhard, en 814 il pouvait avoir quarante-quatre ans; il avait épousé Imiiin ou Emma, (1) Voy. l'extrait du poëint; d'Erraoldus dans les Pièces jiisdjlcativcx, n" XIV. (2) C'est ce qui résulte inipliciteincut du passage de la Chronique de Fon- tenelle déjà cité ; voy. Pièces justificatives, n" xv. (.1) Voy. la lettre XXXIV d'Éginhard à Lothaire. ci-apres, p. 202. X NOTICE SUR ÉGINHABI> cette femme d'une illustre famille dont on a voulu faire la fille de Cliarlemagne, et il n'avait pas encore embrassé l'état monastique : c'est du moins ce que semble prouver le diplôme par lequel Louis le Dé- bonnaire leur donna conjointement, le H janvier de l'année suivante, 815, les domaines de Mulinheim et de Michelstadt, pour en jouir à perpétuité eux et leurs héritiers (t. Cependant Éginhard ne tarda pas à prendre une résolution qui de son temps n'avait rien d'extraordinaire; c'était d'embrasser l'état monas- tique, quoique marié et sans même quitter sa femme (2), mais en ne conservant plus avec elle que des relations toutes fraternelles. Un diplôme de Louis le Débonnaire, daté du 2 juin 8lo, nous le montre fai- sant confirmer, en qualité d'abbé, les privilèges du mo- nastère de Saint Pierre rie Gand (3;, qu'il venait de ré- tablir. Cette abbaye paraît être la première qu'Éginhard ait possédée ; du moins aucun texte authentique ne lui donne avant cette époque de titre ecclésiastique. Le cumul des abbayes, quoique défendu par les ca- nons, était alors toléré. Éginhard reçut en 817 l'ab- baye de Fontenelle, ou Saint-Vandrille, au diocèse de Rouen, qu'il céda en 823 à son ami Anségisc (4;. Il eut encore le monastère de Saint-Bavon. Ce fut en 819 qu'il rétablit ce monastère, dont les moines étaient dispersés depuis trois ans, et le 13 avril de la même fl) Voy. ce diplôme, Pièces justificatives, n" i. (2) Voy. la lettre lxxii d'Éginhard à Loup de Ferrières, c -aim s. p 2."( . (3) Pièces justificatives, n° ir. Ce monastère, nommé dans les cliartes Blan dinium, Blandinicnse monasterium, était situe près des murs de Gand, sur le mont Blandin, au bord de l'Escaut. .'4) Pièces justificatives, n" ïV, I-T M' H SKS OlJVlUOr.S. XI ;iniu''r il ohlinl rn leur lavoiir un diplùmc de l.ouis 11' l)tH)onnaiiT, dans \oi\iuA il est encore désif^né sous le titre de vénérable abbé I . Le monastère de Saint- Servais de Maastricht lui appartint également dès 819 ou au plus tard dès 821 (2). Enfin on sait par une de ses lettres qu'il posséda un monastère de Saint- Cloud dont on ignore la situation, mais qui n'est pas Saint-Cloud près de Paris (3), et parun passage de l'His- toire de la translation de saint Pierre et saint Marcel- lin (4) on voit qu'il reçut, à titre bénéficiaire, anté- rieurement à 828, l'église Saint-Jean-Baptiste des Dames à Pavie. Avant d'embrasser l'état monastique , Éginhard avait eu de sa femme Imma un fils unique nommé Vussin, qu'il fit élever dans le monastère de Fulde, sous le célèbre Kaban (5). C'est au moins ce qui semble résulter de la lettre xxx, dont les termes 7ni nate me paraissent caractéristiques. M. Ideler ne veut y voir que l'expression d'une paternité spirituelle; nous pensons qu'ils indiquent une paternité véritable. Cette opinion, qui est celle de D. Mabillon, est ad- mise par M. Pertz, et elle peut s'appuyer sur une longue tradition, puisque les comtes d'Erbach-Er- bach, dont l'antique famille subsiste encore aujour- d'hui, ont toujours eu la noble prétention de des- cendre d'Éginhard. Toutefois l'existence de ce fils est assez difficile à concilier avec la charte par laquelle (I) Pièces justificatives, n" m. (i) Pièces justificatives, n" v. (3) Lettre ii à Gozbeit, abbé de Saint G.ill, ci après, i>. <80. (*) Liv. II, 11° 12. Voy. ci-apiôs, p. 234. (5) Voy. la lettre xxx adressée .i Vussin , p. 198. XU NOTICE SI R EGIMIAKD Éginhard transporta, le i2 septembre 819, du con- sentement de sa femme Imma, le domaine de Mi- chelstadt à l'abbaye de Lorsch (1). Les deux époux se réservent, dans cette charte, un droit d'usufruit ré- versible sur celui des deux qui survivra; puis ils ajoutent : « Et s'il arrive que nous ayons des enfants, l'un d'eux nous succédera dans le domaine à titre précaire, » ou, en d'autres termes, en conservera r usufruit. Donc Éginhard n'avait pas encore d'enfant à cette époque, en 819, et il n'a pas pu en avoir plus tard , car les diplômes accordés aux monastères de Saint-Pierre et de Saint-Bavon prouvent qu'en 819 il avait déjà embrassa l'état monastique et qu'il était abbé. En conséquence Vussin ne serait pas le fils d'Éginhai'd. De ce rapprochement Le Cointe (2) con- clut, au contraire, que c'est la charte de Lorsch qui est fausse , et nous sommes très-porté à partager cette opinion. Car si cette charte, insérée dans un recueil d'une grande autorité (3), n'est pas absolument fausse, on peut au moins supposer qu'elle a été refaite , de mémoire, comme cela arriva si souvent lorsqu'on se mit à composer des carlulaires ; et alors on comprend facilement comment cette clause, qui n'est plus qu'une formule fort usitée dans les actes, s'est glissée dans celui que nous examinons. Il y aurait bien en- core un autre moyen de concilier l'authenticité de la charte de Lorsch et l'existence de Vussin comme (i) Voy. cette Charte, Pièces justificatives, n° iv. \;2) Annal, ecclesiast . , tom- VIII, p. \\{. (3) Le Cartulaire de Lorsch , publié par rAcadémie théodoro-palatine , sous ce titre : Codex Laurishamensis diplomatitus. ( Manheim , 1768, in4". 3 vol.) KT SUR SES OITVBAGES. XUT fils (l'Ëginliartl ni- i)o?lôrieuremcnl à 819; ce serait (le dire qu'Éjiinhard n'embrassa l'état monastique que plus tard , cl que ce lut d'abord comme laïque et à litre de bénétice qu'il posséda les abbayes de Saint- Pierre, de Saint-Bavon, de FonlencUe et de Saint- Servais. Cela n'est pas sans exemple au neuvième siècle ; mais la qualité de laïque conservée par Égin- liard n'était-elle pas incompatible avec le titre de veîierabilis abbas, qui lui est donné dans les deux di- plômes impéi'iaux que nous avons déjà cités et dont on ne pcul révoquer en doute rautbenlicité? Il vaut donc mieux se rapprocher de l'opinion de Le Cointc et regarder la charte de Lorsch comme interpolée. Parmi les abbayes possédées par Éginhard , nous avons nommé l'abbaye de Saint-Servais au diocèse de Liège. Il possédait cette abbaye en 821 , peut-être même dès 819, comme le prouve un acte d'affran- chissement accordé par lui à cette époque et que nous avons réimprimé d'après D. Carpentier (1). Éginhard reparaît comme abbé de Saint-Pierre deGand tlans un acte d'échange passé en 824 entrelui et Théo- derade , abbesse d'Argenleuil (2), et dans deux autres actes , l'un du 21 janvier 830 , l'autre dont il est assez difficile de fixer la date, mais qui est peut-être du 7 septembre de la même année (3). Il ne faudrait pas conclure de ces actes que de 815 à 830 Éginhard ait fait un séjour habituel dans les monastères qui lui appartenaient. Il continuait de vivre à la cour et d'y (1) Pièces justificatives, n"'.'. (2) Ihid., n- VI. (S) Ibiù.. li- V!r. XIV >0T1CK SLK EOIMIARD remplir des loiiclions politiques. Mais il songea de bonne lieuj'e à la retraite; et ce fut dans celte intention qu'il sollicita de Louis le Débonnaire et qu'il obtint, en 815, ce domaine de Michelstadt qui, « situé au milieu de l'antique Odenwald, lui avait plu comme un lieu solitaire placé loin du tumulte de la foule (1). » Quelque temps avant l'année 826 , il y fit bâtir des maisons et même une église d'une construction assez remarquable (2). Vers le même temps, Hilduin, abbé de Saint-Denis et de Saint-Médard , ayant obtenu du pape Eugène II les reliques de saint Sébastien, les lit transporter à Saint-Médard de Soissons. Elles y arri- vèrent le 9 décembre 826 (3), et bientôt les Gaules et la Germanie furent remplies du bruit des miracles qui s'opéraient par la vertu des saintes reliques. Éginhard, dans l'Histoire de la Translation de saint Pierre et saint Marcellin '4), nous apprend avec beau- coup de détail comment il conçut alors un vif désir de se procurer des reliques pour la dédicace de sa nouvelle église, et. après quelles vicissitudes Ratleig, son notaire, qu'il envoya à Rome, lui en rapporta les reliques de saint Pierre et saint Marcellin. Ratleig, de retour en France, c'est-à-dire dans la France orientale , au mois d'octobre 827 (5), déposa les re- liques à Micbelstadt; mais, à la suite de certaines ré- vélations qu'Éginhard raconte longuement, elles furent transportées, quelques mois après, à Mulin- (») Histoire de la Translation , liv. 1. n" 2, li-apics p. 2U. (2) Histoire de la Translation, ibid. (3) Histoire de la Translation, liv. i, a" 2, p. 243. (V Histoire de la Translation, liv. i et li. u" 3 à 13, p. 2'43-257, [3j Voy. les Annalf^s, année 82", \> 109. ET SUR SES OUVRAGES. XV heim, où elles arrivèrent vers la fin de janvier 828 (1). Ce fut alors qu'Éginliard ehangca le nom de Mulin- heim en celui de Seligensladt, la ville des bienhen- rexix, et y fonda une abbaye de Bénédictins, qui sub- sistait encore à la lin du siècle dernier (2). A partir de celte époque, le culte de saint Pierre et saint Mar- cellin absorbe Éginbard tout entier, le séjour du pa- lais lui devient odieux, il néglige môme les devoirs de sa charge, au point que l'empereur en témoigne son mécontentement (3). Du reste, on conçoit facile- ment le dégoût qu'éprouvait Éginbard pour les affaires ({) Histoire de la Translation, iiv. n, n"20, cl-aprts, p. 263. (2j Les bâtiments de l'abbaye ayant été ravagés deux fois par les Inva- sions des Nortmans aux dixième et onzième siècles, et ensuite niodiîiés sans cesse par les constructions que firent faire les divers abbés, il est pro- bable que depuis bien longtemps il ne reste plus rien de l'édifice primitif. Ce que l'on voit aujourd'hui à la place n'est qu'un amas confusdesdiffé- rents styles d'architecture .employés depuis le onzième jusqu'au dix-huitième siècle. Cependant M. Dabi croyait encore retrouver, dans la nef et ciuel- (jues autres parties de l'église , des constructions du temps d'Éginhard. Ma;s cette opinion a été combattue par Moller, qui persiste à croire que l'église a été entièrement rebâtie à la fin du dixième ou au commencement du on-zième siècle. A la suite des sécularisations occasionnées par le traité de Lunéville, la partie de l'archevêché de Mayence à laquelle Seligensladt ap- partenait échut, en <802, au iandgraviat de Hesse-Darmstadt. Le land- grave Louis X ( premier du nom comme grand-duc) donna, en 1812, l'é- gîise de Tabbaye à la ville, où elle est maintenant église paroissiale. On montre encore dans cette église le sarcophage que fit ériger en 1723 l'abbé Pierre, pour y enfermer les restes d'Éginhard, dimma et de sa sœur Gisla. L'ancien tombeau, donné, en 1810, au comte d'Erbach par le grand-duc Louis, est aujourd'hui conservé à Erbach. Au reste, il paraît, d'après le style, que ce n'est pas encore là le tombeau primitif. Quant à l'abbaye, elle forme à présent une dépendance de l'hôpital, et elle sert d'habitation a plusieurs fonctionnaires pubhcs. — Nous devons les détails contenus dans cette noie à l'obligeance de M. le comte Hippolyte de La Rochefoucauld alors ministre de France à Darmstadt, qui a bien voulu les demander pour nous au savant M. A. Fedcr. (-■5) Lettre XIV, ci-aprcs, p. 188. XVI NOTICE SLR EGINHABD publiques. Le second mariage de Louis le Débon- naire, sa prédilection pour le fils de Judith, Charles le Chauve, remplissait le palais de désordres et de misérables intrigues. En 828, Éginhard essaya de donner à son maître quelques utiles conseils. Un aveugle , nommé Âubri , lui fit remettre un mémoire contenant un certain nombre d'avis destinés à l'em- l)ereur et qui avaient été, disait-il, dictés par l'ar- change Gabriel lui-même (1). Il est bien permis de mettre en doute la réalité de cette révélation, mais on ne peut douter de la bonne foi d'Éginhard; il refit ce mémoire , le transcrivit de sa main , et le présenta à l'empereur, qui reçut les avis, mais qui n'en suivit qu'un bien petit nombre. Cependant les intrigues et les désordres s'aggravaient de jour en jour. En 830, tandis que Louis le Débonnaire entreprenait son expé- dition de Bretagne , Lothaire repassa les Alpes malgré fcmpereur, pour venir joindre ses troupes à celles de ses frères. L'impératrice Judith était restée à Aix- la-Chapelle; Éginhard était avec elle (2), et ce fut peut-être à sa sollicitation qu'il écrivit à Lothaire cette belle lettre (3) pleine de remontrances respectueuses, mais fermes, par lesquelles il s'efforça d'arrêter le jeune prince, qui bientôt allait en venir à une révolte ouverte. Cette première démarche resta sans résultat; cependant on peut croire que l'empereur espérait encore beaucoup de l'influence qu'Éginhard devait ()) Voy. THistoire de la Translation, liv. v, n" 47, ci-après, p. 291, et l'ex- trait des Annales de Fulde, rapporté ibid., not. 1. Voy. aussi la fin de la Lettre xiv, p. 188, et le post-scriptum de la Lettre su, p. 2H. (2) Lettres xl, xli et xlii, p. 2oy et suiv. (."5) Lettre xxxiv, p. 202. KT hlU SES OIVUACKS. XVH a\oii' (.•onscrvce sur son ancien élève, puisqu'il lui ordonna expressément de se rendre à. Compiègne avec l'iiupérali'icc. Kginhard lit tousses efforts pour obéir; mais il loiiiba dangereusement njalade et put à peine se traîner jusqu'à Valenciennes, d'où il se fit trans- poiler par eau à son monastère de Saint-Ha\on. Ce fut de là (pi'il écrivit à l'empereur et à l'impéralrice, en priant par une autre lettre un de ses amis, proba- blement le bibliotbécairc Gerward, d'appuyer de tout son crédit ses légitimes excuses (I). Cependant la ma- ladie faisait des progrès si rapides qu'Éginbard se crut arrivé à sa dernière beure. Sa lettre adrcs'^ée à (Jerward (:2) est un véritable testament, qu'il termine eu confiant à sa femme Imma, sa sœur chérie, comme il l'appelle, l'exécution de ses dernièi'es volontés. Dans le même temps il écrivit à l'empereur, proba- blement à Lotbaire, pour le prier de vouloir bien transporter à son monastère de Seligensiadt (pielques- uns de ses bénéfices. L'empereur y consentit et pro- mit même que les autres bénéfices d'Eginbard se- raient conférés aux sujets qu'il avait formés pour le service de l'État, Ni la lettre quEginhard écrivit alors ni la réponse de l'empereur ne nous sont parvenues; mais tous ces faits sont constatés par cette nouvelle lettre que nous avons retrouvée dans le manuscrit de Eaon (3j et qui prouve en même temps combien les souffrances de cette terrible maladie laissèrent dans la mémoire d'Eginbard un souvenir pénil)le. «J'o- (t) Voy. ci-aiircs, p. 2'i9(.'t ••uiv.. les trois Icltrcs i|UC nous venons de citer. (2) Lettre xxxii, \).2on. (■^i l.cllre L\xi, p. 2"; '(. VIII NOTICE S«)R EGl.NHARlJ serai encore rappeler à volie miséricorde, écrit-il, ces demandes que je lui adressai lorsque je trem- blais aux approches d'une mort imminente, vici- niam imminentis mortis exhorrui. Je vous priai de vouloir bien conférer à vos doux patrons, pour le soutien de ceux qui se consacreront au service de Dieu près de leurs saintes reliques , quelque chose des bénétices que je possédais. Vos promesses pleines de bienveillance me firent alors espérer que non-seulement je ne serais pas déçu dans mes dé- sirs en ce qui concernait les saints martyrs, mais que vous étendriez même votre miséricorde sur les hommes que j'avais élevés pour votre service , et que vous comptiez les aider également de ces mômes bé- néfices. » Éginhard se rétablit; mais il resta affecté le graves infirmités qui purent au moins lui servir 'excuse lorsqu'on le pressa de rentrer aux affaires. Je prie et je supplie humblement votre mansuétude, dit-il en terminant la lettre que nous venons de citer, de daigner jeter un regard de miséricorde et de pitié sur un pauvre pécheur déjà vieux et accablé d'infirmités; faites que je puisse être débarrassé et libre pour toujours des affaires de ce monde, et qu'il me soit permis, dans la paix et le repos, près des tombeaux de vos patrons, les saints martyrs du Christ , et sous votre protection , de me consacrer entièrement à leur culte et au service de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin que ce jour iné- vitable et supième, ordinairement si proche de « l'àgc où je suis arrivé, ne me trouve pas occupé de « soins passagers et superflus, mais appliqué à la i;r SLB sKs oi.vnAC.Es. xix « priùre cl à ia kttiire dos livres saints, exerçant « mes pensées dans la méditation de la loi divine. » Les vœux d'Éginhard, qu'il semble avoir adressés successivement à Louis le Débonnaire et à Lolbaire (1), tV.rcnl entin exaucés; il put se retirer pour toujours à Seligenstadl, et là, au fond de cette reti'aitc, éloi- gné, comme il le dit lui-même, du tumulte de la l'ouïe (;2), il n'assista que de bien loin au triste spec- tacle donné au monde par la lin du l'ègne de Louis le Débonnaire. Êginbard avait alors environ soixante ans. 11 passa à Seligenstadt le reste de sa vie, attristé sans doute par les désordres qui s'agitaient autour de lui; tantôt cberchant à les oublier (3), tantôt s'y intéressant vive- ment (4); mais à l'abri des persécutions, respecté de tous les partis et tranquille, à ce qu'il semble, au juilieu de ces querelles auxquelles il évitait de prendre part. La plupart des lettres que nous possédons ap- partiennent à cette époque de sa vie. Elles confirment ce que nous venons d'avancer : elles prouvent que , tout en n'exerçant plus de charge publique, Éginhaid conserva toujours à la cour des relations et un assez grand crédit pour intercéder utilement, soit auprès de Lothaire , soit auprès de Louis le Débonnaire , en faveur de ceux à qui il portait un juste intérêt fo). En 833, lors delà nouvelle révolution qui précipita (I) Lettres xi.ii, ci-aprOs, p. 3H, et lxxi, p. 254. !2) IKstoire île la Translation, liv. i, n" 2. (3) Lettre XLVii, p. 2l.i. (4) Lettre xliv, p. 213. (ri) Voy. priiicipalciiu'ut les l.ellres ii, M. x\m , xvvii. xxvm, xi.v, ÏLIX, LII. XX NOTICE SliR ÉGINHAHU du trône Louis le Débonnaire et amena entre ses trois lils, Lothaire, Louis le Germanique et Pépin , un nou- veau partage de l'empire , tous ceux qui tenaient des bénéfices lurent appelés à prêter serment de fidélité à leurs nouveaux maîtres (1). S'il pouvait nous être permis de tirer des inductions de la lettre un de notre Kecueil (2), lettre que nous avons imprimée pour la première fois dans notre édition latine des Œuvres d'Éginbard, mais qui est tellement mutilée dans le manuscrit que, pour la compléter, nous avons dû en restituer la plus grande partie, nous dirions qu'Égin- hard se rendit alors à l'assemblée de Compiègne; qu'ayant obtenu de Lothaire la permission de se re- tirer immédiatement après la clôture de cette assem- blée, il se hâta de retourner à Seligenstadt, sans doute pour ne pas assister à la scandaleuse déposition de son ancien maître , et que ce fut de là qu'il écrivit à Louis le Germanique cette lettre pleine de ménage- ments pour obtenir la conservation provisoire d'un de ses bénéfices , qui , par suite du nouveau partage , se trouvait compris dans les États de ce prince. La recommandation, cet hommage lige des temps carlo- vingiens, était une obligation légale à laquelle Égin- hard, devenu le vassal de Louis le Germanique, no pouvait se soustraire sans perdre son bénéfice; mais, à la fin de sa lettre , Éginhard fait à Louis le Germa- nique de grandes protestations de dévouement. Nous n'oserions pas en conclure qu'il se rapprocha de ce (<) Voy. l'auteur anonyme de la Vie de Louis le Débonnaire, chap. xLviii et xu\. Periz, Scriplor., 11. G56. i'i) Voy. ci après, p. iiO. ET SUR SES 01 VRAGES. XXI prince i)oiir amener entre lui et son père une l'écon- eiliation. On ne voit rien, ni dans les lettres d'Égin- liard, ni dans ses écrits, ni dans les historiens con- temporains, d'où l'on puisse induire qu'il ait travaillé au rétablissement de Louis le Débonnaire. Cependant il est certain qu'il conserva toujours avec ce prince d'intimes relations. En 83(>, un grand malheur do- mestique vint frapper Éginbard : la mort lui enleva sa chère Imnia (1), <"< cette femme qui, après avoir été « sa fidèle épouse, était devenue pour lui une sœur « et une compagne chérie, » et dont la perte « lais- « sait un vide immense dans toute l'administration « de sa maison et de sa famille, en tout ce qu'il lui « fallait ordonner et disposer pour le service de Dieu « et celui des hommes. » Loup, depuis abbé de Fer- rières, qui étudiait alors dans le monastère de Fuldc et qui entretenait avec Éginhard, depuis 830, des re- lations d'amitié, lui écrivit pour le consoler deux lettres fort belles, qui nous ont été conservées (2). A la même époque , Louis le Débonnaire se rendit de Francfort à Seligenstadt (3) ; il est permis de croire que ce fut pour visiter et pour consoler aussi son vieil ami trappe dans ses affections les plus chères. On sait quel goût ce prince avait pour les observa- tions astronomiques, ou plutôt pour ce que l'on a nommé depuis l'astrologie judiciaire.  propos de la (1) Voy. la lettre lxxii, ci-après, p. 236. (21 Voyez Pièces Justificatives, n" xi, les extraits de ces deux lettres, que n ous avons imprimées intégralement dans notre édition latine , tom. 1 i , p. 135 et suiv. (3) A'oy. les Annales de Fulde , à l'année 836. { Pièces justiftcativcf, n" XIX. ^ XXI[ NOTICE SL'R EGIKHABD comète qui apparut l'année suivante, 837, Éginhard lui adressa une sorte de paraphrase empreinte des idées de tristesse et de chagrin dont il était encore tout accablé (1). C'est le dernier écrit d'Éginhard auquel on puisse assigner une date certaine. Il est probable qu'il consacra tout le reste de sa vie aux exercices de piété, qui faisaient toute sa consolation. Il mourut quelques années après, en 844, suivant la Chronique de Saint-Bavon; d'après notre calcul il devait être âgé de soixante-quatorze ans (2). Éginhard fut enseveli, auprès d'Imma, dans le monastère de Seligenstadt. Raban-Maur, abbé de Fulde, qui avait été son ami, composa pour son tom- beau l'épitaphe suivante : Te peto, qui hoc templum iiif/redcris , ve noscere spenias Quid locus hic habcat quidqiie lenens mnneal . ( ondilus ecce juccl lumulo virnobilis islo, Ei>HAKl)LS itnmcn oui genitor dederat. Iiitjenio hic priidens, prabus actit atqiie nre faciindus Exslilit, acmtdlis ulilis artefuit. Qiieni Karoliis princcps prnprta niilrivit in aiiln , Per qiiem et confecit mulla salis opéra. l\am horum Sanclorum condiqno fiincttis liuiiord' Exquirens Romœ corpora duxit et hue m multis prosint precib'is ruraque medela-, Ipsiiisquc iniimœ régna poli tribuanl. Christe Dens. hominum Salvator, rector et aticlur, yl^ternam huic requiem da super aslra piiis. Voilà tout ce que nous avons pu réunir d'authen- tifjnc ou de probable sur la vie d'Éginhard; mais Éginhard, do même que Charlemagne, a eu sa lé- (I) Lettre i.xi, ci-après, p. 22 >. (21 C'csl-à-dirn en fixant à l'année 770 l'époque île sa naissance. Voy. l'extrait de la Chroniqno de Saint-Bavon dans les Pièces jnslificatives, n" XXII. I:T si « SES OliVRAfiKS. XXIIl geiiik' p(K''ti(iU(', t'I («'lit' Irgondo a huit coiilrihut' à rcntlie son nom populaire que nous ne pouvons nous ilispcnscr d'en parler avec quelque détail. Vers la tin du douzième siècle, un moine de Lorsch entreprit de former le carlulaire de son monastèi'e, c'est-à-dire de transcrire et de classer d'une manière méthodique les chartes qui pouvaient servir à con- stater des droits utiles en f;iveur du monastère de Lorsch. Il adopta l'ordre chronologique pour les pièces les plus importantes à partir de la fondation du mo- nastère. Quant aux autres pièces, il les réunit sous le titre ordinaire de Tradiliones, en les divisant géogra- phiquement, par pays, suivant les domaines auxquels elles se rapportaient. On conçoit que la date d'une compilation de cette nature est fixée par la date des derniers actes qu'elle renferme (1), Or, dans celle- ci les actes les plus récents sont de la fin du douzième siècle (2), et au jugement des savants de l'académie de Manheim qui ont donné une édition complète de ce précieux recueil (Manheim, 1768, in-4'', 3 vol.) l'âge du manuscrit sous le rapport paléographique doit être fixé à la même époque. Dans la seconde partie de son travail le compilateur s'est contenté de transcrire les actes sans aucune addition (3); mais (\ ] Voici le titre de la premiùre partie de ce cartulaire : Transcriptio prhilegiorum regalium et apostoUcorum seu traditiomim Laurcshamcn- sis jnonasierii, annotatio qtioqnc regumet imperatorum seu abhatum ab exortu ejiii usque ad nos in ordinem digesln. (2) La dei-Liére picce datée est une Ijuile d'Alexandre IH, du 7 avril J<79, vingtième année de son pontificat. (Dans ledition de Manheim, foin. 1, pag. 279. ) (3) Avant-propos de la seconde partie : Hacteitus donaliones imperato- rum , friiicipum ar speciahiUum personarum, privilégia quoque Lavris- XXIV NOTICE SUB EGI^HARD dans la première partie, cliaque pièce est précédée d'un récit, d'une notice plus ou moins étendue, dont l'ensemble forme une espèce de chronique avec inter- calation de pièces justiticatives. Cette forme de cartu- laire n'a rien qui doive étonner; on peut en citer d'autres exemples, notamment le cartulaire de Fol- ({uin, antérieur de plus de deux siècles (1). Le cartu- laire de Lorsch a donc une date t)ien constante , il est de la fin du douzième siècle. Or, c'est dans ce cartu- laire qu'on trouve pom* la première fois le récit des amours d'Éginhard avec une fille de Charlemagne et tous ces détails romanesques d'une légende devenue célèbre. Nous croyons devoir reproduire dans son intégrité le récit du cartulaire de Lorsch; en voici la traduction : Michelstadt (2). « Or voici comment le domaine de Michelstadt, sous le règne de ce très-pieux empereur, est devenu, par la générosité du vénérable Éginhard, la propriété du monastère de Lorsch. Nous allons faire ce récit en peu de mots, tel que nos aïeux nous en ont transmis le souvenir; car c'est là une chose bien digne d'être sue et admirée et qui montre dans toute son évidence Itamensis ecclesiœ, tant aposlolica quam imperialia, suo dir/essimus or- diiie; nu ne ad diversas Chrisli Jidclhnn traditiones, per diversos payas et provincias, in diversis locis ac lerminis, transcribcndas accingamur. ( Édition (le Manheini, t. I, p. 283. ) (1) Voy. ce cartulaire publié par M. Guérard, dans la Collection des Do- cuments inédits. (2) Voy. parmi les Pièces juslifunlives, n" xs, le texte latin que nous avons reproduit d'après le cartulaire de Lorsch, édition de Manheini. ET StiU SES OUVBAGES. XXV quolle bionvcillauce onvers ses sujets, quelle libôralité pour SCS licU'les, quelle indulgence pour les fautes (les siens déployait autrefois l'Excellence Impériale. Donc Eginhard, archicliapelaiu et notaire de Char- leniagne , s'acquittait si honorablement de ses devoirs à la cour qu'il était bien venu de tout le monde ; mais il était suilout aimé de très-vive ardeur par la fille de l'empereur lui-même, nommée Imma et fiancée au roi des Grecs. Quelque temps s'était écoulé, et leur amour mutuel ne nuisait que s'accroître de jour en jour. Retenus qu'ils étaient par la crainte de la colère impériale , ils n'osaient faire pour se trouver ensemble de périlleuses démarches ; mais un amour opiniâtre surmonte tous les obstacles. Ainsi le noble jeune homme, se sentant consumer par une passion qu<; rien ne pouvait éteindre et désespérant d'arri- ver par un intermédiaire jusqu'aux oreilles de la jeune fille,prit tout d'un coup confiance en lui-même, et une nuit il se rendit secrètement à l'appartement qu'elle habitait. Là il frappe doucement à la porte, s'annonce comme porteur d'un message de la part du roi et obtient la permission d'entrer. Seul avec la jeune fille et l'ayant charmée par de secrets entre- tiens, il put enfin la presser dans ses bras et satisfaire les désirs de son amour. Cependant, lorsqu'à l'ap- pi'oche du jour il voulut profiter du silence de la nuit pour s'en retourner, il s'aperçut que, contre toute attente, il était tombé beaucoup de neige; et craignant que la trace des pieds d'un homme n'amenât sa perte en trahissant son secret, il n'osa pas sortir. Les an- goisses, la frayeur causées par la conscience de leur XXVI NOTICE SUR EGTNHAfli) faute les retenaient tous deux dans l'appartement; et là , au milieu des plus vives inquiétudes , ils délibé- raient sur ce qu'ils devaient faire , lorsque la char- mante jeune fille, que l'amour rendait audacieuse, imagina un expédient : prendre, en se baissant, Éginhard sur ses épaules, le porter avant le jour jus- qu'à l'appartement qu'il habitait et qui était situé près de là, et, après l'y avoir déposé, revenir en suivant bien soigneusement la trace de ses pas, tel fut le moyen qu'elle proposa. « Cependant l'empereur, vraisemblablement par un effet de la volonté divine, avait passé cette même nuit sans dormir. S'étanl levé au point du jour, il prome- nait ses regards duhaut de son palais, lorsqu'il aperçut sa tille s'avancer en chancelant toute courbée sous le poids de son fardeau, puis le déposer au lieu convenu, et revenir en toute hâte sur ses pas. Après les avoir longtemps considérés , l'empereur, ému à la fois d'é- tonnement et de douleur, mais pensant que la volonté divine était pour quelque chose dans tout cela, se con- tint et garda le silence sur ce qu'il avait vu. « Cependant Éginhard , inquiet de sa faute et bien certain que l'empereur ne serait pas longtemps à l'i- gnorer, finit, au milieu de ses angoisses, par prendre une résolution. Il alla trouver ce prince, et, fléchissant le genou , il lui demanda son congé, disant que les grands et nombreux services qu'il avait déjà rendus n'avaient pas été dignement récompensés. L'empereur l'écouta; mais, au lieu de répondre directement à sa demande, il garda longtemps le silence, finit par lui dire qu'il ffrait droit à sa requête le plus tôt possible, KT SIR SES OLVKAC>l;S. XXVIl fixa le jour et iluniui aiissil(M des ordres pour (iiie ses eonseillers, les grands du royaume et ses autres fa- miliers eussent à se rendre auprès de lui. Lorsque cette magnifique assemblée, composée des divers officiers de l'empire, se trouva réunie, l'empereur commença en disant que la Majesté Impériale avait été outrageu- sement offensée par l'indigne commerce de sa fille avec son notaire, et que son cœur était en proie à la plus violente indignation. Comme tous restaient frap- pés de stupeur, et que quelques-uns doutaient encore du fait, tant ce crime inouï leur paraissait grave, l'em- pereur le leur prouva jusqu'à l'évidence en leur ra- contant avec tous les détails ce qu'il avait vu de ses propres yeux, et leur demanda quel était leur avis à ce sujet. Les opinions furent divisées. Ils ne s'accordè- rent point sur la nature et la gravité de la peine qu'il fallait imposer à l'auteur d'un pareil attentat. Les uns voulaient qu'on lui infligeât un châtiment sans exem- ple, les autres qu'il fût puni de l'exil, d'autres enfin qu'il subît telle ou telle peine. Chacun décidait suivant la passion dont il était animé. Cependant quelques-uns, d'un caractère d'autant plus doux qu'ils étaient plus sa- ges, après en avoir délibéré ensemble , prirent à part l'empereur et le supplièrent d'examiner la chose par lui- même, poui' en décider ensuite suivant laprudence que Dieu lui avait accordée. L'empereur, après avoir exa- miné les dispositions personnelles de chacun d'eux et choisi parmi ces avis divers le conseil qu'il devait suivre de préférence , leur adressa la parole en ces termes : « Vous n'ignorez pas, leur dit-il, que legonrc humain est « sujet à bien des acciilents ; et il arrive fréquemment XXVIII NOTICE SLR EGINHABD « que ceilaines choses, après avoir en de mauvais a commencements , aboutissent à l'issue la plus favo- « rable; il ne faut donc pas se désoler, mais il faut « bien plutôt, dans cette affaire, qui par sa gravité et « sa nouveauté surpasse notre entendement , désirer « et rechercher un acte bienveillant de la Providence « divine, qui ne se trompe jamais dans ce qu'elle fait « et qui sait faire tourner au bien même les mauvaises « choses. Je n'infligerai donc point à mon notaire, à « cause de sa méchante action, une peine qui serait « bien plus propre à augmenter qu'à pallier le dés- ce honneur de ma fille; je crois plus digne de nous et « plus convenable à la gloire de notre empire de leur « pardonner en faveur de leur jeunesse, et de les unir « en légitime mariage, en couvrant ainsi, sous un voile « d'honnêteté, la honte de leur faute. » En entendant celte sentence prononcée par l'empereur, toute l'as- semblée éclate en transports de joie, et on exalte à l'envi sa grandeur d'àme et sa clémence. Cependant Égi- nhard, qu'on avait envoyé chercher, entre dans l'as- semblée, et l'empereur, le saluant aussitôt d'un visage tranquille, lui adresse la parole en ces termes : « De- ce puis longtemps vos réclamations sont parvenues à « nos oreilles; vous vous êtes plaint de ce que notre c( royale munificence n'avait pas encore reconnu di- te gncment vos services ; mais, à vrai dire, c'est à votre « propre négligence qu'il faut d'abord l'attribuer, car « malgré le lourd fardeau de si grandes affaires que je c( supporte seul, si j'avais su quelque chose de vos dé- « sirs, je vous aurais accordé les honneurs que vous « avez mérités. Je ne veux pas vous faire languir da- ET SUR SES OLYHVOES. XXIX « vantage en piolongeaiit ce discours, cl je vais taire « cesser vos plaintes par le don le plus niagnillque, « afin (le vous tiouver, coinuic auparavant, plein de « fidélité et de dévouement pour moi; je ferai donc « passer sous votre autorité , et je vous donnerai en « mariage ma fille, votre porteuse, portatricem ves- « tram, celle cpii l'autre lois, ceignant sa robe, a mis « tant de complaisance à vous porter. » '< Aussitôt, sur l'ordre du roi, sa fille fut amenée au milieu d'unesuitenombreuse, et, le visage tout cou- vert d'une vive rougeur, elle passa des mains de son père dans celles d'Éginhard , qui reçut en même temps une riche dot de plusieurs domaines avec d'innombra- bles présents d'or, d'argent et d'effets précieux. A tant de richesses l'empereur Louis ajouta encore, ai)rès la mort de son père, le domaine de Michelstadt et ce- lui de Mulinheim, nommé aujourd'hui Seligenstadt, par un acte de donation conçu en ces termes (1). » Cette légende a quelque chose de poétique et de gracieux , elle était bien faite pour inspirer de jolis vers (2) ; mais, sous le lapport de la vérité historique , elle ne peut supporter un examen sérieux. Cependant des hommes éminents dans la science l'ont adoptée- sans hésiter (3) , et même ils n'ont pas manqué d'ar- guments spécieux pour l^a soutenir. Loup, dans une de ses lettres, appelle la femme d'Éginhard nohilissima femina. On sait que, dans le Bas-Empire, le titre de ()) Vient ensuite le diplôme imprimé ci-après, Pièces justificatives, u" t. (2) Le poëme de Millevoye, les vers d'Alfred de Vigny, etc. (3) Mabillon. Annales liencdict., liv. ïxv, n" 78, et liv. xxvJii, n" i7. (Tom. ir. 228 et '«-26.) I). Rivet, dans THistoire littéraire, tom. I-v, 0 XXX I\0TICE SLi; K(.IMI.VIU) nohilissiine était exchisiveineiil réservé aux enraiils des empereurs; on en a conclu qu'il en était de nièmc sous Charlcmagnc, et qulmma, qualifiée nobilissinie, était nécessairement la fille de ce prince. Sans doute on pourrait citer plusieurs actes authentiques où le titre de nobilissime est donné aux enfants de Cliarle- magne et à ce prince lui-même (1). Mais il n'y avait pas dans la cour germanique de Charlcniagne une éti- quette strictement réglée comme à la cour de Byzance, où chaque rang, chaque personne était en possession d'une épithète qui lui était propre et qu'on ne pou- vait ni changer ni attribuer à une autre. Loup, dans une lettre précédente, quahfie tout simplement Imma du titre d'épouse vénérable, vcnemhilis conjiix. Si dans sa seconde lettre il l'appelle nobilissima femina, c'est peut-être moins l'illustration de la naissance que l'éclat des vertus qu'il veut indiquer par là, atin de mieux exprimer à Éginhard tous les regrets que la mort de cette noble femme lui a fait éprouver à lui- même. L'autre argument de ceux qui veulent faire d'Égin- hard le gendre de Charlemagne est encore moins so- lide. Ils s'appuient sur ce qu'Éginhard s'adressant à Lothaire l'aurait appelé votre neplité , neptitatem ves- tram (2), Suivant eux ce mot indique le rapport de l'oncle au neveu, et ils en concluent qu'Éginhard ne jieut être l'oncle de Lothaire que comme mari de la tante do ce prince, par conséquent comme mari d'une tille (\c (Charlcmagnc. Nous ne pouvons à cet égard (I; ^■oy. 1)11 i^ango. an mot ^obilissimi s. i2) Pans la kUrc \\\i\. KT SI U SKS ()l\HV(,KS AXXI (|iir reproduire ee (iiie nous avons déjà tlil dans nos notes à Toccasion de ce passage. Le mot nepiitas, dont un ne tri>nve mdle part, en aueun temps un seeond exemple, n'est i)as plus latin que le mol neplité, dont nous avons été obligé de nous servir, n'est lui-même fiançais. C'est tout simplement une faute du copiste, qui, par ignorance, a écrit neplitatem veslram pour pietatem vestram, qualification honorifique qui se re- trouve à ciiaquc instant dans Eginliard, connue dans tous les écrivains contempoi'ains , pour désigne)- les membres de la famille impériale. D. Rivet, dans son article sur Éginliard 1 , dit qu'il ne suffit pas d'énon- cer cette assertion, (pi'il faudrait la prouver. Mais si Leibnitz et Fabricius, qui les premiers ont proposé cette restitution (2), ne l'ont pas fait avec ime entièrr conviction, c'est qu'ils n'avaient jamais eu entre les mains le manuscrit deLaon, et qu'ils ne pouvaient présenter qu'une ingénieuse conjecture. Quant à nous, nous croyons pouvoir affirmer ({ue le mot neptitatem pour pietatem est l'erreur d'un copiste profondémejit ignorant de la langue latine. La preuve qu'il a pu commettre cette méprise, c'estque dans le même ma- nuscrit on trouve curiosissimus pour ciiriosi sumus- iteranta pour interanea; quam inutzio reriun pour quia muia/io reruw ; et doctus pour e dodus ■ melins milu qualem est ut de mortuum pour m. m. quidem est vt tr m.; oecure pour occurrere ; capie pour capiu; mediu- rnYer pour miscricorditcr ; et dan-; la lettre même on {,\ I Histoire littéraire tic la France, tom. \\ . pas. ■'>>'2. (^i Voy. la note de Foneemagne, dans !e tome .XIV. p. ild. ilis Mt'ri!')irtw^> •le l'Académie des liisf liption?. XWII NOTICE SI R EOI.NnAKl) se trouve le mot neptitas i lettre dans laquelle il avait de plus passé trois lignes sans s'en apercevoir) il écrit indeconlius pour indecenthis ; tit pour %U ; abiornatio ])Our abominalio ; toclores pour doctores; et un peu plus loin, illis ecerat pour illi fecerat; commnres pour communes; diaclis pour de actis; interas^ourlitteras; violelur liour videtur; aut . temnere \wnY conlemnere ; ciuius \)cmr citius ; licefa pour lœia; validiiatem pestas \)0\XY valida tempestas , etc., etc. Ces exemples sont plus que suffisants pour autoriser la restitution de />/ila|ilics dans les Picia jusUjicalacs, n" .v\i\- t'JC Voy. ci-apnjs, |>. 28. ET SLU SES OLVKACiES. XWIII bien [iIiin lorU'S de ne pas adineltre ropiriioii (lui fuit (riinnia la fille de Chaileniagne : ce nom d'Ininia, ou tout autre aiialojiue qui aurait pu s'altérer sous la niaiu des copistes, est omis par Egiuliaid lorsque, dans sa Vie de Cliarlemagnc (1), il énumère tous les enfants (le ce piince, naturels ou légitimes; dans le diplôme jiar lequel Louis le Débonnaire conféra, en 815, h Égin- hard et h sa femme le domaine de Michelstadt (2), ce prince nomme Imma sans que rien indique que cette dame fût sa sœur; dans l'épitapbe d'Éginliard par •Uaban elle n'est pas même nommée ; enfin, à ces di- vers arguments M. Guizot (3) en ajoute un nouveau, plus puissant peut-être que tous les autres, c'est la manière sévère dont Éginhard apprécie la conduite des filles de Charlemagne (4). Aurait-il exprimé une censure aussi amère si elle eût dû retomber tout d'a- bord sur une femme pour laquelle il avait tant d'af- fection? Il faut donc abandonner la tradition du chro- niqueur de Lorscb. Non-seulement son récit n'est pas vrai, mais il n'a peut-être pas même le mérite d'en avoir inventé l'idée première, car on la retrouve com- plètement dans Guillaume de Malmesbury, chroni- queur qui ne manque pas de célébrité et qui est an- térieur de quelques années, puisqu'il vivait dans la première moitié du douzième siècle. Dans le récit de Guillaume, l'héroïne de l'aventure est une sœur de l'empereur Henri III. L'analogie est si parfaite qu'il {<) Chap. xvm, ci-aprùs, p. 26. (2) Voy. ce diplôme, Pièces just if. , n° 1. >;3) Notice sur Éginliard, p. xv, dans le torn. lU des Méino;ics relatifs à l'Histoire de France. (4) Voy. la linducliH|i. xu de hi Vie du Cbajleniagne, ci après, p. 23. -XXXIV NOTICE SUR EOlNHARI) nous semble utile de citer intégralement ce passage pour qu'on puisse faire le rapprochement (1). '■ L'empereur Henri avait une sœur religieuse; il l'aimait tellement qu'il voulait sans cesse l'avoir à ses côtés et qu'il lui désignait toujours un appartement voisin du sien. Un hiver il tomba tant de neige et le froid fut si rigoureux que l'empereur fut retenu long- temps dans la même résidence. Un clerc de la cour en profita pour gagner les bonnes grâces de la jeune lille, au point qu'il passait souvent dans son lit les vigiles nocturnes. Bien qu'il s'efforçât de cacher par mille ruses sa mauvaise action, quelqu'un s'en aperçut (tant il est difficile au crime de ne point se trahir, soit par le visage, soit par un geste) ; la chose s'ébruita, l'em- pereur seul l'ignorait et seul il pouvait encore croire à la vertu de sa sœur. Mais une nuit que les deux amants se livraient aux transports de leur passion, ils prolon- gèrent le plaisir trop longtemps; le jour parut, et voici que toute la terre était couverte de neige. Alors le clerc, craignant d'être trahi par la trace de ses pas sur la neige, pria sa maîtresse de le tirer d'embarras en l'emportant sur son dos. Celle-ci, loin de repousser cette impudente proposition, ne songea qu'à éviter la honte dont elle était menacée ; elle prit donc son amanf sur ses épaules et le porta hors de la cour. Par ha- sard, l'empereur s'était levé pour un certain besoin , et par la fenêtre de sa chambre il vit le clerc chevau- chant de la sorte. Ce spectacle le frappa d'abord de stupeur ; mais, après quelques moments de réflexion, (<) AVillicImus Malmcsliuricnsis, De Gislis rrgum aiiglonaii, lili. il, cap. Kl. - Voy. le Icxlc latin dans les Piircs juslij., n" xxi. Kl' 8L'B SES OLVH.vnES. XXXV la bonio c\ rin(lii:natioii lui formeront lu houclio. Co- pondant, coinino il no savait encoro s'illui fallait lais- sor octte faute inipunio ou bion s'il dovait ailrcssor aux coupables les remontrancos qu'ils avaient méri- tées, l'occasion se présenta (b; conférer au clerc un évècbé. Il le lui donna en lui disant tout bas à l'oreille : lu, inquit, accipe episcopatum, et vide neulterius ine- quites muUerem. Dans le même temps il conféra à sa sœur une abbaye en lui disant : Estoabbatiasa, nec ul- tra pafiaris clericvm equitantem. Confus l'un et l'autre, et se sentant comme écrasés par ce tei'rible reprocbe , ils renoncèrent à leur coupable commerce (1 . » Le récit de la cbronique anglaise est encore plus in- vraisemblable, s'il est possible, que celui du cartulaire (le Lorsch. Et cependant il émane d'un écrivain sé- rieux, auquel on accorde une certaine autorité (2; mais il arrive souvent de rencontrer dans les cbroni- ques les plus véridiques quelques-uns de ces récits imaginaires qui n'ont d'autre fondement qu'une vague tradition, et que les chroniqueurs racontaient, sans y croire beaucoup eux-mêmes, dans l'unique intention d'amuserleur lecteur. C'est ainsi que nous avonsencore retrouvé surÉsinbard dans une très-ancienne chro- (1) Jean Gerbrand de Leydc ( Cliromc. Beloic, lib. \, cap i, p. 12S. dans la collection de F. Swertius;, qui écrivait à la tin du quinzième siècle V il est mort en 130-i , a reproduit le fond de ce récit en l'arrangeant d'une uianière un peu plus conforme aux convenances. (2) Voici le jugement porté jiar Leland. De Scriptor. illustribiis Rri- lann., chap. 166, sur Guillaume de Malmesbury : Cnjiis libros ctim in ma- 1IUS sunio, sumo antem cum frequentissime tum luhentissime, lottes vcl (idm ira ri cogor hom in is dUiqentiam, fclicitalem, j tidiciu m judi - ciutn denique, quod mitUa ab aliis temerc scripla ad incudem revocel , tevocataqite htri el vcritnli restituai. ( Voy. Fabriciiis. III, 152.) XXXVI NOTIGK St'B EGl?îHARD nique (1) une autre légende, beaucoup moins intéres- sante sans doute , mais qui a le mérite delà nouveauté. L'auteur, moine du monastère de Reichnaw , qui écrivait au commencement du dixième siècle, sup- pose qu'en 802 un Sarrasin nommé Azan, préfet ou gouverneur de Jérusalem, ayant conçu un vif désir de voir Charlemagne, écrivit au pape pour le prier de lui ménager une entrevue avec ce prince, auquel il s'en- gageait à rapporter, des régions d'outre-mer, de ma- gnifiques présents et surtout le plus précieux de tous les trésors, du vrai sang de Jésus-Christ, Charlemagne re- çut assez froidement cette proposition. Cependant, cédant entin aux instances du pape, il se rendit à Rome. Azan, de son côté, quitta Jérusalem pour passer en Europe ; mais, ^tant débarqué en Corse,il y tombadan- gereusement malade, et il écrivit alors à l'empereur pour le prier de venir auprès de lui recevoir de ses mains l'inestimable trésor qu'il rapportait. — « Mais, dit le chroniqueur, Charlemagne, qui avait une peur ef- froyable de la mer, se hâta de convoquer ses conseil- lers et ses fidèles i)our leur demander lequel d'entre eux partirait à sa place. Et comme personne ne pa- raissait disposée faire le voyage de bonne volonté, il décida qu'il ferait partir Éginhard, son clerc, qu'il avait toujours trouvé prêt à s'acquitter avec zèle de tontes les missions qu'il lui avait confiées. « Or celui-ci , qui avait en horreur tout autant que les autres, et à bon escient, tout voyage maritime, fil, «lit-on , aux ordres de l'empereur les o])jections sui- (1) Historia tr.mslationis sanjuinis noiniui. Voy. Pièces jiistijicatives, 11° XXIII. ET SUB SES OrVBACES. XXXYII vantes : «Envoyez-moi, lui dit-il, partout où vous « voudrez sur la surface du globe, môme chez les na- « lions les plus éloignées, pourvu que je puisse y aller « parterre, j'exécuterai tidèlement vos ordres; mais, <( quant aux chances périlleuses d'un voyage maritime, « je n'oserai jamais les affronter. » Trois jours se pas- sèrent dans cet embarras, l'empereur faisant tous ses efforts pour trouver un messager et ses conseillers déclinant à l'envi la périlleuse mission. » — Enfin Valdo, abbé de Reichnaw, et Hunfrid, gouverneur de ristrie , consentirent h. s'en charger, et rapportèrent les précieuses reliques, qui furent déposées dans le monastère de Reichnaw. S'il fallait ajouter foi à une pareille légende, on au- rait une mince idée du courage de Charlemagne et de ses conseillers ; mais c'est encore là un de ces récits produits par l'imagination d'un moine qui n'avait d'autre but que d'augmenter le prix des reliques con- servées dans son couvent ou de lem' donner plus d'au- thenticité. Cette histoire, de la translation du sang de Notre-Seigneur, toute remplie de fables au commen- cement, finit par donner sur plusieurs points, notam- ment sur la fondation des monastères dans l' Allemannie au neuvième siècle, des renseignements précieux (1). Là, comme dans lecartulaire de Lorscli, le vrai est mêlé avec le faux; c'est à la critique de savoir les discerner. Ainsi , malgré ce cartulaire de Lorsch , malgré l'é- pithète de nobilissima donnée par Loup à la femme d'É- ginhard, malgré ce mot neptitas que l'on voulait trou- ver dans la lettre d'Éginhard à Lothairc, il demeure [\\ Voy. Pcrtz, Mouumentn (irrmnu . Srripl,, (oin. IV, p. 443. ÉGI?»HABn. . d ^>CXV1II NOTICE SUB ÉGINHARD bien constant qu'Éginhard n'a jamais été le gendre de Gharlemagne. Il n'en reste pas moins l'un des hommes les plus remarquables du neuvième siècle. Nous avons relevé avec soin tous les faits de la vie d'Éginhard : il nous reste à parler de ce qui constitue sa véritable gloire, de ses écrits. Commençons par établir un fait bien positif, c'est que tous tes ouvrages connus d'Éginhard sont par- venus jusqu'à nous, à l'exception d'un seul, le traité théologique De Cruce adoranda, dont l'existence est constatée par une lettre de Loup, auquel ce traité était dédié (1). Ces ouvrages sont : i° la Vie de Charle- rnagne; 2° les Annales; 3° les Lettres; 4° l'Histoire de la translation des reliques de saint Pierre et de saint Marcellin ; 5" entm un petit poème sur le martyre de ces deux saints, opuscule sans importance et dont nous n'avons pas cru devoir donner la traduction. Avant d'examiner successivement ces divers ouvrages, il est indispensable de dire quelques mots des ouvrages faussement attribués à Éginhard. Sur la foi d'Adam de Brème , Fabricius (2) et les auteurs de l'Histoire littéraire (3) donnent à Éginhard une Histoire des Saxons, sous ce titre : Libellus de adventu, moribus et superstitione Saxonum, et M. Am- père , dans son Histoire de la Littérature française avant le douzième siècle (HI , 148), exprime le regret qu'on ait perdu ce livre, « qui aurait été probable- ment, dit-il, un ouvrage fort curieux. » Mais il est (\) Voy. Itxlrait de celte lettre parmi les Pièces justificatives, n» îi. !2) Toin. II, liv. IV, p. 87 ( éd. de Mansi). ;.■>; loin. IV, p. .'iec. KT SUR SES OUVRAGES. XXXIX constant, comme l'a établi M. Pcrtz [Script., II, 429), que ce traité est parvenu jusqu'à nous cl qu'il n'est pas d'Éginhard. Rudolf, moine de Fulde, second continuateur des annales de ce monastère, est l'auteur, de cet opuscule. 11 l'a inséré dans les chapitres 1,,^ et 3 de son Histoire de la translation des reliques de saint Alexandre (1). Or, comme cette histoire a été terminée par Méginhard, aussi moine de Fulde et disciple de Rudolf, l'analogie qui existe entre le nom de Meginhardus Meinhardus et celui à'Einhardns a été cause que l'on a mis tout à la fois sous le nom d'Éginhard et l'Histoire de la translation de saint Alexandre et le Traité sur les Saxons. Lambécius a aussi voulu lui attribuer une chronique abrégée qui se trouve dans le Ms. de la Bibl. de Vienne, n°316 des Mss. hist. latins, et qu'il a imprimée dans le tom. II de ses Commentaires, p. 395-98 (2). Celte chronique, qui s'étend depuis la création du monde jusqu'à l'année 809, n'est qu'un abrégé très-succinct des six âges du monde par le vénérable Bède. Elle a été réimprimée par Duchesne (tom. III, p, 125-27), sans nom d'auteur ; et, en effet, il n'y a aucun motif de la regarder comme étant d'Éginhard. Les raisonne- ments allégués par Lambécius à l'appui de son opi- nion n'ont, au jugement de M. Pertz (3), aucune va- (1) Cette histoire est imprimée dans Pertz, Scriptorum tom. II. pag. 673-682 ; elle avait déjà été publiée en 1758 par Sclieidt, BiMiotheca historica GoUingensis, pag. 1 et suiv, (2) Cette chronique est indiquée tom. I, pag. 637, dans l'édit. de Kollar. et réimprimée sous le nom d'Éginhard dans ks AtuiU-cta f'indobon., tom. I, pag. 602-610, (H) Scriploruni II, A20 XL NOTICE SIR ÉGIWHABD leur. M. Pertz pense également qu'il faut attribuer à un autre Éginhard un psautier dont on ne connaît que le titre , LibeUus Einhardi de Psalmis , d'après un ancien catalogue de la bibliothèque de Bobio , publié par Muratori (1). Entin D. Mabillon serait assez porté à croire qu'Éginhard est l'auteur d'un ancien plan dressé pour la construction du monastère de Saint- Oall et dont il donne le t'ac-simile (2), et d'un certain nombre de distiques et de monostiques joints à ce plan et qui devaient être inscrits sur les divers bâti- ments du monastère pour en marquei' la destination. Une lettre d'envoi adressée à l'abbé Gozbcrt accom- pagne ce plan : en la rapprochant de la lettre adressée par Eginhard à ce même abbé , on se convaincra fa- cilement que l'assertion de D. Mabillon est fort con- testable. La lettre qu'il a publiée (3) commence en ces termes : Hxc tibi , dnhissime fili Gozberfe, de posi- tione offtcinarum paucia exe>nplHARD translation des reliques de saint Nazaire dans son mo- nastère de Lorsch , in monasterio nostro Lauresheym , était un moine de Lorsch et par conséquent ne pou- vait êtreÉginhard, qui n'avait jamais appartenue celte abbaye. Cet argument avait paru tellement concluant à D. Mabillon qu'il se rangea d'abord (1) à l'opinion de Le Cointe ; mais il l'abandonna bientôt (2) pour revenir à la vérité. En effet, ce passage n'est qu'une interpolation ajoutée par un moine de Lorsch sur le manuscrit dont s'est servi le comte de Nuenare, interpolation qui ne se retrouve dans aucun des ma- nuscrits consultés par M. Perlz. Il en e&t de même d'un autre passage interpolé dans l'édition de Freher, au commencement de la dernière phrase de l'année 827, Heinardus [&ui tetnporis prudent issimns virorn m] devotionis incitatus ardore , corpora, etc. Les mots que nous indiquons entre crochets et qui seraient si dé- placés dans la bouche d'Éginhard n'existent point dans les manuscrits des Annales : c'est une addition empruntée par un copiste au chapitre xli de la Vie de Louis le Débonnaire. Nous ferons observer à celte occasion que, dans les deux seuls passages des An- nales où Éginhard a occasion de parler de lui ou de choses qui lui sont personnelles (3), il le fait avec autant de modestie que de brièveté. Les autres argu- ments invoqués par Le Cointe ne sauraient être d'un (1) Ann. Beiiedict., ad ann. 774, tom. H, pag. 228,11" xLlx. (2) Ibid., ad ann. 826, tom. II, pag. 303, n" lxxxv. (5) Lorsqu'il fut chargé, en 806, d'aller porter à Rome le testament de Cliarlemagne et lorsiiu'il rappelle la translation en France des reli jues de saint Pierre et saint .Marcelliu. Voy. les Annales aux années 806 et 827, ci-après, pag. 116 el 171. ET Si:n SKS 01! MUGES. XLVIÎ grand poids; il allèjiue des erreurs et de graves omis- sions qui se trouvent dans les Annales, sans rélléchir que toutes ces erreurs se rencontrent précisément dans la période où Éginliard n'est pas encore histo- rien contemporain , période pour laquelle il n'a pu , comme tous les chroniqueurs, que reproduire les récits et les erreurs de ses devanciers ; et comme ces erreurs cessen-t au moment où il devient témoin ocu- laire, elles deviennent elles-mêmes un puissant motif de lui attribuer les Annales. Il suffirait en quelque sorte de hre attentivement les Annales, d'en étudier lé style, de les comparer à la Vie de Charlemagne pour se convaincre que ces deux ouvrages sont dus à la même plume; c'est d'ailleurs ce que prouve jus- qu'à l'évidence le rapprochement de certains pas- sages. Ainsi le récit du comhat de Roncevaux en 778 rappelle aussitôt à l'esprit le chapitre ix de la Vie de Charlemagne. Il en est de même du chapitre xi de la Vie de Charlemagne et de l'année 787 des Annales ( révolte de Tassillon ), du chapitre xn et de Tannée 792 ( conspirations excitées par la cruauté de Fas- trade). Ces différents passages et bien d'autres en- core, qu'il est facile de rapprocher, présentent une analogie frappante dans les idées, dans la tournure des phrases et même dans l'arrangement des mots. Au surplus, quelque graves qu€ soient toutes ces présomptions, on peut renoncer à s'en prévaloir dans une question qui se trouve décidée par une preuve incontestable, c'est-à-dire par le témoignage d'un écrivain presque contemporain , d'Odillon , moine de Saint-Médard, qui, dans son Histoire de la translation XLVIII NOTICE SUH EGINHABD de saint Sébastien, écrite au dixième siècle (1), at- tribue positivement les Annales à Éginhard, en les citant textuellement (2). Voici comment s'exprime Odillon dans sa préface , adressée à l'abbé Ingram. Quoique le nom d'Éginhard y soit un peu altéré , ce passage ne peut laisser aucun doute sur l'idendité de l'auteur et de l'ouvrage : « ACENABDCs, cognomine Sapiens ea qui tempesfate liabebatur insignis, hujus reverentissimi cœlicolï mentionem in gestis caesarum KaroliMagni et filii ipsius Hiudowici faciens, inter alia quae annotino cursu dictabat, noix inoperosnm duxit mortalia acta imniortali astipulatione roborare, ita diceni: « Dumhaec aguntur, IHlduinus, abbas monasterii Sancti Dionysii, « Bomam mittens, annuente precibus ejus Eugenio, Sanctae Sedisaposto- « licae tune praesule, ossa beatissimi mart yris Christi Sebastiani accepit, et ea « apud Suessionem civitatein in basilica Sancti Medardi collocavit. Ubi dura « inhumata in loculo, in quo allata fuerant, juxta tumuluni sancti Medardi « jacerent, tanta signorum ac prodigiorum multitudo claruit, tanta virtu- ■ tum vis in omni génère sanitatum per divinain gratiam in nomineejus- * dem beatissimi martyris enituit, ut a nullo raortalium eorumdem mira- « culorum aut numerus comprehendi aut varietas verbrs valeat explicari. « Quorum quaedam tanti stuporis esse nairantur ut humanae imbecillitati» « tidem excédèrent : nisi certum esset dominum uostrum Jesum Christum, M pro quo idem beatissiraus martyr passus esse dinoscitur, oninia quae vult « per divinara omnipotentiam facere posse , in qua ilii omnis creatura in • cœlo et in terra subjecta est. » Non-seulement les Annales sont incontestablement d'Éginhard , mais on peut même aujourd'hui , grâce à l'excellent travail de M. Pertz, indiquer à quelle source Éginhard a puisé le récit des faits dont il n'a pas été contemporain. Intimement lié avec les moines de Lorsch, il trouva, dans leur monastère, des an- nales qui servirent de base à son travail , qu'il refon- dit, qu'il s'appropria en les améliorant et qu'il Con- (t) Cette histoire est imprimée dans les Bollandistes, Acia SS.,jainiu- rii, toni. II. (2) Comparei le texte même d'Éginliard, dans notre édition latine, tom. il, p Wfi, Annales, fin de lann. 826. liT SlIK SES OUVUAGES. XLIX tiniKi ensuite à mesure que les faits se passaient sous ses yeux. M. Pertz estime que c'est à partir de 788 que les Annales d'Éginhard deviennent originales. Quoiqu'il ne soit guère possible d'établir cette opinion sur des preuves bien positives , elle est au moins très-admis- sible. D'après notre calcul, en 788 Éginhard pouvait avoir une vingtaine d'années; élevé à la cour, il se trouvait à la source de toutes les grandes nouvelles, et personne n'était mieux que lui en état d'en conserver à la postérité un fidèle souvenir ; car ce qui distingue Éginhard, ce n'est pas seulement un mérite supérieur comme écrivain , c'est encore un grand amour de la vérité; aussi a-t-il clos ses Annales à la fin de l'année 829, non pas seulement parce qu'il se retirait des affaires, car il avait conservé des relations assez nom- breuses pour obtenir des renseignements suffisants, mais plutôt parce qu'il lui aurait fallu enregistrer des faits pénibles pour lui ou peu honorables pour des gens qui lui étaient chers : ne voulant pas altérer la vérité, il aima mieux cesser d'écrire (1). III. — Les Lettres. En 846, les religieux de Sain t-Ba von, menacés par les inciu'sions des Nortmans, abandonnèrent leur (1) Voy. dans la Notice placée en tête de notre édition latine des Œu- vres d'Éginhard, toin. I, p. Ixviii.Ia liste et la description des divers Mss. des Annales, ainsi que rindication des différentes éditions qui avaient précédé U nôtre. Quant aux traductions, je ne crois pas (jue les Annales d'Eginliard aient été traduites avant nous par d'autres ipie par M. <;nizot. L NOTICE SUB EGINHARD abbaye et se réfugièrent à Saint-Omer, sous la conduite d'Einkeric, leur abbé, successeur d'Éginhard. Ils eurent tout le temps d'emporter les reliques, leui's arebives et leurs livres; car le monastère ne fut dé- truit et brûlé qu'en 851 (1). Cependant l'asile qu'ils avaient choisi ne tarda pas à être menacé; ils émi- grèrent encore , et en 853 ils vinrent, avec leurs li'é- sors, s'établir à Laon. La congrégation de Saint-Ba- von se maintint dans cette ville, sous les abbés Tasrade, Raoul et Hélie, pendant près d'un demi-siècle. A la mort d'Hélie, arrivée en 89o, elle se dispersa, et ne fut reconstituée qu'en 937 par Arnould, comte de Flandre, qui rétablit le monastère de Saint-Bavon. Ces faits expliquent naturellement comment le manuscrit unique des lettres d'Éginhard s'est retrouvé à Laon après tant de siècles. Il provient directement du mo- nastère de Saint-Bavon, ou bien c'est une copie qui a été faite à Laon pendant le séjour des religieux de Saint-Bavon dans celte ville (2), et ce fut sans doute dans l'abbaye de Nesle, où ils avaient habité long- temps, que le trouva Duchesne lorsqu'il publia pour la première fois les lettres d'Éginhard dans son se- cond volume des Historiens de France. Cette édition a été reproduite textuellement par D. Bouquet dans (i) Tou» ces faits sont constatés par la chronique de Saint-Bavon. Voy. ci-apris. Pièces justificatives, n" xxii , et dans Verlz, Scriptor., toin. U, l»ag. 185-1'Jl. (2) L écriture du manuscrit, qui ne permet pas , en ce qui concerne les lettres d'Éginhard, d'en reculer l'âge au delà de la fin du neuvième siècle, vient à l'appui de l'une et l'autre hypothèse; à l'appui de la seconde par- ticulièrement, on pcul dire que les fautes nombreuses qui se rencontrent dans le texte semblent prouver que ce manuscrit n'est point une trans- ciiplion originale, mais une copie de seconde main. ET SUR SES OUVIUGKS. LI son tome VI, par Woinckcns dans son Eginhaiius il- lusiratus et par tous ceux qui ont réimprimé (piel- ques-unes de ces lettres, soit en entier, soit par frag- ments. Personne depuis Ducliesne n'avait consulté le manuscrit, et on en avait môme perdu la trace, lors- (lu'en 1823 M. Pertz le retrouva dans la biblio- thèque de la ville de Laon , où il avait été sans doute transporté lors de la suppression des établissements religieux. Les administrateurs de la Bibliothèque im- périale s'empressèrent d'en faire l'acquisition, et il est aujourd'hui conservé dans cet établissement , Supplé- ment latin, n°334(li. J'ai donné dans mon édition latine des Œuvres (VÉginhard, p. lxxiv de la Notice, une description mi- nutieuse de ce manuscrit, laquelle ne saurait trouver sa place en tête d'une simple traduction. Il me suf- fira de dire ici que, dans certaines pages, maltraitées de la manière la plus fâcheuse par le temps et l'hu- midité , la lecture de ce manuscrit présentait de véri- tables difficultés, et qu'à force de travail et de patience je suis parvenu à en tirer dix lettres jusqu'alors iné- dites. Ces lettres, que Duchesne et tous les autres édi- teurs qui sont venus après lui avaient laissées de côté, sont les lettres lui, lvi, lvii, lix, lxi en partie, lxu, (\) La bibliothèque de sir Thomas Philips, à Middiehill , possède, dans un manuscrit qui provient de la bibliolhèque de Merraann et sous le n° 1717-312. un recueil de lettres d'Éginhard sous ce titre : Einhardi Sa- pientis episiolœ. Mais ce nest qu'une copie du dix-septième siècle, et M. Pertz, qui l'a vue, a constaté, dans son rapport sur les Archives, qu'elle n'ajoute rien à ce qui a été publié par Duchesne. Peut-être n'est-ce pas autre chose ((ue !a copie même qui a servi à Duchesne pour son impression. Voy. le Catalogue d'Haenel , pag. 85'. LU NOTICE SUR EGINHARD lAiv, Lw, Lxvii et Lxxi. Nous Ics avons indiquées par un astérisque. Le recueil des lettres d'Éginhard est d'une grande importance : quelques-unes de ces lettres intéressent au plus haut degré l'histoire politique (1), et on trouve dans toutes les autres des renseignements précieux sur l'état de la société civile et religieuse au neuvième siècle (2). IV. — Histoire de la translation. L'Histoire de la translation des reliques de saint Pierre et saint Marcellin a été composée par Éginhard, en 830, aussitôt après qu'il se fut retiré dans le mo- nastère de Seligenstadt, qu'il venait de fonder. Cette date, qui concorde parfaitement avec toutes les dates relatées dans l'Histoire de la translation et avec le désir si naturel (pie dut avoir Éginhard de consigner par écrit, aussitôt qu'il en eut le loisir, des faits qui illustraient la fondation de son monastère , est fixée d'une manière précise par la fin du § 39. Dans ce pa- ragraphe, après avoir parlé de la guérison d'Auhri, cet aveugle qui lui communiqua, peu de temps après, en 828, pour les transmettre à l'empereur, les pré- tendues révélations de l'archange Gahriel, Éginhard ajoute : « Le même homme demeura encore à Muiin- (I) Let lettres xiix, «xtv, xxxix, xl, xu, xlii, xtiii, xliv, xlvii, lui. LXI. (î) Voyex, principalement sur les Bénéfices, les lettres i, ii, vj, xxviii, LU ; sur la Recommandation , les lettres ii, xxvi, xxvii; sur la Discipline CLcIésiasIiquc, les lelties it, v, viii ; sur le Droit d'asile, les lettres vu, xv, XVI, ïTiii, XIV, etc. ET SUR SES OUMUtiES. IJH a lit'iin pciklaiil doux ans, cl nous voyons s'accomplir « avjourdhui la plupart des événements qu'il a pré- « dits comme devant arriver. » Or, ces événements, c'est la révolution de 830, dont Éginhard fut si péni- blement affecté : aujourd'hui marque le moment où il écrit. Cette interprétation deviendra encore plus évi- dente si l'on veut faire un rapprochement entre cette phrase de la translation et le post-scriptum de la lettre qu'Éginhard écrivait en 830 au bibliothécaire (ierward, son ami. On y retrouve la même idée, presque dans les mêmes termes : « Les saints Mar- ti tyrs du Christ avaient prédit, il y a plus de deux « ans, dans leurs révélations, tout ce qui se passe a aujourd'hui dans ce royaume (1). » Sans avoir l'importance de la Vie de Charlemagne, des Annales ni des Lettres , l'Histoire de la translation est loin d'être dépourvue d'intérêt. Cet ouvrage est d'un style simple, facile et qui souvent même ne manque pas d'élégance. Il donne sur les mœurs, les croyances du neuvième siècle de curieuses indica- tions, et de plus il nous permet d'apprécier sous un point de vue particulier le caractère d'Éginhard : nous voulons parler de ses croyances religieuses. Certes, nous n'avons pas l'intention de discuter ici et de chercher à prouver les nombreux miracles qu'il raconte. Nous nous hâtons niènK^ de reconnaître qu'on ne peut se dissimuler à la lecture de certains passages '2', tant son récit est sincère , qu'il s'est laissé {•) Lettre XLi, p. 310. (2) Voyez surtout le miracle de lit hicrc ehaiigëé en vin, \r< |irr(lictii>iiî d"Aul>ri cl le dernier exorcisme, ii'" i'i, .•>7, 48 cl 8<, à la fin. (". i>IV NOTICE SUR ÉGINIIARD tromper plus d'une fois par de grossières supercheries. Mais ce que nous affirmons, c'est qu'il croyait fer- mement, sans arrière-pensée à tous ces prodiges, et que l'acquisition des reliques , aussi bien que l'his- toire de leur translation , fut pour lui une affaire de foi , et non pas une spéculation sur la crédulité pu- blique, comme on en fit souvent au moyen âge. La preuve incontestable de celte vérité, c'est ce passage de la lettre qu'il écrivit à Loup, en 836, après avoir perdu sa chère Imma : « Une pensée vient encore « aggraver mon chagrin et envenimer la blessure « que j'ai reçue, c'est que, parla volonté de Dieu, nos « vœux n'ont obtenu aucun effet, et que l'espérance « placée par nous dans les mérites et l'intervention « des saints Martyrs a été entièrement déçue » Et plus bas : « Quel est le mortel qui, à moins d'être « privé de raison, ne déplore pas son malheur et ne it se regarde comme le plus infortuné, le plusmisé- « rable des hommes lorsque, plongé dans l'affliction, « il trouve insensible et inexorable celui en qui re- « posaient toutes ses espérances pour l'accomplisse- ff ment de ses vœux. » Pense-t-on que, si Éginhard n'avait pas cru fermement aux miracles de saint Pierre et de saint Marcellin, il eût déploré avec tant d'amertume, dans cette grave circonstance, riuel'li-- cacité -de leur intercession? Éginbard a divisé en quatre livres l'Histoire de la Translation; dans le premier et au coininencemcnt du second, il raconte le voyage de ses envoyés, l'cii- lèvcmcnl des reliques, leur transport à Michelstadt, leur établissement à Mulinheini, etc.; le res(c de l'on- ET StU SES OUVRAGES. LV vrago osl consacré au léciL des miracles qui se suul elTeclués par la vertu de ces reliques à Miclielsladt, à Aix-la-Chapelle, à Mulinheiui et dans les divers uiu- naslères où on en transféra quelques parties. Cette division en quatre livres existe dans le manuscrit de la reine de Suède qui est actuellement au Vatican , ainsi que dans le manuscrit du monastère de Saint- Arnoul, aujourd'hui conservé dans la bibliothèque de Metz. Elle a été reproduite par Surius, qui, le pre- mier, publia l'histoire de la translation dans ses Pro- batx Sanctorum vitœ ; cependant nous avons cru de- voir préférer la division en dix parties établie par les Bollandistcs; nous avons pensé que ces subdivisions el les rubriques placées en tête de chaque livre, ou plutôt de chaque chapitre, étaient propres à faciliter la lecture d'un ouvrage qui, vers la fin surtout, devient d'une monotonie fatigante. V. — Poëme. Surius et, d'après lui, les Bollandistcs ont imprimé comme étant, probablement d'Éginhard un poëmo sur le martyre de saint Pierre et saint Marcellin, qui se trouve dans le manuscrit de la reine de Suède à la suite de l'Histoire de la Translation. Le titre de cet opuscule, tel que l'a vu D. Mabillon dans un manu- scrit du monastère de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire ), semble ne pouvoir laisser aucun doute sur l'identité de Fauteur. Toutefois la question est restée indécise; Fabricius et D. Rivet ne l'affirment pas; deux écri- vains modernes, MM. Bredow et Idcler, le nient posi- LVI NOTICE SUfi EGINHARll tivement, et M. Pertz , par son silence même, semble partager leur opinion , puisqu'il n'a pas mentionné ce poëme parmi les ouvrages d'Éginhard. Quanta nous le témoignage de D. Mabillon nous paraît bien grave, et comme nous avons retrouvé cette pièce de vers à la suite de la Translation dans le manuscrit de Metz, qui est du dixième siècle et écrit en entier de la même main, il nous semble que la réunion constante de ces deux ouvrages dans les manuscrits serait déjà une forte présomption pour les attribuer à un même auteur. On comprend très-bien d'ailleurs qu'Égin- hard , après avoir écrit l'Histoire de la Translation de saint Pierre et saint Marcellin, ait eu l'idée de mettre en vers l'histoire du martyre de ces deux saints, sous l'invocation desquels il plaçait le monastère qu'il ve- nait de fonder. Nous avons donc imprimé cette pièce dans notre édition latine des Œuvres d'Éginhard, tom. H; mais elle ne nous a pas paru présenter assez d'intérêt pour être traduite; nous n'avons pas cru non plus devoir traduire un certain nombre de pièces réu- nies à la fin du même volume , sous le titre de Chartes d'Éginhard. Ces chartes, qui sont des actes dressés en son nom, mais dont la rédaction ne saurait lui être attribuée, sont bien moins le complément de ses œuvres que le conqjlément des pièces justificatives de son histoire. Nous nous sommes contenté de réimpri- mer par extrait, à lasuite de cette Notice, celles de ces chartes dont nous nous sommes servi poui" établir la biographie d'Éginhard. Ce volume confient donc la traduction française de toutes les œuvres authentiques dÉginhard. Nous KT SUR SES OrVKAGES. LVII avons déjà dit dans rAvcitissement qui précède rcUo Notice tout ce que nous avons lait pour améliorer notre première traduction et la rendre aussi fidèle que possible. Puisse-l-elle contribuer à faire goûter et apprécier dignement un auteur qui est regardé à j:ste titre comme l'une des gloires littéraires du moyen âge. PIECES JUSTIFICATIVES DE LA NOTICE. I. DU'I.ÙMK DK I.0L18 I.K DtBONNAlRE, (l) Par lequel il donne à Éginhard et à sa femme Immu les domaines de Michelstadt et de MuUnhcim, (815, Il Janvier. ) la nomino Domini Dei et Salvatoris nostri Jesu Christi, Hludo wicus, divina ordinante Providentia, Imperator Augustus. — Im- peratoriae celsitudinis moris est fideliter sibi famulantes donis multiplicibus honorare atque honoribus ingentibus sublimare. Pi'oinde nos, morem parenturn nostrorum, regum videlicet prn?- decessoruin nostrorum, sequenles , libuit Celsitudini nostrae fide- lemquemdam nostrum , nomine Einhardum , de quibusdam rébus proprietatis nostra? honorare, atque in sui juris potestatem libe- ralitatis nostrcE gratia conferre. Nec immerito,quippe cum fideli- tatis obsequio et obedientiae devotione hoc apud Serenitatem nos- tram digne mereatur adipisci, qui totis nisibus, usquoquaque , nostro serviiiû et nostris jussionibus fideliter parère studet. Inde noverit experientia atque utiJitas omnium fidelium nostrorum , tam prœsentium quam et futurorum, quia concessimus eidem fideli nostro EiKUARDO.nec non et conjugi suae Imm.î;, in partibus Ger- mariiae, locum qui vocatur Michlinstad (9\ in silva qua? vocatur (1) Ce diplôme, dont r.nutlienticité est incontestable, a été publié pour la pre- mière fois par Freher, Chronic. Lfturishaimetise, iiiter Reriim Ccrmanicaruin Srript., t. 1. p. fS II a été réimprimé par G. Hclwich , Antiquitat. Laurishaim., p. 40; TolneriK, Codex dipl. Palâtinus.p. 6; ,Fust. Reubcr. /'et. Script., dans les l'rolegom.; Le Cointe, ^nnai. certes, franc, V1H,109; l.unig, reiitsch rcirlus ytrchiv., pari, spécial, continuât., II, abtheiliinç e,al)-atz 30. p. 569; par Dumont, Corps diplomatique, t. 1, part. I, p. 6; et par les Bnllandistcs, t. 1. junii, p. 177. I>. Bouquet, VI, 173, nVn donne qu'un fragment. Nous le réimprimons, d'après la r.lironique ( ou plutôt le Cartulaire ) de I.orsch, publié intégralement par l'Aca- démie Théodoro-Palatine, sous ce lilre : Corfrr Laxrialiameiisis diptoiiicrtictis; M:inhoim, I7es, in-i°, 3 vol, (S) Michelstadt. Voy ci-dessus, p. \XIV. LX PIÈCES JUSTIFICATIVES Odonewalt (1 ;, in eu jus niediofst basilica lignea modica constructa do qua in omnem partem, quaquaversus, pertinpnt ad cumdem Jocum inter campum et silvam leugae duœ , id est rasta una (2). Intra cujus mensurae circumplexum manent, prgesenti tempore, servi nostri proprii quatuordecim , cum uxoribus suis et filiis. Prceter hossunt in eodem loco, inter masculos et feminas, man- cipia quadraginta. Hune locum cum terminis suis, necnon et vil- lam quse dicitur Mulinheim (3), quae est in pago Moynecgowe (4), sita super ripam fluminis Moyni , quae quondam Drogonis comitis possessio fuit, et haoet basilicam parvam muro factam. In qua villa sunt mansi novemdecim, et servi prsesenti tempore ma- nentes cura uxoribus et liberis numéro tredecim ; seu et in altéra villa eodem vocabulo', supra eumdem flu\ium, quae vocatur Inferior Mulinheim , in qua sunt mansi quatuor, et servi ma- nentes totidem , cum uxoribus et parvulis , qui pertinent ad su- perius dictam villam. Hanc viJlam, id est Superiorem Mulinheim , cum appendiciis suis et mancipiis propriis ad eam pertinentibus , et hcÊC onania suprascripta , cum ecclesiis, villaribus , domibus , mancipiis, silvis, tems, pratis, pascuis, aquis, aquarumve decursibus , cuitis et incultis, cum omnibus adjacentiis et appendiciis, totum et ad integrum, praedicto fideli nostro EiN- HARDO, et conjugi ejus Imm.ï;, in pvoprium per hanc nostrae donationis auctoritatem concessimus. Ita videlicet ut quid- quid ab hodierna die in futurum , de praedictis rébus et locis, vel de his quae ad eas pertinent , jure hereditario facere voluerint in omnibus potiantur arbitrio faciendi; et nullus quislibet ex fideli- bus Sanctae Dei Ecclesiae et nostris, de praescriptis rébus, memorato fideli nosti'o et conjugi suae a nobis concessis, aliquid abstrahere aut minuere temptet : sed liceat eis ipsas res quiète habere et pos- sidere, et cui voluerint jure hereditario relinquere. Et ut haec auc- toritas largitionis nostrae , per curricula annorum , inviolabilem atque inconvulsam perpétue obtineat firmitatem , et a fidelibus (1) L'Odenwald. Voy. p. 2U, note i. (i) Cette mesure équivalait à trois milles. Voy. Du Cange au mot Itasta. (3; Oepuis Seligenstadt. Voyez ci après, p..206, n. 1. (4) Le pays du Mcin, grand pays, Paytis major, de la France orientale, s'étendai: depuis Francfort, sur la rive gauclie du Mcin, jusqu'à la lauber. Il e»! aujourd'hui compris dans le grand-duché de Hcssc-Darmstadt. Voyez Bessclius au mot .Woin- çoue, hb IV. p. 681), n- ccxvir. WE LA NOTICE. LXI nostris tom praesentibus qiiam et futuris , sou eliani a surcossori bus nostris, a uobis fart;i verius corliusque crodatur, eani manu propria subterfirmavimus, etannuli impressione signari jussinius. Signum Hludowici serenissimi imperatoris. — Helisachar reco- gnovi. — Datum III idusJanuarii,anno,Christopropitio, primo im- perii domini Hludovici piissimi Imperatoris Augusti, indict.VII (1). Actum Aquisgrani, palatio regio, in Dei nomine féliciter. Amen. II. Diplôme diî Louis le Débonnaire, par lequel, à la demande de l'abbé Éginhard. il déclare confirmer les privilèges accordes par reinperenr Charles, son père, au mo- nastère de Saint-Pierre de Gand. (2) (813, 2 juin. ) In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti , Hludowicus divina Providentia Imperator Augustus. — Si erga loca divinis cultibus mancipata, propter amorem Dei , etc.... Proinde noverit omnium fidelium nostrorum, tam prœsentium quam futurorum, solertia quia vir venerabilis abba Ainh.^rdus, ex monasterio Blandinio , quod est constitutum in honore SS. apostolorum Pétri et Pauli , quod est situm in pago Gandensi , super fluvium Scaldim , obtulit obtutibus nostris immunitatem domini et genitoris nostri Karoli , bonae memoriae, piissimi Augusti, in qua invenimus insertum quaiiter idem genitor noster et antecessores reges praefatum mo- nasterium, propter divinum amorem et reverentiam divini cultus, semper sub plenissima defensione et immunitatis tuitione habuis - sent. Ob fu-mitatem tamen rei, postulavit nos praedictus Ainhar - DUS abba ut eamdem auctoritatem , ob amorem Dei et reveren- tiam SS. apostolorum Pétri et Pauli, nostra quoque confirmaremus auctoritate. Cujus petitioni libenter acquievimus — Et ut hœc auctoritas a fidelibus Sanctse Dei Ecclesiae ac nostris verius creda- (I) La preniitre année du règne de Louis le Débonnaire s'étend du28 janvier 811 au î8 janvier 815. Le 11 janvier (UF des ides ) de cette première année est donc le 11 janvier 815. En 815 le chiffre de l'indictioii comptée à partir de septembre 31,1, suivant le mode le pius ordinaire, est VIII , et non pas vu. Mais on sait qu'on a quelquefois compté l'indiction à partir de 312, et que d'ailleurs on renconire fré- quemment des erreurs dans le calcul de l'indiclion, même dans Us diplômes de la plus grande authenticité. lï) Minus, Diplomatica Bch/ica, tom. I, p. 131. J LXIl i»lECES JUSTIFICATIVES tur et diligentius conservetur, manu propria sublerfirmavimus et annuli nostri impressione muniri jussimus. Signum Hludowici sereiiissimi imperatoris. Helizachar reco- gnovi et notavi. Datum IV nonas junii, Christo propitio , anno II imperii domiiii Hludowici piissirai Augusti, indict. VIII. Actum Aquisgrani, pa- latio régie, in Dei nomine féliciter. Amen m. CONFIRM.\TION DE PRIVILÈGES Accordée par Louis le Débonnaire au monastère de Saint-Davon de Gand sur la demande de Vabbé Éginhard. (1) (819, IS avril. ) In nomine Domini Dei et Salvatoris nostri Jesu Christi , Hludo- wicus,divina ordinante providentia, Imperator Augustus.— Si erga loca divinis cultibus mancipata, propter amorem Dei, etc. Idcirco noverit omnium fidelium Sanctae Dei Ecclesiae nostro- rumque, prœsentium scilicet ac futurorura, solertia quod vir venerabilis Einhardt;s, abbas ex monasterio quod dicitur Ganda, quod situm est in pago Brachbatense , constructum in honore s-ancti Pétri principis Apostolorum , ubi etiam sanctus Bavo con- fesser Christi corpore quiescit , detulit obtutibus nostris auctori- tatem immunitatis domini et genitoris nostri Karoli , bonae mémo- rise, praestantissimi imperatoris, in qua continebatur insertum qualiter ipse, ob amorem Doi tranquillitateinquefratrum in eodcm monasterio degentium , semper sub plenissima defensione et im- munitatis tuitione habuisset. Pro firmitatis namque studio postulavit nobis prsedictus EiN- iiARDCS abbas ut paternae auctoritati, firmitatis gratia, nostram (1) Mirœus, Opéra Viptomatica, tom. I, pag. 18. — Le Mire ajoute en note: n Istud Ludovici Pli, ut et Caroli Calvi, itemque Olhonis II diplomata, in favorem GandensU seu Bavonici monastcrii concessa, hodieque intégra cum sigillis suis Gandavi in palatio cpiscopali adservantur utpotc a Normannis (quod raruin in Belgicx monasteriis ) numquam violata, ut narrant. Ingruente namque Nor- mannurumin Belgicam irruptione, monachi Gandense?, cum Sanctorum pignori- bus ac diplomatibus, primo Audomaropolim, inde L;iudunura clavatum, Picardisc urbem, se contulerant, dcclinaiidx tenipestati. Ouo in iraclu annis plus minus rcntum perstitorunt, et. nbns scdalis, indc Gandaviini, ad vctiis suum monaste- rium postliminio rcdieriinl. ■■ DE LA NOTICE. lAIII quoquo supt-radderomus auctoritaleni. Cujiis petitioui libenter asst;nsum pr;vbiiimus , et liane nostram auctoritatom , erga prae- dictum monasU'rium ejusquc rcctores, immunitatis atque tui- tionis gratia , fuTi dccrovimus : per quod prœcipimus atque ju- bemus ut nullus judex publicus, etc. Hanc itaque auctoritatem, ut pleniorem in Dei nomine obtineat lirmitatem, et a fidelibus Sanctoc Dei Ecclesiaeet nostrisverius cer- tiusque cx'edatur et diligentius conservetur, manu pi*opria sub- terfn'mavimus, et annuli nostri imprcssione signari jussimus. Data idibus Aprilis, anno, Christo propilio, Imperii nosti'i sexto, Indictione X[I. Actum Aquisgrani, palatio regio, in Dei no- mine féliciter. Amen. Signum Hludowici serenissimi imperatoris. IV. Charte d'Éginhard, Pur laquelle, du consentement de sa femme Imma, il donna an mo- nastère de Loisch le domaine de Michelstadt et ses dépendances, en s'en reservant l'usufruit. (1) ( Ann. 819, 12 septembre. ) Dominus ac Redemptor noster, corporaliter in terris, conversa- tus, homines, variis sordibus peccatorum inquinatos, adraonere dignatusest dicens : Date eleemosynam. et ecce omnia mundasunt robis; et iterum : Facite vobis amicos de mammona iniquitatis , qui vos recipiant in eterna tabernacula. Idcirconos, in ipsius Dei Omnipotentis et ista jubenlis nomine, Einh ardus et I.mma, simul de salute animarum nostrarum cogitantes, et de abolendis percatis nostris, beataeque ac perpétuas vita? praemiis consequen- dis pari devotione tractantes, hoc testamentum facere decrevimus. Per quod spontanea et intégra voluntate donamus , quod ab ho- dierna die donatum esse volumus, id est cellam nostri juris vocabulo Michlenstat, sitam in pago Plumgowe (5), in silva quae diçitur (1) Cette charte a ete imprimée par Frelîcr, llerum german. script., 1. 64 ; Ccorg. Helwlch, ./ntiqtiilates Laiirishaiinenses, p. 41 ; par 'ToXnerns. Cod. Diplom. Pala- tin., page 6 et", cl par Weinckcns, dans son Eginhurtua il lustral us,' \t. 106. I.c- Cointe, qui la regarde comme fausse, y4nnal. eccles. .franc , Vlll, no, et Eck^ird. franc, orient.. Il 153, en ont donné des fragments. Nous ia réimprimons d'après le Codex l.auresham., t. I, p. is. (2 I.c pays de Plilumiicim. petit pays, pnius miitor, «iihir dans la p.irtie («ri- LXIV PIECES JCSTlFICAirVES Odenewalt, super fluviuin Miniilîngum,quam nobis gloriosissitntts princeps domnus Hludowicus imperator largissima libf.'ralitate concessit, et de jure suo in nostrum jus solemni donatione trans- tulit, ac pFcecepti sui auctoritatc in proprietatem nobis confirma- vit. Hanc, ut diximus, cellam sub integiitate, cum omnibus ap- pendiciis et terminis suis, et cum omnibus ad se pertinentibus, id est basilicis, domibus, cœterisque aedificiis, terris, pratLs, silvis, campis, pascuis, aquis, aqiiarumvedecursibus, cultis locis et in- cultis, mobilibus rébus et immobilibus, ac seipsas moventibus^ mancipiis divers! sexus et aetatis, numéro centum, donamus et tradimus ad basilicam sive monast^rium venerandi martyris Christi Nazarii, quod vocatur Lauresham, et est coustructum in pago Rhenense (l), in ripa fluminis quod dicitur Wisgoz (2), ubi tempore prœsenti vir venerabilis Adalungus abba (3) Deo deser- vientis congregationis pastor et rector esse cognoscitur. Ea vide- licet ratione memoratam donationem atque traditionem facientes, ut, quamdiu in bac mortalitate divina jussione vixerimus, habea- mus prœdictam cellam in nostra potestate et sub nostra ordina- tione, absque ullius personae aut potestatis contradictione vel im- pedimento, ta m simul quam singillatim per successionem, si, uno superstite, alter e nobis ante decesserit. Filios quoque , si nos baberecontigerit, unus ex eis in eadem possessione nobis jure precario succédât. Post obitum vero nostrum, memorata cella, cum omni integritate, ad prœnoniinatum venerabile monasterium absque ullius contradictione recipiatur, et in ejus potestate atque dominio perpetuo permaneat. Et si aliquis contra hoc nostrte do- nationis testamentum resultare voluerit, aut illud convellere atque evacuare temptaverit, primitus Christum et sanctum martyrem dentale de l'Odenwald, aux environs de la rivière de Miimllng, nîimilingum, Itfi- tnincngahe, faisait partie du pays du Mcin. I,e lieu nommé Plilumlieim , qui lui donnait son nom, s'appelle aujourd'hui Flaumheim, â une lleuc sud d'Osthctm, dans le grand-duché de Hesse-Darmsfadt. royez Besselius, p.ige 730, n' cccLVi. (1) Le pays du Rliin, situé entre le pays du Mein et le Lobden(;au, s'étendait sur la rive droite du Rhin, depuisie Mein jusqu'au Necker, et comprenait une partie de l'Odenwald, le Bergstrasse et la terre de Geraver, (erra Geraha, dat Geraver /.andlein. Voy. Bessel., liv. iv, "its, n° cccr.xsiii. (î) Aujourd'hui le Weschlntz, petite rivière qui, après avoir passé au nord de Lorsch, va se jeter dans le Rhin. (3> Adalungus, cinquicnie abbé de I.orsch. Il mourut, suivant G. Hel'Aicb, le i* dit calendes de septembre »38, Voy. Aoi;. Call. Chriit., V, 698. DE LA NOTICE. LXV ejus Nazarium nefandis ausibus suis coHtrarium sentiat, et insu- per, fisco distringente , mulctam de rébus propriis parti prœdicti venerabilis nionasterii coactus exsolvat, auri videlicet libram unam, argenti poiido xu. Et hoc testamentum, atque haec donatiu nostra firma et inviolata permaneat. Et si, quocumque tempore , a quolibet homine aliud instr.umentum innostro nomine prolatum fuerit, quod huic nostro testamento contrarium sit, indicium da- tarum anterius vel posterius habens, etiamsi manu nostra videa- tur vel dicatur esse firmatum, vacuura et inane remaneat, et nuilum effectuai obtineat; sed, ut praediximus, haec donatio nostra pereuni stabilitate firma et inviolabilis perseveret, stipulatione subnixa. Et ut hoc testamentum, juxta legis consuetudinem, in- tegram firmitatem accipiat, propriae manus subscriptione illud firmare decrevimus, et idoneorum testium, quiipsamdonationeni viderunt, signaculis roborari fecimus. Facta donatio in Laures- hamo monasterio, II idus septembris, anno M. regni domini nostri Hludowici gloriosissimi Imperatoris, in Dei nomine féliciter. Ego EiNHARUDS, peccator et donator, recognovi et manu propria subscripsi. Ego Imma consens! etsubscripsi. 7 Signum Rabangarii. t Signum Warbotonis. -f- Signum Wolfberti et aliorum. Ego Hirmimarus, diaconus et notarius imperialis, rogante EiN- NARDO, hoc testamentum scripsi et subscripsi. (J) (1) A la suite de cette charte on Irouve dans le cartuhiire de Lorsch unç (leJir mltation du domaine de MIchelstadt. Cette délimitation, faite par Éginliacd,ou plutôt sous son nom , pour préciser l'étendue des terres données au monastère deLorsch,est intitulée Descrip/io marchx pertineiitis ad Michlenstat.îioui l'avons publiée dans notre édition latine des Œuvres d'És.inhard, tom. Il, p. *IR. fl'après le cartulairode Lorsch, édit. de Manheim, PIECES JUSTIFICATIVES V. Charte d'Eginhard, abbé du monastère de Saint-Servais , par laquelle il affranchit solennellement Mefjinfrid, serf de ce monastère, promu aux oïdi es sacrés. (1) ( Ann. 819 on 821. ) Auctoritas ecclesiastica patenter admonet , insuper et majestas regia canonicis decretis religione constantissima concordat, ut quemcumque sacres ad ordines, ex farnilia propria, proœovendum ecclesia quaeque delegerit, hune in praesentia sacerdotum, cœte- rorumque clericorum canonice degentium , simulque et nobi- lium laicorum, is qui tune temporis ejusdem ecclesiae rector fuerit manumissione solemni a jugo servitutis absolvat, ejusque libertatem, datam illi coram testibus, ingenuitatis charta confir- met. Idcirco ego in Dei nomine Einhardus , abbas venerabilis mo- nasterii Sancti Servacii confessons Christ! , hune famulum ecclesiaB nostrae , nomine Meginfridum, ad sacrum ordinem ab unanimitato venerandae congregationis nostrae concorditer electum, ad altaris cornu, in praesentia sacerdotum et nobiUum virorum, per eccle- siastici atque imperialis decreti, sicut superius conscriptum est, auctoritatem, civem Romanum statuo ; et per hujus paginae, quae ob confirmandam ejus ingenuitatem a me conscripta est, traditio- nem a vinculo servitutis absolve; ita ut ab hodierno die vel tempore beneingenuus, atque ab ommi servitutis vincuio securus permaneat, tanquam si ab ingenuis fuisset parentibus procreatus vel natus. Eam denique pergat partem quam ei canonicae Ube- rationis honor concesserit, babens ad hoc portas apertas, sicut f2) Cette rfiarte, écrite presque to»t entière en notes tironiennes, se trouve aree Ves diplômes de Louis le Oébonnaire, dans le manuscrit de la Bibliothèque Impériale fonds de Colb., n" W93, aujourdliui ïTIS. D. Carpentier en donne le rac-simil€ et le déchiffrement dans son Alphabetum UronianHm, p. 76 et 77, Chart. XLVII. Elle a été réimprimée par D. Bonquet, VI, 657. Rien ne saurait faire suspecter l'authentl- eité de cet acte, qui est en tout conforme ani formules usitées du temps d'E- ginhard pour les actes d'affranchissements. ( Voy. la note de Carpentier, p. 104, et Du Gange au mot manumissio. ) 11 y a cependant une erreur dans la date; car la sixième année du règne de Louis le Débonnaire, qui tombe en Tan 819, concourt avec la douzième et non pas la quatorzième année de l'indiction ; il faut donc lire «oit anno iwperii fl. indict. Xll, soit, anno imper ii rUI, indict. Xllll , mais r'est la une erreur qu'on peut facilement attribuer â une faute de copiste. DE LA NOTICK. I,\M! ."apteri oivos Romaiii. Itii utdoinccps neque nobis ni'quo sucoes- roribus nostris uUum debeat noxisc vol servilis conditioiiis ser- vitium, noquo aliquod libertinitatis obscquium ; scd omnibus die- bus vitfP suie sub corta plenissimaque ingenuitate, sicut a!ii rives Romani , per hune manumissionis atque ingenuitatis titu- lum, semperbene ingenuus atque securus existât; et de peculiare quod habet, aut quod abhinc assequi potuerit, faciat, secundum canonum auctoritatem, libère quidquid voluei'it. Et ut hœc ma- numissionis et libei'tatis auctoritas inconvulsam atque inviola- bilem obtinoat tirmitatem, m.anu propria subterûrmavi, sacer- dotes quoque et clerum ecclesiae nostrae, necnon et laicos nobiles, qui huic absolutioni présentes fuerunt, similiter subterfirmare rogavi. Actum Trajecto citia Hrenum, in monasterio Sancti Ser- ■^acii, anno, Christo propitio, imperii domini (Hludowici) VI, in- dictione XIIII. — EgoEiMiAROcs abbas manu propria subscri- bendo Ormavi. VI. Échange de Serfs entre Éginhard et Th coder ade . abbesse de ÎS' . D. d'Argcnteiiit. (l) Oppitulante Domino Jesu Christo, plaçait atque convenit inter Theodredane, nobilissima abbatissa de monasterio Sanctae Mariae Argentogilense (2), necnon et inter venerabilem Einiiardcm abba- tem , una cum consensu et voluntate ancilias Dei ibidem consis- tentium, et bonis hominibus consentientes, ut mancipia inter se coœmutare velexcamiare deberent. Quodita et fecerunt. Dédit igitur praecellentissima Theodrada abbatissa de rations Sanctae- (t) Cette charte d'échange a été imprimée pour la première fois, d'après l'origi- nal, par D. Mabillon, De He diplomat., lib. vi, p. 513, et reproduite par Weinckens, p. 10-. D. Mabillon semble croire que cet acte d'échange a été conclu par Éginhard comme abbé de Fontcnelle, mais c'est pIut6t,commc abbé de Saint-Pierre de Gand ^ car la première signature de l'acte est celle du vidamc de Saint-Pierre, que nous, retrouvons dans la charte suivante, et d'ailleurs, en 824, Éginhard n'était déjà plus abbé de Fontcnelle. 11 avait cédé ce monastère à .\nségise dés l'année précé- dente. (S) Le monastère de Notre-Dame d' Argentcuil près de Paris, fondé vers 665, sous CIo- faire III. ( Voy. le JVoy. Gall. Christ., VII, oOT.)—L"abbcsscThéoderadc était fills de ( :h;>rlcn)agnr rt de la reine Kasfrade, Iroislêmc femme ilc ce prince. LXVIII PIECES JUSTIFICATIVES Mariœ partibus Eimiardi abbatis homine aliquo, noinine Gulfoco, prcsbytcro (1). Similiter pvo hujus rei compensatione dédit econ- tra domnus Einh ardus, venerabilis abbas, partibus Sanctae Marisa mancipia duo his nominibus, Imbaldo et Vulframno, ita ut ab hodierna die quicquid de hoc quod unusquisque ex nobis acce- pit, pro oportunitate sua facere elegerit, iiberum in omnibus per- fi'uatur arbitrio. Et illud pro firmitatis studium inter nossueces- soribusque nostris inserere pactum ut duas epistolas de hac re, une tenore conscriptas, faeere seu conscribere deberemus. Quod ita et fecimus. Nec nobis , neque successoribus nostris , contra pare suo- de hoc quod accepit a pare suo uUo umquam tempore calumniam aliquam vel repetitione generare praesumat. Quod qui fecerit, rem quam accepit amittat, et insuper pari suo, cogente liscû, auri libra una, argenti pondua sex coactusexsolvat, et repe- titio sua nullum obtineat effectum, sed praesentes commutationes has firmas et stabiles valeant perdurare. Actum Argentogelo, antebasilica Sanctae-Mariae, aiino undecimo régnante Domino Hludowico piissimo imperatore. Sigiium Egishario vicedomino, etc. (!) D. Mabillon.p. 516, note, signule ce passage comme remarquable, parce qu'on y voit un prêtre , Cul/olciis presbyter, figurer parmi les serfs éciiangés, tandis que les serfs étaient toujours aKranchts avant leur ordination , ainsi que cela résulte des canoii& et des termes roCmes de la charte précédente. Du Cange, qui cite ce même passage au mot presbyter, en conclut que les esclaves pouvaient être revêtus du caractère sacerdotal sans changer de condition. On pourrait, en effet, citer des eiemples de serfs consacrés prêtres, et les canuns mêmes qui défendent cet, abus en constatent l'existence. Mais il est peu vraisemblable qu'une telle irré- gularité eût été tolérée si près de la cour. Nous ferons donc observer que Giilfolcus est nommé dans la charte presbyter, et non mancipium. On peut en induire qu'il avait été affranchi avant de recevoir les ordres, mais sans le consentement «t au prc- judicc de l'abbessc d'Argenteuil, à laquelle il appartenait et qu'il fallait nécessai- rement indemniser. C'est ce qu'on fait en donnant à cette abbesse deux serfs A la place de Gulfoleus. Le cas est prévu par la loi salique révisée { l.ex salie, emen- data, tit. 28, § 2. ) •< Si quelqu'un affranchit le serf d'un autre, il lui en payera le prix, et en outre une amende de trente-cinq sous Les biens du serf seront restitués au premier maître. » Ici l'on donne un second serf en place de l'amende et l'on ne parle pas des biens, probablement parce que l'affranchi n'en possédait pas DE LA NOTICK. LXIX Vil. CHAr.rt. CRESlAinK UÉtilMI.VUD, litU dti monastère de Saint-Pierre de Ound, par laquilk il concède à i^iordbert l'usufruit de cirtuiiis domaines que celui-ci aenit donnes m toute propriété audit monastère {i). ( Ann. 830, 21 juin. ) Venerabile iu Christo Einharhcs abbas. hum non est incogni- tum qualiter res tuas quod tu coniparasti et ad monasterium no- strum tradidisti et ad opus fratrum nostrorum delegasti atque fumasti, sed postea tua fuit petitio, et nostra non denegavit vo- luntas, ut ipsam rem et illa terra, qund Tliiodsumda habuit, per beneficium nostrum tibi Nordberto hoc prestitissenius. Quod ita et fecimus; et ad onorem tuura quando aliquantis temporibus ad monasterium nostrum venires, tibi provendam dare faciamus, et pro usu fructuario de ipsas i-es nobis censum ievasti ut, annis singulis, ad festivitatem Sancti Martini, dare debcas denarios ii, et ipsum censum debent fratres accipere. Et sic nobis conpiacuit atque convenit ut ipsas res nec venderis, nec donaris, nec aliéna - ris", nec concambiaris, nec in nullo naufragio mittere licentiani non habeas; nisi tantum, dura diu advixeris, usitare et ameliorare facias. Et, post obitum tuum, quod tu comparasti. et inbeneficio nostro habuisti, et illa alode quod antea tradidisti, ab illo die bas res fratres hoc habere debeant ad mensam et ad opus etorum. Et Odbertus liceat pM-censire hoc clero \d d. ii, et ipsum censum debent fratres accipere, qui infia monasterio sunt, in anniversario tui pro anima tua. Facta prestaria in monasterio BlandinJo, pu- bliée, sub die XII Kal. Febr. anno XVI, régnante domno nostro Hludowico gloriosissimo imperatore. Ego Einhardcs abbas Kbf;oGNovi et. slbscripsi. Sign. Egeshario vicedomino,. etc. (1) Nous Imprimons cette charte, dont roriginal est conservé dans les acchives de la Flandre orientale à Gand , d'après le fac-slmlle qu'en a donné M. Warnkœnig, dan» son Histoite de la Flandre et de ses institutions, à la fin du tome f de l'é- dition allemande. Le texte est imprimé p. 101 de cette édition, et tome l", p. 3ï4, de l'édlt. française. Dierinx Tavait déjà publiée dans son appendice aux mémoires sur la ville de Gand, p. 85. Au latin barbare de cette charte, il est fa- cile de reconnaître qu'elle n'émane point d'Éginhard personnellement, et qu'elle a été rédigée dans le monastère comme acte d'administration. Cette observation peut s'appliquer à la charte précéticntc et à celle qui suit. Elles provlenncfll toutes trois de la même source. LXX PIECES JUSTIFICATIVES VIII. Autre Charte prestaire, accordée à Eiigelbert par Éyinhard, abbé de Saint-Pierre de Gand{l). ( Ann. 830 011 839, 7 septembre. ) Venerabile in Christo Einhardo abbate de monasterio Blandinio, dilecto amiconostro Engelhardo. Dura non est incognitumquali ter aliquam alodem tuum ad monasterium nostrum tradidisti atque tirmasti, hoc est in pago Rodaninse (2), in loco qui vocatur Facum prope fluviola Absentia, id est ibidem casa cum curtile, cum aliis tectis et watriscapud (3), et de terra arabile et in Vacheria accruin (1) Cette charte a été publiée par M. Warnkœnig, tom I, preuves, p. 13, dans son édition allemande, et ton). 1^'. p. 326, dans l'édition française, d'après l'original conservé aux Archives de la Flandre orientale. Comme il n'a pas donné le fac- similé de cette pièce , nous ne pouvons guère que reproduire le texte tel qu'il l'a imprime , cependant nous avons essayé d'y introduire quelques corrections en in- diquant en note les leçons primitives. De plus, nous ferons remarquer que M. Warn- kœnig s'est trompé en assignant à cette charte la date du 7 septembre 840. Kn effet, si l'on compte les années du régne de Louis le Débonnaire à partir de la mort de Charlemagne, 28 janvier 8U, la vingt-septième année de son règne, qui concourt avec l'an 840, ne peut comprendre le mois de septembre, puisque ce prince mourut le 20 juin de cette même année. La seconde manière de calculer les années de Louis le Débonnaire à partir du lô avril 781, jour de son sacre à Rome comme roi d'Aquitaine, ne conviendrait pas mieux, car en comptant ainsi on arriverait pour la vingt-septième année du règne à l'an 808, époque à laquelle Éginhard n'était pas encore abbé de Saint-Pierre, Pour conserver ce chiffre XXVII, il faudrait donc recourirà la manière la moins usitée de compter les années de Louis le Débonnaire, en partant de son association à l'empire au mois d'août 813, et même il faudrait encore supposer que les cinq derniers mois de 813 ont été comptés pour une année complète. De cette manière, ou pourrait assigner à notre charte la date du 7 sep- tembre 839. Quoique celte double hypothèse ne soit pas absolument inadmissible, je croirais plus volontiers qu'une erreur s'est glissée dans la transcription de la date, et je proposerais de lire, au lieu de anno XXf^ll, soit anno \FIl, soit anno XXf^I dates qui, en prenant pour point de départ la lin de janvier SU, nous reporteraient la première au mois de septembre 880, la seconde au mois de sep- tembre 839. (2) Le pays, plus tard marquisat de Rhodes, suivant M. Warnkœnig, t. I. p. iss. (3) Kilian Dufflaens, dansson Etymologicum teutonicœ Unguœ, explique If- acter- schap par Aquagium, Aqyseductus; et, en effet, tcaeter signifie eau, et scJiap étant une terminaison dérivatlve, le mot entier rend assez exactement le mot latin aquagiiim; mais Hasselt cite quelques passages de coutumes des Pays-Bas ou ff'aèterschap signifie quelque chose de plus, puisqu'on y parle de personnes éta ■ biles et ayant leurs possessions dans le ff'acter-schap de Sparendam. Watriscapud est donc probablement un canal, un courant d'eau, avec le Icrrilo re qui en dépend sur les deux rives, ou peut-être un petit polder, un de ces héritages entourés d'caii et protégés par des digues, comme on en trouve souvent dans les Pays-Bas. Voy. le Glossaire de Du.Cange, édit. d'Henschel, au mot aqnagUiin. ItE LA NOTICE. LXXl i«f ad scniinanduni iiiod. xv et ibi e pratcllo ad tonuin coUigen- tlum carrad. iiii. et in Wielingahem (1) prato ad fenum coUegen • dum carrad. xii. Hcc omnia, quicquid ad ipsa casa aspicit, ad monasterium nostrum tradidisti atquc firmasti ; sed postea tua fuit potitio, et nostra non donegavit voluntas, ut ipsam alodem per beneficium nostrum tibi Engelhardum et uxorem tuam Hele- tradanem (2) prestitissimus. Quod ita et fecimus, et Heletradanem et tiiiis vestris laxavimus, securique sitis absque servitio et censum et econtra bereditatem tuam per beneficium nostrum illam rem, quam Engelvamnus ad monasterium Blandinio donavit et firma- vit, hoc est in ipso pago Rodininse, et in ipsa villa qui vocatur Facum, prope fluviola Absencia, id est ibidem casa cum curtile, cum aliis tectis, et in agro qui vocatur Facheria accrum, ubi po- test mod. sem. xi, et pratello ad segandum fenum carrad. m et in Wielingahem ad fenum colligendum carrad. xii. Haec omnia, quicquid ad ipsa casa aspicit, vobis Engelhardus et Heletradane preestamus ad husitandum, et per ambas res censum levastis ut. annis singulis,ad festivitatem Sancti Mai"tini,dare debetis dena- rios 1111 ; et qui pare suo super vixerit ambas res licet habere et ipsum censum donare; et post obitos eorum, filii reslicent hoc percensire cum denariis vi ; et post obitum fihorum eorum , proximi eorum licent hoc percensire. — Facta praestaria, sub die VII idibus septembris, anno XXVIl, régnante domino nostro niudowico gioriosissimo imper. IX. Préface du ms. de Hanovre, provenant du monastère de Willingen dans la principauté de Lunebourg (3). GESTA KAROLI MAGNI SECUNDUM STRABIJM, ex chronica S. Albani .Maguncieusis, « GloriosissimiimperatorisKaroU Magni vitam et gestaEiNH artus, vir inter omnes hujus temporis palatines, non solum pro scientia (1) Ost aujourd'hui le petit village de Wiclcglicm ou Wyleghem entre Audo- narde et Sottcgliem. (5) niUrude. (3) Nous reproduisons cette prcface litltralcinent d'après le texte donno psr M. PcrU, Sniptor. tora. 11, pag. *iO, not. LXXn l'iiCES JIT,TIIÎC.411VES rerum etpro uuiversa .-norum honestate laudisegregie, descripsisse c:ogncscitur et purissime veritatis, utpote quibus pêne omnibus interfuit, testimonio roborasse. Natus enim in orientali Francia, in pago qui dicitur Moingewi, in Fuldensi cenobio, sub pédago- gie sancti Bonifacii aiartyris prima rudimenta suscepit. Inde a Baugolfo (1) abbate monasterii supradicti in palacium Karoli translatas est Sequitur nunc vero, relabentibus in contraria .studiis, lumen sapiencie, quod minus diligitur, rarescit in plmi- mis. Predictus itaque homuncio, nam statura despicabilis vide- batur, in aula: Karoli, amatoris sapiencie, tanlum glorie incrementi merito prudencie et probitatis est assecutus, ut inter omnes régie majestatis ministres pêne unus haberetur cui rex, id temporis po- tentissimus et sapientissimus , plurima familiaritatis sue sécréta ooramitteret, etc.... Hec dicimus ut in dictis ejus minus quisque habeat dubitacionis. » Sequitur huic opusculo : « Ego Strabus tytulos et incisiones, prout visumest congruum, inserui, ut ad singula faciliter querenti <ïuid placuerit ducescat accessus. Finit prologus. » "OC. Lettre d'Alcuin (2) n Charlemagne . Domino piissimo et praestantissimo David regi,FLACCi;s, carita- ti? calamo vulneratus, salutem.... Quidam Judaeus, Julius nomine, f.um Petro magisti'o habuit disputationem Idem Petrus fuit qui in palatio vestro grammaticam doyens claruit. Forsan Omercs vester aliquid exindeaudivltamagistro praedicto. Misi Excelientiae vestrae quasdam species dietionum (3), exemplis vel versibus vene- randi Patris (4) confirmatas, et aliquas figuras arithmeticae subti- litatis (6), laetitiaB causa, incartula, quam nobis vacuam direxis- 1) Baugolfos, sucrpsseHr dp Sturmlus, gouverna le monastère de FulUe de "79 ià 802. (2; Epist. i.xxxv. -tlruini Oper., tom I, pag. 125 126. Édit. de Foppens. (3)lls'agitprobableraeuldu traité d'orthographe composé par Alcuin, et Imprimé tous ce titre ; Opusculum de Orthographia, tom II, pag 301, dansTedit. rie P^oppens. (V) Le vénérable Bédé. (3; C'étaient sans doute des problèmes extraits du Traité De ÀritUmttieis iufj- I)K. I.A SOTICK. lAXIli tis, ut vestita rovoiur(?*, qu.T nuda nostro se oltoreliat asiiectui ; digiiuin ffstimans ut nostris lionoraretur literis, quiF vostro si- gillo ad nos nobilitata pervenit. Ht si minus quid expmplovuni deboaiit praedictte species, Beseleel, vestcr immo et noster fami- liaris, adjulor de paternis vorsibus apponore poterit; necnon ffc tii^urarum rationes in libelle arithmetirjF disciplinae considerare valet. Punctorum vcro distinctiones vel subdistinctiones, licet ornatum faciant pulcherrimum in sentenliis, tamen ususillorum propter rusticitatem pêne reoessit a scriptoribus. Sed sicut totius sapientiae decus et salutaris evuditionis ornatus per vestraî nobi- litatis industriam renovari incipit , ita et horum usus in manibus scribentium redintegrandus esse optime videtur. Ego itaque, licet parum proficiens, cum turonica quotidie pugno rusticitate. Vestra vero auctoritas palatines erudiat puei'os , ut elegantissime pro- férant, quidquid vestri sensus lucidissima dictaverit eloquentia , ut ubique regalis nominis chaita deourrens regali? sapientiae no- bilitat^m ostendat. Floreat aeteriiis teciim sapiciitia doni-;. Ut libi perinancat iaus, honor, iniperiuni. Quot habeas apiccs, sanctas, mea carta, saintes Dicito tôt (liilci David sinorr iiiro. XI. RXTHAir 11KS I.F.TTP.RS DE LOUP, APRK HE FEI\Rll-ni:s. à Éginhard. Extr. de la 2)rcmiére lettre. — Carissimo Einhap.uo Lupus salu- tem. — Diu cunctatus sum, desiderantissime hominum,auderem nec ne excellentiae vestrae scribere. Et cum me ab hoc oflicio alla» rationabiles causae, tu m etiam ea maxime deterrebat, quod posse id contingere videbatur ut,dum vestram cuperem amicitiam compa- rare, offensam incurrerem Cum deinde auctorum voluminibus spatiari aliquantulum cœpisr>em, et dictatus nostra aetate confecti displicerent, propterea quod ab lUa Tuliana caeterorum gravitate, quam insignes quoque christianse veligionis viri aemulati sunt, oberravent, venit in manus meas opus vestrum, etc. (l). - tilitatibus ad ucuendos juveiies, publia p:ir Foppcns, totn. i!. p. 4Vl, dans l'rdit. précitée. (t) V(iy. lasuite dcec passage, p xi ii de la nntico. hCINHAKI). LXXIV PIECES JUSTIFICATmES. Extr. de la seconde lettre, — Desiderantissimo praeceptori Ein- HAiiuo Lupus (1). — Molestissimo nuntio de excessu venerabilis vcstrae conjugis consternatus plus quam vobis nunc optarem adesse, ut vesrfram mœstitiam velmea compassione levarem, vel concepto sensu ex divinis eloquiis assiduo sermone solarer, etc. Exl. de la troisième lettre. — Epistolam (2) vestrae dignationis, ralamitatem quae dudum vobis contigit graviter querentem, haudquaquam mediocriter commota mente perlegi, confoctumque vestrum animum tam diuturni mœroris anxietate vehementer in- dolui Si quidem consoius mihi sum intimum me nobilissimse illius feminae morte, cum vestra, tura etiam ipsius vice, tiaxisse dolorem , quem atrociter exasperantem vestrae literae, fateor, re- (Tudesceie cogerunt Libellum De adoranda Criice, mec ju- dicio utilissimum, quem meo nomini dedicastis, ut par fuit, am- plexus sum. XII. Épigr.'vmme de WAi.AFRinus Strabus (3). DE E1NHA.RDO MAGNl». N('(! minor est magni reverentia patris habenda Beseleel, fabre primum qui percipit omne Artificum prsecautus opus. Sic denique summus, Ii>se legens infirma, Deus, sic fortia temnit. Magnorum quis enim majora receperat unquani Qunm radiare brevinimium miramur homulîo? Il) r.omp. cette lettre et la suivante à la Ixxii^ lettre d'Eginhard sur le mériie siijet. (î) Voy. cette lettre, n" LXXfi, ci«aprés, p. 236. (3) Walafridus Strabus ou Strabo, né en 807, fut abbé de Reichnaw, et mour.it le 17 juillet 8i9. Parmi ses nombreuses poésies on trouve plusieurs pièces sur les prin- eipaux personnages de la eour île I.nuis le Oébnnnaire, qu'il dési^-ne, comme dans eille-cl, sous des noms tires de l'Écriture sainte. {Voy. Canisius, et Maxima Di- bliolheca l'tftrum, citit de Lyon, t. XV, pag. 283. ) DK LA NOTICE. LXXV XIII. Extrait nu précepte (1) relatif aux OTAtits saxons ijui devaienl tire prcsenlés à rempcrcur àMaijencr. ( 80Î janvier ou fcvricr, Aix-Ia-Cliapcllf. } De Wr.sri-'ALAHis ; I^lus rrcipiot Ilaitoepiscopuset Hitto oomis ; Li'odac, filiiim Bodoloni. DF ()SrFAI,\JILS^ Geracluin, tilium Macooiiis, liabuit Smberhis episoopus. . I)K Akgrarus: Bunum, filium Theotaker, habuit Wiiiiartus. Altbertum, filium Wilberni, liabuit Sindbert episcopus. Hetti, filium Megi, habuit Sciltung. Hadamai'um, filium Sigimari, etHittuni, filium FiidiU^ih, t.'t Bruii- herum, filium Liuthcri, habuit Woifoltus. Ditmanuum, filium Osmanni, habuit Waldn. Fridamundum, filium Warmunti, habuit Einiiartus ot Mai;i'iiiura, filium Megitodi. Suut iu summa xxxvij. Isti veniant ad Mogontiaui média Ouadragesmia. (1) Ce document a cte public pour là première fois par Csscrmann, t. I, Pro- (irnmi Cermanix sacrœ, n° S. M. l'ertz, qui l'a rcimpritnc daus le tome III de sa collection ( Lrqum tom. I, pag. 89-90), d'après un manuscrit coDlemporain , au- jnurd'liui conservé dans le monastère de Saint-Taul eu Carintliie, établit qne ce précepte est des premiers mois de l'année 80î. lAXVf PIECES .irSTIKICATlVKS XIV. Extrait dc poème élégiaque d'Ermolocs Nigellus (f). Livre II. Jamque, fàvente Deo, Francos pax undique habebat ; Straverat adverses Marsque Deusque viros. Namque senex Karolus caesar venerabilis orbi Concilium revocat ad sua tecta novum. Aurato residens solio sic cepit ab alto, Electi circum quem résident comités : n Audite, 0 proceres, nostro nutrimine freti, « Agnita narro quidem,vecaque credo satis. " Dum mihi namque foret juvenali in corpore virtus, « Vii'ibus atque armis ludere cura fuit ; '( Non torpore meo turpique pavore, fatebor, « Francorum fines gens inimica tulit. « Jam quoque sanguis hebet, torpescit dira senectus, « Florida canities lactea colla premit. Il Dextera liellatrix quondam famosa per orbem, « Sanguine frigente, jam tremebunda cadit. « IVoles nata mitii superis abscessitab oris, '( Ordine functa suo, heu ! tumulata jacet, « Sed quoque quae potior Dominoque placentior ulim « Visa fuit, semper est mihi cessa modo. « Nec vos deseruit Christus, quin germine nosti'o « Servaret, Franci, nunc sobolem placitam. <» 111a meis semper delectans inclita jussis « Paruit, atque meum edidit imperium. (I) KrmoMiis Xigellus, coiiteiuporaiii d'Éginhard, était Aquitain de luitioa. On pense qu'il fut moine ou abbé du monastère d'Aniane. Il était l'un des principaux favori< de Pépin, roi d'Aquilaine. qi;'i4 accompagna dans l'expédition de Bretagne, en 824, mais ayant été accuse d'exciter ce prince contre son père, I.ouls le Débon- naire, il fut exilé à Strasbourg. Ce fut dans cette ville qu'il composa, en 826, afin de rentrer en grâce auprès de l'empereur, son poëme élégiaque en quatre chants. Ce panégyrique dc Louis le Débonnaire ne produisit pas immédiatciuent l'eflet qu'Krmoldus en attendait; car il ne put revenir en Aquitaine qu'en 83i. En 835 et 136 il obtint trois diplômes en faveur du monastère d'Aniane, et il mourut sous le régne de Charles le Chauve. Le poBme d'Ermoldus Nigellus, imprimé pour la pre- mière fois par Muratori, Scriptor. Ital. tom. Il, part ii, a été reproduit par I). Bouquet, ton). VI, p. ii-fifi, et par M. Vctli, Scriplonim tom. II, pas tfi«- l»E LA .\()1ICK. LXXVll a ScfHpor amoïc Dci o rlrsiaruin jura iiovavil, « Crédita l'egiia sihi contulit in molius. " Vidistis qucE doua olim Mauruiuni fiincro misit, « Re^goni, arma et vinctos, masua ti'opliea simul. (( Vos mitii concilium fido de pectoro, Franci, « Dicite ; nos prompte mox peragamus idem. » Tune Heinardcs erat Karoli dilectus amore, Ingcnioque sagax etbonitatevigens; Hic cadit ante pedes, vestigia basiat aima, Doctus oonsiliis incipit ista prier : << 0 Cœsar famose polo, terraque marique, « Caesareum qui das nomen habere tuis, « Addere consiliis nil nostrum est posse, nec ulli « Mortali potius Chiùstus habere dédit. « Quae tibi coi'de Deus miseratus contulit, liortor, « Quantocius parens omnia pevficias. » Filius aime tibi praedulcis moribus extat, « Pi'o meritis qui quit régna tenere tua. « Hune petimus cuncti, majorquc minoi'que popcllus, « Hune petit Ecclesia, Christus et ipse favet. << Hic valet imperii post tristia funera vestri « Jura tenere armis, ingenioque, fide. » Annuit at Caesar Isetus, Christumque precatun Mittit et ad sobolem mox celerando suam. Tempore namque illo Hludowic bonus Aquitanorum, Ut supra cccini, régna tenebat ovans. XV. Extrait des gestes des abbés de Fontenelle ('). Cliap. 17 Gestes d-Anscgisc, abtc de- Fontenelle. Praeterea dum praedictum Flaviacense cœnobium jure precarii ac beneficii teneret, etiam exactor operurn regalium in Aquisgi'ani palatio regio, sub Einhardo abbate, vivo undecunque doctissimo, a domino rege constitutus est. Anno igitur imperii donini Ludovic! Augusti tertio ( anno 817 ), Trasarus, rector hujus cœnol)ii, cum licentia ejusdom im- (0 D !5uuf(nci, VI, 1:3. Pcrl7, Scriplonnn tom. Il, pai,'. 29J et 2'j'', LXXVill PIECES JLSTîFlCATlVtS peratoris, adlocum suae nativitatis repedavit.... Post quem EiN- HARDUsboccœiiobiumperseptemfermetenuitannos.Quod demum ultro derelictum, divina, ut credi fas est, jussione-acgloriosis«imi imperatoris largitione, domnus Ansegisus ad gubernandum sus- cepit anno jam supra taxato (i. e. aiino 823, qui erat annus Lu- dovici gloriosissimi Augusti decimus, porro Paschalis apostoliei cir- dtor septimus, sub die quarto Nonarum Aprilium, indiotione 1). XVI. Extrait du PoiiTE saxon (l). I.iv. IV, ann. 803, v. it et suiv. Tumsub judicibus, quosrex impoiierat ipsis, Legatisque suis, permissi legibusuti Saxoues patriis et libertatis honore. Hoc sunt postremo sociati fœdere Francis, Ut gens et populus fieret concorditer unus, Ac semper régi parens œquaiiter uni. Si tamen hoc dubium cuiquam tbrtasse videtur. De vita scriptum Karoli légat ipse libellum, Quem Francos inter clams voraxque relator Ac summe prudens, Einhard^s nomine, scrip.sit. XVII. Extrait nK i.a vit de Louis i.e Di.bonn virk l'.ir l'Astrononic (2). Cap. XLI. ( .Ad annum S27 ; Ipso anno IIeimiardls , :.ui temporis prudentissimus virorum, sanctae devotionis ardore inci- (i) Le moine Saxon, auteur du poenio sur la vie de Charleiuagnc, était contein- poiaiu de l'empereur Arnoult, qui régna de S87 a 899. Ccst ce qu'il nous apprend luimftine, liv. V. v. )31-U6 et 415 424. — l'cri/, .Scriptor. tom. 1, pag. 2r>l,969 et 274 : D. Bouquet, V, ICT, 173 et 179. (2) On désigne ordinairement l'auteur anonyme de cette chronique .sous le nom de l'Astronome, parce que la plupart des iiianuscrils contiennent un passage ou il dit qu'il fut Tun des deu\ astronomes consultés par Louis le Débonnaire sur la co- mète de 837. Cette phrase manque, il est vrai, dans le manuscrit qui passe pour le plus ancien, celui de la Bibliolliéque Impériale de Paris n" 9640 ( olim Colbcrt. 3375 ) ; mais rautcur n'en est pas moins reconnu comme contemporain de Louis le Débonnaire, ainsi que le prouvent sa préface et plusieurs passages de son livre. Son témoignage est dnne pour nous d'une grande importance , en ce qu'il connrmc la (laie que nous avons assignée a la translation des reliques de saint MareeUin et saint l'ierre. contrr.irenient à l'opinion des BoUandistcs. 1)K I.\ NOriCR. LXXIX talus, Humain ini.sit,t't corpora sanctorumMarcelliiu el IV'tii, a!i- iiucnte papa, in Fraïuiam ftvit transvelii ; et valde decenter in proprio territorio propriisque sumptibus recondidit. Quorum me- ritis hactenus ibi multa Dominus operatur virtutum miracula. XVIII. Exr. i)K L'iiisToini. de i.a translation de S. PL'S1N^K (i). '». Pi'ovocabatur ( abbatissa Herifordensis ) vero exemplis niultorum qui summo studio, etiam ab Romano solo, sanctorum sibi patrocinia cum discrimine ingenti subripuissent. Quorum Ein- habdus, quondam venerabilis abbas, sanctorum Marcelli ni et Peti i prc'tiosissima corpora, summa difficultate et laboriosissimo cona- mine, utiam ipsis volentibus sanctis et quibusdam signis dantibus intelligi, opitulatione divina et ipsorum sanctorum Martyruni , consecutus est. XIX. EviRAiT DES Annales de Fi'lde par Enhard (2). 836. Imperator in palatio Thiodenhove '3} conveutum liabuif, ad quem Hlotliarius venire non potuit, quia gi'aviter et usque ad desperationom regrotavit. Quo peracto, imperator ad Francono- furd venit, inde ad sanctos Marcellinum et Petrum (4), et inde ad Ingilenheim, et inde ad Aquense palatium rediit. XX. EvrnAiT nr c.\btilaire uk Lorsch. De Michlenstatt. Qualiter vero celia Michlenstatt, sub hoc piissimo principe, per venerabilem Einhardum Lauresharaensi monasterio accesserit , (1) L'histoire de cette translation, dont M. Pcrtz ne donne qu'un extrait, a eto imprimée par les Bollandistes au 23 avril, et reproduite par Lcibnit/,, Vi'. Jlî-inifr. tom. I, pag. 181 M. Pertz pense qu'elle a cts écrite sous le régne de Charles le Simple, 860-877, par un moine du monastère de Corvcy. en Saxe ( Pertz. Scripto- riim t. II, pag. 681-683. ). (2) Enhard, moine de Fiiliie, auteur de la première partie des Annales de Kulde, fut le contemporain et l'un des deux premiers continuateurs d'Éginliard. Ses An- nales s'étendent de l'an 680 à l'an 838. Pert/,, Script, tom I, pag. 36fi ; D. lioiiquer, VI, 210. '3) rhionvillc. : (4) A Seligrnsladl. L\XX PIECES JLS-ïJFlCAlilVES prout a majoribus nostris memoriae traditum est, perstringamus. Es\ eniin les tum cognitu et admiratione digna, tum quanta vel qualis ûlim imperialis exceUentiœ et erga subditos pietas et erga devotos liberalitas, et erga suorum excessus clementia fuerit evi- deus exemplum. Hic igitur archicapellanus notariusqueimperatoi'isKaroli,cum iu ;nila regia laudabiliter serviens diligeretur ab omnibus, a filia quo- <}ue ipsius imperatoris, Imma nomine, régi Grcecorum desponsata, ;imabatur ardentius. Aliquantum temporis fluxerat, et amor al- ternus quotidie inter ambos per augmenta crescebat. Utrosque «nim timor retardavit et offensio regia, ne tam gravia conveniendi iriirentconamina. Sed amor improbus omnia vincit. Denique cum idem vir egregius irremediabiliter amando aestuaret, auresquevir- ginis per intemuntium appdlare non praesumeret,novissime sumpta de semetipso fidiicia, nocturne tempore latenter ad puellae tendebat habitaculum. Ibidem ergo pulsans clanculo, et intrare permissus, tanquam allocuturus juvenculam de regali mandato, statim versa vice, solus cum sola, secretis usus alloquiis, et datis amplexibus, cu- pito satisfecit amori. Interea cum jam appropinquante luce diei, ])er silentia noctis, unde venerat regredi vellet, de improvise nivem baud modicam decidisse cognovit, et ne per vestigia pe- dum virilium agnitus pi'oderetur, foras exire timuit : ambosque pro conscientia facti anxietas simul et formido intus remanere compulit. Cumque, nimia sollicitudine fluctuantes, quid facto opus esset deliberarent , tandem elegantissima juvencula , quam auda- i;em faciebat amor, consilium dédit ut ipsa quidem 6uper se insi- dentem inclinata exciperet, eumque usque ad locum illius hospi- tio contiguum ,anto lucanum deportaret, ibiquc eo deposito, rursum , per eadem vestigia cautius observata, rediret. Eam noctem impe- rator, divino, utcreditur, nutu, insomnem duxit, diliculoque con- '^urgens, eminusque de aula prospiciens, intuitus est tîliam sub praefato onere nutanti gi-essu vix incedere, et ad condictum loeura, deposita quam gestabat sitrcma, céleri repedare recurso. Quibus multo iatuitu perspectis , imperator partim admiratione, partim doiore permotus, non tamen absque divina dispositione id fleri re- pulans, sese continuit, et visa intérim silentio suppressit. Interea Er^HAnbus, sibi conscius certusque rem nuliomodo da- ijiiuum .'-uuiii rciicm diu latere possc, tandem inter angustias re- DE lA :'iOTl«;E. i.XXXI perto ruu^ilio, iinpt^ratorem aggreditur, tlexis geuibus niissio- iieni postulons, asserens tôt et tantis servitiis suis condigna non rependi pra?mia. His auditis, rex, dissiniulato rei et cventu et exitu, diu conticuit. Deliinc eum certificans m postulationi ejus quan- tocius responsurum , diem coii'^tituit , statimque coiisiliarios pri- mosque sui regui et ceteros quosque sibi familiares, passim evo- catos, convonire jussit. Congi'egata itaque magnifica diversarum dignitatum frequeiitia, ita exoi"sus est : « Imperatoriam, inquiens, « majestateni uiniis injuriatam esse et despectam m indigna sute « filiae notariique sui copulatione, et exindenon mediocrisese agi- « tari pertuvbatione. » Quibus nimio stupore percussis, de rei novitate ac magnitudine quibusdam adbuc ambigentibus, rex in- iiotuit eisevidentius, referens eis a primordio quid per semetipsuni oculata fide cognoverit, consiliumque eorum ac sententiam super hoc expostulans. At illi inter se diversi diversa sentientes, in pre- sumtorem hujus rei duras et varias dedere sententias, aliis sine exemplo puniendum, aliis exilio damnandum, aliis alio mododis- perdendum, ut cuique impetus erat,adjudicantibus. Porro quidam ex eis, tante mitiores quanto sapientiores, habita secum (felibera- tione, quam intime regem exoravere quatinus ipse rem per se- metipsum examinare, et secundum divinitus ei collatam sapien- tiam difûnire dignaretur Verum ubi rex singulorum circa se af- fectum ponderavit, et inter diversas sententias quid potissimum consiiii sequeretur expendit, siceos allocutus est :« Nonignoratis, « inquit, humanum genus variis subjectum esse casibus, et frequen- « ter evenire ut res nonnuUae, quiE contrariis initiis inchoantur, « meliorem aliquando sortiantur exitum. Proinde non est despe- « randum, sed potius super hac re, quae et gravitate et novitate sua « nostrum exsuperat ingenium, divinae Providentiae, quœ nun- « quam in sui dispositione fallitur, quœque etiam malis bene uti « novit, pietas est exspectanda et expetenda. Quapropter tam « tristis facti a notario meo non exigam pœnas, per quas infamia « filiae magis videbitur augeri quam minui. Unde dignius et lau- « dabilius imperii nostri gloriaj arbitramur congruere ut, data « adolescentise veuia, légitime eos matrimonio conjungam,et rei «. probrosie honestatis colorem superducam. » Régis igitur audita senteutia , fit incomparabile gaudium, ma- iUÛtudoque aiiimi ejus ne mansuétude sumrais effevtur laudibus. LXXXll PIECES JUSTIFICATIVES Intérim Eijnhardus jussus adesse ingreditur. Quorn ox inopinato rex salutans, ita eum placido vultu alloquitur : « Jam dudum au- « fibus nostris a vobis delata est queriinonia quod sei'vitiis vestris " regali munificentia hactenus digne non l'esponderimus. Sed, ut '( verum fatear, maxime super hoc culpanda est vestra negligentia. M Etsi enim sustineam tôt et tanta negotia solus, tamen si quid « voluntatis vestrae compertum habuissem, servitia vestra "digno « fujssem prosecutus honore. Verum ne vos diutino sermone pro- (( traham , querimoniis vestris amplissima donatione satisfaciam , << et ut vos etiam fidelem mihi ut prius et benevolum posthac sen- « tiam, juri vestro nuptum tradam meara filiam, vestram scilicet « portatricem, quae quandoquealte succincta vestrae subvectioni « satis se morigeram exhibuit. » — Prolinus ad régis edictum, cum inulto comitatu adducta est ejus fiha,quae, roseo raultum perfusa lubore, tradita est per manus patris in manus prœdicti Einhardi, cum dote plurima praediorum quoque nonnullorum, cum innu- meris aureis argenteisque douariis , aliisque pretiosis supellectiU- bus ; quibus etiam piissimus imperator Hludowicus, post obitum patris, praedia sua, videUcetMicblenstatt et Muhnheim, quae nunc appcllatur Seligenstatt, tradiditcum liujusmodi donationis privi- légie (()• XXI. EXTI',. OES GKbTES DES KOIS d'AnGI ETERKli l'AR GUIIXACME DE Mai.mesbury (2). Liv. Il, cliap. XU. ( Henricus imperator) .sororem sanetimonialem unies diHgebat, ut suo eam lateri dee.sse non pateretur, sed semper triclinium ejus suo conjungeret. Dum igitur quadam hyeme, qufB nivibus et prui- uis aspera inhorruerat, uno diu loco detineretur, clericus quidam curialis familiarior justo puellae effectus, crebronocturnas in cubi- culo ejus protelabat vigihas. Et quamlibet multimodis tergiversa - (l; Voy. ce diplôme de Louis le Dtboiinairc, ci-dess, pièce 1. (2) W illiam Sommcrsct, plus connu sous le iioiu de Gulllautnc de Malnicsbuiy, Wnédictin anglais, florissait dans le doazièinc siècle ; on ignore la date précise di- sa mort, mais on sait qu'il vivait encore en 1143. Son principal onvrage, Oe Hehti.s (lestis rcgum Angloruvx libr. y, commence à l'époque de la première invasion des .Saxons, et finita la douzième année du régne de Henri 1^', en 1127. Le passage que nous citons est extrait de t'édilion de Francfort, in-fol., 160), p. 77 DE r.^ >'OTICE. LXXMII tioiiibus nequitiani pulliiiift, advertit illud aliquis ( quod diflicil»! sit criinen non prodere vultu vel gestu), et, jam vulgo rem venti- lante, solus nesciebat iraperator.et sororem suam pudicam cTCdm-e audebat. Sed cum quadam nocte cupitis friierentiu'amplexibus,et diutius se voluptas protenderet, illuxit mane, et ecce nix onineni terram operuerat. Tune clericus, qui se deprehendendum por vesti- gia in nive timeret, persuasit arnicas suae ut dorso ejusimposilus angustiasillasevaderet. lUa non refutans impudentiam, dunimodo vitaret verecundiam, levât tergo araasium et extra curiam offert. Et forte tune imperator minctum surrexerat, et per fenestram cœ- naculi despiciens videt clericum equitantem. Primo quidem visu hebetatus,sed, re diligentiusexplorata, pudoreet indignatione ob- mutuit. Interea haesitanti utrum peccatum impunitum dimitteret, vel peccantes honeste redargueret, obvenit occasio ut episcopatum vacantem daret clerico, haec verba auribus insusurrans : « Tu, « inquit, accipe episcopatum, et vide ne ulterius inequites niulie- « rem. » Item dans abbatiam sa nctimonialium germanae : « Esto, « ait, abbatissa, noc ultra patiaris clericum equitantem. » Confiisi illi, qui tam gravi dicto se sentirent lapidatos, desciverunt a fla- gitio quod divinitus inspiratum putabant a Domino. XXII. EXTR. DES ANNALES DU MONASTÈRE DE SaINT-BaVON DE Gand (1). Anno 816 Briddo, abbas Gandensis cenobii, obiit, etpost^a facta est fratrum dispersio. Anno 826 Eynardus, capellanus Ludovici piissimi imperatoris, factus est abbas Gandensis cenobii. Qui anno S?» reliquias sanc- torum Marcellini et Pétri ibidem transmisit. Anno 844 Eynardds, abbas Gandensis, obiit ; successit Einkeri- cus. Qui secundo anno, scilicet 84G, propter incursionemNorth- raannorum, corpora sanctorum Bavonis et Pharaildis, cum aliis reliquiis sanctorum, transtulit ad castrum Sancti Audomari. (1) CcsauBales ; dont le manuscrit, écrit au quatorzième siècle et continué de 1341 a 134» et de lU") a lîso, est conservé dans la bibliothèque de 1 Université de Cand, n" 10) s'élcniient de la fundaUon de l'église de Saint- liavon , en 60^, jusqu'à " l'année isbo Inclusivement. Elles ont été imprimées pour Li première fois par il. l'erti. Script, tniu, 11, p.if ISS 191. les Bollandistes n'en avaient donné que K|uelquct lignes. IXNXIV PlIiCES Jl STIFI^ATHES AimoSjl Ncn-thmanni et Dani monasterium Sancti BavonLs iîicendunt et de%'astant. Anno 852 Eiiikericus, abbas Gandensis, obiit, et Tasradus suc- cessit. Anno 853 Tasradus abbas et monachi, cuni reliquiis et corpovi- bus sanctorum, de S. Audomaro ad Laudunum transfugerunt. Anno 867 Tasradus, abbas Gandensis, obiit apud Nigellam-Re- pulsam , et ibidem sepelitur. Gui successit Radulfus, a fratribus Gandensis cenobii abbas electus, quia dicti fratres in predicta Nigella, causa dispcrsionis, degebant. Anno 895 Helias, abbas Gandensis, obiit Lauduni, et ibidem in ecclesia S. Vincentii sepelitur. Post eu jus mortem magna extitit dispersio monachorum, que plusquam per quadraginta annos con- tinue duravit. Anno 937 ArnulfusMagnus, cornes Flandrie, gloriosus marchy- sus, hortatu venerabilis viri Transmari, Noviomagensis episcopi, renobium Gaiidense tune dirutum, quod deserto pêne videbatur similior, restauravit et in melius reformavit, et virum illustrem, sanctum Gerardum Bononifnsem obbatem dicti Gandensb; ceno- bii eonstituit et rectorpm. XXIII. ExTR. DE l'Histoirk i)f, 1 a Translation du sang de ISotre- Seigneur apporte en l'annrc 92.> dans le monastère de Reichnaw (l \ I Auçiiensc monasterium. ) Circa ann. 800. — I. Tempore Kai'oli gloriosissimi iniperatoris, Azan quidam nominc , preefectus urbis Hierusalem , audiens de virtutibusmultisque miraculisetincomparabilibusejusdem Karoli prœliis, ingenti cœpit desiderio coartari qua oecasione fieri possit ut tant! viri faciem presto cernere e jusque delectabili affatu perfrui et cum eo fœdus amicitife componere valeat. MissisitaqucRoraam (1 ; Cette histoire a été écrite par un moine du monastère de Reichnaw, dans le dixième siècle, suivant M. Perlz, qui en parle en ces termes -. « Narrationem quo modo Crus sanguine Domini repicta' Augiam a. sas. sit pcrlata, medio, ut videtur, î-ec. X scripsit nionachus Augicnsis, qui initio quidem multa fabulo^a, postea vero de nunf.-idicomitisfamilia et de monasteriis seculo ix inAlamaniiia fundatis plura Iradit notatu digna, sermone, cui multos ctiam inler.serit versus, usus cuUiori. . Pei tz, Monuii.cnta Cerman. Scriptoriim, tom. iv, pag. 447. 1»K I.A NOTICE. l..\X\> li-gatis, Leoni vivo aposlolico suum patefecitd''si> VIE DE L EMPEREUR CHAHLES. Loup, preuaut le parti te plus sage , no se contenta pas de li- vrer Hunold (I), mais de plus il se remit lui-même au pouvoir de Charles avec la province qu'il commandait. VI. Après avoiï réglé les affaires d'Aquitaine et terminé cette gueiTe, lorsque déjà celui qui partageait le trône avec lui était délivré des soucis de ce monde, Charles, cédant aux prières et aux instances d'Adrien, évêque de Pionw , entreprit la guerre contre les Lombards (2). Avant lui, son père avait entrepris, à la supplication du pape Ktienne (3), une semblable expédition , mais après de grandes difficultés ; car les princi- paux d'entre les Francs, que ce prince était dans l'usage de consulter, résistèrent a sa volonté au point de déclarer haute- ment qu'ils l'abandonneraient et retourneraient chez eux (4). Cependant cette guerre eut lieu, et fut promptement terminée. M) Loup était le neveu d'Hunold , mais il dut livrer son oncle d'autant plus volontiers que, vingt-quatre ans auparavant, celui-ci avait fait crever les yeux d'Hattoa, son frece, père de Loup. On ne sait rien de bien positif sur la fin d'Hunold. Son refuge à Borne, sî fuite chez les Lombards , sa mort par lapidation, qui aurait eu lieu en 774, pendant le siège de Pavie, tout cela parait être une- fable inventée par Anastase le Bibliothécaire, dans sa Vie d'Etienne n(Voy. D. Bouq., v, p, 434, E), — et répétée par Sigebertde Gemblours dans sa Chroniq. ( Ibid., p. 376 , B.) — Sur Hunold, voy. ibid., \>. '<'(4 : Exccrpt. ex vita SS. nerlharii et .4thaleni martyr. (2) En 773. (3) H vint, dit la Chroniq. de Moissac , la tête couverte de cendre et le corps revêtu d'un cilice , implorer l'assistance du roi en se prosternant à ses pieds , in terrain prostratus. ( Voy. Chronic. Moissac, ad ann. 754, dans D. Bouq., v, p. 67, c. ) SuppUcante a le même sens dans le texte d'Éginliard, prières faites à genoux. — L'expédition de Pépin eut lieu en 734. (4) Ainsi , nous le r«gne de Pépin , l'obligation de suivre le roi à la guerre n'était pas tellement rigoureuse che» les Francs , qji'ils ne pussent quelque- fois s'y refuser, surtout lorsqu'il s'agissait d'une expédition loin de leur pays. Charlemagne lui-même , au commencement de son règn-? , fut obligé de demander le consentement de ses leudes pour les emmener dans ses ex- péditions. Ce ne fut que plus tard , après son empire, qu il porta des peines sévères contre quiconque refuserait le service militaire. Voy. dans Balte:., Joni. I, col. ."îfto et suiv.. les Capit. des années : ?02 , Cap. i, c. 7; 803 , Cap. m, c. .1: S07, r, » : gio, (^ap i, c H ; 812, Cap i, r;. ).; et Cap. ii. c. i. VIK l>K L KMrERELH CHABLES. î> M;ii> ([uoique Charles ttt son père, en prenant les armes, aient ete déterminés par des raisons de même nature ou plutôt par les mêmes raisons, la guerre n'en fut pas moins toute diffé- rente dans ses difflcultés et par son résultat. Pépin, après avoir tenu assiégé pendant quelques jours seulement le roi Astolfe dans Pavie (1), le contraignit à donner des otages, à rendre aux Romains les places et châteaux qu'il leur avait enlevés, et à promettre par serment qu'il ne chercherait pas à reprendre ce qu'il venait de restituer. Au contraire , lorsque Charles eut commencé la guerre , il ne s'arrêta pas qu'il n'eût forcé le roi Didier, fatigué par un long siège, à se rendre à discrétion (2) ; qu'il n'eût chassé sou fils Adalgise , sur qui semblaient s'être reportées toutes les espérances des Lombards, non-seulement du royaume, mais encore de l'Italie; qu'il n'eût restitué aux Romains tout ce qui leur avait été pris ; réduit à l'impuissance Rodgaud, duc de Frioul, qui avait tramé de nouvelles révoltes; subjugué toute l'Italie, et imposé pour roi à sa nouvelle con- quête son fils Pépin. Ce serait ici le lieu de raconter combien il eut de peine à franchir les A.lpes pour passer en Italie; avec quelles fatigues les Francs parvinrent à gravir ces montagnes aux sommets inaccessibles, ces rochers qui s'élançaient jusque dans les cieux , et qui ne leur offraient que d'âpres sentiers. Mais je me suis proposé dans cet ouM'age de faire connaître à la postérité la manière de vivre du roi Charles, plutôt que les événements de ses expéditions militaires. Il me suffira de dire que les résultats de cette guerre furent la soumission de l'Italie, l'exil perpétuel du roi Didier, l'expulsion de son fils Adalgise, et le rétablissement d'Adrien, chef de l'Église romaine, dans toutes les possessions que lui avaient enlevées les rois des Lombards. VII. Cette expédition terminée, on reprit la guerre contre les M)En75:j. 2) En 77^. 10 VIE DE L EMPEREUR CHABLES. Saxous (1) , qui semblait comme interrompue. Aucune ne fut plus longue, plus acharnée, plus laborieuse pour le peuple franc, parce que les Saxons, comme presque toutes les nations qui habitent la Germanie, naturellement sauvages, livrés au culte des démons (2) , et ennemis de la religion chrétienne , croyaient pouvoir sans honte profaner et violer les lois divines et humaines. Il y avait encore d'autres causes de nature à troubler la paix chaque jour ; en effet, nos frontières et les leurs sont presque partout contiguës dans un pays de plaine, et c'est par exception que, dans un petit nombre de lieux, de vastes fo- rêts et de hautes montagnes délimitent d'une manière plus cer- taine le territoire des deux peuples : aussi n'était-ce de part et d'autre , sur toute la frontière , que meurtres , incendies et ra- pines. Ces excès irritèrent tellement les Francs , qu'ils réso- lurent, non plus d'user de représailles, mais de faire aux Saxons une guerre déclarée. Une fois commencée, elle se continua pen- (1) Soumis par Clotaire en 333 , les Saxons ne cessèrent de renouveler contre les Francs, pendant toute la durée de la dynastie mérovingienne, des hostilités qui continuèrent, presque sans interruption , sous la seconde race. Vaincus par Charles Martel en 738, ils le furent encore par Carloman en 747, et par Pépin en 733 et 738. La guerre que Charlemagne termina en trente-trois ans, de 772 a S0'«, durait déjà depuis plus de trois siècles. (2) Les nations germaniques , c'est-à-dire les Goths , les Lombards , les Thuringiens, les Allemands , les Suèves, les Vandales et les Francs, avaient trois dieux principaux : Thur était leur Jupiter ; /rwi/n^s, Arminius ou Ericus , leur dieu Mars, auquel on substituait quelquefois Fodan ou Odin , qui était aussi leur Mercure ; et enfin Frea , leur Vénus ou mère- dieu, dont les peuples septentrionaux ont faut une divinité masculine sous le nom de Fricco. Différents jours de la semaine on été consacrés par les noms de ces grands dieux. Le jeudi {dics Jovis) est appelé Thorstarj dans les divers dialectes de l'Allemagne ; le mardi ( dies Marlis ) , Erithstag, en certaines contrées ; le mercredi ( dies Mercurii ) IFœnslag , dans la basse Germanie et la Saxe ; et enfin le vendredi ( dies Feneris ) , Freytag. Quant aux divinités de second ordre, elles étaient innombrables. Sans entrer à cet égard et sur les pratiques religieuses des peuples germains dans des détails qui ne peuvent trouver ici leur place , qu'il nous suffise de dire que les divinités des montagnes se nommaient Alpen , celles des eaux I\ixeii, «■t de renvoyer nos lecteurs au savant traité de Griin sur la mythologie allemande. ( Deutsche Mythologie. ) Mt DE LEMPF.RILR CHABLES II danl tienle-trois ans avec un égal acharnement de pari et d'au- tre , mais d'une manière plus funeste pour les Saxons que pour les Francs. Cette guerre aurait pu être terminée plus tôt, si la perfidie des Saxons l'eût permis. Il serait difficile dédire combien de fois , vaincus et suppliants , ils s'abandonnèrent a la merci du roi et jurèrent d'obéir à ses ordres ; combien de fois ils livrèrent sans délai les otages qu'on leur demandait (1) , et reçurent les gouverneurs qui leur étaient envoyés ; combien de fois même ils semblèrent tellement domptés et abattus, qu'ils promirent d'abandonner le culte des idoles pour se soumettre au joug de la religion chrétienne : mais s'ils furent prompts à prendre de tels engagements, ils se montrèrent en même temps si empressés de les rompre , qu'on ne saurait dire au vrai le- quel de ces deux penchants était en eux le plus fort. En effet, depuis le commencement de la guerre, à peine se passa-t-il une seule année qui ne fût signalée par un de ces changements. Mais le grand courage du roi, sa constance inébranlable dans les re- vers comme dans la prospérité, ne se laissa jamais vaincre par leur mobilité, ni rebuter dans l'exécution de ses projets. Il ne souffrit jamais qu'ils manquassent impunément à leur foi, ja- mais ils ne commirent de telles perfldies sans qu'une armée , guidée par lui ou par ses comtes, n'allâten tirer vengeance , et leur infliger un juste châtiment (2) ; jusqu'à ce qu'enfin , après avoir complètement vaincu et réduit en son pouvoir tout ce qui (4) C'étaient des enfants que Chaiiemagne confiait aux monastères pour les faire élever dans la religion chrétienne , et les envoyer ensuite prêcher l'Évangile dans leur pays. Tel fui Ebbo, archevêque de Reims, l'apôtre du Danemark. (Translat. S. Fili, dans Pertz , tom. II, p. 577, 5; Miracula S. ft^andregisilU, dans Duchesne , tom. IH, p. 386; et Eckhart, Franc, orient., 1. 1, p. 663. ) — Les Sasons , dans leurs révoltes, ne tinrent aucun tompte de ces otages, pour la vie desquels ils n'avaient rien à craindre , et que dans tous les cas ils regardaient comme perdus pour leur patrie. (2) On sait par quelle terrible exécution Cbarlemagne punit , en 782 , la grande révolte excitée par Witikind ; en un seul jour, quatre mille cinq cents Saxons furent décapités k Verden sur l'Aller, Fenli siipi>r .■llaram { Hanovre ). Voyez ci-après les Ann. 12 VIE DE l/EMPEHti K CHAKLES. sopiuiàtrait a résister, il Ot enlever, avec leurs femmes et leurs enfants, dix raille de ceux qui habitaient les deux rives de l'Elbe , et les répartit çà et là en mille endroits séparés de la Gaule et de la Germanie (1). Une condition prescrite parle roi, et acceptée par les Saxons, mit fin a cette guerre qui durait depuis tant d'années. 11 fut convenu qu'abandonnant le culte des dé- mons et renonçant aux cérémonies de leurs pères , ils embras- seraient la foi chrctiemie , en recevraient les divins sacrements, et se réuniraient aux Francs pour ne plus former qu'un seul peuple. VIII, Quoique cette guerre ait duré fort longtemps, le roi ne livra en personne que deux batailles rangées (2) , la première près du mont Osneg , dans le lieu appelé Detmold (3) , la se- conde dans le même mois et a peu de jours d'intervalle, sur les bords de la Hassc (4). Dans ces deux combats, les ennemis furent si complètement défaits et vaincus, qu'ils n'osèrent plus jamais prendre l'offensive, ni même résister aux attaques du roi, à moins d"étre protégés par quelque forte position. Les Francs , aussi bien que les Saxons , perdirent dans cette lutte une partie de leur noblesse et des personnages revêtus des plus hautes dignités ; enfin elle fut terminée au bout de trente-trois ans de durée. Dans cet intervalle, des guerres si nombreuses, si terribles furent suscitées contre les Francs dans les diverses parties du monde , et furent toutes conduites par le roi avec tant d'habileté, qu'à bien considérer les choses, on ne sait ce qu'il faut admirer le plus, ou de sa constance dans les travaux, ou (<) Cette déportation des habitants des rives de l'Elbe eut lieu pendant l'été de l'année 804, etcbarlemague fit distribuer aux Abodrites les terres restées vacantes. ( Voy. dans D Bouq., tom. V; Annal. Fra?icor. Tilian., p. 24, B ; Annal. Frnncor. Loisel., p. 34, C; Annal. Lanib., p. 66. B ; Adonis Chronic, p. 32», K. etc.; et ci-aprés les Annales d'Éginhard à l'année 804. ) {2) En 783. — a Detmold sur la Werra, dans le diocèse d'Osnabruck Westphalie ), aujourd'hui chef-lieu du comté de la Lippe. (4) Prés d'Osnabruck , dans un lieu nommé, au moyen âge, Schlachlvor- dtiierg, et maintenant die Cliis i Ùano\TC;. VIE UE I.EMHKUtllH CHARLES. 1 :{ (le sa fortuue. La guerre contre les Saxons piéeeda de (Jeux ans celle d'Italie (1) ; et quoique cette guerre se soit continuée sans interruption , on n'abandonna aucune de celles qui de- vaient être faites ailleurs, on n'interrompit aucune lutte , tVil- elle également laborieuse. C'est que le roi , le plus grand par sa prudence , le plus éminent par son courage , de tous les princes qui , de sou temps , commandaient aux nations , ne se laissait ni rebuter par les fatigues, ni effrayer par les dangers lorsqu'il fallait entreprendre ou mener à fin quelque chose ; habile au contraire à subir et à recevoir les événements selon leur nature , jamais il ne se montrait abattu par les revers , ja- mais ébloui dans le succès par les trompeuses faveurs de la for- tune. IX. Tandis que la guerre contre les Saxons se continuait as- sidûment et presque sans relâche , le roi , qui avait réparti des troupes sur les points favorables de la frontière , marche contre l'Espagne (2) à la tête de toutes les forces qu'il peut ras- sembler, franchit les gorges des Pyrénées , reçoit la soumission de toutes les villes et de tous les châteaux devant lesquels il se présente , et ramène son armée sans avoir éprouvé aucune perte , si ce n'est toutefois qu'au sommet des PjTénées il eut à souffrir un peu de la perfidie des Gascons. Tandis que l'armée des Francs , engagée dans un étroit défilé , était obligée par la nature du terrain de marcher sur une ligne longue et resserrée , les Gascons, (pii s'étaient embusqués sm* la crête de la mon- [i) La guerre contre les Saxons commença en 772, et la guerre d'Italie l'année suivante. — Eginhard , en indiquant entre ces deux guerres un intervalle de deux ans , \eut parler de deux années juliennes incomplètes : les derniers mois de 772 et les premiers de "73. C'est une habitude commune à un grand nombre d'historiens de dire qu'un fait s'est accompli dans l'in- tervalle de deux années , lorsqu'ayant commencé dans les trois derniers mois d'une année , il s'est terminé dans les premiers mois de l'année sui- vante. 2i Eii77S. 2 14 YIE DE LEMPEBEUB CHARLES. tagne ( car l'épaisseur des forêts dont ces lieux sont couverts favorise les embuscades) , descendent , et. se précipitant tout a coup sur la queue des bagages et sur les troupes d'arrière- garde chargées de couvrir tout ce qui précédait , ils les cul- butent au fond de la vallée. Ce fut là que s'engagea un combat opiniâtre, dans lequel tous les Francs périrent jusqu'au der- nier. Les Gascons , après avoir pillé les bagages , profitèrent de la nuit , qui était survenue , pour se disperser rapidement. Ils durent , en cette rencontre , tout leur succès à la légèreté de leurs armes , et à la disposition des lieux où se passa l'ac- tion ; les Francs , au contraire , pesamment armés , et placés dans une situation défavorable , luttèrent avec trop de désa- vantage (1). Eggihard, maître d'hôtel du roi, Anselme , comte du palais, et Roland (2), préfet des Marches de Bretagne, périrent dans ce combat. Il n'y eut pas moyen dans le moment de tirer vengeance de cet échec ; car, après ce coup de main , l'ennemi se dispersa si bien , qu'on ne put recueillir aucun ren- seignement sur les lieux où il aurait fallu le chercher. X. Charles soumit aussi les Bretons , peuple qui habite à l'occident, sur les bords de l'Océan, une des extrémités de la (iaule , et qui ne reconnaissait point sa domination. Une ar- mée envoyée contre eux (3) les força de livrer des otages, et de (i) La vallée de Roncevaux, Rnscida vallis, en Navarre , entre Pampe- lune et Saint-Jean-Pied-de Port, fut le théâtre de ce combat, dont les histo- riens espagnols ont exagéré l'importance. Si, comme ils le disent, toutes les forces de l'Espagne se fussent jointes aux Gascons pour y prendre part, Eginhard , qui ne cherche point à dissimuler l'échec essuyé par les Francs, n'aurait pas manqué d'en parler. — V'oy. Marca, de Marca Hispaniru, chap. 6, n" 6. — En 1794 , les Français abattirent la pyramide que les Es- pagnols avaient élevée pour perpétuer le souvenir de leur prétendue victoire. i2) Ce passage est le seul, j«rrai les historiens , où il soit fait mention du célèbre Roland, qui joue un si grand rôle dans les épopées carlovingiennes. jjEn786, sous le commandement d'Audulf, son sénéchal. Voy. .lans Bouq., toni. V, annales Franc. Tilian-; Annales Franc. LoiacL; Poetœ Saxonis Annal.; Annales Franc. Falden.ses ; Annules Franc Metenses; et, ci-apres, les .\nnales d'Éginhanl. vit DE 1. EMrEKElU (JIAJU.ES. lô proniL'lUc qu ils ol)éir<'iient désormais aux ordres qui leur se- raieut douués. 11 conduisit ensuite lui-même une armée eu Italie (1), et, passant par Rome, il vint à Capoue en Cam- panie, établit sou camp près de cette ville, et menaça les Be- uéveniins (2) de la guerre, s'ils refusaient de se soumettre. Leui- duc Aragise prévint ce malheur en envoyant au-devant du roi ses ills Rumoald et Grimoald avec une forte somme d'argent, et déclara que lui et tout son peuple étaient prêts à exécuter les ordres de Charles , pourvu cependant qu'on n'exigeât pas qu'il se rendît lui-même auprès du roi. Ce prince , considérant le salut des Bénéventins plutôt que l'obstination de leur duc , ac- cepta les otages qui lui étaient offerts , et accorda au duc Ara- gise , comme une grande faveur, de ne pas être forcé de com- paraître devant lui. Il se contenta même de retenir en otage le plus jeune des flls, et rendit l'aîné à son père. Puis, laissant auprès d' Aragise des commissaires chargés d'exiger et de re- cevoir des Bénéventins le serment de fidélité, il retourne à Rome, et après y avoir employé plusieurs jours à l'adoration des lieux saints, il repasse dans les Gaules. XI. Vint ensuite la guerre de Bavière (3) , qui éclata tout à coup et fut promptemeut terminée. Elle fut causée par la folUj arrogance du duc Tassillon (4). Sa femme , fille du roi Didier , dans l'espoir de venger par les armes de son mari l'exil de son père , l'ayant porté à faire alliance avec les Huns , limitrophes (1) Même année. (2) Le duché de Bénévent renfermait alors presque tout ce qui constitue aujourd'hui le royaume de Naples. Les Grecs n'avaient conservé que ia Calabre et le territoire des villes de Terracine , de Naples et d'Amalti. (3) En 787. — Le duché de Bavière comprenait alors les pays qui forment aujourd'hui la partie orientale du royaume de Baviureau delà du Lech , le nord du Tyrol , et une petite partie de l'Autriche. (41 Voyez , sur Tassillon et ses démêlés avec Charlemagne, les éclaircisse- ments placés à la fin du I "^ volume des Œuvres complètes d'Éginkard, que j'aipubliéespour la Société de l'histoire de France; Paris, Renouard, 1840- tfiW, i vol. in-8'. 16 VIE DE I.EMPEBEUR CHARLES. des Bavarois du côté de l'orieût, il osa noD-seuleiiient résister aux ordres du roi , mais encore le provoquer. Une telle inso- lence dépassait toutes les bornes , et la grande âme de Charles ne pouvait la supporter. Ayant donc rassemblé des troupes de tous côtés pour entrer en Bavière , il arriva avec une armée nombreuse sur le Lech , fleuve qui sépare les Bavarois des Al- lemands. Après avoir établi son camp sur les rives de ce fleuve , il résolut , avant de pénétrer dans la province , de sonder par des députés les dispositions de Tassillon. Celui-ci , voyant bien qu'il ne serait avantageux ni pour lui ni pour sa nation de per- sister dans sa folle entreprise, vint en suppliant se remettre à la merci du roi , livra les otages qu'on exigea de lui , entre autres son fils ïhéodon , et promit en outre sous serment de ne plus jamais se laisser entraîner par ceux qui lui conseilleraient de se soustraire à l'autorité du roi. Ainsi fut promptemeut ter- minée cette guerre, qui paraissait devoir être très-grave. Bientôt après , cependant , Tassillon , mandé auprès de Char- les (1), n'eut pas la liberté de s'en retourner. La province qu'il occupait cessa d'être gouvernée par un duc , et fut depuis régie par des comtes. XII. Ces troubles une fois apaisés , la guerre fut dirigée (2) contre les Slaves , que nous avons l'habitude d'appeler Wil- zes (3) , mais qui proprement , c'est-à-dire dans leur langage , se nomment Welatabes. Les Saxons prirent part à cette expé- (1) En 788. (2) En 789. côjLes Wilzes habitaient, sur les bords de la mer Baltique, entre l'Ellie et roder , les pays qui forment aujourd'hui le nord du Brandebourg , la partie occidentale de la Poméranie , et la partie orientale du duché de Mecklembourg. Consultez sur ce peuple, slave d'origine : le V. Le Cointe, Annal, eccles., ad an. 789, num. 4.t6, toni. VI, p. 406; Meibom, Oral.de origine Helmestadii, inter Script, reriétn Germanie, tom. W, p. 226; et Adam de Brème, de Sila Daniœ, chap. 219 et suiv. Sur leur guerre contre Charlcmagnc , voyez les Annales dÉginhard à Tannée 789, et le Poète saxon , v. *32-472 i \IE i>t L liMl'EllELll LHAWLJiS. 17 ditiou , comme auxiliaires, avec les autres uations , qui, d'a- près les ordres du roi , suivireut ses drapeaux ; mais il n'y avait ni sincérité ni dévouement dans leur obéissance. La cause de la guerre était que les Slaves tourmentaient les Abodrites (1) , anciens alliés des Francs, par des incursions continuelles qu'au- cun ordre du roi n'avait pu réprimer. De l'Océan occidental vers l'orient s'étend un bras de mer d'une longueur indéter- minée (2) , mais dont la largeur, qui n'excède nulle part cent mille pas , est souvent beaucoup plus resserrée. De nouibreuses peuplades en habitent les bords. Les Danois et les Suédois , que nous appelons Nortmans , occupent la rive septentrionale et toutes les îles voisines. On trouve sur la rive méridionale les Slaves, les Aïstes (3) , et plusieurs autres nations , dont la principale était celle des Welatabes, auxquels le roi faisait alors la guerre. En une seule campagne , où il commanda en per- sonne , ils furent écrasés et domptés si complètement, que dans la suite ils ne songèrent jamais à méconnaître ses ordres. XIIL Alors commença la guerre la plus importante (4) (1) Ils habitaient le Mecklenibonrg et la Wagrie, Fagria, en allein. clas JFageren , partie du duché de Holstein. (2) Eginhard veut parler ici de la partie sud-ouest de la mer Baltique. L'espace de cent raille pas ( environ 18 lieues ), qu'il indique comme sa plus grande largeur , se rapporte à la distance qui sépare l'extrémité de la Suède de l'île de Rugen. ( Voyez, sur ce passage d'Éginhard, le commentaire d'Adam de Brème de Situ Daniœ, chap. 217 et suiv., et son Histor. ec- clesiasl., liv. II , chap. 9 et suiv. ) (3) Les Aïstes, qui ont donné leur nom à l'Eslhonie , Esihen, sont nom- més par Tacite, Germ., c. 45; voyez aussi Jcrnaudès , /)e rébus Get., c. 23 ; et dans Cassiodore , liv. V, épit. il, la lettre qui leur est adressée par le roi Théodoric. Consult. encore Biinau, Deutsche Reichshislorie, part. I, p. 42; et Zeuss, Die Deutschcn und die Nachbarslamme. (4) Les Avares avaient promis à Tassillon de lui servir d'auxiliaires contre Charlemagne. Telle fut la cause de cette guerre, qui dura depuis 791 jusqu'en 799. Mais dts la seconde année, après la canjpagne que le roi dirigea en per- sonne, la défaite des Avares était accomplie. Voy. sur cette guerre la lettre écrite par Charlemagne à la reine Fastrade, dans Bouq., tom. V, p. 623, n, >oycz aus>i Alcuin , Episf. ad Cokinn Iccloiriii in Scotia, rapportée par >S VIE DE l'empereur CHARI-ES. que Cliarles ait entreprise , si l'on excepte celle des Saxons , c'est-à-dire la guerre cx>ntre les Avares , autrement dits les Huns. Il les attaqua avec plus de vigueur et avec des forces plus considérables qu'aucun autre peuple. Cependant il ne di- rigea en personne qu'une seule expédition dans la Pannonie ( les Huns habitaient alors cette contrée ) : il confia le soin des autres à son fils Pépin, à des gouverneurs de provinces, a des comtes ou à des lieutenants. Malgré l'énergie qu'ils dé- ployèrent, cette guerre ne fut terminée qu'au bout de huit ans. La dépopulation complète de la Pannonie, dans laquelle il n'est pas resté un seul habitant, la solitude du lieu où s'élevait la demeure royale du Chagan (1), lieu qui n'offre pas aujour- d'hui trace d'habitation humaine, attestent combien il y eut de combats livrés et de sang répandu. Toute la noblesse des Huns périt dans cette guerre, toute leur influence y fut anéan- tie. Tout l'argent et les trésors qu'ils avaient entassés depuis si longtemps furent pillés. De mémoire d'homme, les Francs n'avaient pas encore soutenu de guerre qui les eût enrichis da- vantage et comblés de plus de dépouilles. Jusqu'alors ils avaient toujours passé pour un peuple assez pauvre : mais ils trouvèrent 'laut d'or et d'argent dans la demeure du Chagan, ils s'enri- chirent dans les combats d'un butin si précieux , qu'on est fondé à croire qu'ils enlevèrent avec justice aux Huns ce que les Huns avaient injustement enlevé aux autres nations (2). Les Francs ne perdirent dans cette guerre que deux de leurs Usher, Fêler. Hibem. epist. sylloge, p. 56, ép. s>'ui (tom. !, p. 6, ép. m (le redit, de Froben); et les Annales de Lorsch à l'année 791 , dans Pertz, vol. I, p. 3'i. (1) Ce titre s'est conservé jusqu'à nos jours dans la langue turque pour désigner les princes tartars Khûcân, Knn. (2i Les trésors rapportés de cette expédition occasionnèrent dans tout l'empire un renchérissement subit des denrées , en dépréciant d'une ma- nière sensible les valeurs métalliques. La livre d'argent, qui , d'après les calculs de .M. Gucrard { Revue de numismatique, tom. I , p. 432 et hkti), avaft valu , de l'année 779 à 799, 933 fr. de notre monnaie, n'avait |»lu.«, vers l'an 800, qu'ime valeur réduite à fi38 fr. 30 cent . ME DE LEMPKRKLR CHARLES. lî) chels : Herii-, duc de Frioul (1) , qui succomba eu Liburuie , près deTersatz (2), ville maritime, dans une embuscade dressée par les assiégés ; et Gérold , duc de Bavière (3) , qui fut tué en Pannonie , on ne sait par qui , avec deux hommes qui l'accom- pagnaient , au moment où il disposait sou armée pour com- battre les Huns, et lorsqu'il allait à cheval exhorter chacun n bien faire. Du reste, les Francs n'eurent pour ainsi dire aucune autre perte à déplorer dans cette guerre , qui eut le plus heu- reux succès , bien que son importance en eut prolongé la durée.' XIV. Après cette guerre , celle des Saxons se termina aussi heureusement qu'on pouvait l'espérer d'une lutte si longue. Les guerres de Bohème et de Luuebourg, qui éclatèrent en- suite, ne purent durer longteaips (4); l'une et l'autre , sous la conduite du jeune Charles (5) , furent promptement ter- (() II avait dirigé la prciniùre attaque contre le camp des Huns. Voyez les Annales de Kulde à l'année 796 , dans Bouq. , tom. V, p. 330 , e. Voyez aussi Eckbart, Comment, derebua Franc. Orientalix, liv. XXV, chap. H7, tom. I, p. 796. (2 Aujourd'hui bourg de l'Istrie, à 2 lieues E. de Fiuine , vis-à-vis la pointe septentrionale de l'ile de Veglia. (3) Gérold était frère delà reine Hildegarde. Il ne faut le confondre ni avec le Gérold Lévite ( Geroldus Levila ) cité dans la vie de S. Meiwers, évèque, comme parent de Charleniagne et son porte-étendard , signifer, et qui fut enseveli à Paderborn ; ni avec le Gérold, comte de la frontière des Avares, dont parlent les Annales d'Éginhard en 826. Le Gérold, duc de Bavière, dont il est question ici , l'un des premiers ducs amovibles ou gouverneurs de la Bavière, fut tué le !«'■ sept. 799. Son corps fut rap- porté de la Pannonie dans le monastère de Reiclinaw ' Augiense monas- lerium ), et il y fut enseveli. {it] La guerre de Bohême fut terminée en 806 ; celle contre les peuples du Lunebourg en 811. (5) Charles, roi de la France orientale et l'ainé des fils légitimes de Charlemagne. Il mourut sans postérité vers le même temps, en 811. — Éginhard lui doane ici l'épithète de jeune {junior ), par rapport à son père. L'usage de donner le titre de j'î/nior aux fils aînés portant le même nom que teur pi tc, et aux princes qui portaient le même nom que leur prédé- ccsseui immédiat , se retrouve au douzième siècle et dans les temps postérieurs. 20 VIE D£ LEMPEBELB CHABLES. miucos. Kuliu !e roi eutreprit une dernière guerre (1; contre les Nortmaiis appelés Danois , qui , après s'être bornés d'abord a la piraterie, ravagèrent bientôt, avec une flotte plus considé- rable, les côtes de la Gaule et de la Germanie. Leur roi Gode- frid, enflé d'orgueilleuses espérances , allait jusqu'à se pro- mettre l'empire de toute la Germanie ; il regardait la Frise et la Saxe comme des provinces qui lui appartenaient. Déjà, après avoir soumis les Abodrites ses voisins , il les avait rendus ses tributaires , et il disait même hautement qu'Aix-la-Chapelle , où le roi tenait sa cour, le verrait bientôt arriver avec une armée formidable. Quelque vaines que fussent ces menaces , on n'était pas entièrement éloigné d'y croire , et l'on pensait même qu'il aurait tenté quelque chose de semblable , s'il n'eût été prévenu par une mort prématurée. Il fut assassiné par un de ses propres soldats , et cet événement termina tout à la fois sa vie et la guerre qu'il avait commencée. XV. Telles sont les guerres que ce roi puissant, pendant les quarante-sept années (2) que dura son règne , conduisit dans les diverses parties du monde avec autant de prudence que de bonheur. Aussi le royaume des Francs, que Pépin, son père, lui avait transmis déjà vaste et puissant, fut-il aug- menté de près du double par ses glorieuses conquêtes. En C'est ainsi que saint Louis est appelé L?*rfor/cws jH»îor dans l'épitaphe de Jean, son fils, inhumé à Uoyanniont. Voyez De Wailly, Éléments de Pa- léographie, tom. I, p. \S'. («) En «08. (2) Ce chiffre XLVir, reproduitaux ch. xxx et xxxi, estmexacf. En comptant le règne de Charlemagne dans sa plus grande étendue, c'est-à dire de|>uis le 24 septembre 768 , jour de la mort de Pépin, jusqu'à celle de Charles , arrivée le 28 janvier 814 ( ou 813 , si l'on commence l'année à Pâques ) , il n'a régné que quarante-cinq ans , quatre mots et quatre jours. L'erreur d'Égmhard provient sans doute de ce qu'aux trente-trois années commen- cées du régne de Charlemagne , depuis son avènement au trône jusqu'à son empire ( 23 décembre 800 ), il a ajouté les quatorze ans , aus.si commen- • cs.de son régne comme empereur, sans tenir compte, pour le total, (1rs deux années qui n'étaient pas accomplies. ME UK LEMl'KKKLH CHARLES. "21 (•tïct, avautlui la partie do la Gaule qui s'éleud outic le Kliiu et la Loire, l'Océau et la mer Baléare (1); la partie de la Ger- maaie située entre la Saxe , le Damibe, le Rhin et la Sale, qui sépare les Thuriugiens des Sorabes , et occupée par les Francs- Orientaux ; puis le pays des Allemands et celui des Bavarois , formaient tout l'empire des Francs. Par les guerres que je viens de rappeler, Charles y ajouta d'abord l'Aquitaine et la Gascogne , et toute la chaîne des Pyrénées jusqu'à l'Èbre, qui, prenant sa source en Navarre , traverse les plaines les plus fertiles de l'Espagne , et se jette dans la mer Baléare sous les murs de la ville de Tortose : ensuite , toute la partie de l'Italie qui , depuis Aost jusque dans la Calabre inférieure , où se trouvent les frontières des Grecs et des Bénéveutins , s'étend sur une longueur de plus d'un million de pas ; puis la Saxe , partie considérable de la Germanie, qui est , dit-on , deux fois plus large que le pays habité par les Francs , et qui peut avoir la même longueur ; puis les deux Pannonies ; la Dacie , située sur la rive opposée du Danube , l'Istrie, la Liburnie, la Dalmatie , à l'exception des villes maritimes qu'il voulut bien laisser à l'empereur de Coustantinople , en considération de l'amitié et de l'alliance qui les unissaient ; enfin toutes les na- tions barbares et sauvages qui habitent la Germanie entre le Rhin et la Vistule , le Danube et l'Océan , nations presque semblables de langage, mais si différentes d'usages et de mœurs, furent par lui si complètement domptées , qu'il les rendit tri- butaires. Les principales d'entre elles sont les Wélatabes, les Sorabes (2) , les Abodrites et les Bohémiens ; il dut leur faire (t) Le royaume de Pépin , borné au sud-ouest par la Loire, ne compre- nait ni l'Aquitaine ni la Gascogne ; mais, depuis la conquête de la Septima- nic , terminée en 733, il avait en effet pour limite au sud !a mer Baléare, que Ton appelait aussi mer de Marseille ( golfe de Lyon ). Sur les limites de l'empire de Charlemagne, voy. les Éclaircissemenls et observations , tom. I, p. /«OS des Œuvres complètes d'Éginhard publiées pour la Société de rhist. de France. (2; >'ous avons indiqué plus haut ( p. (6, n. 3, et l7, n. \) quels étaicnl les 22 VIE DE LEMPEBELK CHAKLES. la guerre; quant aux autres, dont le nombre est bien plus con- sidérable, il n'eut qua recevoir leur soumission. XVI. Il accrut encore la gloire de son règne en se conciliant l'amitié de plusieurs rois et de plusieurs nations. En effet , il s'attacha par une si étroite alliance Alphonse (l),roi de Galice et des Asturies, que ce prince, en lui envoyant des lettres ou des ambassadeurs, ne voulut jamais qu'on l'appelât auprès de Charles autrement que son homme. Les rois des Scots , gagnés par sa muniflcence, avaient également tant de déférence pour sa volonté, qu'ils ne lui donnaient jamais d'autre nom que celui de seigneur, et se déclaraient ses sujets et ses serfs. Il existe en- core des lettres (2) qu'ils lui adressèrent, et dans lesquelles ils témoignent ainsi de leur affection pour sa personne. Il entretint une si étroite amitié avec Harun, roi de Perse (3), qui, à l'ex- ception de rinde, possédait presque tout l'Orient, que ce prince préférait ses bonnes grâces a l'alliance de tous les rois, de tous les souverains de la terre , et qu'il le regardait comme le seul auquel il dût accorder des marques d'honneur et de munifi- cence. Aussi, lorsque les ambassadeurs que Charles avait en- voyés avec des présents pour visiter le tombeau sacré de notre divin Sauveur et le lieu de la résurrection , se présentèrent de- pays occupés parles AViltzes ou Vélatabes et par les Abodrites. Les Slaves Sorabes habitaient entre l'Elbe et la Sâle. C'étaient encore d'autres Slaves qui occupaient alors la Bohème , entre les sources de l'Elbe et celles de l'Oder. Us avaient succédé dans ce pays à la nation germanique des Mar- conians, qui l'avait elle-même envahi sur la nation gauloise des Boii, dont le nom était resté à la contrée Boii-fiœmum. (i; Alphonse II, dit le Chaste. Sur les relations de Charleraagne avec ce prince, les rois de la Grande-Bretagne, les empereurs de Constantinople elle calife Harun, voyez les Éclaircissements et observations, tom. I, p. 41 1 des Œuvres complètes d'Éginbard publiées pour la Société de l'iiist. de France. '2] Aucune de ces lettres n'est parvenue jusqu'à nous ; mais on a eon- servé quelques-unes des lettres adressées au roi Offa par Charlemagne. Voy. Baluze,!, 193 et 273. 3; Hariin-al-Raschid , calife de Bagdad, le cinc|uième de la race de» Alia-isidc-: . résna de 786 à SfiH. VIE DE LEMPEBKIK CHAULES. 23 >aiU lui et lui exposèrent la volonté de leur niaitre, il ne se content;) pas d'accueillir la demande du roi, mais il voulut en- core lui concéder l'entière propriété de ces lieux consacrés par le mystère de notre rédemption (1); puis, a leur retour, ils lurent accompagnes par des ambassadeurs qu'Harun chargea de présenter à Charles, outre des étoffes, des parfums et autres riches produits de l'Orient, les présents les plus magnifiques. Déjà , peu d'années auparavant , il lui avait envoyé sur sa de- mande le seul éléphant (2) qu'il eût alors. Les empereurs d(^ Constantinople iSicéphore, Michel et Léon, jaloux d'obtenir l'amitié et l'alliance de Charles, le prévinrent en lui envoyant plusieurs ambassades. Ils avaient conçu de vives inquiétudes en le voyant prendre le titre d'empereur, qui semblait annoncer des projets contre leur puissance, ^lais il contracta avec eux une alliance si solide, qu'il ne resta plus entre eux aucun motit de division. En effet , la puissance des Francs a toujours porté ombrage aux Grecs et aux Romains. Aussi existe-t-il un pro- verbe grec qui dit : Aie le Fi-anc pour ami et non pour voisin. XVIL Ce prince, qui se montra si grand pour étendre son empire et dompter les nations étrangères, et qui fut constam- ment occupé de l'exécution de ses vastes desseins , entreprit cependant en divers lieux , pour l'ornement et l'utilité de son royaume, de nombreux travaux, et en termina plusieurs. Parmi ces ouvrages , on peut citer principalement la basilique de la Sainte ^Slère de Dieu, qu'il lit bâtir a Aix-la-Chapelle avec nu art admirable (3) , et un pont de cinq cents pas de longueur (J) Cest probablement de ce passage d'Éginhard, et de ce que dit le moine de St.-Gall sur les relations du calife Harun avec Charlemagne , qu'est venue la tradition . si répandue au moyen âge, d'une ex})é(lifion de ce prince en Orient. (2) Cet éléphant se nommait Abulahas (père de la dévastation). Il fut amené en Italie au mois de juillet 802, et mourut à Lippenheim en 810. ( ÀniKtI. Fivinr. ad ann. 810. dans Kouq.. tom. V, p. 59. c. " .■> Voyez siu- la construction de cette église les anecdotes racontées par 24 VIE DE LEMPEBEUB CHARLF.S coiistniit à Mayence sur le Rhin -, car telle est la largeur du fleuve en cet endroit. Un incendie le consuma un an avant la mort de Charles (1). Le temps lui manqua pour réparer ce dé- sastre , et cependant il y songeait, et voulait employer la pierre au lieu du bois dans cette nouvelle construction. 11 commença deux palais d'un remarquable travail : le premier, non loin de Mayence, près du domaine d'Ingelheim(2); l'autre, à IN'imègue sur le Vahal , fleuve qui longe au midi l'île des Bataves. Mais les édiûces sacrés furent surtout l'objet de ses soins dans toute l'étendue de son royaume (3). Dès qu'il apprenait que ces mo- numents tombaient de vétusté , il enjoignait aux pontifes et aux religieux qui en avaient la garde de les faire restaurer, et délé- guait des commissaires pour veiller à l'exécution de ses ordres. Voulant armer une flotte pour repousser les attaques des Nort- mans (4) , il fit construire des navires sur tous les fleuves qui de la Gaule et de la Germanie vont se jeter dans l'Océan sep- tentrional : et comme les Tsortmans infestaient par leurs conti- U- moine de St.-Gall.f, 50; la Lhronici. de.Moissar, année 79C, et ci-apivs le chap. XXVI. (1) Le moine de St.-Gal , 1, 32, attribue ce désastre à la malveillance de (jnelques misérables qui voulaient se procurer des gains coupables en en- travant la navigation, fraudnlentia quorumdum malevolorum et de na- rium suhjectionc mercedes iniquissimas compilare volentium. L'Ecos- sais Marianus, dans sa Chronique, ann. 813 (dans Bouq., tom. V, p. 370, D. ), prétend que ce fut Ricolf , archevêque de Mayence, qui y fit mettre le feu. Assertion invraisemblable, et tout à fait dénuée de preuves. (2) Ce château était situé à quatre lieues S. O. de Mayence , entre cette ville et celle de Bingen (aujourd'hui dans le grand-duché de Hesse-Darm- stad ). Voyez sa description dans Ermoldus NigeUus, liv. iv, v. 179-281. Voy. encore : Eckhart, Comment, de reh. Franc. Orient., liv. xxv, chap. \%, tom. I, p. 72Ô, et Mabillon , de Re diplomalka , lib. iv, S- 68, p. 287. — Il fut rebâti par l'empereur Frédéric I»^ ainsi que le château de Nimégue (Kadevicus de gcsiis Freder., hv. iv, chap. 76 ). Voyez, sur ce dernier château : Mabillon , de Re d'qdom. , liv. iv, S 104, p. 303. (3; Voyez les dispositions des Capitul. de Francfort, en 794, chap. TA, - de Salz , en 804, chap. i, - d'Aix-la-Chapelle, en 807, chap. 7. (Baloze, tom. I, col. 267, H\-6 et 460. } (4) Voy. le.* Annales ii l'aiin. SI.".. VIE DE I. EMPEREIR CIIARIES 2î> riiiellos incursions les côtes do ces deux pays, sur tous les ports, ;i toutes les emboucliures des fleuves qui pouvaient recevoir des vaisseaux, il établit des stations et des vigies pour leur fermer le passage. Il prit les mêmes précautions au midi sur les côtes de la province Narbonnaise, de la Septimanie et de toute l'Italie jusqu'à Rome, contre les Maures qui commençaient à exercer la piraterie dans ces parages. Aussi, tant qu'il vécut, ni les Maures en Italie, nilesNortmans dans la Gaule ou la Germanie, ne pu- rent causer de graves dommages, si ce n'est cependant que les Maures prirent par trahison et saccagèrent la ville de Civita- Veccliia eu ttrurie , et que les Norlmans pillèrent dans la Frise quelques îles contiguès aux côtes de Germanie. XVIII. Tel se montra Charles pour défendre et pour aug- menter comme pour embellir son royaume. Qu'il me soit permis d'exprimer ici mon admiration pour ses grandes qua- lités , pour son invariable égalité d'ame dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Je vais maintenant raconter les dé- tails de sa vie intérieure et de ses habitudes domestiques. Après la mort de son père, quand il eut partagé le royaume avec son frère Carloman , il supporta si patiemment l'inimitié et la jalousie de ce frère , que ce fut pour tous un sujet d'étonne- ment qu'il ne se laissât pas même aller à un mouvement de co- lère. Dans la suite ayant épousé, à la prière de sa mère, la (il le de Didier (1) , vol des Lombards, il la répudia on ne sait trop pour quels motifs (2) au bout d'un an , et prit pour femme Hildegarde , issue d'une des plus illustres familles de la nation des Suèves. Elle lui donna trois fils, Charles, Pépin et Louis, l\] Elle est appelée Désidérate ou Désirée dans la vie de S. Adalhard. Les historiens la nomment encore Hermangarde. Ce mariage eut lieu en 770. (2) • I! la répudia parce quelle était toujours malade, et inhabile à lui «ioiiiicr lies enfants : » guia esset clinica, et ad ■propagandam proleni hi- lnihilis. \.v moine (Je .St.-CJall, n, 2fi. :< 2C VIE DE L EMPEREUR CHARLES. et autant de filles, Rotrude, Berthe et Gisèle (I). Il eut encore trois autres filles, Théodérade (2), Hiltrude et Ruodhaid, les deux premières de Fastrade , sa troisième femme, qui était de ia nation des Francs- Orientaux , c'est-à-dire des Germains (3), l'autre d'une concubine dont le nom m'échappe pour le mo- ment. Lorsqu'il eut perdu Fastrade , il épousa une Allemande nonfrmée Liutgarde, dont il n'eut pas d'enfants. Après la mort de celle-ci il eut quatre concubines (4), Maltegarde, qui lui donna une fille nommé Rothilde (5) , Gersuinde , d'origine 't; Charles, qui fut depuis rot d'Austrasie, naquit en 772; Rotrude, en 775; Berthe, en 775; Pépin, nommé d'abord Carloman , en 776; Louis, en 778 : et Gisèle, en 781. Charlemagne eut encore d'Hildegarde trois au- tres enfants, dont Éginhard ne parle pas : ce sont : Lothaire, frère jumeau de Louis ; Adhélaîs , née en 774 ; et une autre lille nommée , comme sa mère, Hildegardc. (■2) Théodérade se retira dans le prieuré de N.-D. d' Argenteuil, près de Paris, que lui donna Charlemagne. Voyez dans D. Doublet , Hist. de Pabb. de St.-Denys, liv. m, p. 756, le diplôme qu'elle obtint des empereurs Louis et Lothaire ses neveux , pour que ce prieuré fût , après sa mort , restitué à l'abbaye de St.-Denys. p, Fastrade était fille du comte Rodolphe. Charlemagne l'épousa à Worms en 782. Elle mourut k Francfort-sui-le-Mein en 794, et fut ensevehe ;i Mayence , dans le monastère de Saint- Alban. On a reproché à cette reine un caractère cruel, qui suscita des troubles sérieux dans l'empire. (Voy. ci-après le chap. x\ et les Annal, à l'année 785. ) Le Poète saxon, v. 154 et «iiiv., l'appelle : .... IlfÇfina xed alrn.i\ Ac sa.v\t.m fjulans nnimi Fastrada luinoreni, f^equi n'empêcha pa£fiLl>H CHAUlJiS. 3f X\I. Il aimait les étrangers, et mettait taut de soiu a les bien recevoir (1), que souvent leur nombre s'accrut au point de paraître une charge non-seulement pour le palais , mais même pour le royaume. Quant à lui , il avait l'Ame trop grande pour se trouver incommodé d'un tel fardeau , et il se croyait assez dédommagé de tant d'inconvénients par les louanges qu'on donnait à sa libéralité et l'avantage d'une bonne re- nommée. XXII. Il était gros et robuste de corps ; sa taille (2) était élevée, quoiqu'elle n'excédât pas une juste proportion , car il est certain qu'elle n'avait pas plus de sept fois la longueur de ses pieds. 11 avait le sommet de la tête arrondi , les yeux grands et vifs , le nez un peu long, de beaux cheveux blancs , et la physiono- mie riante et agréable. Aussi régnait-il dans toute sa personne , soit qu'il fùtdcbout, soit qu'il fiit assis, un air de' grandeur et de dignité ; et, quoiqu'il eût le cou gros et court et le ventre proéminent, il était d'ailleurs si bien proportionné, que ces dé- fauts ne s'apercevaient pas. Sa démarche était ferme, et tout son extérieur présentait quelque chose de mâle ; mais sa voix claire ne convenait pas parfaitement à sa taille. Sa santé fut constamment bonne , excepté pendant les quatre années qui précédèrent sa mort. Il eut alors de fréquents accès de fièvre ; il finit même par boiter d'un pied. Dans ce temps de souffrance , il se traitait plutôt à sa fantaisie que d'après les conseils des médecins, qui lui étaient devenus presque odieux , parce qu'ils lui défendaient les rôtis auxquels il était habitué , pour l'as- treindre à ne manger que des viandes bouillies. Il se livrait as- sidûment à l'équitatiou et au plaisir de la chasse. C'était chez (•) Voyez le diap. 73 [de Susrcpl. hospUum] du Capitulaire d'Aix-la- Chapelle en 789, et le chap. 27 [de Hoapitalitale i du 1" Capit. de l'année 802, dans Bdl., toin. I, col. 238 el 370. (2) Voyez Marquardi Freheri de stutuia Carjii Mngui 8, 32 VIE DE LEMPEBEUB CMÀULES. kii uu goût national , car à peine trouverait-on dans toute !a terre un peuple qui pût rivaliser avec les Francs dans ces deux exercices. Les bains d"eaux naturellement chaudes lui plaisaient beaucoup. Passionné pour la natation , il y devint si habile , que personne ne pouvait lui être comparé. C'est pour cela qu'il fit bâtir un palais à Aix-la-Chapelle, et qu'il y demeura cons- tamment pendant les dernières années de sa vie, jusqu'à sa mort(l). Il invitait à prendre le bain avec lui , non-seulement ses fils , mais encore ses amis , les grands de sa cour et quel- quefois même les soldats de sa garde , de sorte que souvent cent personnes et plus se baignaient à la fois. XXIII. Son costume était celui de sa nation , c'est-à-dire le costume des Francs (2). Il portait sur la peau une chemise de lin et des hauts-de-chausses de la même étoffe ; par-dessus, une tunique bordée d'une frange de soie ; aux jambes, des bas serrés avec des bandelettes ; aux pieds, des brodequins. L'hiver, un justaucorps en peau de loutre ou de martre lui couvrait les épaules et la poitrine. Par-dessus tout cela il revêtait une saie bleue, et il était toujours ceint de son épée, dont la poignée et le baudrier étaient d'or ou d'argent. Quelquefois il en portait une enrichie de pierreries, mais ce n'était que dans les fêtes les plus solennelles, ou lorsqu'il avait à recevoir les députés de (1)11 est probable que ce fut la raison iiolitique qui détermina Charle- lemagne , plutôt que ces motifs de convenance , à faire d'Aix-la-Chapelle son séjour habituel et comme la capitale de ses États. Voyez à cet égard les justes observations d'Eichhorn dans son Histoire du droit public de l'Al- lemagne { Deutsche Staats und Rechlsgeschkhle) , tom. I, p. 675. Sur Aix- la-Chapelle, que les historiens contemporains nomment sedes rcgia, sedcs reçini, prima sedes Franciœ, voyez ci-dess. et ci-apr. les chap. xvii et XXVI, et l'hymne rapporté par Mabillon ( de Re diplom . , p. 246 ) : Urbt Jquensis , urbs regalis, Sedes regni principalis , etc. (2) Comparez à cette description du costume de Charlemagne celle que donne le moine de St.-Galljiv. I, chap. 36. Voyez aussi la description du costanic de Bernhard, roi d'Italie, par .1. Puricelh {Monumenta Basilic. Jmbrosiiin. ], rapportée par Ducangc au mot Fasii"la. viK ui; i/empekkur (:ha«i.i;s n:î qucltiiu- ualioii étrangère. Il u'aimait point les costumes des autres peuples, quelque beaux qu'ils fussent, et jamais il ne voulut eu porter, si ce n'est toutefois à Rome, lorsqu'à la de- mande du pape Adrien d'abord, puis à la prière du pape Léon, son successeur, il se laissa revêtir de la longue tunique, de la chlamyde et de la cbaussure des Romains (1). Dans les grandes fêtes 2), ses habits étaient brodés d'or, et ses brodequins ornés de pierres précieuses; une agrafe d'or retenait sa saie, et il marchait ceint d'un diadème étincelant d'or et de pierreries ; mais les autres jours son costume était simple, et différait peu de celui des gens du peuple (3). XXIV. Sa sobriété lui faisait éviter tous les excès de table, surtout ceux de la boisson ; car il détestait l'ivrognerie (4) dans quelque homme que ce fût, et à plus forte raison dans lui- même et dans les siens. Mais il ne lui était pas tellement fa- cile de s'abstenir de manger, qu'il ne se plaignît souvent de l'incommodité que lui causaient les jeûnes. Il était fort rare qu'il donnât de grands festins , exc<^pté aux principales fêtes , et alors il y invitait de nombreux convives. Son repas ordi- naire se composait de quatre mets, sans compter le rôti, qui lui M) Voyez dans Eckhard , Comment, de reh. Franeia orienlalit; , liv. XXV, chap. HO, vol. I, p. 628, la gravure et la description d'nne ancienne miniature représentant Charleinagne en co.stume romain. (2) C'était au jour de ces grandes fêtes, principalement h Noël et à Pâ- ques , que se tenaient les assemblées générales des Francs . ciiriœ solemncs, auxquelles l'empereur devait présider. [ô] Sur la simplicité ordinaire du costume de Charleniagne, voyez l'anec- dote rapportée par le moine de St.-Gall. (4) L'ivrognerie était un penchant national chez les peuples de race ger- manique ( voyez Tacit., Germon., x\ii, 4 ). Aussi les Capitnlaires de Char- lemagne renferment-ils de nombreuses dispositions pour la répression de ce vice grossier. Voyez dans Baluze, tom, I : Capit. III, a. 789, c. 10; Capit. episcoporum , c. t'i; Capit. dat. preshyteris , c. 7; Capit. III, a. 803, c. «5 et 16; Capit. I, a. 810; et Capit. II. a. %\l. Consult. le traité de Pe- lersen intitulé : Geschicte der Teiitschen natiunalneigung zum triink [ Histoire du penchant national des Allemands pour la boisson ), Leips. , I7S2, in-8\ 34 VIK DE l'kMPEBEL'R CU4BLES. était urdinairumeiit apporté daus la broche par les cliasseurs, et dont il mangeait avec plus de plaisir que de toute autre chose. Pendant qu'il était à table, il aimait a entendre un récit ou une lecture , et c'étaient les histoires et les hauts faits des temps passés qu'on lui lisait d'ordinaire. Il prenait aussi grand plaisir aux ouvrages de saint Augustin, et principalement à celui qui a pour titre : De la Cité de Dieu. 11 était si modéré dans l'usage du vin et de toute espèce de boisson, qu'il buvait rarement plus de trois fois dans tout un repas. F-^n été, après le repas du milieu du jour, il prenait quelques fruits , buvait un seul coup, et, quittant ses vêtements et ses brodequins, comme il le faisait pour la nuit , il se reposait pendant deux ou trois heures. Quant au soimiieil de la nuit , il l'interrompait quatre ou cinq fois , non-seulement en se réveillant , mais en quittant sou lit. Pendant qu'il se chaussait et s'habillait, il admettait ses amis ; et si le comte du palais l'avertissait qu'un procès ne pou- vait être ternuné ((ue par sa décision ( 1 ; , il faisait iutroduin; sur-le-champ les parties intéressées, prenait connaissance de la cause, et rendait sou jugement comme s'il eût siégé sur son tri- bunal. Ce n'était pas seulement ces sortes d'affaires qu'il expé- diait a ce moment, mais encore tout ce qu'il y avait à traiter ce jour-la, et les ordres qu'il fallait donner à chacun de ses ministres. XXV. Doue dune éloquence abondante et inépuisable, il exprimait avec clarté tout ce qu'il voulait dire. Peu content de savoir sa langue maternelle, il s'appliqua aussi à l'étude des au- tres idiomes, et particulièrement du latin, qu'il apprit assez bien pour le parler comme sa propre langue : quant au grec , il le comprenait mieux qu'il ue le prononçait. Vax somme, il par- lait avec tant de facilité, qu il paraissait même un peu cau- [i) Celait les contestations de liaule itiipoitance , potenttores catisœ , celles nui s'asitaient intre les év&|ues , les abbés , les comtes et les autres sraiids de Icnipiie. Voyez . dans Baluzf , loin. 1. le cliaiiitre 2 du tioisicinc Capilul. de lannée Ml. VIE DK 1. tMl'ERRlH CHAIU.HS. 35 seur J). Passionné pour les arts libéraux, il ont toujours on grande vénération et combla de toutes sortes dlionneurs ceux qui les enseignaient. T.e diaoro Pierre de Pise (2), qui était iilors dans sa vieillesse, lui donna des leçons de grammaire. Il eut pour maître dans les autrt-s sciences un a\itre diacre, Albin, surnomme Alcuin, ne en Bretagne et d'origine saxonne, rhomme le plus savant de son époque. Le roi consacra beau- coup de temps et de travail à étudier avec lui la rhétorique, la dialectique, et surtout l'astronomie. Il apprit le calcul, et mit tous ses soins à étudier le cours des astres avec autant d'at- tention que de sagacité. 11 essaya aussi d'écrire (3), et il avait toujours sous le chevet de son lit des feuilles et des tablettes pour accoutumer sa main à tracer des caractères lorsqu'il en avait le temps. Mais il réussit peu dans ce travail, qui n'était plus de son âge et qu'il avait commencé trop tard. XXVI. Il pratiqua dans toute sa pureté et avec la plus grande ferveur la religion chrétienne, dont les principes lui avaient été inculqués dés l'enfance. C'est pourquoi il lit construire a Aix-la-Chapelle une magnifique basilique qu'il orna d'or et d'argent, de candélabres, de grilles et de portes d'airain massif, (1) Dans IVJition dos (puvres complètes d'Eginhard, que j'ai publiée en lg4;J pour la Société de l'Histoire de France, j'avais adopté la version de Di- dascalusdounée par I>. Bou(iuet et les autres éditeurs, et traduit cette phrase par : Kn .somme il fwssédait si bien l'art de la parole, qu'il paraisaait mime capable de In professer. Mais je crois i|ue la version Diraciiliis du Ms. de Vienne, et le sens que j adopte ici, sont tiieii préférables. (2) Sur Pierre de Pise et sur Alcuin, voyez les Ohsrrvations et Éclair- eissemenfs, tom. I, p 414. des rruvres complètesd'Éginhard publiées pour la Société del'Hist. de France. (S) Ce passage d'Éginhard a donné lieu à de nombreux commentaires. ( Voyez entre autres : Gaillard, Hist. de Charlemaqne ,x. Ml, p 24?-2HI : Heumann , Meditatio critica super loco exaqitatissimo Eginhardi ; (Teri- tilotti, Digressio de tentaniinibus siribcndi Carolinis, etc.). Il semble rësnlter, des termes mêmes du texte, que Charlemasnc savait écrire; mai.s il est probable qu'il ne put parvenir à acquérir cette fermeté, cette élégance d'écriture en usage de son temps, dont nous possédons encore aujourd'hui dt nombreux modules. 3(i VIE DE L EMPEREUR CHARLES. kl pour laquelle il fit venir de Piome et de Ravenne les mar- bres et les colonnes qu'on ne pouvait se procurer ailleurs (1). Il fréquentait assidûment cette église le soir, le matin, et même pendant la nuit , pour assister aux offices et au saint sacrifice , tant que sa santé le lui permettait. 11 veillait avec sollicitude à ce que rien ne se fit qu'avec la plus grande décence , recom- mandant sans cesse aux gardiens de ne pas souffrir qu'on y portât ou qu'on y laissât rien de malpropre ou d'indigne de la sainteté du lieu. Il la gratifia d'un grand nombre de vases d'or et d'argent, et d'une telle quantité de vêtements sacerdo- taux , que , pour la célébration du service divin , les portiers eux-mêmes, qui sont les derniers dans l'ordre ecclésiastique, n'avaient pas besoin de se vêtir de leurs habits particuliers pour exercer leur ministère. Il introduisit de grandes amélio- rations dans les lectures et la psalmodie (2) , car lui-même y était fort habile, quoique jamais il ne lût en public, et qu'il chantât souk-nient à voix basse et avec le reste des assistants. XXVII. Toujours prêt à secourir les pauvres, ce n'était pas seulement dans son pays et dans son royaume qu'il répandait ces libéralités gratuites que les Grecs appellent aumônes : mais au delà des mers, en Syrie, en Egypte, en Afrique, à Jérusa- lem (3), à Alexandrie, à Carthage, partout où il savait que des (i) Voyez la kttre que lui écrivit à ce sujet le pape Adrien ( Epist. lxvii, cod. Carol., dans Bou(|,, V, o8) ). On ignore la date précise de cette lettre, mais elle est postérieure à l'année 781 . (2) Voyez , dans Baluze, torn. I, col. 239 et 421, le chap. 78 du Capitul. de l'année 789, et le chap. 2 du l" Capitul. de l'année 803. Voyez aussi les Capitulaires relatifs aux écoles palatines , et consultez le moine de St-Gall ( liv. I, passini ), et la Vie de Charleniagne , par le moine d'Angoulème, à Tannée 787 ( U. Bouij., tom. V, p 183 ). (3^ Sur les relations que Cliarlemagne entretint avec Jérusalem , voyez la Chron. de Réginon , les Annal. d'Éginhard à l'ann. 789. et, dans les CEnvres d'Alcuin, la lettre adressée par celui-ci au patriarche Georges •mpial. (xxxxiii, opp., tom. I, p. 243). Voyez aussi, dans Ualuze.t. I, col. 474, le chap. <7du l" Capitul. de l'année 810, df eleemositna mittenda ad Hii-nisahm, propter erclesias Dei reslaitrandas. VIE DE l'kMI'KHEUU CHARLES. ÎH chrétiens vivaiout daus la pauvreté, il compatissait à leur misère, et il aimait à leur envoyer de l'argent. S'il recherchait avec tant de soin l'amitié des rois d'outre-mer, c'était surtout pour procurer aux chrétiens vivant sous leur domination des secours et du soulagement. Entre tous les lieux saints , il avait surtout on grande vénération l'église de l'apôtre Saint-Pierre à Rome, il dépensa des sommes considérables pour les objets d'or et d'argent, et les pierres précieuses, dont il la gratifia. Les papes reçurent aussi de lui de riches et innombrables présents , rt pendant tout son règne il n'eut rien de plus à cœur que de rendre à la ville de Rome son antique prépondérance. Il voulut que l'église de Saint-Pierre fut non-seulement défendue et pro- tégée par lui^ mais qu'au moyen de ses dons elle surpassât en ornements et eu richesses toutes les autres églises (t) ; et cepen- dant, malgré cette prédilection, pendant les quarante-sept an- nées que dura son règne, il ne put s'y rendre que quatre fois (2j pour y faire ses prières et accomplir des vœux. XXVIII. Son dernier voyage ne fut pas seulement décidé par ces motifs de piété : le pape Léon , accablé d'outrages par les Romains , qui lui avaient arraché les yeux et coupé la lan- gue, se vit forcé d'implorer sa protection. Étant donc venu à Rome pour rétablir dans l'Église l'ordre si profondément trou- blé, il y passa tout l'hiver. Ce fut alors qu'il reçut le titre d'em- pereur et d'auguste. Il témoigna d'abord une grande aversion pour cette dignité ; car il afiirmait que , malgré l'importance de la fête, il ne serait pas entré ce jour-là dans l'église, s'il avait pu prévoir les intentions du souverain pontife. Toutefois, cet événement excita la jalousie des empereurs romains (3), qui s'en montrèrent fort irrités ; mais il n'opposa à leurs mauvaises dispositions qu'une grande patience, et, grâce à cette magna- (I) Voyez Anastas., de Fitn roman. Pontif. ( dans Muratori , toin. Ul, part. 1, p. 199;. (2} En 77.'(, 7JH, 787 et 800. (?>) C'est-à-dire, des empereurs grecs. ÉGI.NHARD. 4 38 VIE DE I.EMPEREUR CHAULES. iiimilé qui relevait si fort au-dessus d'eux, il parvint, en leur envoyant de fréquentes ambassades et en leur donnant dans ses lettres le nom de frères, à triompher de leur opiniâtreté. XXIX. Après avoir reçu le titre d'empereur, Charles songea à réformer les lois de son peuple , dans lesquelles il avait re- marqué de nombreuses imperfections. En effet, les Francs «ut deux lois, qui diffèrent beaucoup entre elles dans un grand nombre de points (I). Il conçut la pensée d'y ajouter ce qui leur manquait , d'en retrancher les contradictions, et d'en corriger les vices et les mauvaises applications. Mais ce projet n'aboutit qu'à les augmenter d'un petit nombre de capitulaires qui sont demeurés imparfaits. Cependant il ordonna que toutes les lois non écrites des peuples vivant sous sadomination fussent recueillies et rédigées. Les poèmes antiques et barbares (2) , (1) La loi Saliquc et la loi des Ripuaires. — Ce projet de Charlemagne -il'ainéliorer les lois des peuples soumis à sa domination , se manifeste sur- tout dans le premier capituiaire de l'année 802, Capitula data missis do- minicis. ( Voy. aussi la Chronique de Moissac à la même année.) Outre les additions faites à la loi Salique et à celle des Ripuaires en 803 et 806, il modifia encore par des capitulaires additionnels la loi des Lombards, celles l'ips Bourguignons, des Allemands, et même celle des AVisigoths ; car ou iloit regarder comme une addition à cette dernière loi ledit donné en $\i pro fJispanis, et qui se rapporte aux populations gothiques établies sur le veis.int septentrional des Pyrénées. Les lois non écrites ([ue Charlemagne lit recueillir et rédiger sont celles des Frisons, des Saxons et des Thurln- giens. (Voy. ces lois dansCanciani , Leges Barharorum . ) (2) Ces poèmes populaires , vuljares canlilcnœ, gentilitia carmina , dont l'existence, bien antérieure au rëgne de Charlemagne , est incontes- table, se chantaient ordinairement durant les repas, comme le prouve ce «urieux passage de la vie de S. Ludger ( Alfridus , Fi/a S. Liudgeri, liv. Il, chap. I, dans Pertz , tom. II, p. 412) : « Tandis qu'il était à table avec ses disciples, on lui amena un aveugle, nommé Bernlef, fort aimé du voisinage à cause de sa bonne humeur, et parce qu'il était habile à chanter les gesteset les guerres des anciens rois. » — Ecce illo discumbente ciim discipiilis suis, oblatus est cœcus, vorabulo Demie/, quia vicini.i suis valde diligebatur, co guod esset affabilis et anliquorum actiis r-cs clijpei in vntim conjuncli. » Elle resta dans le trésor impérial à Aix-la Chapelle; mais, en 842, Lothaire, à l'approche de ses frères, la fit enlever avec tout ce qu'il y avait de précieux dans le palais , et la fit couper en morceaux pour distribuer le métal à ses partisans. C'est ce que nous appren- nent les Annales de Saint-Bertin (dans Bouq., VII, 61, A; ouPertz, II) qui la décrivent « comme un disque d'argent d'une grandeur et d'une beauté remarqual)le , sur laquelle brillaient, sculptés en relief et occupant des espaces distincts, la description du globe terrestre, les constellations et les mouvements des diverses planètes » ; disco mirœ magnitudinis ac pulchritiidinis in guo et 07-bis totius descriptio et astrorum consideratio et variits planetarum discursiis, divisis ab invicem spatiis, signis emi- nentioribus sculpta radiabant. 48 VIE DE l'EMPEBEUR CHABLES. " (l'or que l'on a déjà dit être la quatrième, à augmenter le « lot qui devait être réparti entre ses héritiers et disti'ibué « en aumônes (l). Cet acte et les dispositions qu'il renferme " furent faits et réglés en présence des évêques , des abbés « et des comtes qui purent y assister , et dont les noms sui- « vent. Évêques : Hildebald (2) , Riculf (3) , Arnon (4) , Wol- « faire (5) , Bernoin (6) , Laidrad (7) , Jean (8) , Théodulf (9) , « Jessé (10),Heiton (U), Waltgaud (12). Abbés : Friedgis(13), [\) Les éditeurs, et M. Guizot dans sa traduction, commencent ici un nou- veau chapitre; mais cette division est évidemment défectueuse, puisque l'acte continue. Nous avons cru devoir conserver la division adoptée par M. Pertz. (2) Hildebald, archevêque de Cologne de 785 à 818, et archichapelain de Charlemagne. Ce fut lui qui assista l'empereur à son lit de mort, et lui administra les derniers sacrements ; Thégan l'appelle à cette occasion fa- m ilia rissim uin i mpera loris. (oj Riculf , archevêque de Mayence , fondateur du monastère de Saint- Alban, sacré le 4 mars 788, mourut le 9 août %\ô, (4) Arnon , archevêque de Salzbourg , mort le 24 janv. 821 . Voy. Hansiz , Cerman. sacra, II, 97. (5) Wolfaire, archevêque de Reims vers 802, suiv. Marlot, ou seule- ment depuis 808, suiv, le I\ov. Gall. Christ., chancelier de Louis le Dé- bonnaire en 811, mourut le 13 août 816. (6) Bernoin, archevêque de Besançon, mort le 12 août 839, (7) Laidrad , archevêque de Lyon depuis 798 ; il avait été bibliothécaire de Charlemagne. (8) Jean , archevêque d'Arles , mourut en 819, suiv, Saxius, (9) Théodulf, évéque d'Orléans dés 788, mourut le 18 septembre 821 . Sur la vie politique et sur les écrits de ce prélat célèbre, voyez I\ova Gall. Christ.; Duchesne , Hisl. Franc, 111,336; Hist. littéraire de la Fr., IV, 439; et Guizot, Hist. de la Civilisai. ,11, 21. (10) Jessé, évêque d'.Vmiens dés 799, prit dans la suite, ainsi que Théo- dulf , une part active aux troubles qui agitèrent le règne de Louis le Dé- bonnaire , et mourut en Italie , où il s'était réfugié, au commencement de septembre 836. (1 1) Heiton, évêque de Bâle, et abbé de Reichnaw ( Augia Dives), mourut dans ce monastère en 836, (12) Waltgaud , évêque de Liège en 810, mort le 3 avril, vers l'an 836. C13) Friedgis, abbé de Saint-Marlin de Tours et de Cormery , successeur d'Alcuin vers 804, VIE I>E LEMIERKUR CHARLES. 49 • Adalung(l), Augilbert (2), Irminon (3). Comtes : Wala- « l'hon (4) , Mcginhcr, Othulf , Etienne, Unroch, Burchard , « Meginhard , Hatton , Riclnviu , Édon , Ercangaire , Gérold , " Béro , Hildiger, Rocculf. » Après la mort de Charles, son fils Louis, qui , par la volonté de Dieu , lui succéda sur le trône , prit connaissance de cet écrit , et fit accomplir le plus promptement possible, et avec un soin religieux , toutes les dispositions qu'il contenait. (1) Adalung , abbé de Saint-Waast d'Arras, prit, dans la suite, parti Dour Louis le Débonnaire contre Lothaire. Les auteurs du Gall. Christ, (f* édit. ) placent sa mort en 830; la Chroniq. du monastère de Saint-Amand, en 837. (2) Angill)ert, abbé de Saint-Riquier en Ponthieu, qui prit le pseudonyme d'Homère dans Técole palatine, fut d'abord primicier du palais de Pépin, roi d'Italie, duc de la France maritime , secrétaire et premier ministre de Cliarlemagne. Elevé à la cour, il forma une liaison secrète avec une des liUcs de rem|)ereur, Berthe, dont il eut deux fils naturels, Ilarnid et l'his- torien Silhard. Charleraagne consentit plus tard à légitimer cette union. Ce fut en 790, à la suite d'un vœu fait pendant une maladie , qu'Angilbert se retira dans le monastère de Saint-Riquier, du consentement de sa femme, qui prit le voile en même temps. Il fut élu abbé vers 793, et mourut le ii janvier 814. Voyez i'Hist lilt. de la France , IV, 414. (3) Irminon , abbé de Saint-Germain-des-Prés , mourut antérieurement à 829, assez probablement le 30 avril 826. (4) Walaciion, ou Wala, frère consanguin de saint Adalhard , abbé de Corbie, et parent de Cbarlemagne par son père, embrassa plus tard la vie monastique, succéda à son frère en 826, et mourut le 12 septembre 836. Voyez dans les .4c/a SS. ord.S.Beiicdict., part.i.ssec. iv, p. 464; dansBouq., VI, 279; et dans Pertz , I, sa vie composée par Pascbasius Radbertus. ANNALES DES FRANCS DE L'ANNÉE 741 A L'ANNEE 829. ANNALES DES FRANCS. PÉPIN ET CARLOMAN. 7 Al. En cette année mourut (1) Charles , maire du palais, lais- sant pour héritiers trois fils, Carlonian , Pépin et Grifou : Gri- fon , le plus jeune , avait pour mère Suanildis , nièce d'O- dillon, duc des Bavarois (2). Elle fit naître en lui, par ses méchants conseils , l'espérance de se rendre maître de tout le royaume , au point qu'il s'empara sur-le-champ de la cité de Laon, et déclara la guerre à ses frères. Ceux-ci rassemblent promptement une armée , assiègent Laon , acceptent la capi- tulation de Grifon , et songent ensuite à organiser le royaume et les provinces, et à recouvrer tout ce qui , après la mort de leur père , s'était séparé de la confédération des Francs. Au moment d'entreprendre une expédition lointaine, ils voulurent assurer la paix intérieure de leurs États. Carloman s'assura donc de Grifon en le faisant enfermer à ISeufchâteau (3), près de la forêt des Ardennes ; et il paraît qu'il le retint dans cette prison jusqu'au moment où lui-même partit pour Rome. 742. Carloman et Pépin, maîtres du royaume des Francs, vou- lant d'abord recouvrer l'Aquitaine sur Hunold, duc de cette (J)Le 22 octobre, à l'âge e frère de Carloman et de Pépin, Grifon , ne voulant point rester le sujet de son frère Pépin , quoiqu'il pût vi\Te sous lui honorablement , réunit quelques troupes et s'enfuit eu Saxe. Là , il rassembla une armée de Saxons , et vint camper sur le fleuve Ocker, au lieu nommé Orheim (I). Pépin, à la tête des Francs , prit son chemin par la Thuringe , entra en Saxe pour s'opposer aux mauvais desseins de sou frère , et s'arrêta sur le fleuve Missaha , au lieu appelé Skahningen (2). Cepen- dant il n'y eut point de combat livré , et ils s'éloignèrent vo- lontairement. 749. Grifon , se déliant du dévouement des Saxons , gagna la Bavière , et, à l'aide des troupes nombreuses qui lui arrivaient du paj's des Francs , se rendit maître de ce duché , reçut la soumission de Tassillon et d'Hiltrude , et se réunit à Swithgerj qui lui amenait des secours. Dès que ces événements parvin- rent à la connaissance de Pépin , il partit pour la Bavière à la tête d'une puissante armée , fit prisonnier son frère Gri* fou et tous ceux qui étaient avee fui ou qui étaient venus le joindre , et rétablit Tassillon dans son duché. De retour dans ses États, il donna à Grifon douze comtés , apanage ordinaire des ducs. Mais celui-ci ne se trouva pas content d'un tel bien- fait, car, la même année, il s'enfuit auprès de Waifre, duc d'A* quitaine. (1) Aujourd'hui Orem , sur l'Ocker , au-dessus de Wolfenbuttel , dans lo Hanovre, sur la limite du duehé de Brunswick. (2) SthoTiinsen, sur la petite rivière deMeissau , dans le duché de Bruni wick, -p PÉPIN. 57 7S0 (1). Burchard , évêque do Wurtzbourg , et Foirad , prêtre cha- pelain, furent envoyés à Rome vers le pape Zacharie pour consulter le pontife au sujet des rois qui existaient alors chez les Francs, et qui portaient seulement le nom de roi, sans jouir en rien de l'autorité royale. Ce pape les chargea de répoudre qu'il valait mieux donner le titre de roi, à celui qui exerçait la puissance souveraine , et accorda son autorisation pour que Pépin fût établi roi des Francs. 7Si. En cette année , conformément à la sanction du pontife de Rome, Pépin fut appelé roi des Francs; et, pour être rendu plus digne de cet honneur, il reçut l'onction sacrée des mains de Boniface , de sainte mémoire, archevêque et martyr ; puis, suivant la coutume des Francs , il fut élevé sur le trône dans la ville de Soissons. Quant à Childéric , qui portait un vain titre de roi , on lui coupa les cheveux , et on le relégua dans un monastère. 732. 735. Cette année , le roi Pépin entra en Saxe avec une armée nombreuse. Après lui avoir opposé une résistance opiniâtre, les Saxons vaincus furent refoulés ; et il parvint jusqu'au lieu que l'on appelle Relime (2) , situé sur le Weser. Dans cette expédition , l'archevêque Hildigaire (3) fut tué sur une mon- tagne nommée Iburg (4). Coname le roi revenait de la Saxe, ou (1) Pour cette année et l'année suivante, corapar. Annales Lauriss. minores. Pertz, I, 116. (2) Relinie, sur le Weser, au-dessus de Minden. (5) Hildigaire , arclievêiiuc de Cologne. (4) Dans la principauté d'Osnabru(k ( Hanovre). 58 PÉPIN. lui annonça que son frère Grifon avait péri , et il apprit en même temps quel était l'auteur et quelles étaient les circon- stances de cette mort (1). Cette même année (2), le pape Etienne \int trouver Pépin à Quierzy (3), pour lui demander de protéger sa personne et l'Église romaine contre les attaques des Lombards. Le frère du roi , Carloman , qui s'était fait moine , y vint aussi par ordre de son abbé , pour combattre auprès de son frère les sollicitations du pape. On pense ce- pendant qu'il ne le fit qu'à regret , car il n'osait pas mépri- ser la volonté de son abbé , et, d'autre part , son abbé n'osait pas résister aux ordres du roi des Lombards , qui lui avait prescrit cette démarche. 7S4. Le pape Etienne , après avoir reçu du roi l'assurance qu'il prendrait la défense de l'Église romaine , le consacra avec l'huile sainte pour honorer en lui la dignité royale; il consacra en même temps les deux fils du roi, Charles et Carloman, et passa en France tout l'hiver. Cette même année, Boniface, archevê- que de Mayence, prêchant en Frise la parole de Dieu, fut mas- sacré parles païens, et reçut ainsi la couronne du martyre (4). 7S3. Sur l'incitation et les prières du pontife romain , Pépin entre en Italie avec une puissante armée , pour exiger les répara- tions dues à l'Église de Saint-Pierre. La résistance des Lom- bards , qui voulurent défendre les portes de l'Italie, obligea de (t) Grifon, fuyant chez les Lombards, fut tué près de Saint-Jean-tle- Manrienne, dans un combat contre Thédouin, comte de Vienne, et Frédéric comte de la Bourgogne transjurane. (2) Ce fait appartient à l'année suivante. (3) Quierzy, sur l'Oise, dans l'Ile-de-Fr., à 8 lieues O. de Laon ( Aisne ). (4) Cet événement doit être reporté à l'année suivante. Voy. Mabiilon, Ann. Bened., a. 753. PÉPIN. 59 livrer dans ces défilés des combats opiniâtres. ÎNIais ils finirent par céder, et toutes les troupes des Francs traversèrent les montagnes sans beaucoup de peine, malgré les difficultés de la route. Astolphe , roi des Lombards , n'ayant pas osé en venir aux mains, fut assiégé par Pépin dans la cité de Pavie; et ce prince ne consentit à lever le siège qu'après avoir reçu qua- rante otages pour garantie que tout ce qui avait été enlevé à l'Église romaine lui serait restitué. Les quarante otages ayant été livrés et les promesses affirmées par serment , Pépin reprit le chemin de ses États, et renvoya à Rome le pape Etienne avec le prêtre chapelain Fulrad et un corps de Francs assez consi- dérable. Avant que le roi fut revenu d'Italie , le moine Carlo- man , son frère , qui s'était arrêté dans la cité de Vienne avec la reine Bertrade , y fut saisi de la Cè\Te, et mourut (1). Son corps fut , par l'ordre du roi , transporté dans le monastère de Saint-Benoît, où il avait pris l'habit monastique. 7S6. Astolphe, roi des Lombards, bien qu'il eût donné des otages Tannée précédente , et qu'il se fût engagé par serment , ainsi que les grands de son royaume, à restituer ce qu'il avait enlevé à l'Église romaine, ne remplit aucun de ses engagements. Pépin entre donc une seconde fois en Italie avec une armée ; il as- siège Astolphe , qui s'était encore renfermé dans la cité de Pavie , et le force par là à l'accomplissement de ses promesses. Il se fit rendre Ravenne , la Pentapole et tout l'exarchat de Ra- venne, pour en faire don à saint Pierre ; puis il revint dans la Gaule. Après son départ, Astolphe se mit à chercher dans sa tête de nouveaux moyens , non pas tant de ne pas exécuter les promesses qu'il avait faites , que de revenir, à force de ruse, [i] La mort de Carloman doit être reportée à l'année précédente. Il mourut la veille des nones de décembre ( 4 décemb. ) 754, suivant le né- crologe de Flavigny. (Voyez Eckhart, Comment., l, 532.) 60 PÉPFN. sur ce qui avait été exécuté ; mais il fit à la chasse une chute de cheval , et la maladie dont il fut attaqué à la suite de cet ac- cident le conduisit en peu de jours au tombeau. Didier, qui était son connétable , lui succéda sur le trône. 737. L'empereur Constantin envoya au roi Pépin un grand noml)re de présents , et entre autres un orgue. Ces présents lui furent apportés dans son domaine de Compiègne, où il tenait alors l'as- semblée générale des Francs. Tassillon, duc des Bavarois, avec les principaux de sa nation, y vint aussi. Suivant la coutume des Francs , il prêta serment comme vassal entre les mains du roi, et promit fidélité tant à ce prince qu'à ses ûls Charles et Car- loman , en jurant sur les reliques de saint Denys. Ce serment fut renouvelé sur les corps de saint Martin et de saint Germain, et il promit , dans les mêmes termes , de servir fidèlement ses maîtres pendant tous les jours de sa vie. De même tous les chefs et tous les anciens parmi les Bavarois , qui se trouvaient avec lui en présence de Pépin, jurèrent dans ces saints lieux de garder fidélité à ce prince et à ses fils. 738. Le roi Pépin envahit la Saxe avec une armée. Malgré la coi>- rageuse résistance des Saxons et leurs efforts pour défendre les points qu'ils avaient fortifiés , il attaque leurs postes , les cul- bute, et pénètre à travers les retranchements par lesquels ils s'efforçaient de lui fermer l'entrée de leur pays, i Après avoir livré çà et là des combats dans lesquels périt une grande multi- tude de Saxons, il les força de promettre qu'ils se soumettraient à sa domination, et que chaque année, pour lui faire honneur, ils enverraient à l'assemblée générale des Francs un présent de trois cents chevaux. Ces conventions une fois réglées, il voulut, pour en assurer l'exécution , les placer, sous la sauvegarde des PÉPIN. t)< rites particuliiTS aux Saxons ; puis il revint dans la Gaule avec son armée. 739. Il naquit un fils au roi, qui voulut qu'on l'appelât de son nom Pépin. Mais cet enfant lui fut enlevé par une mort prématurée, trois ans après sa naissance. Cette année , le roi célébra la Na- tivité du Seigneur à Longlare (1), et la Pâque à Jupille (2). Il ne sortit point des frontières de son royaume. 760. Waifre, duc d'Aquitaine, retenait certains domaines qui ap- partenaient à des églises établies sous la protection de Pépin , et refusait de les rendre aux vénérables recteurs de ces saints lieux, sans même daigner entendre les avertissements que le roi lui adressait par ses députés. Son obstination lui attira la guerre. Pépin rassembla des troupes de tous côtés, et entra en Aquitaine, déclarant qu'il saurait faire rendre aux églises, par la force des armes, les biens qui leur appartenaient, et tous les droits qui leur étaient dus. Mais ce prince s'étant arrêté dans le lieu nommé Doué (3), pour y placer son camp, Waifre, qui n'osait pas risquer une bataille, lui envoya des députés, et promit de se soumettre a ses ordres, de rétablir les églises dans tous leurs droits, et de livrer les otages qu'on lui désignerait. Il donna même deux des principaux de sa nation , Adalgarius et Ithérius ; et par cette démarche il apaisa si bien la colère du roi, (0 Ce château royal était probablement situé dans l'endroit qui porte aujourd'hui par abréviation le nom de Glaire , à une demi-lieue N.-O. de Sedan , sur la rive gauche de la Meuse ( Ardennes ). (2) Jupille, sur la rive droite de la Meuse, à 1 Ueue E. de Liège , aujour- d'hui bourg de la province de Liège ( Belgique ). (3) Doué , petite ville de l'Anjou, située près de la Loire, à 4 lieues S. O. «le Saumur. On y voit encore des ruines romaines, et les restes d'un ancien château des ducs d'Aquitaine (Maine-et-Loire). 62 PÉPIN. que ce prhice renonça sur-le-champ à lui faire la guerre. Pépin, après avoir reçu les otages , comme garants des promesses qui lui avaient été faites , s'abstint de toute hostilité , rentra dans ses États, congédia son armée, et passa l'hiver dans sa terre de Quierzy, oiî il célébra les fêtes de Noël et de Pâques. 761. Cependant le duc Waifre, malgré les otages qu'il avait donnés et les serments qu'il avait faits , jugea plus à propos de tirer vengeance de la guerre dont il avait eu à souffrir l'année précédente, et fit avancer jusqu'à la cité de Châlons son armée, pour qu'elle ravageât les possessions des Francs. Dès que le roi Pépin, qui tenait alors l'assemblée générale dans sa terre de Duren (1) , apprit cette nouvelle, il se hâta de rassembler des troupes de tous côtés ; et étant entré en Aquitaine avec des forces considérables , il s'empara de plusieurs villes et châteaux , dont les principaux furent Bourbon, Chantelle et Clermont (2). Quel- ques-uns se rendirent volontairement au vainqueur, et sur- tout les châteaux d'Auvergne, qui souffraient le plus de la guerre. Cependant le roi , après avoir ravagé par le fer et le feu tout ce qu'il trouva hors des villes fortifiées , et s'être avancé jusqu'à la cité de Limoges , revint sur ses pas , et alla passer l'hiver dans sa terre de Quierzy, où il célébra les fêtes de Noël et de Pâques. Dans cette expédition , Pépin fut accompagné par Charles, son fils aîné, qui recueillit après la mort de son père la totalité de l'empire. 762. Le roi Pépin désirant terminer la guerre qu'il avait entre- prise, entra de nouveau dans la province d'Aquitaine avec des {{) Durcn ou Doren, sur la Roër, à G lieues E. d'Aix-la-Chapelle, entre «eue ville et Cologrie (Province Rhénane, Prusse). (2) Bourbon-l'Archambault et Chantelle-le-Château, dans le Bourbonnais { Allier) ; Clermont-Ferrand, en Auvergne ( Puy-de-Dôinc ). PÉPIN. 63 troupes nombreuses ; et , après s'être emparé de la cité de ■ Bourges et du château de Thouars (l) , il se retira et viut passer l'hiver dans son domaine de Geutilly (2) , oii il célébra les fêtes de Noël et la solennité de Pâques. 763. Au retour de la saison favorable , le roi tint une assemblée à Nevers ; puis, après avoir réuni des troupes de tous côtés , il marcha de nouveau sur l'Aquitaine, et, ravageant par le fer et le leu tout ce qui était en dehors des villes fortifiées, il parvint jusqu'à la cité de Cahors. Il ramena ensuite dans ses États son armée tout entière, en prenant sa route par Limoges. Ce fut alors que Tassillon, duc de Bavière , feignant par ruse d'être tombé ma- lade , abandonna l'expédition pour retourner dans son pays : là , s'étant affermi dans la résolution de se rendre indépen- dant , il fit le serment de ne plus jamais paraître en présence du roi. — Pépin , après avoir congédié son armée , s'arrêta à Longlare pour y passer l'hiver, et ce fut là qu'il célébra les fêtes de Noël et de Pâques. Il y eut cette année un hiver si dur et si rigoureux, qu'il semble ne pouvoir être comparé, pour la violence du froid, à aucun hiver des années précédentes. 764. Cependant le roi Pépin , dont l'activité se partageait entre les deux guerres qu'il avait maintenant à conduire , celle d'A- quitaine déjà commencée , et celle de Bavière qu'il lui fallait entreprendre à cause de la défection du duc Tassillon , réunit dans la cité de Worms l'assemblée générale de son peuple. Mais l'expédition ayant été remise à un autre temps , il resta cette année dans ses États , et passa l'hiver dans son domaine (!) Thouars, à 7 lieues N. E. de Bressuire ( Deux-Sùvres, ancien Poitou}, (2) Geutilly, près de Paris ( Seine ). 54 PÉPIN, de Quierzy, où il célébra la jNativité du Seigneur et le saint jour de Pâques. La même année, une éclipse de soleil eut lieu le 2 des noues de juin , à la sixième heure du jour (1). 76S. Le roi se tint chez lui toute cette année ; et quoique la guerre d'Aquitaine ne fût point encore terminée , il ne sortit pas de ses États. 11 convoqua l'assemblée générale de son peuple dans sa terre d'Attigny, et passa l'hiver à Aix', où il célébra les so- lennités de Noël et de Pâques. 7GG. Pépin , après avoir tenu l'assemblée à Orléans pour terminer la guerre d'Aquitaine, se dirigea vers cette province, releva le château d'Argenton (2) que Waifre avait détruit , y établit une garnison , ainsi que dans la cité de Bourges , et se retira. Il célébra les fêtes de Noël à Samoussy (3) , et c-lles de Pâques à Gentilly. 767. Une controverse touchant la sainte Trinité et les images des saints s'était élevée entre l'Église d'Orient et celle d'Occi- dent , c'est-à-dire entre les Grecs et les Latins. Le roi convoqua une assemblée dans sa terre de Gentilly, et y fit traiter cette question par un synode. Cela fait, il se mit en marche après les fêtes de Noël pour aller terminer la guerre d'Aquitaine. Il prit (t) Le 4 juin. Cette éclipse commença lorsque l'on compte à Paris onze heures du matin, et fut visible en Europe, en Afrique et dans l'Asie occi- dentale. 11 y eut encore cette année deus autres éclipses : une éclipse de lune, le 18 juin, et une éclipse de soleil, le 28 novembre. Voyez la chrono- logie des éclipses par Pingre , dans i'Arl de vérifier les dates , I, 66. (2) Argenton, sur la Creuse, à 6 lieues S. S. O. de Châteauroux f Indrr, - Berry ). (3) Samoussy en Laonnais, à 2 lieues E. de Laon \ Aisne |. SU route par INarbouue , vint assiéger Toulouse dout il s'em- para , et reçut la souinissioii de l'Albigeois et du Gévaudan, De retour à Vienne , il y célébra les fêtes de Pâques, fit reposer sou année, et repartit au mois d'août, comme l'été lirait vers sa lin , pour achever la guerre d'Aquitaine. Arrivé à Bourges , il y tiut une assemblée eu plein air, suivant la coutume des Francs. Il s'avança ensuite jusqu'à la Garonne, et s'empara d'un grand nombre de châteaux , de rochers et de cavernes , dans lesquelles s'étaient retranchées beaucoup de bandes en- nemies. Les principaux de ces châteaux étaient Scorailles , Tu- renne et Peyrusse (1). De retour à Bourges , il renvoya l'armée dans ses quartiers d'hiver; et s'étant arrêté dans cette ville, il y célébra les fêtes de Noël. Cette année, le pape Paul mourut; et ce fut à Bourges que le roi reçut la nouvelle de sa niort. T66. Dès que le roi vit que la saison était favorable pour entrer en campagne , il rassembla de toutes parts ses troupes , et se dirigea vers la cité de Saintes. Pendant la route il fit prison- nier Remistan (2^; et lorsqu'il fut arrivé à Saiutes, ou amena en sa présence la mère, la sœur et les nièces du duc AVaifre. Après les avoir accueillies avec bienveillance , il ordonna qu'elles fussent honorablement gardées , et s'avança vers la Garonne. Là , dans le lieu que l'on nomme Monts (3) , Érowic viut à sa rencontre avec l'autre sœur du duc Vv'aifre , et se remit avec elle entre les mains du roi. Après quelques succès, le roi re- (1) Scorailles ou Escorailles, en Auvergne , à 1 lieue S. de Mauriac (Can- tal); Turenne, dans le Limousin, à 2 lieues et demie S. de Brives (Corrèzc ) ; Peyrusse , dans le Rouergue ( .^veyron ) , sur une nionlagnc baignée par la niége, à ^lieues N. N. E. de Villefranche. [2) Homistan, oncle du duc Waifre. Péiiin, auiiuel trois ans auparavant il avait juré tidclité, punit son nian^iue de foi en le faisant pcnJrc imnic» diatenient. et (5) C'est probablement le lieu ap|)eîé aujourd'hui .Mous on Monts , dans !/iJ, dans le Berry ( Indre), ou plutôt Selles en Berry, sur le Cher, Cella Bilimrjuvi, Cella S. Eusicii ( Loir-et-Cher). M. Pertz fait observer avec raison que l'orthographe du mot Sels ne s'accorde pas avec Tétymologie de ces deux noms de lieux , Cella. Cependant, comme Pépin passa toute cette année dans le midi de la Gaule, il n'est pas possible d'admettre qu'Éginhard ait voulu parler du château de Seltz en Alsace. CHARLES ET CARLOMAN. 769. Les deux frères succédèrent à leur père , et se partagèrent le royaume. Cependant l'Aquitaine , qui se trouvait dans le lot de Charles , l'aîné des deux frères , agitée par les restes de la dernière guerre , ne put demeurer en repos. Un certain Hu- nold (1), voulant s'emparer de la royauté, excita les esprits des habitants de ce pays à de nouvelles révoltes. Charles , à qui , comme nous l'avons dit , cette province était échue , s'avança contre lui en personne. Mais ne pouvant obtenir de secours de son frère , qui était empêché de lui en fournir par les mauvais conseils des seigneurs qui l'entouraient, il n'eut avec ce prince qu'une entrevue dans le lieu appelé Duas Dives (2) ; et, laissant Carloman retourner dans ses États, il se rendit à ADgoulême, l'une des villes de l'Aquitaine. Delà, après avoir réuni des trou- pes de toutes parts, il se mit à la poursuite d'Hunold, et peu s'en fallut qu'il ne le fit prisonnier. Mais la connaissance que celui-ci avait des lieux, lui permit de se dérober à l'armée du roi; et, s' étant échappé, il quitta l'Aquitaine pour gagner la Gascogne, persuadé qu'il y trouverait un asile sûr. Loup était alors duc des Gascons : Hunold n'hésita point à se remettre entre ses mains. Mais le roi envoya à Loup une ambassade pour lui ordonner délivrer le fugitif, lui faisant savoir que, s'il n'ob- tenait point cette satisfaction, il allait envahir la Gascogne, et qu'il n'en sortirait qu'après l'avoir forcé à l'obéissance. Loup, épouvanté des menaces du roi , livTa sans retard Hunold et sa (!) Sur Hunold, père de Waifre, voyez la Fie de Charlemagne, p. 7, note 2. (2) On ne sait pas quel est ce lieu ; mais il était probablement situé au delà du Rhin, dans les États de Carloman. 88 CHAULES ET CAHLOMAN. femme (1), et promit, en outre, d'exécuter tout ce qui lui se- rait commandé. Cependant le roi , en attendant le retour de ses députés , avait fait élever près de la Dordogne un château qui fut nommé Fronsac. Après le retour des députés qui ra- menaient Hunold, et lorsque la construction de ce château fut achevée, tl regagna ses États, et célébra la solennité de Noël à Duren, et la Pâque à Saint-Lambert, dans la ville de Liège. 770. Le roi Charles tint l'assemblée générale de son peuple dans la cité de Worms. Cependant Bertrade, la mère des deux rois, après avoir eu une entrevue à Seltz (2) avec Carloman, son plus jeune fils, pour maintenir la paix, se rendit ensuite en Italie ; puis j quand elle eut accompli le vœu qui avait donné lieu à son voyage, et adoré à Rome le temple des saints Apôtres, elle revint en Gaule auprès de ses fils. Le roi Charles célébra cette année la solennité de Noël à Mayence , et la sainte Pâque dans son château d'Héristal (3). (1) Voyez Fie de Charlemagne, p. 8, note 1 . (2) Seltz , en Alsace, province qui faisait partie des États de Carloman , et non pas Saluées en Piémont , comme l'ont pensé queliiues historiens. Berthe, qui voulait amener entre ses deux fils une réconciliation, fit venir Carloman à Seltz pour le rapprocher de Charles, qui était alors à Worms. Elle prit ensuite sa route par la Bavière, pour se rendre en Italie, où eUe négocia le mariage de Charles avec la fille de Didier, roi des Lombards. Mais il nous semble résulter des termes mêmes du texte que le principal but de son voyage était le maintien de la paix entre ses deux (ils, et que par conséquent il faut placer la virgule après les mots pacis causa, et les faire rapporter aux conférences que Berthe eut à Seltz avec ses lils , et non pas à son voyage en Italie. ( Voyez Eckbart, Comrn., I, 606. ) (3) Héristal, sur la Meuse , à \ heue S. E. de Liège. Sur ce palais , célèbre sous les rois de la 2<^ race, voyez Mabillon, De rc dip(om.,l\v. iv. CiJAKLlîS. 771. Après avoir tenu, suivant la coutume, l'assemblée générale, qu'il convoqua cette année à Valencienncs sur lEscaut , le roi Charles revint en Gaule passer l'hiver. Il y était déjà depuis quelque temps , lorsque sou frère Carloman mourut dans sou domaine de Samoucy, la veille des nones de décembre. Le roi , songeant alors à s'emparer du royaume tout entier, se rendit à Corbény(l). Il reçut dans cette ville Wilharius, évêque de Sion , le prêtre Fulrad, et plusieurs autres prélats , comtes et grands officiers de son frère , parmi lesquels on remarquait surtout Warin et Adalhard (2). Quant à la femme et aux fils de Carloman, ils étaient partis pour l'Italie avec ime partie des grands de sa cour. Le roi fit peu d'attention à leur voyage , qu'il regardait comme sans importance. Cette année, il célébra les fêtes de Psoël à Attigny, et celles de Pâques à Héristal. 772, Le pape Etienne mourut à Rome, et Adrien lui succéda sur le trône pontifical. Cependant le roi Charles, après avoir con- voqué à Worms l'assemblée générale , prit la résolution d'aller porter la guerre dans la Saxe. Il l'envahit sans délai, la rava - (\) Corhêny en taonnais, à 4 lieues S. E. de Laon ( .\isne ) , et non Car- bonac dans les Ardennes. Carbonac , indiqué par M. de Sismondi ( flist. des Fr., II, 232), n'a même jamais existé; c'est une erreur du Dictionnaire deBandrand, \'^ édit. (2) Adalhard, ([ui fut depuis abbé de Corbie et canonisé, était fils de Ber- nard, frère naturel du roi Pépin. Il prit sous Louis le Débonnaire lUie grande part aux trouljlcs du royauiii<;. ( Voy. dans Pertz, I, et dans Bou- quet VI, sa Vie par Pascbasius Uadhcilu-i. , 70 CHARLES. gea par le fer et le feu, s'empara du château d'Eresburg (1) , et renversa l'idole que les Saxons nommaient Irminsul. Il s'é- tait arrêté depuis trois jours dans ce lieu pour assister à la des- truction de Tidole ; et, comme le beau temps durait sans in- terruption, il en résulta que les ruisseaux et les sources des en- wons furent mis à sec, et qu'il devint impossible de trouver à boire. Mais, pour que l'armée ne fût pas davantage tourmentée par la soif, il advint, sans doute par la volonté de Dieu , qu'un jour, sur l'heure de midi, comme tout le monde reposait, sui- vant la coutume', une immense quantité d'eau jaillit dans le lit creux d'un torrent (2), auprès d'une montagne qui touchait au camp, et put suffire aux besoins de toute l'armée. Alors, après avoir détruit l'idole , il s'approcha du Weser, oii il reçut des Saxons douze otages. 11 revint ensuite dans le pays des Francs, et célébra dans sa terre d'Héristal les fêtes de Noël et de Pâques. 773. Le pape Adrien , ne pouvant plus supporter la tyrannie de Didier et des Lombards , résolut d'envoyer vers Charles , roi des Francs , une ambassade, pour prier ce prince de le protéger ainsi que les Romains contre les Lombards. Mais comme il n'était pas possible de faire le voyage par terre en traversant l'Italie , celui qu'il avait chargé de cette mission , le nommé Pierre, s'embarqua à Rome, vmt par mer jusqu'à Marseille, et gagna ensuite par terre le pays des Francs. Il rencontra le roi à Thionville, où ce prince avait passé l'hiver; et, après lui avoir exposé l'objet de sa mission, il retourna à Rome par le même chemin qu'il avait pris en venant. Le roi réfléchit avec atten- tion sur ce qui se passait entre les Romains et les Lombards , H) Àujoord'h'ui Stadtberg, petite ville de la régence d'Amsberg CPrusse\ à C lieues S. de Paderborn. ' (2) Ce torrent est situé près du bourg d'Oldenbeke, non loin des sources (le la Lippe. La fontaine jaillissante porte aujourd'hui le nom de der Util- lerborn. CHARLES. 71 et, persuade qu'il devait entreprendre la guerre pour protéger les Romains contre leurs oppresseurs, il se rendit avec toutes les forces des Francs à Genève , cité de la Bourgogne , située sur le Rhône. Là, il prit ses mesures pour commencer les hosti- lités; et, après avoir divisé en deux corps les troupes qu'il avait amenées , il donna l'ordre à son oncle Bernard d'en conduire une partie par le mont Jou (1), et lui-même, à la tête de l'autre, marcha sur l'Italie par le mont Cénis. Les Alpes furent fran- chies. Le roi Didier fit alors de vains efforts pour résister ; il fut mis en fuite , et Charles vint l'assiéger dans la ville de Pa- vie , où il se renferma. Le siège de cette ville offrait tant de difficultés , qu'il força les Francs d'y passer tout l'hiver dans les travaux les plus pénibles. 774. Tandis que ces choses se passaient en Italie, les Saxons, croyant trouver dans l'absence du roi l'occasion la plus fa- vorable, ravagèrent par le fer et le feu le territoire des Hessois, leurs voisins. Comme ils travaillaient à incendier la basilique consacrée par saint Boniface martyr dans le lieu appelé main- tenant par les habitants Fritzlar (2) , et qu'ils s'épuisaient en vains efforts pour effectuer leur projet , Dieu les frappa d'une terreur panique, et aussitôt, tout tremblants de peur, ils prirent honteusement la fuite pour regagner leur pays. Cependant le roi, laissant son armée au siège de Pavie, vint à Rome faire ses dévotions. A son retour dans son camp, après quileut accompli ses vœux, il força la ville, fatiguée d'un long siège, à capituler : toutes les autres villes imitèrent cet exemple, et se soumirent au roi des Francs. IMaître de l'Italie , Charles, (i) Moiis Penninus , Mons S. Bernhardi major, aujourd'hui le grand Saint-Bernard. Suivant Eckharl, ce fut le duc Bernard qui donna à ceUe montagne son nom, que l'on a confondu depuis avec celui de saint Bei nard, fondateur de l'hospice. (2) Fritzlar, dans la Hesse électorale, à 5 lieues S. O, de Cassel. 7 2 CHARLES. après l'avoir provisoirement organisée , revint en France , em- menant captif le roi Didier. Adalgise , fils de ce prince , en qui les Lombards semblaient placer de grandes espérances , regar- dant les affaires de son pays comme tout à fait désespérées , abandonna Tltalie pour se rendre en Grèce auprès de l'empe- reur Constantin, et y \ieillit dans le rang et les honneurs du patriciat. Cependant le roi, de retour dans ses États, avant même que les Saxons se fussent doutés de son arrivée , fit en- vahir leur pays par une armée divisée en trois corps. Cette armée porta de tous côtés l'incendie et le pillage , extermina tous ceux qui voulurent résister, et revint avec un immense butin. [Charles , a son retour d'Italie , avait présidé à la dédicace de l'église de saint Nazaire martyr, et à la translation des re- liques du saint dans notre monastère de Laurisheim. Cette translation s'effectua l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur 774, le jour des calendes de septembre] (I). 77S. Durant l'hiver qu'il passa dans son domaine de Quierzy, le roi résolut de recommencer la guerre contre les Saxons, na- tion perfide et infidèle à tous les traités , et de ne déposer les armes qu'après les avoir forcés à se soumettre à la religion chré- tienne, ou les avoir exterminés. 11 tint donc l'assemblée générale dans sa terre de Duren; et, traversant le Pihin, il s'avança vers la Saxe avec toutes les forces de son royaume. Du premier choc , il emporta d'assaut la ci- tadelle de Sigeburg, où les Saxons avaient établi une garnison. 11 fortifia ensuite Eresburg, autre château détruit par les Saxons, et le laissa à la garde d'un corps de Francs. Puis, arrivant sur (l)Ce passage entre crochets est la traduction d'un texte admis par D. Bouquet et les autres éditeurs ; mais il ne se trouve pas dans les manu- scrits, et M. Pertz l'a rejeté, comme étant une interpellation postérieure à £;inhard. «llAliLKS. 7'.{ les bords tlii West-r, il ;itl;uiii;i , dans le lieu iioiuiiu; Hnines- berg (I), les Saxons (iiii s'y étaient rassemblés eu masse, dans rinlentiou de lui disputer le passage du fleuve. Mais ils Tes- sayèreut vainement. lUpoussés et mis en déroute dès la pre- mière reucontre, ils perdirent dans ce combat un grand nombre des leurs ; et le roi , traversant le ^Veser, se dirigea vers le fleuve Oeker avec une partie de son armée. Là, Hessi, l'im des |)rincipaux chefs des Saxons , vint à sa rencontre avec tous les Oslphaliens , lui livra les otages qu'il avait exigés , et prêta ser- ment de fidélité. Le roi retourna ensuite sur ses pas ; et comme il était arrivé dans le pays de Biiekeburg (2), les Angrariens avec leurs principaux chefs se présentèrent à lui , et , suivant l'exemple desOstphaliens, ils livrèrent des otages conformément à ses ordres, et prêtèrent serinent. Cependant une partie de l'armée, qu'il avait laissée sur les bords du AVeser, avait placé son camp dans le lieu que l'on nomme Hlidbek (3). ¥Me se tint trop peu sur ses gardes, et se laissa surprendre par une ruse des Saxons. Comme 'es gardiens des troupeaux des Francs revenaient au camp vers la neuvième heure du jour, des Saxons feignirent d'être de leurs compagnons, se mêlèrent à eux, ei pénétrèrent ainsi dans le camp des Francs ; puis ils se jetèrent sur ceux qui dormaientou qui étaient encore engourdis par le som- meil, et llrent, à ce qu'on dit, un assez grand carnage de cette mul- titude sans prévoj'ance. INIais repoussés par le courage des sol- dats qui veillaient, et qui leur opposèrent une vigoureuse résis- tance, ils sortirent du camp , et, prenant le seul parti qui fut à leur disposition, ils se retirèrent. Dès que le roi fut instruit de (t) A < lieue s. O. d'Hoxter, Hii.iara, dans la province de Westphalie. Bru iiesbeig, ([ui devint plus tant un thàleau des abhés de Corbie, était situé sur une montagne escarpée, où Ton voit encore des traces de fortiti- cations, de grandes tranchées connues sous le noui de Sachsengmbcii, fos- ses de Saxons. (2) Biukeburg , sur l'Aa, à 3 lieues E. de Mindcn , dans la province de Westphalie. (3) Aujourd'hui Lubbeke, à 5 lieues O. de Minden 'Prusse). KGlNHARri. 7 74 CHAULES. cet fcvcnemcnl, il accourut avec toute la célérité possible , se mit à la poursuite des fuyards, et en tua un grand nombre. En- fin, après avoir reçu les otages des Westphaliens, il revint pas- ser l'hiver dans le pays des Francs. 776. Comme le roi rentrait dans ses États , il apprit (jue le Lom- bard Rotgaud, qu'il avait donné pour duc aux habitants du Frioul , tentait une révolte en Italie , et que déjà plusieurs vil- les avaient embrassé son parti. Pensant qu'il lui importait de réprimer promptement cette insurrection , il prit avec lui l'é- lite de ses troupes, et partit en toute hâte pour l'Italie. Rotgaud, qui aspirait à la royauté, ayant été tué, les villes qui s'étaient déclarées pour lui furent reprises sans coup férir ; le roi établit dans chacune d'elles des comtes francs, et re\1nt d'Italie aussi vite qu'il y était allé. A peine avait-il traversé les Alpes, qu'il rencontra des gens qui venaient lui annoncer que la citadelle d'Eresburg avait été prise par les Saxons, et que la garnison qu'il y avait mise en avait été chassée. Un autre château, celui de Sigeburg, avait été également assiégé, mais il n'était pas tombé au pouvoir de l'ennemi. Les troupes formant la garni- uisou firent une sortie , prirent à dos les Saxons , qui , occupés des travaux du siège, ne s'attendaient h rien ; et , après en avoir tué un grand nombre , ils forcèrent le reste à lever le siège , et même à prendre la fuite dans le plus grand désordre; puis Us les poursuivirent jusqu'à la Lippe. En apprenant ces nou- velles, le roi résolut , après avoir tenu l'assemblée à Worms, de marcher en toute hâte contre les Saxons. Ayant donc réuni des troupes nombreuses , il arriva en Saxe au lieu qu'il avait dé- signé , avec une telle vitesse, que tous les efforts que l'ennemi s'apprêtait à lui opposer se trouvèrent paralysés par cette ra- pidité prodigieuse. En effet , parvenu aux sources de la Lippe, il y trouva une immense multitude de ce peuple perfide , qui , devenue humblf et suppliante, protestait de son repentir et CnARLES. / .'» lui denuiudait pardon. Apirs les inaïr traités avec cléineuce ot avoir fait baptiser ceux qui déclarèrent vouloir devenir chré- tiens, il accepta les promesses trompeuses qu'ils lui firent d'ob- server la foi jurée , reçut les otages réclamés par lui ; puis , ayant relevé le château d'Eresburg qui avait été détruit , il en construisit un autre sur la Lippe, laissa dans chacun d'eux une forte garnison, et s'en retourna en Gaule pour aller passer l'hiver à H cristal. 777. I.e roi, au premier souffle du printemps, partit pour INi- mègue, où il célébra les fêtes de Pâques. Ensuite, voyant bien qu'on ne pouvait se fier aux promesses trompeuses des Saxons, il résolut d'aller tenir, dans le lieu nommé Paderborn, l'assem- blée générale de son peuple, et se dirigea vers la Saxe à la tête d'une armée considérable. Arrivé dans cette ville, il y trouva rassemblés le sénat et le peuple de cette perfide natiou, qui, conformément à ses ordres , s'y étaient rendus, cherchant à le tromper par de faux semblants de soumission et de dévoue- ment. Tous en effet se présentèrent à lui , à l'exception de ^Vitikind, l'un des principaux chefs des AVestphalious, qui, se sentant coupable d'une foule de crimes, et craignant pour cela la colère du roi, s'était réfugié auprès de Sigefrid, roi des Da- nois. Quant aux autres qui étaient venus à Paderborn, ils se re- mirent entre les mains du roi avec tant de soumission , qu'ils méritèrent d'obtenir leur grâce , mais à c^tte condition , toute- fois , que si désormais ils rompaient leurs engagements , ils seraient privés de leur patrie et de leur liberté. Un grand nombre d'entre eux se firent baptiser en cette occasion ; mais c'était avec des intentions bien peu sincères qu'ils avaient té- moigné vouloir devenir chrétiens. Vers la même époque , le Sarrasin Ibn-al-Arabi vint dans cette ville se présenter devant le roi. Il arrivait d'Espagne avec d'auti'cs Sarrasins ses compagnons , pour se donner au roi des 76 CHARLES. Francs, avec toutes les villes dont le roi des Sarrasins lui avait confié la garde. Après avoir clos l'assemblée générale dont nous avons parlé , le roi retourna en Gaule , et célébra les têtes de Noël dans son domaine de Douzy (1) , et celles de Pâques à Casseneuil, en Aquitaine. T78. Cette année, le roi, cédant aux conseils du Sarrasin Ibn-al- Arabi , et conduit par im espoir fondé de s'emparer de quel- ques villes en Espagne, rassembla ses troupes et se mit en marche. 11 franchit dans le pays des Gascons la cime des Py- rénées, attaqua d'abord Pampelune dans la Navarre, et reçut la soumission de cette ville. Ensuite il passa l'Ébre à gué , s'ap- procha de Saragosse, qui est la principale ville de cette con- trée , et, après avoir reçu d'Ibn-al-Arabi, d'Abithener et d'autres chefs sarrasins, les otages qu'ils lui offrirent, il revint à Pam- pelune. Pour mettre cette ville dans l'impuissance de se révolter, il en rasa les murailles, et, résolu de revenir dans ses États, il s'engagea dans les gorges des Pyrénées. Les Gascons , qui s'étaient placés en embuscade sur le point le plus élevé de la montagne, attaquèrent l'arrière-garde, et jetèrent la plus grande confusion dans toute l'armée. Les Francs , tout en ayant sur les Gascons la supériorité des armes et du courage , furent dé- faits, à cause du désavantage des lieu.v et du genre de combat qu'ils furent obligés de soutenir (2). La plupart des officiers du palais, auxquels le roi avait donné le commandement de ses troupes , périrent dans cette action ; les bagages furent pillés , et l'ennemi , favorisé par la connaissance qu'il avait des lieux , se dispersa aussitôt. Ce cruel revers effaça presque entièrement dans le cœur du roi la joie des succès qu'il avait obtenus en (j) Douzy, à 2 lieues S.-E. de Sedan ( Ajdennes ). Casseneuil, dans TA- genois, à 6 lieues N. d'Ageu ( Lot-et-Garonne). 1.2) Sur cette exix-Jition en Espagne, et sur la défaite de Roncevaux. comparez le cliap. ix de la Firdc Clvnlanognr. CHARLES. 77 Kspagne. Cependant les Saxons, comme s'ils eussent voulu profiter deToccasiou, prirent les armes et s'avancèrent jusqu'au Rhin. .Mais n'ayant pu traverser ce fleuve, ils se mirent à ra- vajjer, par le ter et le t'en , tontes les villes et tons les villages depuis la cité de Duitz (1) jusqu'au confluent de la Moselle. Les églises aussi bien que les maisons furent ruinées de fond en comble. L'ennemi dans sa fureur n'épargnait ni l'âge ni le sexe, voulant montrer par là qu'il avait envahi le territoire des Francs , non pas pour piller, mais pour se venger. Ce fut dans la cité d'Auxerre que le roi reçut cette nouvelle. Aussitôt il envoya l'ordre aux Francs orientaux et aux Allemands de marcher en toute liàtc pour repousser l'ennemi. Quant à lui , ayaut congédié le reste de ses troupes , il vint dans sa terre d'Héristal, où il avait résolu de passer l'hiver. Cependant les Francs et les Allemands , qui avaient reçu l'ordre de marcher contre les Saxons , s'avancèrent contre eux à grandes jour- nées , dans l'espoir de pouvoir encore les rencontrer sur leurs territoires. Mais les ennemis avaient satisfait leur vengeance , et déjà ils avaient repris la route de leur pays. Les troupes en- voyées par le roi se mirent à leur poursuite, et les atteignirent, au milieu de leur marche, dans la Hesse, près du fleuve Adern. Elles les attaquèrent aussitôt , comme ils passaient le fleuve à gué , et en firent un tel carnage, que de cette innnense mul- titude il resta , dit-on , à peine quelques fuyards qui purent re- gagner leur pays. 779. Dès le commencement du printemps le roi, quittant Héristal, où il avait passé l'hiver et célébré les fêtes de JNoël et celles de Pâques, se rendit à Compiègne. Comme il revenait de cette ville , après avoir terminé l'affaire qui l'y avait amené , il ren- contra à Versigny (2) Hildcbrand , due de Spolète , qui lui ai» (1) Duitz, en face de Colostie, sur la rive droite du Rhin. (2) Versigny, bourg de lIle- l'ariiKHi lU'S Saxons. Il eui avec eux un cnp;agenieul de cava- lerie, cl remporta un sueeès complet. Il en tua un grand nombre, dispersa les autres , et revint victorieux trouver son père à Worms. Cependant le roi, après avoir de nouveau ras- semblé son armée , repartit pour la Saxe , célébra le jour de la naissance du Seigneur dans son camp, au pays d'Huettagoe, sur l'Emmer (1), près du château saxon que l'on appelle Ski- droburg (2); puis il s'avança, en ravageant tout sur son pas- sage, vers Rinn, situé au confluent du Weser et de la Werne ; et connue la rigueur de la saison, non moins que les inonda- tions, l'empèeliaient de pousser plus avant, il s'arrêta, pour y passer l'hiver, dans la forteresse d'Eresburg. 785. Résolo d'y demeurer toute la mauvaise saison , il y fit venir sa femme et ses enfants ; puis , ayant confié la garde de cette citadelle à une garnison forte et dévouée , il sortit avec des troupes légères pour ravager le territoire des Saxons et piller leurs villages. Aussi furent-ils inquiétés tout l'hiver par les ex- cursions des Francs, qui, sous les ordres du roi ou des généraux qu'il envoyait à sa place , portaient partout le carnage et l'in- cendie. Tant que dura l'hiver, il ne cessa de ravager ainsi, de la manière la plus désastreuse pour les Saxons , presque tout leur territoire. Au retour du printemps, lorsqu'il eut reçu les convois qu'on lui envoyait de France, il tint à Paderborn, avec la solennité accoutumée , l'assemblée générale de la nation. Après avoir terminé les affaires qui devaient se traiter dans qu'il était probablement placé dans les environs de la ville actuelle de Dreinsleinvorl , qui en aurait tiré mui nom. Sismondi, II, 298 , l'apiielle Druvenkk. Pertz,dans ses notes, indi4ue, d'après Salkcs ( Tradil. Cm- bei., p. 318 et 319 ), Hertfdd, Lisborit, fferiie, et même Cappenbert/. v1) Ce v>ays comprenait les comtés de Pyrmont et de Schwalenberg, et les territoires adjacents. (2) Scheider, Sur l'Emmer, Ambra, au N. de Paderborn , dans la princi- pauté do Scliaucnbours-Liiipc. 8(J CHAKLES. cette assemblée, il partit pour le Bardengaw (I) ; et la , ayant appris que Witikiad et Abbion se tenaient dans la partie de laSaxe située de l'autre côté de l'Elbe , il leur envoya des messagers saxons , pour les déterminer à renoncer à leur per- fidie , et à venir sans hésiter se placer sous sa sauvegarde. Ceux-ci, qui avaient la conscience de leurs crimes, n'osaient pas d'abord s'en remettre à la clémence du roi; mais, ayant obtenu de lui la promesse d'impunité qu'ils désiraient , et , de plus, les otages qu'ils sollicitaient pour garants de leur sûreté, et que leur amena de la part du roi Amahvin, l'un des offi- ciers de sa cour, ils vinrent avec ce seigneur se présenter au roi dans son palais d'Attigny , et là ils reçurent le baptême. En effet, Charles, après leur avoir envoyé Amahvin, qui de- vait les ramener, était lui-même retourné dans le pays des Francs. L'opiniâtre perfidie des Saxons sommeilla pendant quelques années ; mais ce fut surtout parce qu'ils ne purent trouver d'occasion favorable pour se révolter de nouveau. Cette même année, il se forma contre le roi, au delà du R-hin, chez les Francs orientaux , une formidable conspiration (2). Le comte Hardrad fut reconnu pour en être l'auteur. Mais le roi fut aussitôt informé de ce mouvement; et en peu de temps, grâce à son habileté , il sut étouffer ce complot redoutable , sans même que sa personne eût couru de grands dangers. Les coupables furent punis, les uns par la perte de la vue, les au- tres par l'exil. 786. Après avoir passé l'hiver et célébré la sainte fête de Pâques dans le palais d'Attigny, le roi résolut d'envoyer une armée (1) Le Bardengaw, Bardegavensium provincia (Eckhart, I, fi97), pays qui entourait la ville, alors considérable, dcBardevvick, situéesurl'llincnan, à 2 lieues O. de Lunebourg. Mais cette ville fut rasée en 1189 jtar Henri le Lion, et elle n'estplus aujourd'hui qu'un bourg sans importancedu du- ché de Lunebourg ( Hanovre ). (9, Voyez sur cette conspiration le clia)). xx de la Pie de Chfirlemoi/ne. CHxni.KS. «7 dans la Hivtafiiu' cIV'U dora de la nit-r. Lorsque ViW do Bre- tagne avait été envahie par les Vngles et les Saxons, une grande partie de ses habitants, traversant la mer, était venue s'éta- blir à l'extrémité de la Gaule, dans le pays des Venètes et des Curiosolites (1). Depuis, ce peuple, dompté et rendu tributaire par les rois francs, s'était soumis, bien qu'à contre-eœur, à payer la redevance qui lui avait été imposée. Mais, vers cette époque, il refusa de le faire , et Audulf, chef de la table du roi (2), fut envoyé contre les rebelles-, il réprima, avec une merveilleuse promptitude, l'audace de cette nation perfide, et amena à AVorms, devant le roi, les otages qu'il avait reçus, et plusieurs Bretons des premières familles. Le roi, ayant tout pacifié, résolut de partir pour Rome et d'attaquer la contrée de l'Italie qui porte aujourd'hui le nom de Bénévent, persuadé qu'il devait réduire en son pouvoir le reste d'un royaume dont il possédait la capitale depuis la captivité du roi Didier, et dont la plus grande partie lui était acquise par tout ce qu'il avait déjà soumis dans la Lombardie. Sans plus tarder, il rassembla toutes les forces des Francs, et entra en Italie en plein hiver. Ce fut à Florence , capitale de la Toscane , qu'il célébra la naissance du Seigneur; puis, en toute hâte, il continua sa route vers Rome. Arrivé dans cette ville, comme il délibérait avec le pape Adrien et les principaux chefs de son armée sur l'expédition qu'il avait résolu d'entreprendre contre Bénévent, Areghis, duc des Bénéventins, informé de son arrivée et de ses projets de conquête, fit tous ses efforts pour l'en détourner. Il lui envoya Rumoald , son fils aîné, avec des présents, pour le (1) Snr cette invasion de la Gaule armoricaine par les Bretons, voy. le récit identique de l'ancien auteur de la Fie de S. TFingualoe , cité par 1>. Bouq. dans ses noies, V, 207, note E. (2) Les annales de Fulde et Sigebert lui donnent le titre de sénéciial , senescalcKs; Règinon, celui de chef des cuisiniers, jirhiccps cocorum. Cette dignité s'est continuée jusqu'à la tin du quinzième siècle sous le titre de Oriiiit queux de France, et jusqu'à nos j()urs sous celui de inaitre d'iiotcl du roi. Voyez Du Cange, au mot Coquus. 88 CflABLES. supplier de ne pas euvahir ses États. Mais le roi, n'étant nulle- ment d'avis de renoncer ainsi à une entreprise qu'il avait déjà commencée, retint auprès de lui Rumoald, et s'approcha avec toutes ses forces de Capoue, ville de la Campanie. Il y assit son campî et, dans cette position , il attendait le moment fa- vorable pour commencer la guerre, si le duc Aréghis ne l'eût prévenu en prenant une sage détermination. 11 abandonna Bé- nevent, que l'on regarde comme la capitale du pays, et se re- tira avec les siens à Salerne, ville maritime et mieu.\ fortifiée; puis, envoyant au roi une ambassade, il lui offrit ses deux fils en otages, et promit d'obéir, de son plein gré, à tous les or- dres qu'il lui donnerait. Le roi, touché de ses prières, et crai- gnant d'ailleurs d'offenser Dieu, s'abstint de la guerre, et reçut en otage Grimoald, le plus jeune des fils d'Aréghis, à la place de Rumoald, l'aîné, qu'il lui renvoya. Il reçut aussi des Bé- néventins onze otages, et envoya des commissaires pour conso- lider le traité, en faisant prêter le serment de fidélité au duc lui-même et à toute la nation. Puis il entama en personne les conférences avec les ambassadeurs de l'empereur Constantin, qui étaient venus lui demander sa fille en mariage ; et, après les avoir congédiés, il retourna à Rome, où il célébra la sainte fête de Pâques en prande allégresse. 787. Tandis que Charles était encore à Rome, Tassillon, duc des Bavarois (I), envoya l'évêque Arnon (2) et l'abbé Hunrich (3), comme ambassadeurs , vers le pape Adrien , pour le prier de vouloir bien être le médiateur de la pais entre le roi et lui. Le pontife ne crut pas devoir repousser sa demande ; il s'em- (1) Sur Tassillon et ses démêlés avec Charlemagne , voy. le chap. xi de la fie de Charlemagne. (2) Arnon , archevêque de Saitzbourg. (5) Henri , abbé du niijnast'« et VV ) (Sj Ce château était situé dans une ile , prés des sources de la Sale , en 94 CHAKI.KS. puis il revint en suivant le cours du même fleuve, qu'il descendit jusqu'à Worms. Comme il passait l'hiver dans cette ville , le palais qu'il habitait fut consumé en une nuit par. un incendie fortuit. Cependant il continua de résider à Worms, et y célébra , avec les solennités d'usage , les fêtes de Noël et de Pâques. 791. A la fin du printemps , vers le commencement de l'été , le , roi quitta AVorms et partit pour la Bavière , dans l'intention de rendre aux Huns le mal qu'ils lui avaient fait, et de porter, le plus tôt possible, la guerre dans leur pays. Il rassembla dans ce but , de toutes les parties de son royaume , ses meilleures troupes, fit de grands approvisionnements, et se mit en marche après avoir divisé son armée en deux corps. Il confia l'un des deux au comte Théodoric et à Mégenfrid , son chambellan , et leur donna Tordre de s'avancer par la rive septentrionale du Danube ; lui-même , avec l'autre corps d'armée qu'il conduisait en persomie, se dirigea vers la Pannonie en suivant la rive mé- ridionale , et les Bavarois descendirent le fleuve pour escorter les bateaux qui portaient les bagages de l'armée. S'étant ainsi mis eu marche , il établit sou premier camp sur les rives de l'Ems ; car ce fleuve, qui court entre les frontières des Bava- rois et celles des Huns , avait toujours été regardé comme la limite des deux royaumes. Il s'y arrêta troisjours, pour appeler sur ses armes, par des prières publiques, la bénédiction du ciel. Ensuite le camp fut levé, et la guerre déclarée par les Francs à la nation des Huns. Leurs garnisons furent chassées, et les forte- resses qu'ils avaient élevées, l'une sur le fleuve Camb (l), l'autre face de la ville de Neustadt (cercle du bas Mein, Bavière). Voyez Eckhapt, 1, 74J. (I) Celle rivitre , dcr Kump, prend sa source dans les montagnes de la Bohême, traverse la vallée de Zwelt ( Clara vallis), et sejeltc dans le Danube au-dessus de Cicms. près do la cité de Coinagt'iie (I), sur le mont Ciiinincolx'rg , avec des retranchements formidables, furent détruites, et tout le pays ravagé par le fer et le feu. De son côté, le roi , avec l'armée qui était sous ses ordres , arriva sur les bords du Raab, qu'il traversa ; puis, suivant le cours de ce fleuve, il s'a- vança jusqu'à son embouchure dans le Danube. Après avoir pris en ce lieu quelques jours de repos , il résolut de revenir par la Pannonie ; mais il donna à Théodoric et à Mégenfrid l'ordre de reprendre le chemin qu'ils avaient déjà suivi, et de ramener par le pays des Bohémiens les troupes dont ils avaient le commandement. Après avoir ainsi parcouru et dévasté une grande partie de la Pannonie , il rentra en Bavière avec toute l'armée des Francs , qu'il ramenait saine et sauve. Quant aux Saxons et Frisons que conduisaient Théodoric et Mégenfrid , ils regagnèrent leurs pays par la Bohême, comme ils en avaient reçu l'ordre. Cette expédition s'effectua sans aucun accident; seulement, dans le corps d'armée qui était sous les ordres du roi, la cavalerie souffrit beaucoup, et de tant de milliers de che- vaux qu'on avait amenés, à peine en resta-t-il la dixième partie. Le roi , après avoir congédié ses troupes , se rendit dans la cité appelée autrefois Regium , et maintenant Ratisbonne ; il s'y éta- blit pour passer l'hiver, et y célébra les fêtes de Koël et de Pâques. {\) Suivanl Eckhart, Comment., I, 744, Comagenum serait la petite ville de Haimburg, sur le Danube, près des frontières de la Hongrie, à 7 lieues O. de Presbourg et à 9 lieues E. de Vienne. Cette opinion a été repro- duite par tous les géographes. Mais, suivant M. Pertz, la ville de Coinagène, détruite depuis longtemps , aurait occupé l'emplacement où se trouve au- jourd'hui le bourg de KônigssUidten , à 4 lieues N. de Vienne; et la forte- resse des Huns pourrait en effet avoir été placée à l'extrénillé du mont Kaunberg , où s'élève aujourd'hui le clwteau de Greifenstein, dans l'endroit où la montagne se rapproche tellement du Danube , ((u'elle ne laisse plus qu'un étroit passage facile à défendre. 96 CHARLES. 792 Urgel (!) est une ville située sur le sommet des Pyrénées, et qui avait alors pour évéque un Espagnol nommé Félix. Élipand, évêque de Tolède , lui écrivit pour le consulter sur ce qu'il fal- lait penser de l'humanité de notre divin Sauveur Jésus- Christ ;2) : il demandait si, en le considérant au point de vue de l'humanité , on devait croire et dire qu'il était le propre flls de Dieu, ou seulement son fils adoptif. Félix, avec autant d'imprudence que de légèreté , et contrairement à l'antique doc- trine de l'Église catholique, décida que le Christ était fils adoptif de Dieu ; et même , dans son obstination , il voulut défendre en tous points cette coupable doctrine , et adressa à ce sujet des écrits à l'évêque de Tolède. Amené devant le roi ( Charles résidait alors dans son palais de Ratisbonne en Bavière , où il avait passé l'hiver ) , il comparut devant un concile d'évê- qnes réunis dans cette ville. 11 y fut entendu , convaincu d'er- reur, et renvoyé devant le pape Adrien. Alors, en présence de ce pontife , au milieu de la basilique de l'apôtre saint Pierre , il condamna son hérésie, y renonça, et revint ensuite dans sa ville. Cependant , comme le roi passait l'été à Ratisbonne , une cons- piration fut tramée contre lui par son fils aîné nommé Pépin, et par quelques seigneurs francs qui prétendaient ne pouvoir sup- porter les cruautés de la reine Fastrade, et qui, pour cette raison, avaient résolu la mort du roi. Ce complot fut décou- vert par le Lombard Fardulf, qui reçut, en récompense de sa fidélité, le monastère de Saint-Denys. Quant aux auteurs de la conjuration , déclarés coupables de lèse-majesté , ils péri- rent, les uns par le glaive, les autres suspendus aux fourches patibulaires , et payèrent ainsi de leur vie le crime qu'ils avaient (1) La Seu d'Urgel, en Catalogne. Celte ville faisait alors partie du royaume d'Aquitaine. (2) ti;inliard rapproche ici des faits qui se sont passés à différentes épo- ques. Ce fut en 783 qu'Élipund écrivit à Félix pour le consulter. CHARLES. ^7 inetiite. Copendaul Ir im avait établi sa résidence eu Bavière, à cause de la guerre eutrepriso contre les Huus ; il fit con- struin' uu pout de bateaux sur le Danube, pour s'en servir daus cette guerre , et ce fut en Bavière qu'il célébra les fêtes de Noël et de Pâques. 795 Le roi , désirant terminer la guerre qu'il^ avait commencée, se préparait à marcber de nouveau sur la Pannonie, lorsqu'd apprit que les troupes que lui amenait, par la Frise, le comle Théodoric, avaient été arrêtées et détruites par les Saxons près de Rustringen, sur le Weser. A cette nouvelle, dissimulant la grandeur du désastre, il interrompit l'expédition de Pannonie ; et comme en ce moment il venait de se laisser persuader , par des gens qui se disaient sûrs de ce qu'ils avançaient , que , si l'on pouvait creuser entre le Rednitz et l'Altmiihl un canal capable de porter bateaux , ou parviendrait à naviguer commodément du Danube sur le Rhin , car l'une de ces rivières a son em- bouchure dans le Danube , tandis que l'autre se jette dans le Mein (1), il se rendit aussitôt sur les lieux avec toute sa cour, y rsssembla im grand nombre d'ouvriers , et consacra toute la saison d'automne à ces travaux. Le canal fut creusé entre ces deux rivières sur une longueur de deux mille pas et une lar- (I) Le Rednitz se jette dans le Mein à Bambeig, etl'Altmuhl dans le Danube près de Kelheim. Ces deux rivières , dans leurs parties navigables les plus rapprochées , ne sont guère éloignées que de 7 lieues l'une de l'autre. Eckhart cite deu.v dissertations publiées, l'une par cl. I>oederlein en 1703, l'autre par Chrisloiihe Zippeliusen 1726 , sur le canal de jonction entrepris par Cbarleniagne. Ces deux auteurs s'accordent à dire (juc ce canal , dont les remblais se distinguaient encore de leur temps , fut con- duit, depuis le bourg de Graben jusque prés de Dettenheim , aux sources du Rezat , l'une des deux petites rivières dont la réunion forme le Rednitz ; mais en cet endroit on rencontra les marais appelés das liiecl , qui forcèrent d'abandonner l'entreprise. Voy. dans Eckhart,!, 7.39, la gravure reprè- fientant le tracé du canal. 98 CHABLES. geur de trois cents pieds; mais tout ce travail l'ut perdu, car les pluies continuelles et la mobilité d'un terrain marécageuA , qui naturellement était déjà beaucoup trop humide, empê- chaient de donner la moindre solidité aux travaux , et toute la terre que les travailleurs en tiraient pendant le jour retombait pendant la nuit à son ancienne place. Tandis que le roi s'occu- pait à surveiller cette entreprise , il lui vint de deux côtés op- posés deux fâcheuses nouvelles. On l'avertissait de la défection complète des Saxons, et, d'autre part, d'une invasion de la Sep- timanie par les Sarrasins , qui , après avoir livré combat aux comtes de cette province et aux gardiens des Marches , et tué un grand nombre de Francs, étaient rentrés victorieux dans leur pays. Irrité de ces nouvelles, le roi retourna dans ses États , célébra la fête de Noël dans l'église de Saint-Kiliau à Wurtzbourg sm* le Mein, et la fête de Pâques dans la ville de Francfort, située aussi sur le Mein, et où il avait passé l'hiver. 794. Le roi voulant faire condamner l'hérésie de Félix, après avoir tenu à Francfort , au commencement de l'été , l'assemblée gé- nérale de la nation, réunit dans cette ville un concile composé des évêques de toutes les provinces de ses États. Les évêques Théophylacte et Etienne, légats du saint-siége , s'y rendirent aussi , envoyés par le pape Adrien pour y être ses représen- tants. L'hérésie félicienne fut condamnée dans ce concile ; et, du consentement unanime de tous les évêques, on composa pour la réfuter un livre qui fut signé de tous. Quant au synode tenu à Constantinople quelques années auparavant , sous l'impéra- trice Irène et son fils Constantin , qui l'appelaient le septième concile , et même concile universel , on décida à l'unanimité qu'il serait rejeté comme entièrement inutile, qu'on ne l'appel- lerait pas concile universel, et qu'on ne le compterait pas comme le septième concile. Dans cette même ville mourut la reine CUARLES. 90 Fastrade ; elle fut transportée à Maycnce et ensevelie dans le monastère de Saint- Alban. Après ces événements, le roi ayant résolu d'envahir la Saxe, divisa son armée en. deux corps. Il devait , avec la moitié des troupes , entrer en Saxe par le midi, tandis que son lils Charles passerait le Rhin à Cologne, et en- trerait du côté de l'occident avec le reste de l'armée. Lorsque ce mouvement eut été exécuté , les Saxons , qui s'étaient ar- rêtés dans la plaine de Seutfeld (t) comme pour livrer bataille au roi , et qui attendaient là son arrivée , perdant toute espé- rance de remporter la victoire , dont naguère encore ils se flat- taient vainement , prirent tous le parti de la soumission , et , vaincus sans combat , reconnurent l'autorité du vainqueur. Ils donnèrent des otages, et promirent sous serment de rester fi- dèles au roi. Ce fut ainsi que , sans avoir combattu , les Saxons rentrèrent dans leurs foyers, et que le roi, après avoir traversé le Rhin, revint dans la Gaule. Il se rendit ensuite à Aix pour y passer l'hiver, et célébra dans cette ville les fêtes de Noël et de Pâques. 795. Quoique, l'été précédent , les Saxons eussent livré des otages et prêté les serments qui leur avaient été imposés , le roi , qui ne pouvait oublier leur perfidie , réunit cette année, au delà du Rhin , dans son domaine de Cuffesstein (2), situé sur le Mein en face de Mayence, l'assemblée générale de la nation, et de là, étant entré en Saxe avec son armée , la parcourut presque tout entière en la ravageant. Lorsqu'il fut arrivé dans le Rardengaw, il plaça son camp près du lieu nommé Bardenwig (3), et y at- tendit l'arrivée des Slayes , auxquels il avait donné l'ordre de venir le rejoindre. Tout à coup il reçut la nouvelle qu'au pas- (\) Cette plaine est située près de Wunnemberg ( dans la régence de Min- den, Prusse ), entre Paderborn au nord et Eresburg au midi. (2) Costheim sur le Mein , à une lieue E de Mavcnce. (.">) Bardewick , près de Lunebourg. 0, M i ÏOO CH.iRLES. sage de l'Elbe, Wiltzan, roi des Abodrites, était tombé au mi- lieu d'une embuscade dressée par les Saxons surle fleuve même, et qu'il y avait.péri. Ce malbeur, comme un nouvel aiguillon, vint encore exciter le roi à en finir promptement avec les Saxons , et redoubla sa haine contre cette nation perfide. Il ravagea la plus grande partie de leur pays, et, après avoir reçu les otages qu'il exigea d'eux , il retourna dans ses États. Du- rant cette expédition, tandis que son camp était placé sur l'Elbe, il reçut de Pannouie une ambassade que lui envoyait l'un des principaux chefs des Huns , nommé Thudun (1) par ceux de sa nation. Ce chef promettait de se rendre auprès de lui, et de se faire chrétien. Le roi revmt ensuite à Aix-la-Chapelle comme l'année précédente , et y célébra, aux époques fixées , les fêtes de Noël et celles de Pâques. 79« Adrien étant mort à Rome , Léon lui succéda sur le trône pontifical (2). Il s'empressa d'adresser au roi, par des ambas- sadeurs, les clefs de saint Pierre, l'étendard de la ville de Rome , et d'autres présents ; il lui faisait demander en même temps d'envoyer à Rome quelqu'un de ses principaux officiers, pour recevoir du peuple romain le serment de fidélité et d'o- béissance. Le roi confia cette mission à Angilbert, abbé du monastère de Saint-Riquier, et le chargea en même temps de porter à Saint-Pierre une grande partie du trésor qu'Héric, duc de Frioul , avait enlevé dans la résidence royale que les (J) Suivant M. Pertz (I, 181, note 21 ), Thudun serait un nom de dignité, et non pas un nom d'homme. Cependant le contraire semble résulter de la Chronique de Moissac , qui s'exprime ainsi : Avarorum régulas quidam nomine T/iodantis. M. de Sismondi, Hisl. des Franc, II, 336, a suivi cette opinion, qui est aussi celle d'Eckhart. (2) Adrien 1'='^ était mort le 23 décemijre 793. Léon lU , son successeur, fut élu le 2foa"wyali , AlKlerarnc le Moliavitc, premier ralife oinmiade d'Espagne. •■3; Herstell, entre Karlsharen et Hoxler ( «'e3t)ilialie). CIUKLKS. 10» dallah partît avec ce dernier. Abdallah fut plus tard conduit en Kspagne sur sa demande , et remis entre les mains de ceux auxquels il crut -pouvoir se confier. Le roi continua de résider en Saxe, et y célébra les fêtes de rsoël et de Pâques. 798. Déjà le printemps approchait, mais le manque de fourrages empêchait l'armée de quitter ses quartiers d'hiver. Les Saxons trauselbains, profitant de l'occasion , se saisirent des officiers que le roi avait envoyés pour rendre la justice parmi eux, et les mirent à mort ; ils n'en réservèrent que quelques-uns comme pour en tirer rançon , et massacrèrent avec les autres un am- bassadeur nommé Godeschald, que le roi avait envoyé peu de temps auparavant vers Sigefrid, roi de Danemark. Ce seigneur revenait alors ; il fut arrêté et égorgé par les auteurs de la ré- volte. A cette nouvelle , le roi, vivement irrité, rassembla sou armée, et vint camper dans le lieu nommé ]Mindeu sur le We- ser (1); puis, se mettant à l'œuvre pour venger sur ces traî- tres , qui violaient sans cesse leur foi, la mort de ses envoyés, il ravagea par le fer et le feu toute la partie de la Saxe située entre l'Elbe et le Weser. Cependant les Transelbains , tout liers d'avoir pu massacrer impunément des ofGciers royaux, avaient pris les armes et s'étaient mis en marche contre les Abodrites. Les Abodrites étaient toujours restés fidèles auxiliaires des Francs , depuis le moment où ils avaient été reçus dans leur alliance. Thrasieon leur duc, instruit du mouvement des Trans- elbains , alla à leur rencontre jusqu'à l'endroit nommé Swin- (I) Mindfii, au confluent du Wcser et dp la l'astau, à II lieues S. E. d'Osnabruck ( Westplialie prussienne), plutôt i|ue Munden au confluent de la Werra et de la Fulde ( Hanovre ) , malgré les Annales de Lorsch et le poêle Saxon, qui écrivent Muiida, tandis que dans le moine d'AngouiêniP, les Annales de Loisel, de Dutillet, de Saint-Bertin et de .Metz, on lit Mhidn, comme dans Éginhard. D'ailleurs Minden est plus sur la route de Cliarle- ^^aguc, ipii 5'avani;ait vers l'Ellie Voy Eckhart, fnmmrnl., 1, 78i. UM CHAliLKS. dcn (Ij; et leur ayaut livré bataille, il eu fit un immense car- nage. Quatre mille tombèrent au premier choc, s'il faut en croire ce que rapporta le lieutenant du roi, nommé Ébers, qui prit part à ce combat, oii il commandait l'aile droite de l'ar- mée des Abodrites. Dispersés et mis en fuite après avoir perdu un grand nombre des leurs, les Transelbains rentrèrent chez eux dans un état déplorable. Cependant le roi , de retour en France, vint à Aix-la-Chapelle, où son premier soin fut de donner audience aux députés que l'impératrice Irène lui avait envoyés de Constantinople. Constantin, flls de cette princesse, avait été saisi par les siens à cause de l'insolence de son carac- tère, et privé de la vue (2). Sur la demande de ces députés , le roi permit à Zizim , frère de Tarasius, évêque de Constan- tinople, qui avait été fait prisonnier dans un combat , de re- tourner danssa patrie. Les envoyés étaient Michaël, surnommé Ganglianos, et Théophile, prêtre de Blaquernes (3). Après les avoir congédiés, il reçut Basiliscus et Froïla, ambassadeurs du roi Alphonse , qui arrivaient d'Espagne , apportant avec eux, de la part de leur maître , les présents que ce prince avait choisis pour le roi dans les dépouilles de la ville de Lisbonne, dont il venait de s'emparer. Ces présents consistaient en sept esclaves maures, sept mules et sept cottes de mailles; et, quoi- qu'ils fussent offerts à Charles en don d'amitié , c'était plutôt comme prémices de la victoire (4). Le roi reçut ces députés avec bienveillance , et les congédia après les avoir récompen- (J) Probablement Schwan, sur la Warno , dans le grand-duché de Mec- klembourg-Schwerin. (2) Sur les véritables causes (pii amenèrent la déiwsition de Constantin , consultez Zonaras et les autres historiens byzantins, (3) Blaquernes, l'un des faubourgs de Constaiitinopie , renfermait à la fois le magnifique palais de Blaquernes, appelé aussi Penlapyrion .i cause de ses cinq tours, et la célèbre église de Blaquernes , bâtie par linipéra- Irice Pnlchéric. Voy. les notes de Du Cange sur Villehardouin , et Maim- boiirg. Hist. (les Iconoclastes. (4) Sur cette ambassade envoyée par Alphonse II, le Chaste , voy. le chap. XVI de la f'ir 'If fhurlemngnc. (. hahi.es. 10.) séshonorablemeut. l\iiis lo ruènie temps, les îles Bakwres (1), que leurs habitants appellent aujourd'hui IMajorque et Mi- norque, furent pillées par des pirates maures. Le roi passa l'hiver à Aix-la-Chapelle, et y célébra les fêtes de ÎNoël et de PAaues. 71)0. A Rome, le pape Léon se rendant, à cheval, de l'église de Saint-.Tean de Latran à celle de Saint-Laurent au Gril, pour la procession des Litanies (2), tomba dans xme embuscade que lui avaient tendue les Romains près de cette basilique. On le précipita de son cheval , et , après lui avoir crevé les yeux et même coupé la langue , comme quelques témoins assurèrent l'avoir vu , on le laissa sur la place , nu et à demi mort ; puis les auteurs de l'attentat ordonnèrent qu'il fût relégué dans lo monastère de Saint-Érasme, martyr, sous prétexte de l'y faire soigner. îMais- étant parvenu, avec l'aide d'un de ses chambel- lans nommé Albin , à franchir, la nuit, le mur du monastère , il fut recueilli par Wiuigise, duc de Spolète. Ce duc, qui à la nou- velle d'un tel forfait était accouru à Rome, le conduisit à Spo- lète. Dès que le roi eut appris ce qui s'était passé, il ordonna que Léon , comme vicaire de Saint-Pierre et pontife de Rome , lui fût amené avec les plus grands honneurs. Cependant il ne renonça pas à Texpédition qu'il avait résolu de faire en Saxe ; et après avoir tenu l'assemblée générale sur le Rhin , dans le lieu nommé Lippenheim , il passa le fleuve au même endroit avec toute son armée , et s'avança jusqu'à Paderborn , où il plaça son camp pour y attendre l'arrivée prochaine du pontife. Dans l'intervalle, il envoya son fils Charles vers l'Elbe avec une partie de l'armée pour régler certaines affaires entre les Wiltzes (t) Les îles Baléares appartenaient alors à l'empire grec. (2'^ Le 2> avril , fête de saint Marc. Cette procession , instituée par faint Grégoire le Grand , s'ap()elait au.ssi l'i itroccssion dci croix noires. J06 CHABLES. et les Abodrites , et pour recevoir la soumission de quelques habitants du nord de la Saxe. Comme il attendait le retour de son fils, le pape Léon arriva ; il raccueillit de la manière la plus honorable , et le garda pendant quelques jours auprès de lui. Puis, après que le pape lui eut communiqué les motifs de son voyage , il le fit reconduire à Rome avec les plus grands honneurs par des commissaires royaux , qui l'accompagnèrent et le rétablirent sur le siège pontifical. Après le départ de Léon, le roi s' étant encore arrêté pendant quelques jours dans le même lieu, congédia un député, nommé Daniel, que lui avait adressé Michel , patrice de Sicile. Ce fut aussi là qu'il reçut la triste nouvelle de la mort de Gérold et d'Héric (1). L'un deux, Gérold , duc de Bavière , avait été tué dans un combat contre les Huns ; l'autre , Héric , après avoir livré un grand nombre de combats et remporté d'éclatantes victoires, avait été surpris et massacré dans une embuscade par les habitants de la cité de ïersatz, en Liburnie. Les affaires de Saxe ayant été réglées comme lescirconstances|l'exigeaient, le roi revint en France (2). Pendant qu'il passait l'hiver à Aix-la-Chapelle , Gui , comte et préfet de la Marche de Bretagne , qui dans la même année avait parcouru toute cette province avec les comtes ses collè- gues, vint lui présenter les armes des chefs bretons qui s'é- taient rendus à lui. Sur chaque trophée était inscrit le nom du chef à qui les armes avaient appartenu. La Bretagne paraissait alors entièrement soumise ; et elle l'eût été en effet, si l'incon- stance de cette perfide nation n'était venue, comme de coutume, changer la face des affaires. On lui apporta également les dra- peaux qui avaient été enlevés aux pirates maures tués dans l'île (i; Comparez le chap. xiii de la Fie de Charlemagne. (2) Le mot France, que nous employons quelquefois dans notre traduc- tion comme éi|uivalent du mot latin Francia , afin d'éviter une périphrase, doit s'entendre du pays occupé par les Francs , principalement vers le Rhin , et non pas des pays composant la France actuelle . qui était encore désignée sou? le nom de GalHa. t;UAiti,i.s 107 de Majorque Lf Sarrasin Azau, j^ouvena'ur dHuesca, lui en- voya, avec d'autres présents, les clefs de cette ville, promet- tant de la lui livrer lorsque roccasion s'en présenterait. Dans le même temps , im moine, venant de Jérusalem, lui apporta, de la part du patriarche, sa bénédiction ,et des reliques recueillies sur le lieu de la résurrection de Notrc-Seigneur. Le roi conti- nuant de résider dans le palais d'Aix , y célébra la fête de Noël. Il congédia le moine, qui désirait s'en retourner, et le fit accom- pagner par un certain Zacharie, prêtre de sou palais, qu'il char- gea de porter ses offrandes aux saints lieux. 800. Au retour du printemps , vers le milieu de mars , le roi étant parti d'Aix-la-Chapelle, parcourut les rivages de l'océan Gal- lique , établit une flotte dans ces parages que les Nortmans infestaient alors de leurs pirateries , disposa des garnisons sur la côte, et célébra la fête de Pâques à Centule , dans le monas- tère de Saint-Riquier. Reprenant ensuite son chemin par les bords de la mer, il arriva dans la cité de Rouen ; là , il traversa la Seine et se dirigea vers Saint-Martin de Tours pour y faire ses dévotions. II demeura à Tours pendant quelques jours, re- tenu par l'état désespéré de la santé de sa femme Liutgarde , qui mourut dans cette ville et y fut ensevelie. Cette princesse cessa de ^ivre la veille des nones de juin. Le roi revint ensuite par Orléans et Paris à Aix-la-Chapelle; et, s' étant rendu à Mayence au commencemeut du mois d'août, il y tint l'assem- blée générale , et annonça son intention de faire im voyage en Italie. Il partit donc de là pour se rendre a Ravenne avec une armée ; et , sans rester plus de sept jom-s dans cette ville , il or- donna à son fils Pépin d'entrer avec la même armée sur le ter- ritoire des Bénéventins. Lui-même, partant de Ravenne , vint avec son fils jusqu'à Ancône , le quitta dans cette ville et se di- rigea vers Rome. La veille du jour où il devait y arriver, il ren- 108 CHARLES. contra u Lameutaua le pape Léon qui était venu au-devant de lui , et qui le reçut avec les plus grands témoignages de respect. Après le repas qu'ils prirent ensemble , le pape le laissa dans cette ville, et le précéda à Rome. Le lendemain, placé sur les marches de la basilique de Saint-Pierre avec les évéques et tout le clergé, qui rendait grâces à Dieu et chantait ses louanges, il reçut le roi à son arrivée , au moment où il descendait de cheval ; puis , au milieu des cantiques universels , il l'introduisit dans le sanctuaire du bienheureux apôtre , glorifiant et remer- ciant le Seigneur de cet heureux événement. Cela se passait le 8 des calendes de décembre (1). Sept jours après , le roi ayant convoqué une assemblée , exposa publiquement les motifs de son voyage , et se mit ensuite à poursui\Te sans relâche l'exé- cution des desseins qui l'avaient amené à Rome. Il commença par le plus important et le plus difficile , l'examen des accusa- tions portées contre le souverain pontife. Mais comme aucun témoin ne se présenta à l'appui de ces accusations , le pape , en présence de tout le peuple , monta en chaire dans la basi- lique de Saint-Pierre, portant l'Évangile à la main, et après avoir invoqué le nom de la sainte Trinité , il se purgea par serment des crimes qui lui étaient imputés (2). Le même jour, le prêtre Zacharie , que le roi avait envoyé à Jérusalem , arriva à Rome , accompagné de deux moines que le patriarche avait fait partir avec lui. Ceux-ci présentèrent au roi , avec la bénédiction du patriarche, les clefs du saint Sépulcre et du Calvaire, ainsi que l'étendard sacré. Le roi les accueillit avec bonté, les retint pendant quelques jours auprès de lui , et lorsqu'ils témoignè- rent le désir de s'en retourner , il les congédia avec des pré- sents. (1) Le 24 novembre. (2) Voyez dans Eckhart , U, 2, les termes du serment prononcé par le pape , et compare/, au récit d'Éginliard celui d'Anastase le Biblioluécaire dans Id vie de Léon III ( fJc nta Roman. Puntijkiim, dans Mm-alori , tom. m, iisrt. ! ). J CHARLES. 109 no I . Ta" saint jour de la iiativilt- de Notre-Seigoeur (1), le roi vint dans la basilique du liienheureux saint Pierre, apôtre, pour as- sister il la célébration de la messe. Au moment oii , placé de- vant l'autel , il s'inclinait pour prier , le pape Léon lui mit une couronne sur la tête , et tout le peuple romain s'écria : « A Charles Auguste , couronné par Dieu, grand et pacifique em- pereur des Romains , vie et victoire. » Après cette proclama- tion , il reçut l'hommage du souverain pontife, suivant la cou- tume établie du temps des anciens empereurs , et dès lors , quittant le nom de patrice , il porta celui d'empereur et d'au- guste (2). Quelques jours après, ceux qui avaient, l'année précédente, déposé le pape I.éon furent , par ordi*e de l'em- pereur, traduits en jugement; et leur procès ayant été instruit suivant les formes de la loi romaine, ils furent déclarés coupables de lèse-majesté et condamnés à mort. Mais le pape , par un sen- timent de charité , intercéda pour eux auprès de l'empereur. T.a vie et les membres leur furent conservés; seulement, à cause de l'énormité de leur cnme, ils furent envoyés en exil. Les principaux chefs de la conjuration étaient le nomenclateur (3) Pascal, le sacristain (4) Campulus et beaucoup d'autres grands (\) L'année commençait alors le 23 décembre, jour de Noël. Ceux qui placent le couronnement de Charleinagne en 800 comptent en commen- lant l'année à Pâques ou au l'^'' janvier. (2) 11 y a dans le texte adoratus est , c'est-à-dire que le pape s'inclina et porta à ses lèvres ad os la main de l'empereur. — Ainsi fut renouvelé l'em- pire d'Occident après une interruption de trois cent vingt-quatre ans depuis la déposition d'Auguslule. Malgré l'assertion contraire d'Eginbard, rie dr Charleniagn" , ch. îxvm, il est bien probable que tout ce qui se fit alors avait été concerte d'avance et arrêté l'année précédente , dans l'entrevue de Paderborn , entre Charlemagne et Léon IIL (3; C'était le maître des cérémonies, s]iécialement chargé de recevoir et d'inscrire les noms des personnes invitées à la table pontilicale. (4) Garde du trésor pontifiral. ^Gi\H*nn. 10 lîO CIIAKLES. (le Rome , qui tous ensemble furent condamnés par la même sentence. Lorsqu'il eut réglé les affaires de Rome, du Saint- Siège apostolique et de toute l'Italie, non-seulement les affaires publiques, mais aussi les affaires ecclésiastiques et privées, — car il ne fit pas autre chose de tout l'hiver , — et lorsqu'il eut envoyé une nouvelle expédition contre les Bénéventins , sous les ordres de Pépin, son fils, l'empereur partit lui-même de Rome, quelques jours après Pâques, le vu des calendes de mai, et ^ int à Spolète. Tandis qu'il était dans cette ville , le n des calendes de mai, à la seconde heure de la nuit , on ressentit un violent tremblement de terre qui ébranla toute l'Italie. La se- cousse détruisit presque entièrement le toit et la charpente de la basilique de l'apôtre saint Paul , et en différents endroits les villes et les montagnes s'écroulèrent. Cette même année , la terre trembla également aux environs du Rhin , dans la Gaule et en Germanie, et l'humidité qui régna pendant Thiver amena la peste. L'empereur se rendit de Spolète à Ravenne, y passa (juelques jours et se dirigea ensuite vers Pavie. Il apprit dans cette ville que les ambassadeurs d'Harouu , roi de Perse , ve- naient d'entrer dans le port de Pise; il envoya au-devant d'eux et se les fit présenter entre Verceil et Ivrée. Us étaient deux; l'un, Pei'san d'Orient , était envoyé par le roi de Perse ; l'autre fiait un Sarrasin d'Afrique, envoyé par l'émir Abraham, qui commandait en Afrique dans le Casrcadym (1). Ils lui annon- () Le texte porte in confinio Africœ in FnssaCo, et M. Pertz ajoute en iiole, dans son édition, Fossatum, id t-sl regnitm Fez. Mais cette explica- tion n"est pas admissible, comme l'a fait observer le savant M. Reinaud , par la raison que le royaume et la ville de Fez ne furent fondés que sept ins après l'époqne de cette ambassade, i'an 192 de l'hégire, 808 de Jésus- Clirlst. Les auteurs arabes disent que le prince Aglabite Ibrahym (Abra- ham ] dont il est ici question, ayant quitté la ville de Cayroan , à quelques journées au midi de Carthage, avait établi si résidence dans le Casr- i-adi/m, qui en aralie signifie le f'ieiix Château. Pour admettre qu'Egin- hard a pu traduire le mot arabe Casrcadym par Fossatum , il faut se rappeler que dans la basse latinité on se sert (jnehiuefois de ce mot Fos- salutn pour désigner un château, une enceinte forHfiée. Voyez Du i CHAItLBS. I I t cèreiit que le juif Isaac , qu'il avait envoyé , quatre ans aupara- vant , vers le roi de Perse , en conipaguie de Lanfrid et de Si- gismoud , ses ambassadeurs , revenait avec de riches présents , mais que I^anfrid et Sigismond étaient morts tous deux dans le voyage. L'empereur envoya alors en Ligurie son notaire Er- cambald, avec ordre de préparer des navires pour transporter l'éléphant et les autres présents que ramenait le juif Isaac. Quant à lui, après avoir célébré à Ivréc la f>3te de saint Jean- Baptiste , il traversa les Alpes et rentra dans la Gaule. Pendant l'été de cette année , la cité de Barcelone en Espagne , que les Francs assiégeaient depuis deux ans , tomba en leur pouvoir. Zata , gouverneur de cette ville, et un grand nombre de Sarr.i- sins furent faits prisonniers. En même temps on prenait en Italie et on livrait aux flammes la ville de Chieti (1). On fit pri- sonnier le gouverneur Roselme , et les châteaux qui en dépen- daient se rendirent aux Francs. Zata et Roselme furent conduits le même jour en présence de l'empereur, et tous deux con- damnés à l'exil. Au mois d'octobre de cette année, Isaac , qui revenait d'Afrique avec l'éléphant, débarqua à Porto Venere(2), et , ne pouvant traverser les Alpes à cause des neiges , il passa l'hiver à Verceil. L'empereur célébra à Aix-la-Chapelle la fête de Noël. 802. L'impératice Irène envoya de Constautinople , connue am- bassadeur, le spathaire (3) Léon , pour confirmer la paix entre les Grecs et les Francs. L'empereur, à son tour, après avoir congédié cet ambassadeur, envoya à Constautinople Jessé , évê- Cange, et, sur le château de Casrcadym, siliié aux environs de Cay- roan, \oyez les notices des Manuscrits, t XIF, p. 477. (!) Chieti , capitale de l".\hrnz/.e citer., à trente-huit lieues N. de Naplc?;. (2) Sur la côte O. de Gênes , à l'entrée du golfe de la Spezzia. (3) Les spalhaircs lorniaicnt l'une des cohortes chargées de la Rarde dr> cnioereursgrecs.Voyez Du ' ange au mot Spalhariits, 113 CHARLES. que d' Amiens, et le comte Helmgald, qu'il chargea de réglci la paix avec l'impératrice. Les fêtes de Pâques furent célébrées au palais d'Aix-la-Chapelle ; et cette même année, au mois de juillet, le xiii des calendes d'août, Isaac arriva avec l'éléphant et les autres présents qu'envoyait le roi de Perse , et v int les présenter à l'empereur dans le palais d'Aix. L'éléphant se nom- mait Aboulabas. On reçut la soumission de la cité d'Ortone (I) en Italie. La ville de Nocera (2), fatiguée par un long siège, se rendit également , et on y mit une garnison de nos troupes. L'empereur passa l'été à chasser dans les Ardennes. Tandis qu'une armée qu'il avait envoyée en Saxe ravageait le pays des Saxons transelbains, Grimoald, duc de Bénévent, assiégea dans Nocera Winigise , comte de Spolète, commandant de la garnison et alors affaibli par une longue maladie ; il le força à se rendre, mais le traita honorablement dans sa captivité. L'empereur célébra à Aix-la-Chapelle la fête de Noël. »03. Durant cet hiver ou ressentit autour du palais d'Aix et dans les contrées voisines un tremblement de terre qui fut suivi d'une épidémie. Winigise fut rendu par Grimoald, et des ambassadeurs de Charles revinrent de Constaulinople accom- pagnés de députés envoyés parNicéphore, qui gouvernait alors l'empire grec; car, depuis l'arrivée de l'ambassade franque, Irène avait été déposée. Ces ambassadeurs étaient l'évêque Michel , l'abbé Pierre et le candidat (3) Calixte. Ils vinrent 'I) Ortone, sur une émincnce au bord de la nier ( Abruzzc citer., royaume de Naples ). (2) Nocera de Pagani, sur le Sarno, à trois lieues O, de Salerne ( royaume de Naples). Les Francs perdirent cette ville presque aussitôt. Voyez Er- chempertus, Hist. Langobard., chap. 5 et 6, De Bello BencvenUino, cité par Eckliart, II, 13. (S) Les Candidats étaient un corps d'élite institué pour la garde de la personne impériale par Gordien le Vieux. On choisissait parmi eux les chefs delarmécVovez Du Gange au mot Candidalus. CHAULF.S. 113 trouver l'empereur eu (jormauie, près de la Sale, dans le lieu uonuné Seitz (1), et consignèreut par éetit les articles de la paix. Après avoir reçu eu cet endroit leur audieuee de couge, ils revinreut à Rome avec la lettre de l'empereur et gagnèrent de là Coustanlinople. Cependant Charles se rendit eu Bavière, régla les affaires de la Pamionie, et revint à Aix-la-Chapelle au mois de décembre. Ce fut la qu'il célébra la naissance du Seigneur. 804. L'empereur passa l'hiver dans son palais d'Aix. Au retour de l'été , il conduisit une armée en Saxe , transporta eu France, avec leurs femmes et leurs enfants, tous les Saxons qui ha- bitaient au delà de l'Elbe, dans la AVigmodie (2), et donna aux Abodrltes les pays situés an delà du fleuve. Vers le même temps Godefrid, roi des Danois, vint avec sa flotte et toutes les forces de son royaume au lieu nommé Sliesthorp (3) , sur les confins de ses États et de la Saxe. Il promit de se trouver à une entrevue avec l'empereur ; mais il en fut détourné par les conseils des siens et ne voulut pas approcher davantage. L'em- pereur s'était arrêté sur les bords de l'Elbe à l'endroit nommé Hollenstedt (4), d'où il lui envoya une députation pour ré- clamer les transfuges. Vers le milieu de septembre, l'empe- reur se rendit à Cologne. Après avoir congédié son armée , il alla d'abord à Aix-la-Chapelle, et de là dans les Ardennes pour y chasser; puis il revint dans son palais d'Aix. Vers le milieu de novembre, on lui rapporta que le pape désirait célébrer avec lui les fêtes de Koël en quelque endroit que cela piît s'effectuer. 11 (1) Aujourd'hui Konigshofen , suivant M. Pertz. (2) On nommait ainsi le pays occuiié aujourd'hui par la ville de Brème et son territoire, entre l'Elbe et le Weser. (3) Aujourdhui Sclileswig, capitale du duché de ce nom, sur le golfr du Slie ( Danemark ). vV; Hollenstedt , à quatre lieues de l'Elle, à lO. S. O. de Harbourg. 10. 114 CHARLES. s'empressa d'envoyer son fils Charles jusqu'à Saint-Maurice (1) avec ordre de recevoir le pape honorablement. Lui-même s'a- vança au-devant de lui jusqu'à Reims , et, après l'avoir reçu dans cette ville, il Temmena d'abord dans sa terre de Quierzy, où furent célébrées les fêtes de Noél , et ensuite à Aix-la-Cha- pelle. Puis , l'ayant gratifié de riches présents , il le fit recon- duire par la Bavière, comme il le désirait, et accompagner jusqu'à Ravenne. Voici quel était le motif du voyage du pape : on avait rapporté à l'empereur, l'été précédent , qu'il avait été trouvé dans la cité de Mantoue du sang du Christ ; et c'était à cause de cela qu'il avait envoyé vers le pape pour le prier de vérifier cette nouvelle. Celui-ci, saisissant cette occa- sion de voyager, se rendit d'abord en Lombardie , comme pour y faire l'enquête dont il se trouvait chargé , et de là , poursui- vant sa route avec rapidité , il arriva tout à coup auprès de l'empereur, passa huit jours aveclui et revint ensuite à Rome, comme nous venons de le dire. 803. Peu de temps après , le Chagan , chef des Huns , se rendit auprès de l'empereur, à cause de la position critique où se trouvait sa nation, et lui demanda qu'il leur permît d'habiter le pays situé entre Sarwar et Haimburg (2) , parce que les in- vasions des Slaves les empêchaient de rester dans leurs anciens établissements. Ceux-ci, en effet, sous la conduite de leur duc, nommé Béchon , ravageaient alors tout le territoire des Huns. L'empereur accueillit avec bienveillance le Chagan, qui était chrétien et qui se nommait Théodore, lui accorda sa demande, (1) Saint-Maurice en Valais, Agaunum. (2) Sarwar, au confluent du Gunz et du Raab , "dans le comté d'Eiscn- bourg ( Hongrie ). Haimburg', près du Danube, à neuf lieues E. de Vienne et sur les frontières de la basseAutriche et de la Hongrie. Le territoire con- ( é lié n'avait guère plus de vingt lieues de large, tant éta tréduite, dit Eckhart, II, 58, Cflle nation des Huns, autrefois si grande et si formidable. CHAULE?. «,, et le congédia après lui a\i)ir fait quelques preseuts. Ce (Miagaii retourna parmi les siens, et mourut bientôt après. Son suc- cesseur envoya un des grands do la n:ilioa demander pour lui la confirmation de Tautorité que les Huns , depuis les temps anciens, avaient coutume d'accorder à IcurCliagan. L'empereur consentit à sa demande , et ordomia que , suivant raucien usage, le Cliagan eût une autorité suprême sur tout le royaume. La même année , il envoya son fils Charles à la tète de son armée dans le pays des Slaves-Bohèmes. Charles ravagea tout leur territoire , tua Bèchon , leur duc , et , au retour de cette expédition , il alla retrouver son père dans la forêt des Vosges, à l'endroit que l'on nomme Champs (1). En effet , l'empereur, parti d'4ix-la-Chapelle au mois de juillet , s'était rendu, en pas- sant par Thionville et par Metz , dans les Vosges. Après s'y être livTé au plaisir de la chasse, il se dirigea , lorsque son ar- mée fut revenue, vers le château de Remiremont (2), y sé- journa quelque temps, puis alla se flxer dans son palais de Thionville pour y passer l'hiver. Ses deux fils Pépin et Louis vin- rent l'y trouver, et ce fut là qu'il célébra la nativité du Seigneur. 806 Aussitôt après Noël , Villers et Béat , ducs des Vénitiens , ainsi que Paul, duc de Zara, et Donat, évêque de la nit-mu ville , envoyés par les Dalmates , vinrent offrir à l'empereur de riches présents (3), et ce prince prit immédiatement ses me- sures au sujet des chefs et des peuples de la Vénétie et de la Dalmatie. Lorsqu'il les eut congédiés, il tint une assemblée gé- (J) champs en Lorraine, près de Bruyères, à quatre lieues E. d"Épinal et trois lieues >'. de Remiremont (Vosges). (2) Remiremont, sur la rive gauche de la Moselle, à cinq lieues S. E. d'Épi- iial , au pied des Vosges ( Vosges ). (3) Ils venaient reconnaître l'autorité de Charlcmagne et implorer sa protection contre l'empereur grec Niccphnre. Vov Eckhart. Cnmmrut., Il, il). 116 CHARLES. nérale des grands et des nobles de la nation pour assurer la paix entre ses fils et diviser l'empire en trois parts, afin que chacun d'eux sût d'avance quelle partie il aurait à défendre et à gouverner, s'il lui survivait. Un acte authentique de ce partage fut dressé (1); tous les grands le confirmèrent par leur serment, des règlements furent établis pour le conservation de la paix, et le tout fut rédigé par écrit et porté par Éginhard au pape Léon (2) , pour qu'il y apposât sa signature. Le pape en prit lecture, donna son approbation et souscrivit de sa main. L'empereur, après avoir envoyé ses deux fils. Pépin et Louis . chacun dans le royaume qui lui était destiné, quitta le palais de Thionville et se rendit à Ps^imègue, en des- cendant la Moselle et le Pihin. Ce fut [à qu'il célébra le saint jeûne de la Quadragésime et la très-sainte fête de Pâques. Quelques jours après, étant arrivé à Aix-la-Chapelle, il envoya son fils Charles avec une armée contre les Slaves-Sorabes, dont le pays est situé sur les bords de l'Elbe. Dans cette expédition, IMiliduoch , duc des Slaves , fut tué, et deux ch'àteaux furent construits par l'armée, l'un sur les rives de la Sale, l'autre près de l'Elbe (3). Les Slaves pacifiés, Charles ramena son armée et alla rejoindre l'empereur à Selle , sur les bords de la Meuse (4). Un corps de troupes composé de Bavarois, d'Alle- mands et de Bourguignons fut envoyé, comme l'année précé- dente , dans le pays des Bohèmes; ils en ravagèrent la plus ' {\) Voy. dans Eckhart , II, 41, le texte de cet acte date du ii des ides de février dans les Annales de Wurabourg, et du viii des ides du même mois dans l'ancien Ms. de Saint-Gall rapporté par D. Mabillon , Analect., IV, 3/*. (2) On a prétendu qn'Éginhard était alors notaire de Charlemagne ; mais c'est là une assertion qui ne repose sur aucune preuve. Voy. la notice en tête de ce volume. ;3] « Deux cités, dit la Chronique de Moissac , l'une sur la rive septen- trionale de l'Elbe , en face de Magdebourg , l'autre sur la rive orientale de la Sale, au lieu nommé Halie. » (La première de ces deux villes, bâtie sur la rive orientale de l'Elbe, qui, dans la basse Saxe, court du sud au nord, n'existe plus; Halle fait aujourd'hui partie delà régence de Mersebourg , P russe, ) [k] Selle sur la rive droite de la Meuse , prés de Diuant. CHARLES. H7 KiJndo parlie, et iTsiiiroiii sans avoir faitaucuue perte sérieuse. La même amiée, une Hotte fut envoyée par Pépin , d'Italie en Corse, eoutre les ÎMaures , qui ravageaient cette île.lMais ceux- ci ne l'attendirent pas et se retirèrent. Cependant un des nôtres, Haduiiîar, comte de Gênes, périt dans un combat où il s'était im|)rudemment engagé contre ces pirates. Eu ïLspagne, les iSa- \arrais et les habitants de Pampelune, qui , depuis quelques an- nées , étaient passés aux Sarrasins , revinrent à notre alliance. Une flotte fut envoyée par l'empereur INicéphore, sous le com- mandement du patriceNicétas,pour recouvrer la Dalmatie. Ce- pendant les ambassadeurs qui, près de quatre ans auparavant, avaient été envoyés par Charles vers le roi de Perse traver- sèrent la ligne des vaisseaux grecs et trouvèrent un refuge dans le port de Trévise , sans que l'ennemi se fût aperçu de leur passage. L'empereur célébra la fêle de Noël à Aix-la-i- Chapelle. 807. L'année précédente, le iv des nones de septembre (1), il y avait eu une éclipse de lune ; le soleil se trouvait alors dans le seizième degré du signe de la Vierge et la lune dans le seizième degré des Poissons. Cette année, la veille des calendes de février, la lune était dans son di.v-septième jour, lorsque la planète de Jupiter sembla pour ainsi dire passer au travers. Le m des ides de février, vers midi , il y eut éclipse de soleil , les deux astres se trouvant dans le vingt- cinquième degré du Verseau. Il y eut encore une éclipse de lune le iv des calendes de mars, et la même nuit on vit dans le ciel des météores d'une grandeur ex- traordinaire. A ce moment le soleil se trouvait dans le onzième degré des Poissons et la lune dans le onzième degré de la (1) U y a ici une erreur d'un jour; léclipse eut lieu le I" scplcnil)rc, à dix heures et demie. Les autre? observations sont exactes, Vo> . les tables de PiHgré. 118 châbles. Vierge. Lexvi descaleudes d'avril, Mercure apparut sur le soleil comme une petite tache noire , et on Tobserva pendant huit jours un peu plus haut que le milieu de cet astre ; mais des nuages nous empêchèrent de noter le moment où cette planète sortit du disque, ainsi que le moment où elle y était entrée. Au mois d'août, le xi des calendes de septembre, la lune s'éclipsa de nouveau vers la troisième heure de la nuit, le soleil étant placé dans le cinquième degré de la Vierge et la lune dans le cinquième degré des Poissons. Ainsi, depuis le mois de sep- tembre de l'année précédente jusqu'au mois de septembre de cette année, on compta trois éclipses de lune et une de soleil. Ratbert, qui avait été envoyé par l'empereur en Orient, mourut à son retour. Abdalla, ambassadeur du roi de Perse, et avec lui les moines de Jérusalem, qui s'acquittaient de la mission que leur avait confiée le patriarche Thomas, se présentèrent devant l'empereur. Les deux moines se nommaient Georges et Félix. — Ce Georges, abbé du mont des Oliviers, est Ger- main de nation , et son véritable nom est Égibald. — Ils of- frirent à Charles des présents que lui envoyait le roi de Perse et qui consistaient en un pavillon et en tentures d'appartements d'une dimension et d'une beauté merveilleuse. Le tout était en étoffe de lin, et les tentures, aussi bien que les cordes , étaient teintes en diverses couleurs. 11 y avait aussi parmi ces présents du roi de Perse de nombreux vêtements de soie d'un grand prix , des parfums , des aromates , du baume et une horloge de métal construite avec un art admirable. Un mé- canisme mû par l'eau marquait le cours des douze heures , et au moment où chaque heure s'accomplissait un nombre égal de petites boules d'airain tombaient sur un timbre placé au-dessous , et le faisaient tinter par leur chute. Il y avait en- core douze cavaliers qui, lorsque les douze heures étaient ré- volues, sortaient par douze fenêtres , en fermant derrière eux, dans le choc de leur sortie, ces fenêtres, qui auparavant étaient ouvertes. Ou admirait encore beaucoup d'autres merveilles CIUKLKS. 119 dans cotte horlogo, mais il serait trop long de les rapporter ici. Il y avait aussi parmi ces présents deux candélabres de mé- tal d'une beauté et d'une grandeur admirables. Tout cela fut présenté a l'empereur dans sou palais d'Aix-la-Chapelle. Après avoir retenu pendant quelque temps auprès de lui l'ambassa- deur et les moines, il les envoya en Italie , où, d'après ses ordres, ils attendirent le moment de s'embarquer. La même année il envoya, sous les ordres de Burchard, son connétable, une (lotte en Corse, pour défendre cette île contre les incur- sions des Maures, qui, depuis plusieurs années, avaient pris l'habitude d'y venir piller. Partis d'Espagne, suivant leur cou- tume, ils avaient débarqué d'abord en Sardaigne et livTé aux Sardes un combat dans lequel périrent un grand nombre des leurs ; car ou dit que cette affaire leur coûta trois mille hommes. De là ils se dirigèrent en droite ligne vers la Corse. Mais, dans un des ports de cette île, ils eurent à soutenir contre la flotte de Burchard un nouveau combat, dans lequel ils furent vaincus et mis en fuite après avoir perdu treize navires et beau- coup de monde. Cette année-là ils essuyèrent en tous lieux tant de revers qu'eux-mêmes reconnurent qu'ils n'étaient si malheureux que pour avoir, l'année précédente , contre toute justice, enlevé soixante moines dans l'île Pantellaria (I) pour les transporter en Espagne et les vendre". Quelques-uns de ces infortunés, rachetés par les libéralités de l'empereur, re- tournèrent dans leur pays. Le patrice Nicétas, qui se tenait avec la flotte grecque sur les côtes de la Vénétie, entra en ar- rangement avec le roi Pépin , et , après avoir conclu une trêve jusqu'au mois d'août, il quitta sa station pour retourner à Con- stantinople. Cette année, l'empereur célébra les fêtes de Pâques et de Noël à Aix-la-Chapelle. (t) L'ancienne Cossyra , entre l'Afrique et la Sicile, à rtix-Jiuit lieues E. S. E. du cap Bon. 120 CHAULES. 808. L'hiver fut très-humide et engendra des maladies. Au re- tour du printemps, l'empereur, s'étant rendu à Nimègue, y passa le jeûne de la Quadragésime, et y célébra même la sainte fête de Pâques ; puis il revint à Aix-la-Chapelle. Ayant appris que Godefrid , roi des Danois , était entré avec une armée sur le territoire des Abodrites, il envoya vers l'Elbe un corps nom- l)reux de Francs et de Saxons sous les ordres de son (Ils Charles, auquel il avait prescrit de repousser les tentatives de ce prince insensé s'il essayait d'envahir la Saxe. Mais ce- lui-cr, après avoir campé pendant quelques jours sur les bords de l'Elbe, après avoir assiégé et pris un certain nombre de châ- teaux appartenant aux Slaves , se retira avec des pertes consi- dérables. Car, s'il expulsa Thrasicon, duc des Abodrites, qui se défiait de la fidélité des siens; s'il fit pendre un autre de leurs ducs, Godelaïb, qui tomba par trahison entre ses mains ; enfin, s'il rendit tributaires les deux tiers de la nation, il per- dit aussi les plus braves et les plus déterminés de ses soldats , et avec eux soù neveu, nommé Réginold, tué au siège d'une forteresse, ainsi que plusieurs autres chefs danois. Cependant le prince Charles, ayant fait jeter un pont sur l'Elbe , s'était hâté de transporter l'armée qu'il commandait dans le pays des Linnes et des Smeldinges (1), qui avaient passé du côté de Godefrid. Après avoir ravagé ce pays en tous sens, il repassa le fleuve et ramena en Saxe son armée saine et sauve. Les Slaves, que l'on nomme Wiltzes , avaient suivi Godefrid dans cette expédition ; poussés par leur vieille haine contre les Abo- drites, ils étaient venus d'eux-mêmes se joindre à son armée. Et lorsque ce roi regagna ses États , ils rentrèrent aussi chez (0 Ces deux peuples habitaient, au delà de l'Elbe, sur les bords de l'Oder ; les Linnes sur la rive gauche , les Smeldinges un peu plus haut sur la rive droite de ce fleuve. Voy. Chronici Goitwicensis prodr., II, 660: el Adam de Brcmc , De silu Danitc. CHAULES. 121 n\\ nvic tout le liutin qu'ils avaient pu faire sur les Abodrites. Cependant Ciodet'rid, avant de se retirer, détruisit nu port luarehand nommé en langue danoise llericli , qui était situé sur les eôtes de TOcéan (1) et qui procurait à ses États de grands avantages par les droits considérables qu'il rapportait. Il en emmena tous les marchands ; puis, mettant à la voile, il aborda, avec toute son armée, dans le port nommé Sliesthorp. Après y être demeuré quelques jours, il résolut d'entourer d'un retranchement toute la frontière de son royaume qui regarde la Saxe, de telle sorte qu'à partir du bras de mer oriental qu'ils appellent Ostarsalt (2) jusqu'à l'Océan occidental toute la rive nord de l'Eyder (3) dut se trouver garnie d'une enceinte, dans laquelle il ne réserva qu'une seule porte pour que les chariots et les cavaliers pussent entrer et sortir. Après avoir réparti le travail entre les chefs de ses troupes, il revint dans son palais. Vers la même époque, le roi des Northumbriens de Bretagne, nommé Eardulf, chassé de son royaume et de son pays, vint trouver l'empereur lorsqu'il était encore à ]Nimègue,et après l'avoir instruit du motif de son arrivée, il se rendit à Rome. Au retour, il fut accompagné par les envoyés du souverain pontife et par ceux de l'empereur, qui le reconduisirent dans ses États. Léon III gouvernait alors l'Église romaine. L'ambas- sadeur qu'il envoya en Bretagne fut le diacre Ardulf , qui lui- même était né dans cette île et d'origine saxonne. Les ambas- sadeurs que l'empereur envoya en même temps furent deux (t) Dans la Wagrie (duché de Holstein), suivant Eckhart. Rorich, près deWismar, sur la Baltique ( grand-duché de Mecklembourg-Schwerin ), suivant Gebhard , flist. Daniœ, p. 381. (2) Ostsee. (3) Telle est , suivant Eckhart, l'origine du nom de ce fleuve, qui aupa- ravant s'appelait Dena , et qui prit alors le nom d'Heggedora , c'est-à-dire fluvius portr, Pertz ( II, 200, note 77 ), (jui cite Gebhard, Hisl., Dnn., p. 582. CHAULES. 133 rpfdsaient de reconnaître leur domination. Après les avoir domptés , ils revinrent, et reçurent leur frère , qui leur avait été renvoyé par l'empereur. Mais les fils de Godefrid et un asscï grand nombre de seigneurs danois, qui depuis longtemps avaient quitté leur patrie pour se réfugier chez les Suédois, ras- semblant des troupes de tous côtés, s'avancèrent alors contre les deux rois. Renforcés par les habitants du pays, qui, de toutes les parties du Danemark, accoururent en foule sous leurs dra- peaux , ils leur livrèrent bataille , et parvinrent sans peine à les chasser du royaume . Comme les Maures (1 ) revenaient de Corse en Espagne avec un riche butin , Irmingar, comte d'Ampu- rias (2) , leur dressa une embuscade dans l'île de Majorque , et leur prit huit vaisseaux dans lesquels on trouva plus de cinq cents Corses captifs. Les Maures , pour se venger de cet échec, ravagèrent Civita-Vecchia en Toscane et Nice dans la province Narbonnaise. Ils attaquèrent aussi la Sardaigne, et li- vrèrent aux Sardes un combat; mais, repoussés et vaincus, ils se retirèrent après avoir fait des pertes nombreuses. Cependant l'empereur Michel , ayant entrepris la guerre contre les Bul- gares, n'éprouva que des revers; de retour dans ses États, il abdiqua la couronne pour se faire moine. Léon (3) , fils du patrice Bardas, fut nommé empereur à sa place. Grumne, roi des Bulgares , qui , deux ans auparavant , avait tué l'empereur Nicéphore et chassé Michel de la Mésie , enorgueilli par ses [1) Lne particularité à remarquer c'est quEginhard se sert constam- iiient du mot de Maures, Mmiri, pour désigner les pirates musulmans qui ravageaient les îles et les côtes ,ie la Méditerranée. Quant aux musulmans liabitants de l'Espagne et de l'Afrique qui ne se livraient point à la navi- gation, il les appelle toujours Sarrasins, Sarraceni. [2) Ampurias, petite ville et port d'Espagne, à huit lieues N. E. de Gironne dans la province de ce nom. [3) Léon , dit l'Arménien , gouverneur d'Anatolie , fut proclamé par les soldats le 10 juillet 813 et couronné le lendemain par le patriarche Nicé- phore. Michel .se retira dans un monastère d'une ile de la Proponti.. 135 136 LOUIS. ambassadeurs , chargés de remettre à l'empereur Charles une copie et la ratiflcation du traité d'alliance (1). Louis, après avoir donné audience à ces députés", les congédia , en envoyant avec eux Norbert , évêque de Reggio , et Richwin , comte de Poitiers, chargés de renouveler l'alliance avec l'empereur Léon, et de conflrmer le traité. Il tint ensuite , à Aix-la-Chapelle , l'assemblée générale de la nation, et envoya dans toutes les parties de l'empire des commissaires pour rendre la justice et remédier aux abus qui pesaient sur le peuple. Il fit venir au- près de lui Bernard, roi d'Italie , son neveu , et le renvoya dans ses Etats comblé de présents. Il conclut et confirma avec Gri- moald, duc des Bénéveutins, un nouveau traité aux mêmes conditions que son père , c'est-à-dire que les Bénéveutins s'o- bligèrent à payer un tribut annuel de sept mille sous (2). Il envoya ensuite deux de ses fils , Lothaire et Pépin , l'un en Bavière , l'autre en Aquitaine. Vers le même temps Hériold et Régiu- frid , rois des Danois , qui , l'année précédente , avaient été vaincus par les fils de Godefrid et chassés de leurs États , ras- semblèrent de nouvelles forces , et recommencèrent la guerre. Cette querelle coûta la vie à Réginfrid et à l'aîné des fils de Godefrid. Après cela, Hériold, se défiant du succès de son entre- prise, se rendit auprès de l'empereur et se recommanda entre ses mains (3). L'empereur l'accueillit, et lui ordonna d'aller attendre en Saxe le moment où il pourrait lui fournir les se- cours qu'il demandait. (1) Suivant le P. Pagi, ces ambassadeurs venaient solliciter les secours des Francs contre les invasions des Bulgares. (2) Le traité fut modifié par Louis le Débonnaire à l'avantage des Bé- néventins ; car nous avons vu qu'en 812 le tribut avait été fixé par Char- lemagne à vingt-cinci mille sous d'or. Voy. p. 131, n. 2. (3) C'est-à-dire qu'il devint le fidùle , l'antrustion de Louis le Déboanaire en mettant sa main dans celle de l'empereur. Sur la Recommandation voy. le Gloss. deDu Cange,au mot commcndatio, et le Mém. de .M. Nandet, tom. VUl des.HOm. de l'.Uad. dcsluscriplions.p. ^17. LOUIS. 137 l/eiupereur doiuia aux Savons et aux Abodrites l'ordre de se préparer pour cette expédition. Pendant Tliiver on tenta , à deux reprises , le passage de l'Elbe ; mais , par un changement subit de l'atmosphère , la température s'étant adoucie , la glace qui couvrait le fleuve se brisa , et le passage ne put s'effectuer. Ce ne fut donc qu'après l'hiver , vers le milieu de mai , que le temps parut favorable pour entrer en campagne. Alors tous les comtes des Saxons et toutes les troupes des Abodrites se réu- nirent, conformément aux ordres de l'empereur, sous la con- duite de Baldéric , son lieutenaat , pour soutenir Hériold ; et , passant l'Eyder , ils arrivèrent à l'endroit nonuné Silendi (I), dans le pays des JNortmans. Partis de là, ils parvinrent, après sept jours de marche , sur les bords de l'Océan , au lieu que l'on appelle***, où ils placèrent leur camp et s'aiTêtèrent trois jours. Cependant, comme les fils de Godefrid, qui avaient rassemblé pour cette guerre des troupes nombreuses et une flotte de deux cents vaisseaux , restaient dans une île séparée du continent par un bras de mer de trois milles de largeur (2) , sans oser en venir aux mains , les troupes impériales , après avoir ravagé tous les pays environnants et reçu des habitants quarante otages , retournèrent en Saxe auprès de l'empereur. Ce prince tenait alors, dans le lieu nommé Paderborn, l'as- semblée générale de la uatiou , et ce fut là que les principaux chefs et les députés des Slaves orientaux vinrent le trouver. Quelque temps auparavant, lorsqu'il était encore à Aix-la-Cha- (1) M. Perlz place cette position , sans la préciser, dans l est de la Cher- soiiôso eimbrique , JuUand méridional. Suivant Eckhart , II, H8, il fau- drait lire Filendi , d'oii Filendisburg , aujourd'hui Flensborg , à Tcxtrc- mité S. O. du FlfHsborg-Fiord , sur la nier Balti((ue ' Jutland niérid.. Da- nemark ). (2) Probablement l'une des deux iles de SyU ou de Nordstraiid dans la mer du Nord . sur la côte orientale du lulland. fjt. 138 LOUIS. pelle , ou était veuu lui annoncer que, des nobles romains ayant formé , dans Rome même , une conspiration contre la vie du pape Léon , celui-ci , instruit du complot , en avait fait arrêter et mettre à mort tous les auteurs. L'empereur en conçut im vif mécontentement. Il régla donc les affaires des Slaves et d'Hé- riold , qui fut laissé en Saxe ; et , s'étant rendu à son palais de Francfort , il chargea son neveu Bernard , roi d'Italie , qui était venu en Saxe avec lui , d'aller à Rome prendre connaissance de ce qu'on lui avait annoncé. Bernard en arrivant tomba malade ; mais il manda à l'empereur tout ce qu'il avait appris de cette affaire , par le comte Gérold , qui lui avait été ad- joint à cet effet. Celui-ci fut suivi de près par les ambassa- deurs du pape, Jean, évêque de Blanche-Sel ve , le nomen- clateur Théodore et le duc Sergius, qui satisQrent pleinement l'empereur sur tout ce qui était reproché à leur maître. Des députés sardes partis de Cagliari vinrent alors apporter des présents. La paix qui avait été conclue avec Abulaz (1), roi des Sarrasins, et que l'on observait depuis trois ans fut rompue comme dérisoire, et la guerre reprise contre lui. Cependant l'évêque ISordbert et le comte Richwin revinrent de Constan- tinople avec la copie du traité qui leur avait été remise par l'empereur Léon. Ils rapportèrent, entre autres choses, que, pendant qu'ils étaient dans cette \ille , on avait ressenti au mois d'août, cinq jours de suite, les secousses d'un violent tremblement de terre , qui , d'après leur témoignage , avait renversé la plupart des édifices de Constantinople , et, dans d'autres villes, écrasé sous les ruines un grand nombre d'ha- bitants. En Gaule, cette même aimée, on dit qu'au mois de septembre la ville de Saintes en Aquitaine éprouva égale- ment quelques secousses, et le Rhin, grossi par les eaux ve- nues des Alpes, déborda d'une manière extraordinaire. Cepen- ("l) .\bulaz , Aboulu&sij le Méclianl , smniixn , dclisuré par les cIhchu- qucuis, d'Hakam , roi de Cordouc. LOLIS. 139 il;iiit les liabilaiits dos Ktats romaius, voyant le pape Léou ntouu au lit par nue grave maladie, se réunissent eu armes, pillent , incendient toutes les maisons qu'il avait fait construire sur le territoire de chaque a ille , et se décident à marcher vers H «Mlle pour y reprendre à force ouverte ce qu'on leur avait, disaient-ils , injustement enlevé. Informé de ce soulèvement , le roi Bernard l'eut bientôt apaisé en envoyant, sous les ordres de Winigise, duc de Spolète, quelques troupes, qui empêchè- rent les Romains d'exécuter leur projet. Il expédia ensuite des I messagers pour rendre compte à l'empereur de ce qu'il avait fait. 81G. Après l'hiver , les Saxons et les Francs orientaux reçurent l'ordre de marcher contre les Slaves-Sorabes, qui île voulaient plus obéir. Ils s'acquittèrent courageusement de cette mission, et réprimèrent , sans beaucoup de peine ^ l'audace des re- belles. En effet, la prise d'une seule ville suffit pour que tout ce qui montrait du penchant à la révolte daiis cette na- tion promît de se soumettre et se tînt tranquille. Les Gascons qui habitent au delà de la Garonne , à l'entour des Pyrénées , irrités de ce qu'on leur enlevait leur duc Sigwin, que l'empereur avait du rappeler à cause de son insolence et de sa dépravation, se laissèrent entraîner par leur légèreté naturelle , et se décla- rèrent en révolte ouverte. Mais deux campagnes les réduisi- rent si bien qu'il leur tardait de se soumettre et d'obtenir la paix. Cependant le pape Léon quitta cette vie dans la vingt et unième année de son pontiiicat , vers le viii des calendes de juin (1). Le diacre Etienne fut élu et ordonné à sa place. Deux mois s'étaient à peine écoulés depuis sa consécration qu'il s'em- pressa, en voyageant aussi vite que possible, de se rendre au- (i) Léon mourut le m des ides de juin , 1 1 juin 81(3. LUciinc IV, son sui:. ccsscur, fut ordunné le 2;i f'u mOme mois. 140 LOUIS. près de l'empereur , à qui il avait déjà envoyé deux ambassa- deurs comme pour lui annoncer son avénenient. Dès qu'il eut appris cette détermination du pape, l'empereur résolut de s'a- vancer jusqu'à Reims pour l'y recevoir, et envoya au-devant de lui des gens chargés de le conduire dans cette ville (1). Il y arriva le premier, et l'y accueillit avec les plus grands hon- neurs. Le premier soin du pontife fut de faire connaître à l'em- pereur la cause de son voyage ; et, après avoir célébré la messe avec la solennité accoutumée , il le couronna en lui plaçant le diadème sur le front. Après avoir ensuite échangé de nom- breux présents et célébré des festins magnifiques ; après avoir resserré leur alliance par les liens les plus forts, et réglé, aussi bien que le permettaient les circonstances , les intérêts de la sainte Église de Dieu , le pontife reprit le chemin de Rome , et l'empereur se rendit à sou palais de Compiègne. Pendant qu'il y séjournait, il reçut les députés des Abodrites et ceux que lui envoya d'Espagne AbdalrahmMi (2) , fils du roi Abulaz. Apres être resté eu cet endroit vingt jours, ou même un peu plus , il se rendit à Aix-la-Chapelle pour y passer l'hiver. 817. Les ambassadeurs envoyés de Saragosse par Abdalrahman, fils d'Abulaz, roi des Sarrasins, étaient venus pour demander la paix. Après leur avoir donné à Compiègne une première au- dience, l'empereur leur enjoignit d'aller l'attendre à Aix-la-Cha- pelle. Arrivé dans cette ville , il y reçut un envoyé de Léon , empereur de Constiuitinople , nommé Nicéphore, et chargé de traiter l'affaire des Dalmates. Mais comme Cadolah , qui avait la garde de la frontière de Dalmatie, était absent et qu'il était attendu d'un moment à l'autre , ou prescrivit à Nicéphore de (I) Théotlulf, évéquc cl'OiIéans; Jean, archcvciiuc d Arles ; H laicbi- chapelain HiUlpbald. {2) Abd aliatiiiian II. LOLIS. \4[ denieuier jusqu'à sou retour. Cadolali , aussitôt qu'il fut arrivé, eut avec lui plusieurs conféreuces au sujet des réclamatious que celui-ci lui exposa. Mais comme l'affaire intéressait un grand nombre de Romains et de Slaves et qu'on ne voyait pas moyen de la terminer sans eux , on remit à la décider sur les lieux mêmes; et, à cet effet, Albigaire, neveu d'Unroch , fui chargé d'accompagner eu Dalmatie Cadolah et l'ambassadeur grec. Dans le même temps, les envoyés d'Abdalrahman , qui étaient retenus depuis trois mois et qui commençaient à dé- sespérer de leur retour, furent congédiés. Les lils de Godefrid, roi des Danois, fatigués des ravages continuels qu'Hériold fai- sait sur leurs terres , envoyèrent aussi une ambassade à l'em- pereur pour lui demander la paix, promettant de l'observer eux-mêmes fidèlement. Mais , comme on jugea que leurs pro- testations étaient plus feintes que sincères et qu'elles n'avaient rien de sérieux , on n'en tint aucun compte , et de nouveaux se- cours furent envoyés à Hériold. Le jour desnones de fénner, à la seconde heure de la nuit , il y eut éclipse de lune . et une co- mète apparut dans le sigue du Sagittaire. Sur ces entrefaites le pape Etienne mourut vers le vin des calendes de février (1) , avant la fin du troisième mois depuis son retour à Rome. Il eut pour successeur Pascal, qui , après les cérémonies de son ordination , envoya à l'empereur des présents et une lettre d'excuse dans laquelle il prétendait que l'honneur du pontificat lui avait été comme imposé non-seu- lement malgré son refus , mais même malgré tous ses efforts pour le repousser. Cependantil envoya une autre ambassade pour prier l'empereur de vouloir bien ratifier et confirmer avec lui l'alliance faite avec ses prédécesseurs. Le nomenclateur Théo- dore fut chargé de cette mission, et obtint ce qu'il demandait. Le jour où l'on célèbre la cène du Seigneur, le jeudi de la se- (1) Etienne mourut le ix des calendes de février, 'M janvier S17. Pas cal l^"", son successeur, fut élu à l'unanimité et consacré le lendemain. 142 Louis. maine sainte , comme 1 empereur, revenant de l'église après avoir entendu l'office, passait sur un portique de bois, ce portique , qui était construit en matériaux fragiles et dont la charpente et le plancher étaient tellement pourris et vermou- lus qu'ils ne pouvaient plus supporter la moindre surcharge , s'écroula tout à coup sous les pieds de l'empereur et le pré- cipita jusqu'à terre avec une vingtaine de personnes qui l'ac- compagnaient. Cet accident occasionna des blessures graves à la plupart de ceux qui tombèrent avec l'empereur ; quant à lui, il n'eut d'autre mal qu'une contusion que lui fit au bas de la poitrine , vers le côté gauche , la poignée de son épée , une blessure derrière l'oreille droite et une autre contusion à la cuisse droite, près de l'aine, causée par le choc d'un éclat de bois. IMaiS; grâce aux médecins qui le soignaient, il se rétablit très- promptement; car vingt jours après l'événement il partait pour Nimègue , et se livrait au plaisir de la chasse. Étant re- venu à Aix-la-Chapelle , il y tint , suivant l'usage, l'assemblée générale de la nation. Il fit dans cette assemblée couronner Lothaire , son fils aîné, l'associa au titre et à la dignité d'em- pereur, et, donnant à ses deux autres fils le titre de rois , il confia à l'un le gouvernement de l'Aquitaine, à l'autre celui de la Ba\ière. Après avoir clos l'assemblée, il se dirigeait vers la forêt des Vosges pour y chasser, lorsqu'il rencontra les am- bassadeurs de l'empereur Léon. Il leur donna audience dans sou palais d'Ingelheim, près de la ville de Mayence; mais voyant que leur mission ne différait en rien de celle que Nicéphore , envoyé par le même prince , venait de remplir auprès de lui , il les congédia promptement et poursuivit son voyage. Ayant appris la défection de Sclaomir et des Abodrites , il se contenta d'en avertir par un messager les comtes qui occupaient les places fortes sur les rives de l'Elbe , pour qu'ils eussent à ga- rantir la frontière confiée à leur garde. La cause de cette ré- volte était l'ordre donné à Sclaomir de partager avec Céadrag. fils de Thrasicon , le pouvoir suprême qu'il exerçait seul sur L0U16. 143 les Abodrites depuis la morl de ee deruier. Cette mesure exaspéra tellement Selaomir, qu'il lit sermeut de ne plus tra- verser l'Elbe, de ne plus jamais se vendre au palais de l'empe- reur, et qu'ayant aussitôt envoyé une ambassade sur l'autre rive du détroit , pour faire alliance avec les fils de Godefrid , il obtint d'eux qu'une armée pénétrerait dans la Saxe de l'autre côté de l'Elbe. En effet, leur flotte remonta ce fleuve jusqu'au château d'Esselfelt (1) , et ravagea toute la rive de la Sture; mais Gluomi, comte de la marche du Nord, s' étant avancé par terre avec un corps d'infanterie, arriva en même temps que les Abodrites sous les murs du château. Les nôtres opposè- rent à l'ennemi une vigoureuse résistance , et le forcèrent de lever le siège et de se retirer. Sur ces entrefaites , tandis que l'empereur, après avoir terminé ses chasses dans les Vosges, revenait à Aix-la-Chapelle , il reçut la nouvelle que son neveu Bernard , roi d'Italie , cédant à de mauvais conseils , voulait se rendre indépendant , que déjà il avait fait fortifier tous les passages ou cluses par lesquels on pénètre en Italie , et que toutes les villes lui avaient juré fidélité; il y avait du vrai et du faux dans cette nouvelle. L'empereur, impatient de réprimer cette insurrection, rassembla à la hâte de toutes les parties de la Germanie et de la Gaule une armée formidable , et se dirigea à marches forcées vers l'Italie. Cependant Bernard , inquiet sur le résultat de son entreprise , parce qu'il voyait que chaque jour il était abandonné par quelqu'un des siens , déposa les armes et vint à Cbâlons se livrer à l'empereur. Tous ses par- tisans l'imitèrent, et non- seulement ils mirent bas les armes et se rendirent à discrétion , mais d'eux-mêmes et à la pre- mière question qu'on leur adressa ils déclarèrent tout ce qui s'était passé. Les chefs de la conjuration étaient Eggidéon, le plus intime des amis du prince ; Réginard , son chambellan , et Réginaire , fils du comte Méginhaire, dont l'aïeul maternel (Ij Voy. ci-dessus, p. ♦24, n. j. 144 LOUIS. Hardrad avait autrefois en Germanie, ave<; un grand nombre de nobles de cette contrée , tramé un complot contre l'empe- reur Charles. Beaucoup d'autres personnages illustres et du plus haut rang trempèrent dans le crime de Bernard et avec eux plusieurs prélats, car Anselme, évêque de Milan, Wol- J fold, évêque de Crémone, et Théodulf , évêque d'Orléans, 1 furent compromis dans cette affaire. 818. Apres avoir ainsi découvert le complot, après en avoir dé- mêlé toutes les intrigues et mis la main sur tous les conspi- rateurs, l'empereur revint à Aix-la-Chapelle. Il laissa passer le jeûne de la quadragésime , et, quelques jours après Pâques, il ordonna que les coupables que nous avons nommés, et avec eux le roi Bernard, condamnés à la peine de mort par le ju- gement des Francs, seraient seulement privés de la \ue (I). Les évêques, préalablement déposés par le décret d'un synode, furent relégués dans des monastères ; et quant aux autres , suivant leur degré de culpabilité , ils furent ou punis de l'exil ou rasés et enfermés dans des couvents. Après avoir terminé cette affaire , l'empereur conduisit lui-même en Bretagne une puissante armée , et ce fut à Vannes qu'il tint l'assemblée gé- nérale. Étant ensuite entré dans cette province, il s'empara des lieux fortifiés par les rebelles , et il eut bientôt, sans beau- coup de peine , réduit tout le pays sous son obéissance. En effet , ime fois que Morman , qui au mépris des usages de son pays avait usurpé le titre de roi , eut été tué par les troupes impériales, on ne rencontra plus chez les Bretons aucune ré- sistance ; pas un d'eux ne refusa d'exécuter les ordres qui fu- rent donnés ou de livrer les otages que l'on exigea. Cette expé- dition terminée, l'empereur, qui avait congédié ses troupes, (l)BPrnaid el.son chambellan Uéginhard moururent trois jours aprfs l opération , le «7 avril. Bornanl n'avait alors que iHx-neuf ans. LOLis. n;> revint dans la cité d'Angers ; la reine Irmingardo, sa femrae, qu'il y avait laissée malade èfi partant, succomba au redoublement de la raaladie,et mourut deux jours après son arrivée, le v des nones d'octobre (1). Le Viii des ides de juillet, il y eut une éclipse de so- leil. L'empereur semit en route par Rouen, Amiens et Cambrai, pour aller passer l'hiver à Aix-la-Chapelle. Arrivé à Héristall , il y rencontra les députés de Sigon , due de Bénévent , qui lui apportaient des présents et venaient excuser leur maître du meurtre du duc Grimoald, son prédécesseur. Il y avait encore là des députés d'autres nations , ceux des Ahodrites , ceux de Borna, duc des Guduscans et des Timotians , qui s'étaient dé- tachés de la confédération des Bulgares pour se transporter sur notre territoire, et enfin ceux de Liudwit, duc de la Pannonie inférieure, qui, machinant de nouvelles intrigues, voulait accu- ser de cruauté et de tyrannie le comte Cadolah, préfet de la marche du Fricul. Après les avoir entendus et congédiée, l'em- pereur repartit pour Aix-la-Chapelle, où il devait passer l'hiver. 81». Cette même année , une armée composée de Francs orien- taux et de Saxons avait été envoyée au delà de l'Elbe pour punir Sclaomir, roi des Abodrites, de sa perfidie. Il fut amené a Aix-la-Chapelle par les préfets de la marche saxonne et les lieu- tenants de l'empereur qui avaient été chargés de diriger cette expédition. Les principaux de sa nation, qui avaient reçu Tordre de l'accompagner, lui imputèrent une multitude de crimes , et comme il ne put alléguer aucune raison valable pour détniire les accusations portées contre lui, il fut condamné à l'exil , et le royaume des Abodrites fut donné à Céadrag, fils de Thra- sicon. Il en arriva autant au GasconLoup de Centulle, qui avait (0 trmingarde , mère de Lothaire, de Pépin et de Louis, et de trois filles , Adélaïde, Alpaïdect HildeRarde. avait éponsé Louis le Débonnaire en 798. 146 i-OLls. livré, la même année, à Béreuger, comte de Toulouse, et à Wariu, comte d'Auvergne, un combat dans lequel il avait perdu son frère Garsand , homme singulièrement insensé , et où lui-même aurait succombé s'il n'eût cherché son salut dans une prompte fuite. 11 comparut devant l'empereur, et comme il ne put se purger des accusations de pcrfldie intentées contre lui par ces mêmes comtes, il fut condamné à un exil temporaire. L'assemblée générale se tint à Aix-la-Chapelle après Noël ; on s'y occupa longuement de l'état des églises et des monastères, et l'on arrêta de nombreuses dispositions à cet égard. Quelques capitulaires, dont on avait reconnu la nécessité parce qu'ils for- maient lacune , furent aussi rédigés dans cette assemblée et ajoutés aux lois (I). Ces affaires terminées, l'empereur, s'étant fait présenter les filles de la plupart des familles nobles, choisit pour femme Judith, fille du comte AYelph (2). 11 tint au mois de juin une nouvelle assemblée dans son palais dlngelheim, et fit passer d'Italie dans la Pannonie , pour réprimer la révolte :ir le souverain pontife, et le saint jour de Pâques, dans la basilique de Saint-Pierre , il reçut la couronne avec le titre d'empereur et d'auguste. Étant ensuite revenu à Pavie , il alla au mois de juin retrouver l'empereur. Après qu'il lui eut rendu compte des affaires qu'il avait terminées en Italie et de celles dont il avait commencé l'instruction , Adalhard , comte du pa- liis, y fut envoyé avec ordre de s'adjoindre Mauring, comte 158 LOUIS. de Brescia, et de statuer défmitivement sur les causes eij litige. Dans le même temps l'empereur , du consentement et d'.i- près le choix du clergé , donna pour chef à l'église de Metz son frère Drogon, qui vivait sous la loi des chanoines, ju- geant convenable de l'élever ainsi aux honneurs du ponti- ficat. Dans cette assemblée, on fixa le temps et le lieu de l'as- semblée suivante : ce fut le mois de novembre et le palais de Compiègne. Après avoir clos la session et congédié les grands, comme l'empereur se préparait à partir, on vint lui annoncer la mort de Liudwit. Celui-ci , abandonnant les Sorabes , s'était retiré en Dalmatie chez Liudemuth , oncle du duc Borna. Il resta quelque temps auprès de lui , mais Liudemuth le fit assas- siner. L'empereur apprit aussi que Théodore , primicier de la sainte Église romaine, et son gendre le nomenclateur Léon avaient été d'abord privés de la vue, et ensuite décapités dans le palais patriarcal de Latran , et cela parce qu'en toute occa- sion ils avaient fidèlement servi les intérêts du jeune empereur Lolfeaire. Quelques personnes accusaient le pape Pascal d'avoir ordonné ou du moins conseillé ce meurtre. Adalung , abl)é du monastère de Saint-Vaast, et Humfrid, comte deCoire(l), furent chargés d'aller prendre des informations et de faire une enquête sévère à cet égard. Ils n'étaient pas encore partis que Jean , évêque de Blanche-Selve (2) , et Benoît , archidiacre du Saint-Siège apostolique, envoyés par Pascal, vinrent supplier l'empereur de purger le pape de l'odieux soupçon que l'on fai- sait peser sur lui relativement à la mort de ces deux hommes. (Il Cnirc , Ciiria likœlorum (en ail. Chtir), sur le Plessur, près du Rhin, alors dans le pays îles Allemands, anjourd'liui capitale du canton «les Grisons. .2) Blanelie-Selve , ville épiscopale de l'Étrurie, aujourd'hui détruite; elle était située à trois lieues O de Rome, prés du lieu où se trouve actuel- lement le village de San llufiiii. LOUIS. l.j!» L'empereur leur repoudil comme il couvenait , les cougcdia , el lit partir pour Rome les commissaires désignés , afin d'établir la vérité des faits. Lui-même passa le reste de l'été dans le pa\s de VN'orms , se rendit ensuite dans les Ardennes , et après avoir terminé ses chasses d'automne il se trouva à Compiègne pour les calendes de novembre , comme cela avait été arrêté. Cepen- dant les commissaires , arrivés à Rome , ne purent acquérir aucune certitude sur ce qui s'était passé , parce que le pape Pascal se purgea par serment , ainsi qu'un grand nombre d'é- vêques , de toute participation au crime ; et comme ceu.v qui l'avaient commis étaient des hommes de saint Pierre (1), il prit leur défense avec chaleur , et soutint que ceux qu'on avait tués étaient coupables de lèse-majesté et qu'a ce titre ils avaient été justement rais à mort. Il chargea donc Jean , évêque de Blanche-Selvc , le bibliothécaire Sergius , le sous-diacre Qiii- rinus et Léon , maître de la milice , d'accompagner les com- missaires qui lui avaient été envoyés , et de parler dans ce sens à l'empereur. Ce prince , informé par eux et par ses pro- pres délégués du serment solennel par lequel le pape s'était justifié et des excuses qu'il avait alléguées en faveur de ceux qu'on accusait, persuadé qu'il ne fallait pas pousser plus loin cette affaire , renvoya vers le pontife l'évêque Jean et ses com- pagnons après leur avoir donné une réponse convenable. Cependant Céadrag, prince des Abodrites, remplissant les promesses qu'il avait faites , se rendit à Compiègne avec quel- ques-uns des principaux de sa nation , et expliqua devant l'em- pereur, d'une manière assez plausible, les causes qui pendant si longtemps l'avaient empêché de venir. Aussi, quoiqu'il parût coupable sous certains rapports , cependant, en considération des bons services de ses parents, on lui permit de retourner dans ses États sans lui avoir imposé aucun châtiment et même en le comblant de présents. Hériold vint aussi du pays ■yi) Ccst-à-dire des serfs appartenant à l'Église romaine. 160 LOUIS. des Nortmans à cette assemblée pour solliciter des secours contre les fils de Godefrid , qui meuaçaient de le chasser de ses États. Afin d'instruire plus soigneusement cette affaire, les comtes Théothair et Rotmund furent envoyés par l'empe- reur vers les fils de Godefrid. Ils examinèrent à fond les pré- tentions de ceux-ci, prirent d'exactes informations sur l'état général du royaume des Nortmans , et, étant arrivés à la cour avant le retour d'Hériold y ils mirent sous les yeux de l'empereur les documents qu'ils avaient recueillis. Avec eux revint Ebbon, archevêque de Reims, qui, du consentement de l'empereur et avec Tautorisation du pape, s'était rendu dans le pays des Danois pour y prêcher l'Évangile, et qui, l'été précédent, en avait converti et baptisé un grand nombre. Cette année , suivant ce que l'on rapporte , fut signalée par divers prodiges : il y eut un tremblement de terre que l'on ressentit dans le palais d'Aix, et l'on remarqua dans le terri- toire de Toul, près du village de Commercy (1), une jeuno. fille, à peine âgée de douze ans , qui s'abstint pendant dix mois de toute nourriture. Eu Saxe , dans le pays nommé Frihsaz (2) , vingt-trois villages furent brûlés par le feu du ciel , et la foudre éclata en plein jour par un temps parfaitement serein. Dans un grand nombre de pays les fruits de la terre furent ravagés par la grêle, et en certains lieux on vit tomber, en même temps que la grêle, de véritables pierres d'un poids considérable. On remarqua que cette année les édifices, les hommes et les ani- (I ) Commercy , sur la rive gauche de la Rieuse , à huit lieues E. de Bar-le- Duc ( Meuse). (2) Ce territoire serait , suivant Eckhart , II, 187, le pays nommé aujour- d'hui Im Freycn , dans le Hanovre , entre l'Aue et la Leine. Si au lieu de Fri/tsazi on admettait Firsedi avec la Chronique de Quedlinbourg, peut- être s'agirait-il du territoire de Virsitz, sur la Lobsonka, à l'extrémité orientale de l'ancienne Saxe (onze lieues O. N. O. de Bromberg, Prusse). M. Pertz garde le silence sur l'assertion d'Eckhart ; il rejette la leçon de Firsedi , et se contente de dire que le nom moderne qui lui semble se rapprocher le plus de Frihsazi est celui de Flethihi en Saxe. Mais la position de te lieu ne le satisfait pas entièrement. LOUIS. l()l iii.iux fureut, cii divers pays, frappes de la foudre beaucoup plus souvent qu'à Tordiuaire. A ces fléaux succédèreut une af- freuse épidémie et une grande mortalité , qui étendirent çà et Li leurs ravages par toute la France, et sévirent de la manière la plus cruelle sur une quantité innombrable de personnes, sans liistinction d'âge ni de sexe. Oraortag , roi des Bulgares , envoya vers l'empereur des dé- putés avec des lettres, comme pour conclure un traité de paix, l/empereur, après leur avoir donné audience et lu les lettres qui lui était présentées , justement étonné de la nouveauté du fait et voulant s'enquérir avec soin des causes d'une si étrange ambassade, qu'on n'avait jamais vue en France auparavant, fit partir avec les députés un Bavarois nommé Macbelm , qui dut se rendre de sa part auprès du roi des Bulgares. 11 y eut cette année un hiver si long et si rigoureux que les ani- maux et jusqu'à des hommes périrent par l'intensité du froid. Le III de nones de mars, à la seconde heure de la nuit, on observa une éclipse de lune. On apprend la mort de Suppon, duc de Spolète. De retour à Rome, les députés du souverain pontife le trou- vèrent très-gravement malade et touchant presque à sa fin : eu effet, il cessa de vivre peu de jours après leur arrivée (1 ). Le peuple ne put s'accorder sur le choix de son successeur , et deux papes furent élus en même temps ; mais enfin le parti de la noblesse l'emporta , et Eugène , archiprêtre du titre de Sainte-Sabine , fut mis à la place de Pascal et ordonné. Cette nouvelle fut apportée à l'empereur par le sous-diacre Quiri- nus, qui avait fait partie de la précédente ambassade. Ce prince tenait alors à Compiègne l'assemblée qui avait été indi- {i] Pascal mourut le 11 mai. Eugène 11, son successeur, fut ordonné le 5 juin L'antipape , conipéUteur d'Eugène se nommait Zizim. l'i. »62 LOUIS. quëepour le viii des caleudes de juillet, et il se préparait à aller faire en personne une expédition en Bretagne ; il résolut donc d'envoyer à Rome Lothaire , son fils et son associé à l'em- pire, pour le représenter auprès du nouveau pontife et du peu- ple romain et pour prendre avec eux toutes les mesures que les circonstances semblaient exiger. Lothaire se rendit en Italie, un peu après la mi-août, pour remplir cette mission. Quant à l'empereur, il différa l'expédition qu'il voulait faire en Breta- gne jusqu'au commencement de l'automne , à cause de la famine qui était encore dans toute sa force. Mais, vers cette épo- que , il rassembla des troupes de tous côtés , et se dirigea sur Rennes , cité qui touche aux frontières de Bretagne. Là il di- visa son armée en trois corps , en confia deux à ses fils Pépin et Louis, et, se réservant le troisième, il pénétra dans la Bre- tagne, qu'il ravagea tout entière par le fer et le feu. Soixante jours et plus furent employés à cette expédition. Après avoir reçu les otages qu'il exigea de cette perfide nation, il se rendit, le XV des calendes de décembre , dans la cité de Rouen , où , d'après ses ordres, l'impératice devait l'attendre. Il avait égale- ment prescrit aux ambassadeurs de l'empereur Michel de se trouver dans cette ville. Fortunat, patriarche de Venise, vint avec eux se présenter de nouveau devant lui. Les ambassadeurs grecs donnèrent leurs lettres et leurs présents , et exposèrent qu'ils avaient été envoyés par leur maître pour conflrmer la paix ; mais ils ne parlèrent pas en faveur de Fortimat. Cependant par- mi les divers objets qu'ils avaient mission de traiter ils mirent en avant le culte des images, et annoncèrent qu'ils allaient se ren- dre à Rome pour consulter à cet égard le chef du Saint-Siège. L'empereur, après les avoir entendus et congédiés avec sa ré- ponse, les flt conduire jusqu'à Rome, suivant leur désir ; et ayant demandé à Fortunat le motif de sa fuite, il lui enjoignit également de se rendre à Rome pour y être interrogé parle souverain pon- tife; lui-même partit pour Aix-la-Chapeilc , ou il avait résolu de passer Thiver. Comme il était dans cette ville et qu'il y cèle- LOUIS. I(i3 brait les félcs de Noël, on vint lui annoncer (\m' les députes du roi des Bulgares étaient en Bavière. 11 envoya à leur rencontre, en leur enjoignant d'attendre dans ce pays le moment où il Jugerait convenable de les recevoir; et, dans le même temps, ayant appris que les Abodrites , appelés vulgairement Prédé- nécentius , qui, limitrophes des Bulgares, habitent la Dacie, voisine du Danube, lui envoyaient ime ambassade , il permit à leurs députés de venir jusqu'à lui. Ceux-ci se plaignirent des Bulgares et demandèrent à être protégés contre leurs injustes incursions. I/empereur leur enjoignit de retourner dans leur pays , et de revenir à l'époque qu'il avait fixée pour la réception des ambassadeurs bulgares. Suppon, duc de Spolète, étant mort comme nous l'avons dit plus haut , ce fut Adalhard le jeune, comte du palais, qui reçut ce duché; mais à peine était-il revêtu depuis cinq mois de cette dignité qu'il fut saisi de la fièvre et mourut. De même Moring , comte de Brescia , qu'on lui donna pour successeur, n'eut pas plus tôt reçu la nou- velle de son élection qu'il se mit au lit et mourut quelques jours après. Les comtes Eble et Asinaire, envoyés à Pampelune avec une armée de Gascons , revenaient après avoir accompli la mission qui leiir avait été confiée , lorsqu'au sommet des Pyrénées , étant tombés dans une embuscade que leur tendit la perfidie des montagnards , ils furent pris et les troupes qu'ils commandaient presque entièrement détruites. Eble fut envoyé à Cordoue. Mais Asinaire, ayant trouvé merci auprès de ceux qui l'avaient fait prisonnier, à cause de quelques liens de parenté qui existaient entre eux , put revenir dans son pays. Lothaire, qui s'était rendu à Rome, conformément aux ordres de son père, fut honorablement reçu par le pape Eugène. Après lui avoir communiqué ses instructions, il prit, avec le bienveillant assen- timent de ce pape , des mesures si sages pour réformer le gou- vernement du peuple romain, gravement altéré par la mauvaise administration de certains prélats, que tous ceux qui avaient eu à regretter le pillage de leurs biens furent amplement de- 10^ LOUIS. dommages par les restitutions que leur procura, avec la grâce de Dieu , l'arrivée de ce prince à Rome ( 1 ). On raconte que cette année , un orage ayant éclaté dans le territoire d'Autun, peu de jours avant le solstice d'été, à la suite d'un changement subit de température , il tomba de la grêle et en même temps un énorme morceau de glace. Il avait, dit-on , quinze pieds de longueur, sept de largeur et deux d'é- paisseur. Après avoir solennellement célébré à Aix-la-Chapelle la sainte fête de Pâques, l'empereur partit pour aller chasser à Nimè- gue, en prescrivant aux députés des Bulgares de se trouver à Aix vers le milieu de mai. Son intention était en effet de se rendre alors dans cette \ille pour y tenir l'assemblée qu'il avait annoncée aux grands de l'empire et indiquée, à son retour de Bretagne , dans ce lieu et pour cette époque. La chasse termi- née , il revint donc à Aix-la-Chapelle , où il donna audience aux ambassadeurs bulgares, dont la mission était de fixer Id délimitation des frontières entre leur territoire et celui des Francs. Presque tous les grands de la Bretagne assistèrentà cette assemblée , et parmi eux Wihomarch , dont la perfidie avait semé tant de troubles en Bretagne , et qui, par son obstination . ius ensée , avait provoqué la colère de l'empereur et attiré sm* ce pays l'expédition dont nous avons parlé plus haut. Mais pren ant enfin un parti plus sage , il n'avait pas hésité, comme il le disait lui-même , à venir se remettre à la merci de l'em- pereur. Ce prince lui pardonna , le gratifia même de divers présents, et lui permit de retourner dans son pays avec les au- tres chefs de sa nation ; mais, revenant bientôt à ses anciennes habitudes , Wihomarch ne tarda pas à rompre la foi promise (t) Voyez dans EckUarl , II. iS'J, le texte de la constitution, en neuf ar- ticles , pubWe par Lotliairc à l'occasion de cette réforme. LOUIS Ifi^J pour retomber dans ta perlidie ordiuaiie à sa race; et il se mit à faire tout le mal possible à ses voisins par le pillage et riucendie, jusqu'à ce qu'enfin il fût cerné et tué dans sa propre maison par les hommes du comte Lambert. Cepen- dant l'empereur, après avoir entendu les ambassadeurs des Bulgares et leur avoir répondu comme il convenait, chargea ces mêmes ambassadeurs , qui avaient été envoyés vers lui , de remettre une lettre à leur roi ; puis, congédiant l'assemblée , il se rendit au château de Remiremont , dans les Vosges , pour y chasser, et ce fut là qu'il reçut son fils Lothaire , qui , reve- nant d'Italie, s'était rendu auprès de lui. La chasse terminée, il revint à Aix-la-Chapelle , où il tint au mois d'août , suivant l'usage habituel , l'assemblée générale de la nation. Parmi les ambassadeurs qui se rendirent de divers pays à cette assem- blée, il donna audience à ceux des Nortmans, qu'envoyaient vers lui les fils de Godefrid , et fit ratifier au mois d'octobre, sur la marche même de leur territoire, la paix qu'ils lui deman- daient. Après avoir terminé toutes les affaires dont l'assemblée avait à s'occuper, il se rendit à Nimègue avec son fils aîné , en- voya en Bavière Louis, le plus jeune de ses fils ; puis, après les chasses d'automne, il revint lui-même à Aix-la-Chapelle vers le commencement de l'hiver. On assure que, dans le territoire de Toul, près du village de Commercy, une jeune fille d'une douzaine d'années, après avoir reçu , le jour de Pâques, la sainte commimion de la main d'un prêtre, suivant l'usage des chrétiens, s'abstint d'abord de pain, puis de toute autre nourriture et de toute boisson, et prolongea son jeûne pendant si longtemps qu'il y avait alors trois ans accomplis qu'elle vivait sans prendre aucun aliment pour son corps et sans éprouver même aucun désir de manger. En effet , elle avait commencé son jeûne l'an de Tincarnation de Notre- Seigneur 823 , comme nous l'avons marqué plus haut daus l'histoire de cette année, et ce ne futque daus les premiers jours de novembre de la présente année 825 que , mettant fin à son 166 LOLIS. abstiQence , elle recommença a preadrc de la nourriture et à manger pour vivre comme le reste des mortels. 826. Lorsque les ambassadeurs bulgares eurent rendu compte à leur roi de ce qu'ils avaient fait , ce prince renvoya vers l'em- pereur un de ceux qu'il lui avait déjà députés, avec une lettre par laquelle il demandait que l'on fixât sans retard la démarcation des frontières, et que, si l'empereur n'était pas d'avis de le faire, chacim pût au moins garder le territoire qu'il possédait , quoi- qu'il n'y eût pas encore de traité de paix. jNIais comme le bruit se répandit alors que le roi des Bulgares avait été ou détrôné ou tué par un des grands de cette nation , l'empereur différa sa réponse. Il ordonna au député d'attendre, et envoya enCa- rinthie Bétric, comte du palais, pour aller s'informer auprès des comtes Baldric et Gerholt , gardiens de la frontière des Avares, si le fait était exact. Celui-ci étant revenu sans pouvoir donner aucune certitude sur le bruit en question , l'empereur fit venir le député et le congédia sans lui remettre aucune lettre. Cependant, vers les calendes de février, conformément aux ordres qu'il avait reçus. Pépin vint avec les grands et les gar- diens de la frontière d'Espagne retrouver son père à Aix-la- Chapelle , où ce prince avait fixé sa i-ésidence d'hiver. Après qu'on eut discuté et arrêté les mesures à prendre pour protéger contre les Sarrasins les frontières occidentales de l'empire, Pé- pin retourna en Aquitaine et y passa tout Tété suivant. Quant à l'empereur, parti d'Aix-la-Chapelle au milieu de mai , il était a Ingelheim vers les calendes de juin. Il y tint une assemblée de la nation qui fut assez nombreuse et dans laquelle il entendit et congédia plusieurs ambassades qui lui furent envoyées de diverses parties du monde. La principale , celle que l'on distin- gua entre toutes les autres , fut l'ambassade du pape, qui se composait de Léon, évêque de Civita-Veechia, dunomeuclateur Théophylacte et de Dominique, abbé du moût des Oliviers, I.OIIIS 167 dans los régions d"oiitrc-nier. Il reçut encore les députés envoyés par les lils de Godefrid, roi des Danois, pour lui demander un traité de paix et d'alliance , et quelques chefs abodrites venus du pays des Sorabes pour accuser leur duc Céadrag. Une accusation de désobéissance fut aussi portée contre Tunglo , l'un des chefs des Sorabes. On signifia aux deux accusés que, s'ils manquaient de comparaître vers le milieu d'octobre à l'as- semblée tenue par l'empereur, ou leur iufli^erait le châtiment du à leur mauvaise foi. Plusieurs chefs bretons, amenés par les gardes des frontières, parurent aussi à cette assemblée. Dans le même temps Hériold , s'y étant rendu avec sa femme et un grand nombre de Danois, fut baptisé a Mayence dans l'église de Saint-Alban (1), ainsi que tous ses compagnons, et, après avoir été comblé de présents par l'empereur, il s'en retourna par la Frise, qu'il avait déjà traversée en venant. On lui donna dans cette province le comté de Rustringen (2) , afin qu'en css de nécessite il put s'y réfugier avec toutes ses richesses. T.es comtes Baldric et Gerholt, préfets des frontières de Pannonie , se trou- vèrent aussi à cette assemblée , et déclarèrent qu'ils n'avaient encore rien pu savoir du mouvement des Bulgares contre nous. Avec Baldric vint un prêtre de Venise nommé Georges , qui .se disait eu état de fabriquer un orgue. L'empereur l'envoya a Aix-la-Chapelle avec le sacristain Tancolf , et ordonna de lui fournir tout ce qui était nécessaire pour la fabrication de cet instrument .3). Après avoir clos la session et indiqué pour le milieu d'octobre la prochaine assemblée générale , lorsque toutes les affaires eurent été terminées comme à l'ordinaire, (\) Voyez sur le baptême d'Hériold les détails donnés par Ermoldus Ni- gellus, liv. IV, V. 293 et suiv. Louis présenta Hériold au baptême ; l'impé- ratrice .ludilh y présenta la reine des Danois. (2) Rustringen, sur la rive gauche du VVeser, prés de son embouchure (Frise orientale). (3) Georges , en récompense de son oeuvre , fut nommé abbé du monas- tère de Saint-Sauve, près de Valeneiennes. Voyez ci-a|ic('S le liv. i, ))inion est celle de M. Pertz. Je la crois préférable à celle des savanis qi pensent qu'il s'agit ici du val Spir, vallis Aspera. (2) ()»M'vd-All.ili , suivant M. Reinaud. LOtlS. 171 fils de Oodefrid , roi des Danois , qm sétait engage à se pré- senter devant lui dans cette assemblée ; l'autre à Compiègne, où il reçut les présents annuels , et prescrivit à ceux qu'il en- voya dans la marche d'Espagne ce qu'ils avaient à faire et la conduite qu'ils auraient à suivre. Lui-niénie continua de sé- journer soit à Compiègne, soit a Quierzy, ou dans les rési- dences voisines jusqu'au commencement de Phiver. Cependant les fils de Godefrid , roi des Danois, ne voulant plus admettre Hérioldà partager le trône avec eux , s'efforcèrent de le chasser du territoire des Nortmans, et dans le même temps les Bul- gares, ayant envoyé par la Drave une armée navale, portèrent le fer et le feu dans le pays des Slaves établis en Pannonie , chassèrent leurs ducs et leur imposèrent des chefs bulgares. T.epape Eugène mourut au mois d'août (1). Le diacre Valentm, qui fut élu a sa place par le peuple romain et consacré , oc- cupa a peine pendant un mois le trône pontiflcal. On lui donna pour successeur Grégoire, prêtre du titre de Saint- iMarc ; mais celui-ci ne fut consacré qu'après qu'un commis- saire de l'empereur venu à Rome eut examiné l'élection du peuple. I , es ambassadeurs de Michel, empereur de Constautiuo- ple, envoyés comme pour resserrer l'alliance entre les deux peu- ples, arrivèrent à Compiègne vers le mois de septembre. L'empe- reur, après leur avoir fait bon accueil, leur donna audience et les congédia. Les corps des très-saints martyrs ?.Iarcellin et Pierre , enlevés à Rome , furent transférés en France au mois d'octobre et illustrés par un grand nombre de signes et do prodiges (2). (1) Le 27 août , suivant Fleuiy. (2) Voy. ci-après l'histoire de ceUe translation et dans les Œuvres com- plètes dÉginhard, totn. II. p. 397, le petit pocnic qu'il a compo»é sur le martyr de S. Pierre et S Marcellin. 172 LOLIS. 828. Il y eut au mois de février une assemblée à Aix-la-Chapelle. On y traita beaucoup d'affaires et principalement celles qui regardaient la marche d'Espagne. Les officiers impériaux qui commandaient l'armée dans ce pays , ayant été trouvés cou- pables, furent punis, ainsi qu'ils l'avaient mérité, par la privation de leurs honneurs. Baldric , duc de Frioul , qui par sa lâcheté avait permis aux Bulgares de ravager impunément les terres de la Pannonie supérieure , fut également déposé de ses fonctions, et la garde de cette frontière , confiée jusqu'alors à lui seul, fut partagée entre quatre comtes. Haligair, évêque de Cambrai, et Ansfrid , abbé du monastère de Nonantola , furent envoyés à Constantinople, où ils reçurent de l'empereur Michel, suivant ce qu'ils rapportèrent à leur retour, l'accueil le plus honora- ble . L'empereur se rendit dans sa terre d'ingelheim au mois de juin, et y tint un conseil pendant quelques jours. Ce fut là qu'il prit la décision d'envoyer ses deux fils , Pépin et Lolhaire, avec une armée dans la marche d'Espagne , et qu'il leur pres- crivit ce qu'ils avaient à faire. Il reçut ensuite le primicier Qui- rinus et le nomenclateur Théophylacte , ambassadeurs qui lui étaient envoyés par le pape; et, les ayant congédiés, il partit pour Francfort. Après avoir séjourné quelque temps dans cette terre , il se rendit à Worms et de là à Thionville , d'où il fit partir pour la marche d'Espagne son fils Lothaire , avec une nombreuse armée composée de Francs. Lothaire, arrivé à Lyon, s'y arrêta pour attendre des nouvelles et savoir à quoi s'en tenir sur l'approche des Sarrasins. Il eut pendant ce temps-là una entrevue avec son frère Pépin, et, lorsqu'on eut appris que les Sarrasins n'osaient pas ou ne voulaient pas s'approcher de la marche, il retourna auprès de son père à Aix-la-Chapelle, tandis que Pépin revenait en Aquitaine. Cependant, comme on allait s'occuper, dans les terres des Nortmans, de renouveler l'alliance entre ces peuples et les LOUIS. l/.'i !• lanos et eu même temps de statuer sur les iulercls dileriold, t't que déjà les comtes de presque toute la Saxe s'étaient réunis a cet effet aux gardiens des marches , Hériold , trop pressé d'agir, rompit la paix qu'on avait conclue et garantie par des otages , et porta le pillage et l'incendie dans quelques vil- lages nortmans. A cette nouvelle , les fils de Godefrid rassem- blent des troupes à la hâte , s'avancent dans la marche, et, traversant l'Eider, attaquent à l'improviste les nôtres , campés sur les rives de ce fleuve, les chassent de leurs retranchements , les mettent en fuite , livrent tout au pillage , et se retirent dans leur camp avec toutes leurs troupes. Après quoi , avisant au moyen de détourner la vengeance que ce fait devait attirer sur eux, ils envoyèrent à l'empereur une ambassade chargée de lui exposer qu'ils n'avaient agi ainsi que malgré eux , et parce que la nécessité les y forçait ; qu'au reste ils étaient prêts a donner satisfaction , et qu'ils s'en remettaient à la décision de l'empereur pour les réparations qu'on exigerait d'eux , afin que d'ailleurs la paix demeurât stable entre les deux peuples. Le comte Boniface, qui avait alors la garde de l'île de Corse, prit avec lui son frère Bercliaire et quelques autres comtes de la Toscane pour faire avec une petite flotte le tour de la Corse et de la Sardaigne. N'ayant pas trouvé de pirates en mer, il passa en Afrique , débarqua entre Utique et Carthage , et se trouva en présence d'une innombrable multitude d'indigènes qui s'étaient rassemblés tout à coup. Ou en vint aux mains; dans plus de cinq combats il les défit et les mit en fuite , et, après en avoir fait un grand carnage , il regagna ses vaisseaux , n'ayant perdu que quelques-uns des siens , victimes de leur témérité. Cette expédition répandit parmi les Africains une grande terreur. Le jour des calendes de juillet, de grand matin, la kuie s'éclipsa au moment de son coucher ( 1 ) , et il y eut encore U) La leçon de rédition princeps, reproduite par r>. Bomiuct. Knlendas 174 i,ours. une éclipse de lime au milieu delà nuit, le viiides caleudes de janvier, c'est-à-dire le jour de NoëJ. Vers ta Saint-Martin, l'empereur se rendit à Aix-la-Chapelle pour y passer l'hiver , et employa toute cette saison à régler les affaires urgentes du royaume dans plusieurs assemblées convoquées à cet effet. 829. Après l'hiver, pendant le jeûne de la quadragésime , peu de jours avant la fête de Pâques , on ressentit dans la nuit à Aix un tremblement de terre ; et il s'éleva un vent si violent que la toiture non-seulement des maisons les moins solides , mais mâiie de la basilique de la sainte Mère de Dieu, que l'on appelle la Chapelle et qui était couverte de feuilles de plomb, fut en grande partie détruite. L'empereur, que diverses affaires avaient retenue Aix jusqu'aux calendes de juillet, résolut enfin de quitter cette ville dans le mois d'août avec sa cour, pour se rendre à Worms , ou devait se tenir l'assemblée générale ; mais il n'était pas encore parti qu'on vint lui apprendre que les Nortmans s'apprêtaient à envahir la partie de la Saxe située au delà de l'Elbe , et que l'armée qu'ils avaient réunie dans ce but s'ap- prochait de nos frontières. Vivement ému par cette nouvelle , l'empereur envoya dans toutes les parties de ses États, et or- donna à toute la nation des Francs de se rendre après lui dans la Saxe le plus promptement possible , déclarant en même temps (ju'il traverserait le Rhin à Neuss (1) vers le milieu de juillet. Mais il sut bientôt que cette prétendue invasion des rsortmans n'était qu'un vain bruit , et il se rendit à Worms Junii, est mauvaise. L'éclipsé eut lieu nsn le \" juin, mais le !•' juillet à trois heures un quart du matin. Elle fut totale. La seconde éclipse , qui ne fut que partielle, eut lieu le 23 décembre à deux heures du matin. Il y !Ul encore celte année une éclipse de lune et une éclipse de soleil. Voyez le.s Tables de Pingre. (!) >cuss, sur lErf, près de son conflutnl avec le Rhm, a deux lieues o. de Dusseldorf ( srand-duchéUubssRhjn, PrH>se). I LOUIS. 17Ô vers le milieu (l'aoïU , comme il l'avait d'abord résolu. L'as- semblée générale fut donc tenue dans cette ville. Il y reçut les présents annuels qui lui furent offerts suivant l'usage , et con- gédia , après leur avoir donné audience , diverses ambassades venues de Rome et de Bénévent et même de contrées plus éloignées. La session terminée , il envoya en Italie son fils Lothaire , et nomma camérier du palais Bernard , comte de Barcelone, qui jusqu'alors avait eu le commandement de la marche d'Espagne. Après avoir réglé et mené à fin toutes les autres affaires qui avaient dû être traitées dans cette assem- blée (1), il permit à ceux qui y avaient assisté de se retirer chez ea\, et lui-même se rendit dans sa terre de Francfort pour les chasses d'automne. Ces chasses terminées, il revint passer l'hiver à Aix-la-Chapelle , et ce fut là qu'il célébra avec pompe et au sein de l'allégresse la messe de la Saint-Martin , la fête de l'apôtre saint André et le saint jour de la naissance du Seigneur (2). (1) Ce fut dans cette assemblée que Louis le Débonnaire fit un nouveau partage de ses États , afin d'attribuer un royaume au fils (juil avait eu de Judith ( Charles le Chauve ). On sait quels troubles s'élevèrent dans l'empire à la suite de ce nouveau partage. (2) Éginhard assista pour la dernière fois à la célébration de cette fête dans le palais d'Aiï-la-Chapelle ; car au mois de mars de l'année suivante, après la révolte qui éclata à Compiègne, il demanda et obtint la permission de se retirer à Séliginstadt ; ainsi les Annales d'Éginhard se terminent en même temps que sa vie politique. ( Pertz , I, p. 2t8, n. \0. ) FIN DES AXNALES. LETTRES D'ÉGINHARD. 177 LETTRES lVi:(;iNHARl). LIVRE DES LETTRES (i). I. A LABBK ANSEGISE [2). A mon très-cher frère eu Jésus-Christ, le vénérable Ausegiso, salut éternel dans le Seigneur. — Au nom de l'amitié que vous avez pour moi , je vous prie de ne pas trouver importune la de- mande que je vais vous faire , mais de raccueillir plutôt avec indulgence et bonté. Il s'agit de venir au secours d'un de mes anciens vassaux, maiutenant vassal du seigneur Lothaire. J'intercède auprès de vous pour que vous lui permettiez de tenir, sous telles conditions qu'il vous plaira de fixer, le béné- fice que je lui ai donne , et cela en attendant que la générosité de nos seigneurs me permette, avec l'aide de Dieu, de trouver (1) Ces lettres ontété traduites sur le texte qui est parvenu jusqu'à nous dans un manuscrit unique provenant de la bibliothèque de Laon et conservé aujourd'hui à la Bibliothèque impériale de Paris, Supplément latin, n° S.'M. Voy., dans la préface, ce que nous disons de ce ms. (2) Ansegise ou Ansigise, abbé de Saint-Vandrille ou Fontcnellc, fut d'abord abbé de Saint-Sixte de Reims et de Saint-Menge ou Memmie, à Châlons-sur-Mame. II eut ensuite les abbayes de Saint-Germer de Flaix, au diocèse de Beauvais, en 807, de Luxeuil , en 817, et enfin celle de Saint- Vandrille, diocèse de Rouen, en 823, sur la démission volontaire d'Égin- hard. D posséda à la fois ces trois monastères à titre de bénéfices. Ansegise fut employé dans les affaires publiques par Charlemagne et Louis le Débon- naire, n exerça, sous Éginhard, les fonctions d'intendant des bâtiments impériaux et fut chargé de plusieurs missions importantes. Il mourut dan>- son abbaye de Saint-Vandrille le 20 juillet 833. On lui dfflt le premier re- cueil qui ait été fait des Capitulaires de nos rois. Voy. Baluze, CapUul. I, 696 et suiv. ; et sur Ansegise, cons. Pertz, Script. 11, 293, Gesia abbai. Fontanell. ; Hist. littéraire de la France, IV, .ï09et suiv. ; Mabillon, Aria, sec. IV, pars l«, 630 et suiv. ; et le nouv. Gallin Chris/ , IX, 789. 170 180 LETTRES DEGINHARD. dans un autre bénéfice quelque dédommagement à lui offrir Je n'en serai que plus prompt et plus dévoué à seconder vos désirs et vos intérêts, si dans cette affaire vous daignez accéder à ma demande. Je souhaite que vous vous consei-viez toujours dans la grâce du Seigneur. II. A L'ABBÉ GOZBERT. Au vénérable abbé Gozbert (1), religieux serviteur du Christ, Éginhard, pécheur. — Je prie votre sainteté de vouloir bien prendre connaissance de l'affaire de cet homme, nommé Bébon. Je lui avais donné un bénéfice du monastère de Saint-Cloud (2), parce que j'étais content de son service. L'ayant recommandé (3) depuis au seigneur Lothaire , j'ai obtenu de l'empereur que la jouissance de ce bénéfice lui fut confirmée sa vie durant : c'est pourquoi je vous prie et vous supplie avec instance de ne pas permettre qu'on lui suscite quelque difficulté à ce sujet , avant que vous et moi , s'il plaît à Dieu , nous puissions en conférer ensemble. J'ai cru devoir vous écrire à cet égard parce que je connais la malveillance, la cupidité insatiable de certaines gens, qui ne se font pas scrupule de nuire à leur prochain , pourvu qu'ils puissent assouvir leur avide convoitise. Je souhaite que vous vous conserviez toujours dans la grâce du Seigneur. (<) Gozbert, abbé de Saint-Gall, élu en 8«6, se démit de ses fonctions en 837 ou 838, et mourut peu de temps après , le 2 avril. (2) M. Pertz, Scripl., II, -127, n. 13, s'appuie de ce passage \i0UT attri- buer à Éginhard le monastère de Saint-Cloud. Cette opinion avait été re- jetée par D. Bouquet et l'abbé Lebeuf. En effet, le nom de Gozbert semble indiquer qu'il s'agit d'un monastère dépendant de l'abbaye de Saint-Gall et situé probablement dans la Bourgogne transjuranne ou l'Allémanie; mais je l'ai vainement cherché. (3) C'est-à-dire : l'ayant fait recevoir depuis parmi les fidèles de Lothaire. Sur la recommandation, voy.Du Gange, au mot commendutus ; le Mém. de M. Naudet, t. Tllldes .Vf"/», de lAcad., p. 417, cl comp. les lettres XXVI et lïvii. I-ETIHES l)"ÊOl>HAI{U. 181 Ili. AU PKÉTKK AMALHAlKlv Au tres-reverend Amalhaire (1), servitour du Christ, Égiuliard, pécheur. — Quelqu'un que je ne counais pas a devaucé le jeune serviteur qui m'a apporté votre lettre; voilà pourquoi je vous ai mandé de vous rendre près de l'empereur le prochain dimanche des Rameaux. Mais, lorsque votre lettre me parvint et que je lis part à l'empereur de vos désirs , il me chargea de vous écrire de célébrer chez vous le saint jour de Pâques et d'ordonner à toutes les personnes qui doivent vous accompagner de vous suivre, alin qu'à son arrivée dans le palais, où il vous trou- vera, vous puissiez recevoir ses ordres, entendre les instruc- tions qui se rattachent à votre mission et vous mettre immé- diatement en route, .le fais des vœux pour que vous vous conserviez toujours dans la grâce du Seigneur. iV. A L'ARCHEVÊQUE OTGAIRE Au pieux et vénérable seigneur le révérend archevêque Otgaire (2), Éginhard, pécheur. — Le frère qui vous remettra cette lettre se nomme Werdric; il appartient à la congrégation de saint Boniface (3), et, comme il est mou parent, son abbé lui a permis d'habiter avec moi. Je vous l'envoie maintenant pour que vous le fassiez ordonner diacre , si vous pensez qu'on puisse le faire sans enfreindre les canons , en se fondant sur les motifs développés dans une lettre que m'adressa dernièrement son abbé, lorsque je le consultai et lui demandai sou approbation (I ) Amalliaire , prêtre de l'église de Metz , fut directeur de l'école pala- tine et composa plusieurs ouvrages sur la liturgie. Il est probable que cette lettre d'Éginhard est de l'année 827, et qu'elle se rapiiorte à la mission dont Amalhaire fut alors chargé par l'empereur auprès du pape Grégoire IV, comme Amalhaire nous l'apprend lui-même dans le prologue de son .-Inli- phonaire. Voy. ï'Hist. tilt., IV, 53'». (2) Otgaire ou Auctaire, .-iiirtarius, abbé de VVeissembourg, fut nonnné archevê llomiiiet VI, .•>70 , not. J, propose au lien ti'b'fiUol/o de lire LETTRES d'eCINHARD. 1RS Sripiieur. — Vous n'ignorez pas, je le sais, que levèquc Wolf- ^aire, d'heureuse mémoire, voulut bien sur ma demande ac- corder à Gerbert, mon vassal , dans le pays de Dubargaw (1), .Hi lieu que l'on nomme Asbach et qui dépend de l'abbaye de Saint-Kiliau , trois mauses et douze esclaves. ÎNIais , comme Gerbert n'a pu jouir de cette concession que pendant la vie tem- porelle de l'évêque , je m'adresse à votre bienveillance pour vous prier de le laisser en possession de ce bénéfice comme par le passé , jusqu'à ce qu'un nouvel évêque ait été ordomié dans ce diocèse et que j'aie pu m'entendre avec lui sur ce que l'on devra faire à l'avenir de ce bénéfice. Je souhaite que voiKs vous conserviez toujours dans la gvàce du Seigneur. Vil. AU COMTE POPPON. A magnifique , honorable et illustre personne le gracieux comte Poppon , Éginhard , salut dans le Seigneur. — Deux malheureux sont venus chercher un asile dans l'église des bien- heureux Marcellin et Pierre , martyrs du Christ , avouant qu'ils étaient coupables et qu'ils avaient été convaincus de vol en votre présence , comme ayant dérobé du gros gibier dans une forêt seigneuriale (2). Ils ont déjà payé une partie de la composition , et ils devraient payer le reste ; mais ils déclarent qu'ils n'ont Heistolj'o, nom (rHeistolf , archevêi)ue île Mayeiice, métropolitain d'Himi- bert, évêque de Wuizliourg ; mais il n'a pas fait attention qu'HeistoIf c.it mort avant 826 et qu'Humbert ne devint évêque de Wurzbourg qii'en 832. Le contenu même de la lettre prouve quelle a été écrite en 832, entre la mort de Wolfgaire et 1" élection d'Humbert, et le nom d'Égilolf est celui du chanoine chargé, avec Humbert, de l'administration du siège vacant. Voy. Eckbart, II, 260. (1) Pays de la France orientale entre et sur la Tauber et le Mein , aujour- d'hui partagé entre le Wurtemberg, le grand-duché de Bade et la Bavière. — Asbach, auj. village du cercle de Uézat (Bavière), entre Uffenheim et Aub. (2) Ce délit était prévu par le chapitre .'>9 du premier capitulairc do lan 802 : Vt ncmn fera mina fnrctur in forrstibus donunicis, Voy. Baluzr , capilul. f, 37V 184 LETTRES DEGINHABI). pas de quoi s'acquitter à cause de leur pauvreté. Je viens donc implorer votre bienveillance, dans l'espoir que , pour l'amour des martyrs du Christ, près desquels ces malheureux ont cherché un refuge , vous daignerez les traiter avec toute l'indulgence possible. Vous ne voudrez pas que cette faute les perde irré- vocablement; mais vous aimerez mieux leur prouver qu'ils n'ont pas tenté une démarche inutile à vos yeux en se réfugiant près du tombeau des saints martyrs. Je fais des vœux pour que vous vous conserviez toujours dans la grâce du Seigneur. VIll. A L'ARCHEVÊQUE OïGAIRE. Au saint et justement vénérable seigneur Otgaire (1), très- révérend évêque. — Un prêtre nommé Hruodrard est venu me trouver eu me disant qu'il appartient à votre fisc de Meyn (2), et qu'il avait obtenu de votre chorévêque et des autres frères la permission de se rendre à Rome, et cela dans le mois de mars ; mais, arrivé a Mayence, il lui fut impossible de rencontrer les personnes avec lesquelles il devait faire route: alors il alla loger chez un homme de notre pays, nommé Hildebert, qu'il connais- sait,et y demeura en attendant qu'il pût trouver des voyageurs allaut à Rome comme lui ; il m'annonce qu'il y est parvenu , et il me prie de vous demander pour lui la permission d'a- chever sou voyage. Son intention, comme il l'affirme, est de l'accomplir le plus prompteraent possible et de retourner en- suite à sa résidence. Je prie donc votre sainteté de vouloir bien lui accorder la permission qu'il sollicite et de ne pas le rendre responsable des longs retards qu'il a éprouvés dans la route ; car il a rencontré une foule d'obstacles imprévus que , (1) Blaigré l'R initiale qui se trouve dans le texte , nous avons pensé avec 1). Bouquet que cette lettre était adressée à Otgaire, archevêque de Mayence. On sait qu'au onzitrae siècle le litre Episcopiis servait aussi bien que ce\n\d'. 4 rrhicpiscopusk désigner les métropolitains. (2) Me\n ou Mayen, auj. petite ville de la régeno; de qobleiitz ( Prusse ,, surla.Ni'tlic, àsixiicucs o. de Coblentz, et Quatorze lieues N.-o. deMayoncc. i LETTRES n'ÉOINHARl) I8i maigre saboiuie volonté, il u"a pu surinouler. Nous souhaitons que votre sainteté, très-saint et très-révérend père, se souvienne de notre faiblesse et qu'elle se conserve en force et en santé avec la grâce de Jésus-Christ. IX. A GÉBOIN, COMTE DU PARAIS. A mon très-cher frère Géboin, glorieux comte du palais, Égiuhard, salut dans le Seigneur. — .Fe demande de votre af- fection que vous receviez avec bienveillance le nommé David. Il est de notre pays et voudrait remettre entre vos mains le soin de ses intérêts. Si vous jugez ses prétentions raisonnables, four- nissez-lui le moyen de porter sa réclamation à l'empereur. Comme il est Ihomme du seigneur Lothaire , ja considération et rat- tachement que vous avez pour son seigneur doivent, indépen- damment de ma recommandation , vous décider à lui être utile. Je désire être assez heureux pour vous revoir bientôt en bonne et parfaite santé. X. A L'ARCHEVÊQUE HETTI. Au pieux et vénérable seigneur Hetti (1), très-révérend arche- vêque, Éginhard, pécheur. — Aussitôt que la lettre de votre sainteté nous eut appris ceque vous désiriez, nous nous sommes empressé de le faire en vous envoyant les reliques que vous souhaitiez avoir pour la dédicace de votre nouvelle basilique (2), Nous vous les envoyons bien volontiers ; car nous sommes con- (1) Hetti , ancien alilic de Mitlilac f Mediolaais) , archevét]iie de Tri-ves en 814, mourut en 8-47 suiv. les Ann. de Metz. Voy. ISova Gall. chris/.. XIII, 3gi . (2) Il .s'agit du monastère de Saint-Castor, Tonde à Coblentz, en 836, par l'archevêque Hetti. La dédicace de la nouvelle église, placée sous l'invocation de S. Castor et de tous les saints confesseurs, eut lieu le dimanche 12 no- vembre , lendemain de la Saint-Martin. H est donc trts-probable que cette lettre a été écrite vers le comineiiceuient de novembre 830. Voy. Jppoid. ad Hisf Thignni dan. Fonq. M, 8."). 16. 186 LETTRES OEGINHARD. vaincu que la moindre parcelle des cendres sacrées des bien- heureux Martyrs qui vous parviendra sera accueillie par vous avec tous les honneurs que nous aurions déjà dû rendre à leurs corps tout entiers, si notre paresse et notre négligence n'avaient retardé l'accomplissement de ce devoir. Quant à ce que vous vouliez savoir de nous , nous ne pouvons vous donner à cet égard aucun renseignement certain ; car il ne nous est revenu, je vous assure, presque rien de ce côté. Nous sommes d'ailleurs peu curieux de nous informer de choses dont la connaissance nous est complètement inutile et où nous ne trouvons que peu de plaisir. Nous faisons des vœux pour que votre sainteté, très- pieux et très-révérend père, conserve sa force dans le Seigneur et daigne garder le souvenir de notre faiblesse. XI. AU COMTE ROBERT. A magnifique, honorable et illustre personne le glorieux comte Robert, salut éternel dans le Seigneur. — Je demande de votre obligeance de daigner me faire savoir ce que vous pensez de la cause d'Alafrid , notre vassal , et comment il faut y procéder. Doit-on l'abandonner entièrement, ou bien peut-il encore espérer d'obtenir, par votre protection , qu'on lui fasse justice ? J'ai exposé toute l'affaire à notre seigneur l'empereur; je lui ai dit (jue , d'accord avec les comtes du palais Adalhard et Gébuin , vous aviez fait faire une enquête par des gens digues de foi. Il m'a répondu qu'il lui semblait étonnant que cette affaire ne fût pas encore terminée. En conséquence, je vous supplie, au nom de notre amitié , de vouloir bien maintenant me mander ce que doit faire notre vassal dans l'intérêt do sa cause. Je souhaite que vous vous conserviez toujours dans la grâce du Seigneur I.ETTHKS iVF.dlMt Vlll) IS; XII AU l'RÈTRli LIUTHARl) ET AU VIDAMK ÉREMBERT Au nom du Christ, Égiuhard abbe, au prêtre Liuthard et au vidame Érembert , nos fidèles , salut dans le Seigneur. — Apprenez que nous avons chargé le prêtre Willibald, que nous regardons comme l'un de nos fidèles, de recevoir de nos hommes , tant du monastère de Saint-Bavou que de celui de Blaudin (1), le cens qui nous est dû. Nous vous l'adressons pour que vous l'aidiez à percevoir ce cens intégralement et eu bonne monnaie ; et , après qu'il l'aura reçu , pour que vous l'aidiez encore à nous en apporter le produit. Je souhaite que vous vous conserviez toujours dans la grâce du Seigneur. Xlll. AU COMTE POPPON. A magnifique, honorable et illustre personne le glorieux comte Poppon , Éginhard , salut éternel dans le Seigneur. — On m'a dit que vous me demandiez des éclaircissements sur trois points. Il en est un pour lequel cela me serait difficile : pouvez-vous sans péché conclure votre mariage? mais vous connaissez mieux que moi la personne que vous voulez épouser. Quant à la dispense que vous avez reçue à Aix , je n'eu veux d'autre récompense que votre amitié. Pour ce qui est delà tern- de Jupile (2) , quand nous en aurons parlé ensemble, vous me trouverez prêt à faire ce qui aura été convenu entre nous. Je nai donc maintenant rien de plus à vous écrire. Je fais des vœux pour que vous vous conserviez toujours dans la grâce du Seigneur. M) SaJnt-Bavon de Gand et le nionastcre de Saiiit-Hierre construit sur la I oUine de Blandin , sous les murs de la même ville. Éginhard avait reiu le monastère de Saint-Bavoii vers 819; il possédait celui de Blandin «ntérieiiremenl à 813, ilcpuis Wl suivant .Meyer. Voy. .Vo^•. Gnlf. christ., y, «Tfict i8a 2^ Sur la nvc «Iroiir de la Mpusc, ^ luir liouc E. de LicRC. 188 LETTRES DEGINHAim. XIV. AU BIBLIOTHKCAIRE GERVVARD. A mon très-cher frère Gcrward (() , Éginhard, salut éternel dans le Seigneur, — Je ne sais que penser de vous. Il faut que vous n'ayez pas compris ma lettre , ou que vous vous intéres- siez bien peu à ma position. Mais j'aime encore mieux me dé- terminer à croire que vos occupations vous ont empêché de lire attentivement ce que je vous ai écrit et de le comprendre, plutôt que de penser que votre cœur ne se soit pas ému du péril qui me menace. En effet , vous me conseillez , vous me pressez même d'abandonner, pour retourner au palais , les veilles des saints Martyrs, auxquelles j'ai mission d'assister et que je dois présider jusqu'à la lin , parce que, dites-vous, j'en- courrais une peine si mon absence durait plus de sept jours. Mais je ne puis éviter ce reproche , non-seulement eu égard au séjour que je de\Tais faire dans le palais , mais a ne considérer même que Iç temps nécessaire pour m'y rendre , quand il me reste encore une si longue route à faire pour y revenir { d'autant que, sans compter les diflicultés du voyage, je suis d'une si mauvaise santé que j"ai rarement mis moins de sept jours pour aller d'Aix-la-Chapelle à l'église des saints Martyrs. Je vous demande donc maintenant , je vous supplie avec instance de relire encore la lettre que je vous ai adressée , d'eu saisir le sens et de prendre la peine , comme je vous eu ai déjà prié par mes lettres précédentes , de me dire ce que vous pensez de r^tte révélation et de ces ordres qui me lient étroitement (2). Les messagers ne manqueront pas si vous voulez bien faire passer à notre vidamc liouottus ce que vous m'aurez écrit. .Te (\] GcTwaril était bibliothécaire du Palais. V'oy. Uist. lillér., IV, 223, et Mabillon.^Hna/. lieuedi't., liv. ixxil, n. 16. (2; Suivanf Mabillon, yinn. Uened., liv. xxxil, n. M'>, et M. Pertz, Ein- hardi viln, ce passage se rappo-terait au Recueil d'avis destinés à l'empe^ reur, et transmis s Ésinbard par raveiislc Albéric de li part do l'ange Gabriel ^ ny, YHift. de In Trnnslal , (hap v, n. 47 et suiv. LtTTKKS d'kCiIMI Vltl). 189 soiiluiiti' , Ires-clier ot Irès-aiiué frère et seigueur, que Dieu vous conserve en grâce ot en santé. XV. SODS LE NOM DE BO.MA, .V L VBBESSE BI.IDTIIRUT. A sa très-clièro sœur Blidthrut , Borna, son amie et l.ien affectionnée , salut éternel dans le Seigueur. — Un de vos serfs de Machesbach ( l ) , nounné Wénilon, a contracté ma- riage avec une femme libre (2), et maintenant, redoutant votre colère et celle de son maître Albuiu , il est venu chercher un asile dans l'église des saints martyrs Marcellin et Pierre. Je ré- clame donc en sa faveur votre charité pour que vous intercé- diez en mon nom auprès d'Albuin, et que ce serf puisse , avec son consentement et le votre , garder la femme qu'il a prise. Je vous souhaite de conserver toujours une bonne santé avec la grâce de Dieu. XVI. AU COMTE IIATTON. Pour demandcf une gi\ioe A notre très-cher ami le glorieux comte Hatton , Éginhard , salut éternel dans le Seigneur. — Un de vos serfs , nommé Hunno , est venu dans l'église des saints martyrs Marcellin et Pierre demander grâce pour la faute qu'il a commise eu con- tractant mariage , sans votre consentement , avec une femme de sa condition, qui est aussi votre esclave (3). Nous venons (1) Mactiesbach, couvent de femmes, à une lieue d'Ostlieira, entre Mi- chilinstadt et Seligenstadt. Voy. VHisi. de la Translat., chap. ii, n. J9. — Albuin est probablement Vadvocatus du monasti-re. (2) Un tel mariage était défendu (Lex salie, 14, 6, H ; liip., 38, 13; Burgund., 33, 2 ; Jlamann., 31 ; IFisigolk., 3, 1 ) ; la femnie, dans ce cas, suivait la condition de son mari. Voy. Grimm. Antiq. du Qroit germ., p. 438. (3) Ce mariage n'était pas frappé de nullité, mais ieseif était passible d'une punition pour ne pas avoir demandé le consotitenient de son maître et payé le marilagium. Voy. Griniin, p. 38', l'JO LETTRES n'ÉGINHARD. donc solliciter votre bonté pour qu'eu notre faveur vous usiez d'indulgence à l'égard de cet homme , si vous trouvez que sa faute puisse être pardonnée. Je vous souhaite une bonne santé avec la grâce du Seigneiu". XMI. A L'ABBÉ RABAN. Au très-révérend serviteur du Christ le vénérable abbé Raban (1), Èginhard, pécheur. — Un de vos hommes, nommé Gundhart , nous a prié d'intercéder pour lui auprès de votre sainteté, afln que, sans encourir votre disgrâce , mais tout au contraire avec votre. agrément, il lui soit permis de se dispenser de l'expédition militaire qui va partir, et de demeurer chez lui. Il prétend que cette exemption est pour lui de la plus ur- gente nécessité, parce qu'étant en querelle (2) il craint de se mettre en route avec des gens qui lui sont hostiles et qui en veulent à ses jours ; d'autant que le comte sous les ordres duquel il doit marcher est, à l'entendre, le plus acharné de ses ennemis. Il vous adresse donc cette prière , afin que l'auto- rité d'un ordre émané de vous ne le livre pas à un tel péril. Si le collecteur du ban vient pour le forcer à payer l'amende (3), vous n'avez pas à vous en inquiéter ; il en fait son affaire et prendra ses précautions pour s'arranger avec lui. Je ne vous ferais pas cette demande si je ne connaissais parfaitement la position critique dans laquelle cet homme est placé et les dan- gers qu'il aurait à courir. Je souhaite que vous conserviez tou- jours une bonne santé. (<) Raban, abbé de Fiilde. Voy. p. 198, n. 2. (2) Voy. l'article vu du troisième capilulaire de l'année 805 ; De arviis utfra palriatn non porta ndi s. Tialuze, I, 43K (3) Voy. ci-après, p. <93, note 2, et b; chap. is du second capitulairc de 812: Dr Uis qui dnmi ninancnl. B;duz<', I, H^). LETTRES I) KdINKAItU. 191 XVIII Al) VIDAMK MARCHRAI). Pour demander une grâce. A noire cher ami, le glorieux vidame Marchrad, Kginhard, salut éternel dans le Seigneur. — Deux serfs de Saint-Martin, du domaine d'Iledabach , nommés Williran et Otbert, se sont ré- fugiés dans l'église des bienheureux martyrs du Christ, INlar- oeliin et Pierre , à cause du meurtre commis par leur frère sur un de ses compagnons (1). Ils demandent qu'il leur soit permis de payer la composition pour leur frère, afin qu'on lui fasse grâce de ses membres. Je m'adresse donc à votre amitié afin que vous daigniez, si cela est possible, épargner ce malheu- reux , pour l'amour de Dieu et des saints Martyrs auprès desquels ils sont venus chercher un refuge. Je souhaite que vous conserviez toujours une bonne santé avec la grâce du Seigneur. XIX. SOUS LE NOM DE L'EMPEREUR, AU COMTE G. Au nom du Seigneur Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ , Louis , par la volonté de la di\'ine Providence empereur au- guste, au cointe G. — Notre volonté, sachez-le, est qu'aus- sitôt après avoir reçu cette lettre vous fassiez , sans aucun retard, tous vos préparatifs pour venir, le xv des calendes de janvier, c'est-à-dire six jours avant Noël , dans notre domaine d'Heilbronn (2), au-devant de H. notre commissaire. Vous aurez soin d'exécuter tout ce qu'il vous enjoindra de notre part, ainsi qu'aux autres comtes et à nos fidèles, et vous (I) Au temps d'-Kghinard la chrenecriida de la loi Salique , c'est-à-dire l'obligation imposée à touU; la famille de payer la composition pour le crime commis par l'un de ses membres lorsque celui-ci était insolvable, n'e.xis- tait plus dans les lois ; mais on voit par cette lettre qu'elle était encore dan» lesmcrurs. (1} Ilcilbronn ou Ilailbron , sur le .Neckcr, à dix lienes N. «le Stntlgard, aujourd'luii >ille forte du cercle du >ecker ( W nrtcmbcrs ). 192 LETTRES D"EOl^HAn^). agirez de manière a répondre à la conliauce (|iie nous avons en votre fidélité. Portez-vous bien. XX. SOUS LE NOM DE L'EMPEREUR, AH. SON FIDÈLE. Au nom du Seigneur notre Dieu et de notre Sauveur Jésus- Christ , Louis , par la grâce de la divine Providence empereur auguste, à H. notre fidèle. — Nous vous faisons savoir notre vo- lonté , qui est que vous ordonniez à celui de vos fils, nos vas- saux, qui vous en semblera le plus capable, de se tenir prêt, quand le comte Robert ou H. notre délégué voudront se servir de lui pour nous mander quelque chose , à se rendre à Tours immédiatement et avec toute la célérité possible. S'il plaît à Dieu , il trouvera dans cette ville ou nous- même ou notre chère épouse. Veillez b n'apporter dans cette affaire aucune négligence si vous voulez mériter nos bonnes grâces. Puisse le Seigneur vous conserver toujours en grâce et en santé. XXL SOUS LE NOM DE L'EMPEREUR, AT. SON FIDÈLE. Au nom du Seigneur notre Dieu et de notre Sauveur Jésus- Christ, Louis, par la grâce de la divine Providence empereur auguste , à T. notre fidèle. — Nous vous faisons savoir notre volonté qui est que vous vous teniez prêt , toutes les fois que le comte Robert et H. notre délégué voudront se servir de vous pour nous mander quelque chose , à vous rendre à Tours immédiatement, sans délai et le plus promptement possible, avec la dépêche qu'ils vous auront confiée. S'il plaît à Dieu, vous rencontrerez dans cette ville ou uous-même ou notre chère épouse. Veillez à ne mettre dans cette mission aucune négligence si vous voulez mériter nos bonnes grâces. XXn. AU COMMISSAIRE BIPÉRIAL A. A notre cher frère et ami A., commissaire impérial, Égi.n- hard , salut éternel dans le Seigneur. — Je croyais que vous I.ETTRiùS l)'K(ilM(AIU) VJ'i saviez tres-bieu que nos iiommes de ce pays u\aieut ele, d'a- près les dispositions et les ordres de l'empereur , notre sei- gneur, employés à la garde des côtes, non-seulement à l'époque de sou départ pour... (1), mais encore lors de sou voyage à Orléans. Il ne serait donc pas juste , selon moi, de leur faire payer l'amende pour défaut de service militaire (2) , puisqu'ils n'ont pas été ailleurs que là où la volonté de l'empereur lui- même les avait appelés. Par conséquent , je compte assez sur votre amitié pour nous accorder un délai jusqu'à l'arrivée de l'empereur. Nous lui rappellerons ses propres ordres , et il dé- cidera suivant son bon plaisir. Je souhaite que le Seigneui vous conserve en grâce et en santé. XXIII. A SON VIDAME (3). Au nom du Christ , l'abbé Eginhard , a son vidame et fidèle, salut. — Vous saurez qu'il faut envoyer quelques hommes à Aix pour approprier et remettre en état notre habitation. Vous y ferez venir en temps utile tout ce qui nous est nécessaire , c'est-à-dire de la farine , du grain pour faire de la bière, du vin, du fromage et le reste comme d'habitude. Quant aux boeufs qui seront à tuer, vous les ferez conduire à Linnitz ; c'est là qu'il faudra les abattre. Nous voulons que l'on donne un de ces (<) Il y a dans le texte latin du Ms. un mot dont le commencement est complètement effacé, et qui se termine par les syllabes suivantes oriam. Comme cette lettre me paraît avoir été éciite en 832, à l'époque où l'empe- reur, après avoir terminé l'expédition contre son Dis Louis, roi de Bavière, revint à Orléans pour y tenir l'assemblée générale, je pense qu'il faut compléter et rectifier le mot en lisant Bajoariam, et traduire ce passage par : d l'épuqtie de son départ pour la Bavière, (2) Heribannum, de heer, guerre, et hannum, appel ; tout homme libre manquant à cet appel était passible de soixante sous d'amende ( valeur de trente iKEufs , suivant M. Naudet , Mem. de l'Institut, tom VIII, p. 463 ). Voy. aussi l'article 1 du second capitulaire de 812, De libero homine in hostcm bannito, dans Baluze, I, 493. (3) vidame, intendant, ofticicr chargé d'administrer le temporel d'un tnon.istère ou d'un évèché. 17 lflL4 LETTRES liEGINHAlU). iKcufs à Hruotlouge, et que les morceaux et les issues, qui ne peuvent servir à notre usage, soient donnés aux serfs qui de- meurent en cet endroit. Pour nous , avec la grâce de Dieu , si nous sommes encore en vie , nous comptons nous rendre au palais vers la Saint-Martin. Vous aurez donc soin de commu- niquer tous ces détails à nos serviteurs , et vous leur comman- derez , de notre part , de se conformer pour notre dépense à ce que je vous ai prescrit à vous-même. Adieu. XXIV. A L'UN DE SES OFFICIERS. Au nom du Christ , Éginhard, abbé, à N. , salut dans le Seigneur. — Vous saurez que nous manquons de cire pour notre usage et qu'il n'est pas possible de s'en procurer ici , parce que la récolte du miel a été peu abondante depuis deux ans dans ce pa}'S. Nous voulons donc que vous vous entendiez à ce sujet avec N. et que vous voyiez avec lui s'il y aurait moyen de profiter, pour nous en envoyer une charge, du retour de ceux de nos vassaux qui doivent revenir ici après la fête de Saiut-Bavou. Portez -vous bien et priez pour nous. XXV. A UN ÉVÊQUE. Pour demander une grâce. Au saint et justement vénérable seigneur N. , très-révérend évêque, Éginhard, pécheur. — Un serf de Notre-Dame, le nommé N., qui appartient à la seigneurie de votre sainteté, s'est réfugié (1) dans l'église des bienheureux martyrs du Christ Marceilin et Pierre, à cause du crime qu'il a commis en tuant un de ses compagnons dans une rixe qui s'est élevée entre eux. Je prie donc votre sainteté que, par respect pour les saints (!) I.'asile dans les églises n'était pas un droit d'impunité ; c'était un moyeu , conforme aux principes du christianisme, d'éviter «le sanglantes représailles et d'amener la réparation du crime par la composition. i LEVIKKS l)'K(.IMl\r.l). 195 niartvrs piTs desquels cet homme est veuii cliercher un asile, elle daigne être assez indulgente pour lui faire grâce de la nui- tiiatioQ et de la peine du fouet , en l'autorisant à composer à prix d'argent et à racheter le crime qu'un mauvais mouvement lui a fait commettre. Je fais des vœux, très-saint et très-révérend père, pour que le Christ conserve votre sainte personne en grâce et eu santé. XXVI. A U. SOIN AMI. Éginhard à U., son ami , salut. — Fruniold, fils du comte N. , dont ?J. a épousé la sœur, accablé plutôt par une infirmité que par la vieillesse, — de violents accès de goutte le tourmen- tent sans relâche, — possède en Bourgogne , dans le pays de Genève, où son père a été comte, un petit bénéfice qu'il craint de perdre si votre bonté ne lui vient en aide , parce que le mal dont il souffre ne lui permet pas de se rendre au palais. Dans cette impérieuse nécessité , il vous prie de vouloir bien inter- céder pour que l'empereur Lolhaire l'autorise à conserver ce bénéfice, dont la concession lui a été faite par l'aïeul et la jouissance maintenue par le père de ce prince , jusqu'à ce qu'il se rétablisse et puisse se rendre lui-même en sa présence pour se recommander à lui (1) dans la forme voulue. Portez-vous bien, le plus cher de mes amis; tel est le vœu de votre pauvre ami , maintenant bien vieux et bien infirme. XXVII. A UN COMTE. Au magnifique , honorable et illustre seigneur le glorieux comte N., Éginhard, salut éternel dans le Seigneur. — N. (2), vassal de l'empereur, frère de la femme du comte N. , quoique IV- C'est-k-dire prêter serment comme vassal. Voy. ci-dessus la leUre n, et la note 3, p. )*0. Voy. aussi la lettre suiv. xxvii. (2! N., cest-à-dire Frumold; voyez la leHre précédente sur le même sujet . et dans laquelle I-'rumold est nommé. 196 LETTRES DEGllNHAKD. retenu par la goutte et par son grand âge , voulait se rendre auprès de l'empereur notre maître ; mais il n en a pas eu la force. Aussitôt qu'il le pourra, il viendra s'acquitter de son devoir ; en attendant, il demande qu'il lui soit permis de conserver le bé- néfice que l'empereur Charles lui concéda en Bourgogne , dans le pays de Genève , jusqu'à ce qu'il puisse se présenter devant l'empereur et se recommander entre ses mains. Il me paraît juste et convenable de faire ce qu'il désire ; car c'est un homme de bien et de mérite, qui est fort estimé dans son voisinage. Vous ferez donc une bonne action si vous daignez appuyer sa de- mande. .Te souhaite que le Seigneur vous conserve en grâce et en santé. XXVIII. A UN COMTE. Aumagniflque, honorable et illustre seigneurie glorieux comte N., Êginhard, salut éternel dans le Seigneur. — Soyez assez bon, je vous prie, pour daigner appuyer auprès de l'em- pereur ce jeune homme nommé N., et obtenir que lui et son frère ne perdent pas leur bénéfice. Ils possèdent quinze manses dans le paysdeToumay, et cinq autres manses au delà du Rhin. N. désire servir l'empereur pour le bénéûce situé dans le Tour- naisis , tandis que son frère se recommanderait à N. pour ce- lui qui est situé au delà du Rhin, sans cependant cesser de pos- séder en commun l'intégrité de ce dernier bénéfice. INIais son frère ne veut y consentir que sur l'ordre de l'empereur. Or, si cet arrangement n'a pas lieu , ils perdront le bénéfice situé au delà du Rhin. N . s'adresse donc à votre bienveillance afin (|ue, par votre entremise, son frère reçoive de l'empereur les ordres nécessaires. Quanta lui, il est tout prêt à fournir toutes les sûretés qu'il plaira à l'empereur d'exiger pour garantie qu'il entend toujours posséder en commun avec son frère le béné- fice qui lui serait attribué. Je souhaite que le Seigneur vous conserve en grâce et en santé. LKÏTRKS I)I'(.IMIA«1). 197 XXIX. V UN KVftQUlv Au saiut et jastemont vénérable seigneur IN. , ministre «lu Très-llaut, Kginhard, péeheur, — L'arrivée d'Kburon, votre parent et votre ûdèle , nous a rempli de joie ; nous espérions qu'il ferait auprès de nous un plus long séjour. iNlais, puisqu'il a liàte de retourner vers vous, nous n'avons pas voulu le laisser partir sans lui remettre une lettre ; car, s'il revenait les mains vides, vous pourriez eroire que nous ne l'avons pas vu. Quant aux affaires sur lesquelles il comptait vous rapporter quelques renseignements certains , je ne puis rien vous dire de positif ni même vous transmettre par lui aucune indication : la révolution qui vient de s'accomplir dans ce royaume (1) nous a troublé au point que nous ignorons entièrement ce que nous devons faire, si ce n'est , suivant les paroles de Josaphat, de tourner nos re- gards vers le Seigneur, et d'implorer, comme le dit Philon, le secours de Dieu quand celui des bommes nous manque. Quoi- que le porteur des présentes , Éburon , soit votre parent, nous l'aimons trop pour ne pas le recommander encore à votre cboix. Car nous avons la confiance qu'avec la grâce de Dieu ce qui ne serait pas possible aujourd'hui pourra le devenir un jour, et qu'une autre fois le secours de la divine Providence nous per- mettra de vous le renvoyer, en des temps meilleurs , plein de joie et d'allégresse. Je fais des vœux pour que la grâce divine conserve partout et toujours votre sainteté en bonne santé et pleine de notre souvenir. (I) Il est probable que cette lettre fut écrite en 8,->0, lors ilc la première révolte lies lils de Louis le Débonnaire. Voy. Nitliaril., liv. i. :?. et la vie de Vala. abbé de Corbie , dans Bouq. , VI, 68 et 285. 17. 198 LETTBES 1jE«jIMHABD. XXX. A SON FILS VUSSIN. A mou très-cher lils Vussin ( 1 ), salut dans le Seigneur. — Je crains, mon lils, et je redoute vivement que, sorti du ijercail, vous ne veniez à vous oublier et à rn'oublier moi-même; car la jeunesse sans expérience, si elle n'est maintenue par le frein de la disci- pline, Démarche que bien difficilement dans les voies de lajustice. Kfforcez-vous donc , mon cher enfant, d'imiter les bons exem- ples ; ne contrariez en rien l'homme que je vous ai proposé pour modèle, mais, gardant le souvenir de votre profession (2) , au- tant que vous le permettra celui que vous avez choisi pour maître, appliquez-vous a proflter de ses leçons. Instruit par ces préceptes et accoutumé à les pratiquer, vous posséderez tous les avantages de la science de vie. Comme je vous le conseillais de vive voix, exercez-vous aussi à l'étude et ne négligez aucune des nobles con • naissances que vous pourrez puiser dans le génie si lucide et si fécond de ce grand orateur ; mais avant tout souvenez-vous d'imi- ter les vertus qui font son plus grand mérite ; car la grammaire, la rhétorique et les autres arts libéraux sont choses vaines et grandement nuisibles aux serviteurs de Dieu si la grâce divine ne nous apprend qu'il faut toujours les subordonner aux bon- nes mœurs; en effet, la science peut eniler le cœur, mais la cha- rité l'édifie. J'aimerais mieux vous savoir mort que souillé d'or- gueil et de vices ; carie Sauveur ne nous a poiut prescrit d'imiter ses miracles, mais sa douceur et son humilité . Que dirai -je de plus ? Ces conseils et d autres semblables, vous les avez souvent onten- (I) Le mol y lirnl , VJ, 'i»6 et fiO',. IKirilKS l> K(.IMIAUI). \\}\) dus de mil hoiiclif. l'iiissic/.-vous enlin être assez lieiireuv pour iiiiner i-e qui procure, avec la grûce divine, la pureté de rame f t du corps. Je vous ai donc envoyé des mots et des termes obscurs employés par Vitruve , autant que j'ai pu les recueillir quant à présent, pour que vous cherchiez à en éclaircir le sens. Je pense que vous trouverez la solution de la plupart de ces difficultés à l'aide du cotTret que maître E. a fabriqué avec des colonnes d'ivoire , à l'imitation des monuments antiques. Et quant à ce que Vitruve appelle scénofiraphie (1), consultez ce que dit Virgile de la scène dans sou troisième livre des Céoi gigues : . . . . ( Jani nunc soleranes ducere pompas ] Ail (Iclubra juvat, caesosqiic videre juvencos, V\'l sceiia ut versis discedat frontibus, utque Purpurea inteiti tollaiit aulea Britanni. ' Déjà je crois conduire au temple la pompe solennelle ; déjà je crois Voir les taureaux immolés, ou la scène changer de face en tournant, et 1rs Bretons lever les rideaux de pourpre sur lesquels ils sont représentés. » XXXI. A UN ÉVÊQUE. Au saint et justement vénérable seigneur ]N., évêque , Égin- hard, salut éternel dans le Seigneur. — Bien que j'aie éprouvé une vive douleur , mon très-cher seigneur, en recevant la lettre qui m'apprend la cruelle maladie dont votre corps est affligé , je trouve de puissants motife de consolation dans la pensée que cette épreuve vous profite et qu'elle sert à purifier votre âme Je crois en effet que, si la divine miséricorde prolonge pour vous les macérations dans cette maladie corporelle, c'est afin de vous recevoir sans tache lorsque vous abandonnerez votre enveloppe t'l lalirum absccndentiitm adam' Iralin , nd circiniqiic ceniriim nmnniw liiicnriim responsns. 200 LETTRES D*ÉGINHAnD. peut être certaine que je mettrai en œuvre tout ce que Dieu a daigné m'accorder de force et de pouvoir pour y employer ceux que je croirai dignes d'être exaucés ; car je sais quelle confiance vous voulez bien avoir en ma faiblesse. Sans doute il ne faut jamais désespérer de recouvrer la santé, parce que Dieu dans sa puissance peut faire tout ce qu'il veut de sa créature. Cependant il vaut mieux, pour chacun de nous, se préparer à ce qui doit certainement arriver, que de négliger le nécessaire pour des choses incertaines , que l'on se figure être plus désirables. Je fais des vœux pour que vous vous con- serviez dans la grâce du Seigneur. XXXII. A L'UJN DE SES AMIS. Au plus cher de ses amis (1) , Éginhard, pécheur, déjà au bord de la tombe , mais , comme Dieu lui eu est témoin , dévoué à vous et aux vôtres jusqu'au dernier soupir. — Mon très-cher ami , je recommande à votre charité mon âme une fois délivrée de ce corps soumis au péché. Daignez l'admettre dans l'asso- ciation formée par vous et vos fidèles , afin que , secourue dans sa misère par le zèle de vos saintes oraisons et par les pieuses prières de vos frères , elle mérite d'obtenir un lieu de rafraî- chissement. Après vous avoir adressé cette recommandation , que mes angoisses de corps et d'esprit me forcent d'abréger , je vous prie avec instance, mon trèe-cher ami , de vouloir bien , pour l'amour dé Dieu et en souvenir de l'attachement de votre pauvre ami , prendre les plus grands soins des églises qui ont été confiées à ma faiblesse , de peur qu'après ma mort les loups dévorants n'envaliissent le sanctuaire et ne dispersent mon humble troupeau. F.aites en sorte, au contraire, qu'on leur (I D. Maliillon, Annal. Beiied., liv.xxxii, n" • 6, (lense que cette lettre est adressée au bibliothécaire Gerward et qu'il s'agit plus bas du monastère (le ScliReiistadl et de Raticis. alors notaire d'Ésinhard. qui lui succéda dans celte abbave LKTTKKS DEOIMIAKI). 201 tloime un pastour qui sacliu aimer Dieu el le craindre, et pro- téger miséricordieusenicut ceux qui lui seront soumis. Nos frères communs et très-fidèles du monastère de N. ont désiré pour chef un d'entre eux , notre proche parent, jeune d'années, il est vrai , mais , selon moi, déjà vieux par les vertus. Vous con- naissez bien sa famille; c'est le fils de A. le frère de li. et le parent de plusieurs nobles personnages. Nos frères l'envoyèrent à Worms, et, lui-même étant présent, le recommandèrent, quoique de mou vivant, à C, lorsqu'il daigna me faire visite; ce fut en versant beaucoup de larmes que C. fit à moi et à mes pro- ches, en présence du comte D., les plus grandes promesses. Cé- dant aux prières de E., il consentit même que ce jeune homme fût élu pour me remplacer, quand il plairait à Dieu. Veillez donc, mon cher ami, à ce que cette mesure ne soit pas différée , mais employez tous vos efforts pour en obtenir l'accomplissement. Je vous envoie une nappe d'autel que je vous prie de faire donner aux frères du monastère deSaint-ServaiF,afin qu'ils se souviennent de moi dans leurs prières. Pour vous , mon ami, j'ai voulu que ma mule vous fût donnée. Imma , ma sœur chérie , veille à l'exécution de mes volontés ( I ) , et prie pour mon âme, que je te recommande ! Mes douleurs ne me permettent pas d'en dire davantage; cependant je recommande encore une fois mon âme à vos prières. (\) D. Bouquet, VI, 376 et 377, not. 6, assigne à celte lettre la date de ï!39. Mais, si cette date était exacte, comment Éginliard pourrait-il charger Imma , sa femme , de veiller à l'exécution de ses dernières vo- lontés, puisi|u'elle était morte trois ans auparavant, en 836? >"est-il pas tout simple de penser qu'Éginliard fit , avant 836 , probablement vers 830, une maladie très-grave, et qu'au plus fort d'une cri.se de laquelle il ré- chappa cette lettre fut écrite à (Jcnvard? C'est d'ailleurs ce qui me parait prouvé d'une manière incontestable parla lettre lxxvii adressée à Lotliaire. 202 LETTBES i)'KGlNHVRl> XXXIII. AU œMTE N. ET AU JUGE IN., DÉLÉGUÉS IMPÉRIAUX. A ses très-chers frères en Jésus-Christ et très-chers amis le comte N. et le juge N., glorieux délégués impériaux , Égin- hard, salut dans le Seigneur. — Ceux de nos hommes qui arrivent ici du pays où vous êtes nous parlent souvent des bonnes dispositions et de la bienveillance dont vous nous donnez des preuves , en les protégeant et en les ménageant , toutes les fois qu'il vous est possible de le faire , soit pour le service mi- litaire , soit pour les autres choses qui se rattachent à votre dé- légation. Nous vous en adressons donc, comme nous le devons, de grands remercîments , et nous prions Dieu et ses Saints de vouloir bien vous accorder, non-seulement dans cette vie, mais encore dans l'autre, une récompense digne de votre conduite. Soyez persuadé que, de notre côté, nous serons toujours em- pressé de faire, autant que nos faibles moyens le permettront, tout ce que vous nous commanderez. Adieu. XXXIV. A LOTHAIRE, ASSOCIÉ A L'EMPIRE (1). A mon souverain maître le trés-pieux Auguste, vie éter- nelle. — Vous dire quel intérêt , quelle sollicitude votre gran- deur inspire à ma faiblesse , c'est ce qu'il me serait difficile d'exprimer; en effet, j'ai toujours également chéri et vous et mon très-pieux seigneur l'empereur votre père , et j'ai égale- ment désiré votre salut commun depuis qu'en vous admettant, du consentement de tout son peuple, à partager avec lui son titre et son pouvoir, il daigna confier à ma faiblesse le soin de votre personne , me charger de corriger vos mœurs et de former soi- gneusement votre cœur à tout ce qui est honnête et utile. Si vous n avez pas trouvé en moi , à cet égard , tous les secours [i) CcUe lettre fut éiiite par Ésintiard vers l'été 'le l'année K>0 , a\nTs la preinière révolte des lils de Louis le nébonnairc. I LETTUES DEOIMIAUU. 20;î (luo je VOUS ili'vais , au moins le zèle et le dévouement ne nVont pas manqué, et ces sentiments , qui m'animent encore aujour- d'Inii , ne me permettent pas de garder le silence [ ou plutôt ils m'imposent Tobligation de vous donner les avertissements uécessaires à votre salut et de vous exposer en peu de mots ce que vous avez à faire pour éviter les dangers qui vous mena- cent (1)]. Que votre grandeur apprenne donc ce qui est par- venu à la connaissance de ma cliétive personne : c'est qu'il est des hommes, plus occupés de leurs intérêts que des vôtres, qui entourent de séductions votre mansuétude et qui cherchent à vous persuader de rejeter les avis de votre père , de renoncer à robéissance qui lui est duc , d'abandonner le pays dont le très-pieux auteur de vos jours vous a confié le gouvernement et la garde (2), pour vous rendre auprès de sa personne malgré lui, car il ne vous en a ni exprimé le désir ni donné l'ordre, et vous établir près de lui, quelque déplaisir qu'il en témoigne. Peut-on rien imaginer de plus pervers et de plus inconvenant! Réfléchissez vous-même à ces conseils et à tout ce qu'ils ont de pernicieux. En effet, suivant mes faibles lumières, ce que l'on vous conseille d'abord , c'est de mépriser le précepte divin qui nous ordonne d'honorer nos parents , c'est de compter pour rien cette longue vie , que Dieu promet comme récompense à ceux qui observeront son commandement. On veut ensuite que vous rejetiez tout sentiment d'obéissance pour y substituer l'es- prit de rébellion, et que, dans un transport d'orgueil, vous vous éleviez arrogamment contre celui sous lequel vous devriez vivre dans une humble soumission. Enfin l'on s'efforce, en (1) Ces quatre lignes entre crochets sont la traduction d'un passage qui avait été omis par 1rs anciens édilenrs et ijue j'ai rétabli , d'après le Ms. de Laon, dans mon édition desŒuvres d'ÉgiiiharJ, voy. toni. II, p. 56, et ibid, nof. I. (2) Lothaire, associé à l'empire le 31 juillet 8(7. roi de Lonibardie en 820, couronné empereur par le pape Pascal, le jour de Pâques, 3 avril 823 , a\ ait été renvoyé en Italie, après l'assemblée de Worms, en 829, par sou pèr<', qui voulait l'c-loigioer de la cour et des factieux. 204 LETTRES D'ÉGINHARD. étouffant toute teudresse par le mépris et la desol)eissauce , de pousser la discorde , dont le nom même n'aurait jamais dû être prononcé entre vous , jusqu'à faire naître la haine dans le cœur d'un père et d'un fils qui ne devraient éprouver que des sentiments d'affection. Il faut tout faire pour prévenir un tel mal- heur. Car votre sagesse ne saurait ignorer, j'en suis convaincu, combien un fils désobéissant et rebelle à ses parents est abomi- nable devant Dieu, puisque Dieu, comme vous pouvez le lire dans le Deutéronome , ordonna par la voix de Moïse qu'un tel fils fût lapidé par tout le peuple. J'ai donc cru devoir adresser à votre piété (1) ces avertissements, afin que la pru- dence dont le Seigneur vous a doué vous serve à éviter ce (J) Au lieu de pietatetn il y a dans !e Ms. de Laon neptitatem, et cette leron , qui a été adoptée par tous ceux qui, avant moi, avaient publié les Lettres d'Éginhard, adonné lieu à de nombreux commentaires. C'est en effet sur ce passage que s"appuient principalement ceux qui veulent qu'Imma, femme d'Éginhard, ait été tille de Cbarlemagne. Ils prétendent que le mot nepli- hileîH exprime le rapport de parenté existant entre l'oncle et le neveu, et que, si Éginliard s'en est servi en s'adiessant à Lotliaire, c'est qu'en effet ce prince était son neveu , comme lils du Ircre de sa femme. Le savant abbé Lebeuf adoptait également la leçon de neptitatem , mais, dans une disserta- tion couronnée par l'académie de Soissons eu t740 , il en a donné une evpli- cation toute différent ; il regardait ce mot comtne un titre honorifique et le faisait dériver de r allemand nevipt ou nept, »iui veut dire altesse, per- sonne princiére. M. Guizot, dans sa Notice sur Éginhard, p. xxiv, traduit ainsi le passage controversé : « J'ai donc cru devoir vous avertir, vioncher fils, etc., » et il ajoute en note : Les mots ncptitas vestra me semblent une expression vague d'affection , un souvenir de l'ancienne tutelle d'Eginhard sur Lothaire iilutôt qu'une qualification précise soit de parenté , soit de rang. » — Quelque ingénieuse que soit cette dernière interprétation , je crois (pi'elle n'est pas plus admissible que les deux précédentes. Leibnitz et Fabricius avaient pensé que le mot neptitatem, dont on ne pourrait trouver un second exemple ni ous vous envoyons, par ce messager, de la graine de patience dont vous ensemencerez un vaste terrain ; cette plante s'élève à une grande hauteur. Portez-vous bien. XXXIX. sous LE !NO:\I DE L'EMPEREUR LOUIS, AUX lIABITAiNTS DE MÉRIDA. Au uom du Seigneur Dieu et de notre Sauveur Jésus-Cliri.st , N. [Louis], par la grâce de la divine Providence , empereur au- guste, aux grands et à tout le peuple de la ville de Mérida (1), (t) l). Bouquet, VI, 379, not. a, fait observer que Mérida, située dans l'Estramadure, près du Portugal , est éloignée de la Marclie hispanique , et, par cette seule raison, il propose, avec le H. Le Cointe , Annal. Franc, VII, 791, de lire populo Cœsarnu'iuslano , au lieu d'E mérita no, c'est-à-dire de substituer le nom de Saragosse à celui de Mérida. Suivant nous, rien n'autorise une telle restitution, et le nom de .Mérida s'accorde parfaitement avec le texte de la lettre et les données historiques. On sait , en effet, qu'en 828 les habitants de Mérida se révoltèrent contre Abdal- rhaman II, roi de Cordoue, et soutinrent contre ce prince deux sièges (|ui amenèrent la ruine de leur ville. N'est-ou pas fondé à croire que l'empe- reur, dont les généraux faisaient alors contre Abdairhaman une guerre assez malheureuse en Catalogue, s'est efforcé d'encourager une révolte (jui opérait en sa faveur une utile diversion, et que, par conséquent, il lit écrire la lettre dont nous nous occupons non pas en 836 , comme le dit I). Bouquet, mais en 828, après la première révolte des habitants de Mé- rida, au moment où lui-même envoyait en Espagne une nouvelle armée sous les ordrcsdcson fils Lothaire. Voy. les Annales, ann. 828. p. 172. — TcJlc 208 LETTRES d'ÉGINHABD. salut dans le Seigneur. — Nous avons été instruit des tri- bulations et des angoisses de tous genres que vous fait souf- frir la cruauté du roi Abdalrhaman , qui , dévoré du désir do s'approprier les biens dont il s'est efforcé de vous dépouiller, ne cesse de faire peser sur vous la plus violente oppression. Il agit à votre égard comme l'avait déjà fait son père Abulaz(l), qui, vous contraignant par d'injustes exactions à lui payer un cens que vous ne lui deviez pas , fmit ainsi par changer votre affection en haine, votre soumission en opposition et en ré- sistance; car il s'efforça et de vous ravir la liberté, et de vous écraser d'impôts et de tributs iniques , et enfin de vous plonger dans l'humiliation. Mais nous savons aussi qu'agissant toujours en hommes de cœur vous avez repoussé énergiqucment les en- treprises de ces mauvais rois , et que vous avez opposé à leur cruauté et à leur avarice une mâle résistance. Telle est encore aujourd'hui votre conduite, comme de nombreux témoignages nous l'attestent. Nous avons* donc jugé convenable de vous adresser cette lettre pour vous consoler et vous exhorter à per- sévérer dans cette défense de votre liberté contre un roi si cruel, en résistant avec indignation , comme vous l'avez fait jusqu'à présent, à sa fureur et à sa barbarie. Et, puisque ce prince est notre adversaire, notre ennemi le plus déclaré, aussi bien que le vôtre, entendons-nous pour combattre ensemble sa cruauté. Nous voulons donc, avec l'aide du Dieu tout-puissant , envoyer, l'été prochain , dans la marche d'Espagne, une armée qui s'y tien- dra prête et qui attendra de vous le signal de se porter en avant, si vous jugez convenable que nous dirigions, pour vous secourir, cette armée contre nos ennemis communs qui résident dans notre marche; de manière que ceux-ci , dans le cas où Abdalrhaman et son armée voudraient agir contre vous , soient empêchés par la nôtre de venir à son aide et à l'aide de ses troupes. Nous est aussi l'opinion lu savant M. i;einau(! , Invas. des Sarrashn , paR. 430, «pii ccpr'iiclant consprvc à cette lettre la date rie 826. (l; AI>oula?sy, U Wrlmnt , voy. p. I)S. ri. i. LETTBES DRGLNIIAnD. 209 VOUS donnons l'assuraiifc que, si vous voulez l'abandonner pour vous réunir à nous , nous vous laisserons jouir do \ otre antique liberté pleinement et sans aucune restriction ; que nous vous exempterons de toute espèce de cens et de tribut ; que nous ne vous imposerons d'autre loi que celle sous laquelle vous voudrez vIvtc ; en un mot qu'en toutes choses nous vou- lons agir à votre égard de manière à vous prouver que nous tenons à honneur de vous avoir pour amis et alliés dans la défense de notre royaume. ?Jons adressons nos vœux au Seigneur pour votre prospérité. XL. A L'IMPÉRATRICE (1). Daigne, ma très-pieuse maîtresse, apprendre que moi . son serviteur, je me suis trouvé en partant d'Aix atteint d'ime indis- position assez grave pour qu'il m'ait été à peine possible de venir en dix jours de Maëstricht à Valeneiennes. Là j'ai été pris d'une douleur de reins et de rate tellement violente que je suis hors d'état de faire un mille à cheval dans toute une jour- née. Je supplie donc votre piété de trouver bon que je me rende par eau au monastère de Saint-Bavon, et que je puisse m'y repo- ser jusqu'à ce qu'il plaise au Tout- Puissant de me donner les for- ces nécessaires pour continuer mon voyage. Car, aussitôt que je pourrai monter à cheval , je m'empresserai de me rendre soit auprès de vous, soit auprès de l'empereur, selon votre bon plai- sir. Quant à présent, je supplie humblement votre piété de dai- gner intercéder pour moi auprès de mon maître très-miséricor- dieux, lorsque vous i\nurez rejoint, et de m'excuser si je n'ai pu me rendre auprès devons. Dieu m'est témoin que je ne vous M) Jadith, seconde femme de Louis le Débonnaire. — U. Bouquet as- sigae à cette lettre et aux deux suivantes la date de 8.>9. C'est une eiTeur i|uc M. Pertz a rectifiée dans sa notice sur Éginliard. Ces trois lettre" ont été écnte.s en 8:>0 au moment de la première révolte des fils de Louis le Débonnaire, lorsf|uc ce prince, forcé de renoncera l'expédition de Bretagne, se fui rendus Compiègnc , où l'impcratricc rint Ir rejoindre. 18. 210 LETTRES DEOINHABD. écris rieu de faux sur l'état de ma santé, et j'ajouterai niémo que je souffre encore d'incommodités beaucoup plus graves , dont je ne puis parler que dans l'intimité (1). Quoi qu'il en soit, sachez que vous ne pouvez rien faire maintenant de plus agréa- ble à Dieu que d'obtenir pour moi la permission de me rendre en toute hâte, aussitôt mou rétablissement, au lieu où m'appelle le service des saints martyrs du Christ. De Sainl-Bavon, il ne me faut pas plus de quinze jours pour m'y transporter par eau. Sans mon extrême faiblesse , au lieu de vous écrire , je serais venu en persoime, et j'aurais pris part avec vous aux affaires qui vous occupent. XLI. ALUN DE SES AMIS (2). Placé dans la position la plus critique , je m'adresse à votre bienveillance pour que vous intercédiez en ma faveur auprès du très-pieux empereur, notre maître. A son départ d'Aix, la reine, voyant que je ne pouvais l'accompagner, m'ordonna de la rejoindre à Compiègne. J'ai voulu obéir à ses ordres, mais c'est avec toutes les peines du monde que je me suis rendu eu dix jours jusqu'à Valencienucs. De là, ne pouvant plus me tenir à cheval , je me suis fait transporter par eau à Sain t-Ba von. Car je souffre alternativement d'un si grand flux de ventre et d'une telle douleur de reins que , depuis mon départ d'Aix , l'un ou l'autre de ces maux ne m'a pas laissé un seul jour de relâche. De plus, je ressens encore les suites de la maladie qui me retint au lit l'année passée, c'est-à-dire un engourdisse- ment continuel de la cuisse droite et une douleur de la rate presque insupportable. En proie à de si cruelles souffrances, je mène une vie bien triste et privée de toute douceur, surtout par la crainte que j'éprouve de mourir ailleurs qu'où je devrais être, et occupé des soins étrangers au ser\ice des saints martyrs {i) Voy. la lettre suivante. (2) Voyez la lettre précédente et la suivante. I, Kl r HF.S O' lv( i I Ml A K I» 211 (1(1 Christ , Maict'Ilin et l'iono Je vous prie doue cl vous con- jure, au uoni (le ces bienheureux martyrs, de vouloir bien inter- céder eu faveur de mou humble personne auprès du très-pieux empereur pour qu'il ne soit pas irrité contre moi si je ne suis pas allé à sa rencontre , comme ceux a qui il a été possible de le faire. J'y serais allé si je l'avais pu , et je ne manquerai pas de me rendre auprès de lui aussitôt que j'en aurai la force ; mais, soit absent, soit présent, je lui resterai toujours fidèle. Je prie votre charité de vouloir bien m'écrire le plus prompteraeut possible pour me faire savoir ce qui s'est passé et ce qui se prépare auprès de vous. Puisse le Seigneur vous conserver en grâce et en santé. Les saints martyrs du Christ (I) avaient prédit, il y a plus de deux ans, dans leurs révélations, tout ce qui se passe au- jourd'hui daus ce royaume. XUI. A L'EMPEREUR LOULS (2). A son puissant maître un humbh; serviteur. — J'espère que mon très-pieux seigneur n'a pas oublié la permission qu'il m'ac- corda de partir pour aller me consacrer au service des saints martyrs du Christ dès que ma maîtresse se rendrait auprès de lui. C'est ce que j'ai voulu faire; mais ma maîtresse me pres- crivit de la rejoindre à Compiègne , et, docile à ses ordres, dès que je fus parvenu à nie procurer des chevaux , je me mis en route pour cette ville. Mais , saisi à mon départ d'une douleur de rate et de reins, je me suis trouvé si mal qu'à peine ai-je pu, en dix jours, aller de Maëstricht à Valenciennes. Arrivé dans cette ville , seutant que je ne pouvais plus me tenir à cheval , je me suis fait transporter par eau jusqu'à Saiut-Bavon. Les accidents du trajet nie rendirent encore plus malade, et c'est dr M) Voyez ci-aprùs l'iiistoire delà translation de saint Marcellinet dtj saint Pierie, chap. iv, n' 09, ,i la (in. 2 Aoy les deux lettres |>rc'tédcntrs. 212 LETTHES DEGINHARD. la qu'au milieu de mes douleurs et des plus vives angoisses je m'adresse à votre piété pour qu'elle daigne m' accorder la per- mission de me rendre au lieu oij reposent les corps sacrés de vos saints patrons. Je puis en effet m'y transporter par eau en quinze jours. Vous pouvez vous préparer une grande récom- pense auprès du Seigneur, en me permettant d'aller me consa- crer au service de ses saints , si toutefois je puis arriver vivant Jusqu'à leur église (1). Je suis convaincu que les saints martyrs intercéderont pour vous auprès de Dieu, si vous voulez préférer leur service au vôtre , et je ne connais pas d'autre lieu dans votre royaume où je puisse vous être plus utile, si vous daignez seconder mes désirs. XLIII. A UN EVÊQUE. Au saint et justement vénérable seigneur N., très-révérend évêque, Éginhard, pécheur. — Je ne cesse d'adresser au Tout- Puissant et à Notre-Seigneur Jésus-Christ les plus ferventes actions degrâcesdepuisquej'ai appris que mon très-glorieux maî- tre l'empereur Lothaire, à quiDieu puisse toujours continuer la protection qu'il lui a jusqu'à présent accordée, est heureusement revenu d'Italie (2) , et, avec lui , vous qui m'êtes si cher. Je désire , je demande en grâce qu'il daigne bientôt me permettre de me rendre au lieu ou je pourrai jouir de votre présence . En attendant, je recommande mon humble personne à votre charité et à sa bienveillcince par votre intermédiaire. Qu'aucune insinuation , je vous en conjure , ne puisse vous inspirer de sinistres soupçons contre votre pauvre serviteur. Je prends à (t) Éginhard obtint l'objet de sa demande, et il se relira, au mois de mars, dans son abbaye de Seligensladt. Voy. la notice sur Éginhard au commencement de ce volume. (2j Suivant M. Perlz, Einhardt viln, Scripl., U, 428, n" 43 et M, cette lettre a élé écrite par Éginhard au moment de la iiremièrc révolte des lils du Louis le Déi)oniiaire , loi-squc LoUiaire vint d'Italie en France et se rendit à Couiiilignc, vers le mois de mai g.îO. LETTRES d'ÉOINHARD. SIS témoiasDieu et les saints martyrs Marccllin et Pierro que l'a- mour Pt le dévouement dont je me sens animé pour vous ne peuvent s'exprimer. Je demande donc avec conRancc qu'a mon arrivée, je trouve en vous les sentiments dont je suis sûr de m'être rendu digue. Je fais des vœux pour que votre sainteté , gardant le souvenir de ma faiblesse , se maintienne toujours dans la grâce du Seigneur. XLIV. AU SEIGNEUR E. Au saint et justement vénérable seigneur E., Éginhard, salut étemel. — Au milieu de tant de choses que j'aurais be- soin de savoir, il en est deux surtout qui actuellement m'in- téressent au plus haut degré. D'abord eu quel lieu et à quel moment se tiendra cette assemblée générale (I); ensuite le seigneur Lothaire doit-il retourner en Italie ou rester avec son père ? Je compte sur votre amitié pour obtenir une réponse à ces deux questions. Car, de tout ce qui se passe autour de vous, il n'est rien qu'il m'importe plus de connaître. Ces ren- seignements me sont indispensables pour savoir ce que je dois faire, si tant est qu'avec la protection de la divine Providence je puisse faire quelque chose d'utile. Je souhaite qu'il me soit donné de vous revoir bientôt en bonne santé, vous le meilleur de mes amis. XLV. AU COMTE G A son très-cher frère le glorieux comte et seigneur G . , Egin- hard, salut étemel dans le Seigneur. — J'ai toujours ressenti les [{) On peut donc assigner à cette lettre la date de 83» , car l'assemblée dont parle Éginhard se tint à Nimègue, au mois d'octobre de cette année , malgré les efforts de Lothaire, i|iii voulait la convoquer de l'autre côté du Rhin, où ses partisans étaient plus nombreux. On sait que, dans cette as- semblée, les prlncipauv flutfs ilc la révolte furent jugés et condamnés, cl que, peu de (cnips après. Lolliairt' Im-nicme. dépouillé de sort litre d'as- socié à l'empire, fut renvoyé ea Italie. 214 LETTKES D'egINHAB». bons effets de votre affectioa pour moi, mais jamais plus heu- reusement qu'en ce jour où vous venez de m' obtenir l'autori- sation d'aller servir les saints martyrs du Christ, Marcellin et Pierre , qui, pour ce fait, ne peuvent manquer d'intercéder en votre faveur auprès de Dieu. Je rends donc à votre bien- veillance les plus vives actions de grâces, et je vous prie avec instance de vouloir bien continuer, selon vos louables habi- tudes , d'être mon protecteur auprès de l'empereur mon maître et de ses ûls et surtout auprès du seigneur Lothaire , le jeune Auguste, dans l'atïection duquel, bien que j'en sois indigne, j'ai la plus grande confiance. J'ai aussi à vous adresser une prière en faveur du peintre N., qni est votre serviteur dévoué, et je sollicite pour lui votre bienveillance. Prenez-le sous votre protectiom, et daignez, s'il se présente une occasion favorable, intercéder en sa faveur auprès de l'empereur, de peur que des envieux ne lui fassent perdre le bénéfice qu'il a gagné en ser- vant ses maîtres fidèlement. Il n'est pas nécessaire de vous n'ommer les personnes qu'il redoute en cette affaire, vous les connaissez aussi bien que moi. Tout ce que je vous demande c'est de vouloir bien l'appuyer de tout votre pouvoir. Je vous souhaite une bonne santé avec la grâce du Seigneur. XLVI. A UN ABBÉ. Au très-révérend abbé N., digne de la plus haute vénéra- tion , Éginhard, pécheur. — J'ai gardé un fidèle souvenir de la demande que je vous ai adressée , et je pense que vous n'avez pas non plus oublié votre promesse , quoique, depuis, des obstacles nombreux et divers aient pu non-seulement assoupir pour un temps l'affaire que nous avons traitée , mais encore l'ensevelir dans un éternel oubli. Je veux parler de l'entretien qui eut lieu entre nous le jour où nous nous sommes ren- contrés au palais. Il s'agissait du toit de la basilique des saints martyrs du Christ, Marcellin et Pierre, édifice que je m'efforce LETTHES 1) EGh\HAKU. '213 inaiuteuaut de construire maigre de grandes diliicultes. Uu achat de plomb, moyennant une somme de cinquante livres, tut alors convenu entre nous. Quoique les travaux de rédifîce ne soient pas encore assez avancés pour que je doive m'occuper de la couverture, cependant la durée incertaine de cette vie semble nous faire un devoir de toujours nous hâter, afln de terminer, avec l'aide de Dieu, ce que nous avons pu entreprendre d'utile. Je m'adresse donc à votre bienveillance dans l'espoir que vous voudrez bien me donner des reaseignemeuts sur cet achat de plomb, afin que je puisse savoir si l'on a commencé à s'occuper de celte affaire, et, dans le cas où on ne s'en serait pas encore occupé , quand on pourra l'entamer, et , avec l'aide de Dieu , la mènera fin. Veuillez donc, dans votre extrême complai- sance , prendre la peine de m'écrire et faire cesser mes incer- titudes à cet égard. Puissiez-vous ne pas nvoublier et vous con- server en grâce auprès du Seigneur. XLVII. A L'UN DE SES AMIS. Éginhard à son ami, salut. — Je ne vous demande pas de m'écrire sur l'état des affaires de la cour (i) ; car, dans tout ce qui s'y passe , il n'est rien que je puisse apprendre avec plaisir. Mais s'il me reste encore d'autres amis que vous , je désire vi- vement savoir où vous êtes tous et ce que vous faites. Je vous adresse donc cette lettre , mon cher ami , pour vous prier de m'écrire et de m'instruire de tout ce qui vous concerne , c'est- à-dire de l'état de votre sauté ainsi que du lieu et du moment où nous pourrons enfin , si Dieu nous prête vie, nous retrouver en- semble. Souvent j'ai désiré vous voir et causer avec vous, mais jamais plus vivement qu'aujourd'hui ; car jamais je n'ai eu un (<) D. Bouquet assi?;nf à cette lettre la date de 839, sans en donner aucun notif. 11 nous senilile plus probable quelle a été écrite en gôô après la léposiiion de Louis le Débonnaire dont le scandale dut vivement affliger Éginhard. 216 LETTRES D EGINHARD. si graud besoin de conférer avec un ami pour examiner comment je dois régler ma vie. C'est un sujet que je ne traite avec personne plus volontiers qu'avec vous, parce qu'il n'est personne qui m'inspire une plus grande confiance. J'envoie par ce porteur une lettre à l'abbé Foulque. Si mon messager peut aller jus- que-là , je vous prie de l'y faire conduire par un de vos gens ; mais si par hasard, comme c'est l'ordinaire , ses chevaux étaient trop fatigués pour le mener plus loin , veuillez recevoir de lui cette lettre et charger quelqu'un de la rendre à l'abbé Foulque, en le priant de me répondre et de vous renvoyer la réponse qu'il lui plaira de faire. Vous me l'adresserez par la première occasion favorable. Je souhaite , ô le plus cher de mes amis, que vous vous conserviez à jamais dans la grâce du Christ , et que vous ne m'oubliiez pas. XLVIII. A UN ÉVÉQUE. Au saint et justement vénérable seigneur le très-révérend évêque N., Éginhard, pécheur. — Ce prêtre, nommé N., m'a prié instamment d'intercéder auprès de vous , afin d'obtenir en sa faveur votre miséricordieux intérêt. II est réellement, comme il l'affirme, réduit à une grande pauvreté, maintenant surtout que le petit bénéfice qu'il possédait en Bavière lui a été enlevé pour être donné à un autre. Aujourd'hui il ne sait plus que faire, et il ne voit pas comment il peut servir son seigneur, à moins que , par voti-e intercession , il n'obtienne du seigneur Louis quelque secours pour soutenir sa vie en ce monde. Ne m'ou- bliez pas, je vous prie, en vous conservant à jamais dans la grâce divine , et daignez recommander mon humble personne au très-pieux empereur. XLIX. A L'UN DE SES AMIS. A son très-cher frère et très-fidèle ami le glorieux seigneur N., Égiuhard, salut éternel en Jésus-Christ. — Vous m'avez LETTKES UKUlNHAhU 217 acoordf trop de preuves de \oliv amitié pour que jf puisse jamais balancer, toutes les fois (]ue mes affaires ou celles de mes amis Texigerout , à réclamer l'appui de votre bienveillance, .le vous fais donc parvenir cette lettre par deux personnes qui sont de mou pays et de mon intimité , Am. et Théodote , en vous priant de leur faire , suivant votre usage , im accueil amical , et d'être assez bon pour les seconder, dans les affaires qu'ils vous feront connaître , auprès du seigneur Lothaire et de son père le très-pieux empereur. Qu'ils prennent en vous , je vous prie, toute la confiance que j'ai moi-même. Je souhaite, ô le meilleur et le plus cher de mes amis , que vous vous con- serviez éternellement dans la grâce du Seigneur. • L. A UN COMTP: (1). Au magnifique, honorable et illustre personnage le glo- rieux comte N., Eginhard, salut éternel dans le Seigneur. — Comme nous avons en votre amitié une grande confiance , nous n'hésitons pas à faire un appel à votre bienveillance , en faveur des saints martyrs du Christ INIarcellin et Pierre. Il s'agit de droits qui leur appartiennent (2) sur quelques manses (1) Cette lettre et les suivantes, marquées d'un astérisque [*), ont été im- primées pour la première fois dans l'édition des Œuvres d'Éginhard que. j'ai publiée pour la Société de l'histoire de France. Elles sont presciue toutes fort maltraitées dans le Ms. de Laon, et c'est pour cela sans doute que Du- chesne s'était abstenu de les reproduire. Je me suis livré sur ces lettres à un long et minutieux travail de restitution , que l'on pourra apprécier en consultant le texte latin dans ma précédente édition, où j'ai eu soin d'im- primer en italique et de placer entre crochets tous les passages restitués. Mais comme ces restitutions portent sur des mots plutôt que sur des phrases , j'ai cru qu'il n'était pas utile de les indiquer dans une traduction où l'on est toujours siir de trouver le sens général de la lettre. (2) Il y a dans le texte de jnstitiis B. Chrisli ntaitymm, etc. Le mot justitia exprime les droits qu'on a sur une chose, sur ses revenus, pra- statio , censiis : ce mot , dans la même acception , s'est déjà rencontré dans les Annales , ann. 7.'>.ï. Voyez aussi les exemples rapportés par Pu Cange. ÉClMI.'mD. t9 218 LETTKES DEGINHAKD. situées dans les limites de votre juridiction (1 ), droits au sujet desquels >'., notre avoué (2j, vous a déjà présenté une requête, H qu'il espère pouvoir récupérer, si vous voulez lui venir en aide. En conséquence , nous vous adressons d'instantes prières pour que vous daigniez l'assister dan? cette affaire et dans toutes les autres, de manière à mériter que les saints martyrs du Christ, Marcelin et Pierre, deviennent vos patrons et vos intercesseurs. LI (3). A LOTHAIRE. ?Sotre seigneur, le tres-pieux empereur votre père, a donné Tordre à l'évêque IV. et à l'abbé N. du monastère de N. de venir nous aider et de coopérer avec nous à la construction de la basilique des saints martyrs du Christ IMarcellin et Pierre , vos patrons. Mais je pense qu'ils n'en feront rien s'ils ne reçoi- vent de votre clémence un ordre qui leur enjoigne définitive- ment , selon la volonté de l'empereur, votre seigneur et père , de nous seconder dans cette entreprise. J'ai donc voulu attirer votre attention sur cette affaire , en adressant à votre grandeur cette humble supplique , par laquelle je vous demande et je vous prie en grâce , an nom de l'amour du Christ et de ses f\} Il y a dans le texlc numslerium. Ce mot , pour désigner ce que nous appelons aujourd'hui le ressort, le territoire soumis à une juridiction , a déjà été employé par Éginhard, lettre xxxvi. Monanlerio, qu'on lit dans le manuscrit , est évidemment une faute de copiste. Non-seulement ce mot ne présente pas de sens, mais il est incompatible avec la formule initiale de la lettre, qui ne peut pas s'appliquer à un personnage ecclésiastique. (2; C'était encore , du temps d'Éginhard , un simple officier chargé d'ad- ministrer et de défendre les intérêts temporels d'un monastère ou d'une église et dont les fonctions se rapprochaient beaucoup de celles du vidame. Mais, plus tard, ce titre d'avoué fut donné à de grands seigneurs qui oppri- mèrent souvent les églises placées sous leur protection et qui dissipèrent quelquefois les biens dont ils avaient la garde. Voyez Guérard, Carlul. de S. Père (le ChartriH . Prolégom.. p. lx.\viij , et Pu Cange, au mot Advo- cati ecclesiariini. ;:> !.. dans Duchesne et les autres (Vlitcur-, I.KTTRES d'kOIINH VRI> 21'.» Martyrs, vos patrons, de vouloir bien proiuln; (iii('lt|Uo souci de la coustructiou de leur église, afin que, par votre protec- tion , cette difficulté soit résolue , et que nous puissions nous prévaloir auprès de ces évêques d'un ordre sacré , cousigné dans lin acte de votre glorieuse puissance, et auquel ils n'ose- ront pas résister. Vous obtiendrez ainsi une part plus large dans les récompenses divines, et les saints Martyrs intercéde- ront pour vous , afin que votre royaume, accru et affermi, demeure préservé et défendu des pièges et des attaques des malins esprits et des gens pervers. Je fais des vœux et des prières pour la santé et la vie éternelle du roi mon seigneur. LU (1). AU MÊME Je désire solliciter votre piété en faveur de mou ami intime, N., l'im de vos fidèles, pour que vous daigniez raccueillir, et, après qu'il sera venu se recommander entre vos mains, faire quelque chose pour lui en lui accordant l'un de ces bénéfices que nous savons être vacants et disponibles dans notre voisi- nage. C'est un homme de bonne naissance , d'une fidélité éprouvée, et bien capable de vous servir utilement dans tout ce qu'on voudra lui prescrire. Votre aïeul et votre père ont eu en lui un serviteur aussi actif que dévoué , et il est tout disposé à se montrer le même à votre égard , si Dieu lui prête vie et santé. Quant à présent, il est encore bien faible, et c'est là ce qui l'empêche de se présenter devant vous ; mais il le fera le plus tôt possible. Je prie donc votre piété de me faire Sîfvoir ce que je puis lui promettre de la part de votre bienveillance, afm qu'il vive en bon espoir jusqu'à ce qu'il soit en état de paraître en votre présence. ( 1,1 dans les anciennes l'ditions. 220 LETTRES n"ÉGl>HA.RD. . *LIII. A LOUIS, ROI DE BAVIÈRE (1). J'invoque la clémence du très-glorieux roi mon seigneur, et je le prie de ne pas être irrité contre moi si je n'ai pu ni assister à la prestation du serment ni plus tard me pré- senter devant lui. Je ne l'ai pas fait pour vous offenser, car, dans ce moment , j'étais déjà fort malade et tourmenté par la fièvre, comme je le suis encore aujourd'hui . C'est à peine si j'ai pu arriver jusqu'à votre frère L. et , avec sa per- mission, retourner comme ceux qui s'en allèrent, lorsque vous eûtes tous deux congédié l'assemblée. Je n'ai même profité de l'autorisation qu'il m'avait donnée que parce que j'ignorais comment vous aviez réglé entre vous le partage de l'empire. En effet le bruit s'était répandu que cette partie de la France orientale qui vous est échue et dans laquelle j'ai un petit bénéfice devait appartenir au royaume du seigneur Lothaire. Mieux instruit maintenant, j'adresse mes instantes prières à votre clémence pour qu'elle daigne me permettre de conserver ce bénéfice , et d'en jouir en attendant que j'aie ob- (0 Celte lettre ne (lorte point d'inscription dans le M.». Les niutiTs suivants nous ont déterminé à croire qu'elle est adressée à Louis, roi de Bavière , et qu'elle a été écrite en 833. Le passage où il est question du partage de l'empire nous semble en effet prouver qu'elle a été écrite PII 833, peu de temps après la révolution qui s'accomplit dans le champ du Mensonge, lorsque les trois fils de Louis le Débonnaire, Lothaire, Louis et Pépin, ay^nt déposé leur père, tirent un nouveau partage de l'empire. Jam populo juramentis obstricto , dit l'auteur anonyme de la vie de Louis le Débonnaire, imperium inter se fratres temu sectione partiuntur. — Cette phrase c'est à peine si f ai pu arriver jusqu'à votre frère L. et avec sa permission , etc. f nous a paru ne pouvoir se rapporter qu'au seigneur ordinaire d'Éginhard, à celui avec lequel il était habituellement en relation, c'est-à-dire à Lothaire, et nous eu avons conclu que la lettre était adressée iiu frère de celui-cj, à Louis le Germanique , qui dut en effet, par le nou- veau partage , réunir à ses États presque toute la France orientale. Au reste, voyez dans notre Notice sur Éginhaid ce que nous disons sur cette lettre, dont le teste est en partie détruit dans le Ms. de Laon et dont nous ne pouvons donner ici que le sens probable. I.ETTKES DEOINHARD. 221 tcuu du seigneur Lolliaire l'autorisation de njo rendre auprès de vous , et de me recommander entre vos mains , si je puis jamais obtenir celte permission ; car je désire vous rester tou- jours fidèle , et je suis tout prêt à me dévouer à votre service , si Dieu daigne m'accorder vie et santé. LIV (1). AU PRÊTRE N. ET AU VIDAME N. Au nom du Christ , Eginhard , abbé , au prêtre N. et au vi- dame N. , nos fidèles, salut dans le Seigneur. — Sachez que notre intention est que, suivant l'usage, comme tout vassal a cou- tume de le faire pour le service de son seigneur, vous fassiez préparer les présents destinés au seigneur L. et à N. , son épouse (2). C'est quand ce prince reviendra d'Orville (3) à Com- piègne qu'ils devront lui être présentés. Nous voulons ensuite qu'un mot de vous nous apprenne comment ils auront été reçus par elle ou par lui. Portez-vous bien. LV (4). A L'UN DE SES FIDÈLES. Au nom du Christ , Eginhard, abbé , à N., notre fidèle , salut. — Vous voyez que nous n'avons rien négligé pour accomplir votre volonté , puisque nous vous faisons rendre votre fille. Mais nous vous prions maintenant, au nom de l'honneur et de l'amour que vous portez à saint N. et à nous, de permettre, si nous pouvons obtenir l'affranchissement de cet homme, qu'il (0 LII dans Duchesne et les autres éditeurs. (2) Rien dans cette lettre ne peut servir à déterminer s'il s'agit de Louis et de l'impératrice Judith , ou bien de Lotliaire et de sa femme Ermen- garde. Cette dernière interprétation nous semble cependant la plus pro- bable. (.■>) Orville, Andriaca-villa, Ot/rc/a-r/Z/a , aujourd'hui village du Pas- de-Calais, Ficaifdie, sur la rive droite de l'Aulhie, à une lieue et demie S,-K. (le Doulens, était une résidence royale célèbre sous la seconde race. Voy. Mabil., f>e Re dipl., lib. iv, ,"06. [4; LIU dans Duchesne cl les autres cdit. 19. 222 LETTKES DKGINnARI). épouse votre lille (I); car il vaut mieux, ci; uous semble, que votre 011e s'unisse de nouveau avec lui , s'il devient libre , que de la voir repoussée par tous. Portez-vous bien. * LVl. A R., SON AMI. A son très-cher fils R., Éginhard, salut éternel dans le Sei- gneur. — La personne que vous m'avez envoyée est arrivée le X des calendes de septembre , et comme votre lettre m'avait appris que vous n'aviez aucun doute sur sa fidélité , je n'ai pas dû hésiter à lui confier moi-même tout ce dont je voulais vous instruire. A mon avis , un homme fidèle est encore plus sûr qu'une lettre; car tout le monde sait qu'ime lettre, si elle échappe à celui qui la porte , divulgue aussitôt tout ce qu'elle renferme, tandis qu'un messager fidèle résiste à la torture même plutôt que de trahir ce qui lui est confié. Tout ce que je vous aurais dit à vous-même, si vous aviez été présent, je l'ai donc li\Té sans réserve à cet homme, qui vous est dévoué. Et ce qui m'a surtout prouvé qu'il était fidèle en toutes choses, c'est qu'il m'a dit sans détours et sans retard tout ce que vous l'a- viez chargé de me transmettre. Je souhaite que vous vous con- serviez dans la grâce du Seigneur. * LVIl. A UN ÉVÊQUE. A son vénérable seigneur et très-cher fils N., très-révérend évêque, Éginhard, pécheur, salut éternel dans le Seigneur. — Votre vassal, porteur des présentes, est arrivé près de nous et m'a rendu votre lettre. Après l'avoir lue, j'ai été heureux de faire tous mes efforts pour exécuter ce que j'ai supposé pouvoir vous être agréable. C'est à vous maintenant de bien considérer toutes choses, afin que les arrangements que vous allez prendre ne soient pas seulement avantageux pour vous , mais pour que (I) Vov. la Icltrc XV, et la noie 2, p. fSfl. I-EXTIIKS UEGIMIAIU). 223 les doux parties les reconnaisseut conformes à rhonnëtete. Il ne faut pas qu'on puisse vous adresser un seul reproche , à vous qui avez été proclamé d'avance comme devant agir dans l'intérêt général en tout ce qui serait à faire. Or, c'est un but qu'il sera facile d'atteindre, suivant moi, si chaque chose se fait à propos ; car, ainsi que vous le savez fort bien et comme le dit Salomon : « Toutes choses ont leur temps, » et celles-là sont bien faites qui sont faites en temps convenable. Je souhaite , mon très- cher fils, que vous vous conserviez toujours dans la grâce de Jésus-Christ. LVIII (1). A UN ABBE. Au nom du Christ, Éginhard, humble abbé, à l'abbé >'., son fidèle et son ami, salut étemel dans le Seigneur. — Vous n'avez sans doute pas oublié que vous m'avez chargé de veiller sur vous et les vôtres, et comme c'est par votre volonté que je me trouve investi de ce soin , je suis par cela même obligé , toutes les fois que l'occasion s'en présente , de vous rendre , à vous et aux vôtres, en tout ce que je sais et en tout ce que je puis, les ser\ices de tout genre auxquels vous avez droit. Je ferai donc savoir à votre amitié que N., notre vassal, et voti'e fille ont conçu de l'amour l'un pour l'autre , et qu'ils désirent s'unir en mariage , avec la faveur divine et votre consentement. J'ai en conséquence résolu d'envoyer vers vous pour vous annoncer que, s'il vous plaît d'accéder à cette union, la mère , le frère et tous les parents la trouvent convenable. Quant à moi , je ne désire pas seulement que ce mariage se fasse, je veux aussi qu'il se fasse honorablement et le plus tôt possible. Si vous me donnez pouvoir pour l'accomplir, je veux y contribuer di- gnement soit par des bénéfices, soit par d'autres avantages. Quant à notre vassal , il constituera la dot , et augmentera les jirésents d'usage (2). Il ne nous manque donc plus qu'une >l) F>1V dans Duchesne et les autres éditeurs. ! ■' Dvlt'tn non uxi>r marilo, scd uxorimarUus o/fcrl, Inkrsunl pu- 224 LETTBES fi'ÉCIÎNHABD. seule chose , c'est que vous veniez en personne terminer cette affaire, ou que vous me donniez l'autorisation de la terminer moi-même ; car nous savons bien ce qu'avec l'aide de Dieu nous pouvons faire aujourd'hui ; mais qui peut savoir ce qu'a- mènera le lendemain ? C'est pour cela qu'il est écrit : « Ne laisse reposer ni ton pied ni ta main , mais hâte-toi d'achever tout ce qu'ils peuvent faire. » Maintenant que vous êtes bien informé, nous vous prions de nous faire savoir votre volonté , tant par ce messager que par une lettre , et cela dans le plus bref délai. Portez-vous bien. * LIX. A UN ÉVÊQUE. Au saint et très- vénérable seigneur N., ministre du Très- Haut, Éginhard, pécheur. — Ce vassal, nommé Irthéon, est mon parent , et il a été pendant quelque temps à mon service ; mais il désire maintenant vivTe sous votre seigneurie ; et dans ce but il a recours à ma charité , à cause de l'affection toute par- ticulière dont vous avez bien voulu m'honorer. En conséquence, je nie suis décidé à lui donner cette lettre de recommanda- tion , afin que , par mon appui , il obtînt un accès plus facile jusqu'à votre sainteté, et qu'il fût admis auprès de vous comme un homme que je reconnais pour mon parent. Je vous prie donc de daigner l'accueillir et le nourrir comme votre vassal. Vous n'aurez jamais en lui, j'en suis convaincu, un débiteur renies et propinqui, ac munera probant, t Tacit., German,, xviu. Cette antique coutume des Germains sest conservée chez les Francs de la pre- mière et de la seconde race. C'était le mari qui constituait la dot. Mais le mot munera indique peut-être ici une chose distincte de la dot. Eginlianl aura voulu parler des présents donnés par le mari au père ou aux parents paternels de sa femme pour acheter la puissance j mundiburdium, les tiroits quil acquérait sur celle-ci et qu'il transmettait à ses propres héri- tiers. Cest en vertu de ce principe que le mari et les parents du mari re- cevaient la composition de la femme, et qiir, pour épouser une veuve, on payait une somme à la fiimille du premier mari. LBTTHES DEG1NH4BD. 225 ingnit. Je souhaite que vous vous cousorvipz toujours dans la grAoc du Soigneur. LX (1). A UN KVÊQUE. Pour demander une ordination. Au très- vénérable seigneur N., l-lginhard, pécheur. — Nous avons si peu de ministres pour le service de l'autel que la né- cessité m'oblige à supplier votre sainteté de daigner conférer l'ordre du diaconat à ce clerc nommé N. qui appartient à notre église. Il remplit, par son âge et son instruction, les condi- tions exigées. Nous l'envoyons donc auprès de votre bienveil- lante personne , dans l'espérance qu'il nous reviendra promu par vous à cet ordre sacré. Je souhaite que vous vous conser- viez toujours dans la grâce du Seigneur. I,XI. (2) A L'EMPEREUR (3). Que l'apparition inaccoutumée d'astres nouveaux soit pour les pauvres mortels un présage malheureux et funeste plutôt qu'un signe de joie et de prospérité, c'est ce qu'atteste l'opinion presque uuanime des anciens. Les saintes Écritures seules nous mon- trent un gage de salut dans l'apparition de cette nouvelle étoile observée, comme elles nous l'apprennent, par les sages Chaldéens qui , comprenant , à l'éclatante splendeur de l'astre nouveau , que le Roi étemel venait de naître , allèrent lui porter, avec leurs adorations , des présents dignes de sa sublime majesté. IVIais pour l'astre qui vient d'apparaître (4), tous ceux qui l'ont (i ) LV dans Duchesne. (2) LVI dans Duchesne et les autres édit, qui n'en n'ont publié qu'un fragment. (3) Le salut qui termine cette lettre prouve qu'elle est adressée à l'empe- reur, et sa date, que nous fixons dans la note suivante à l'année 837, nous porte à croire que cet empereur est plutôt Louis le Débonnaire que Lo- thaire, qui était alors en Italie. (4) On ue peut guère douter qu'Ésiiih.ird ne veuille parler ici de la co- mète qui fut observée, au commencement de l'année 837, dans les signes 22f> LETÏHES DEOLNHAKD. observé attestent que son aspect est affreux et lugubre, et quil semble briller d'un éclat menaçant. C'est, je pense, un digne présage des maux que nous avons mérités, un signe avant-cou- reur de la catastrophe appelée par nos crimes (1). Qu'importe , en effet, que ce soit un homme , un ^ge ou une étoile qui vienne présager au genre humain la colère imminente du Très- Haut. Ce qui est nécessaire, c'est de comprendre que cette ap- parition d'un nouvel astre n'est pas une chose vaine , que c'est un avertissement pour les mortels de se repentir et de s'efforcer, en fléchissant la miséricorde divine , d'éloigner les dangers qui les menacent. C'est ce qui arriva dans la prédication de Jonas : la ruine de Ninive avait été annoncée par lui ; mais les habitants recoururent tout à coup à la pénitence, et la miséricorde divine différa le châtiment. C'est ce que Dieu fit encore, et c'est ce qu'il promit de faire par la bouche du prophète Jérémie , lors- qu'il lui ordonna de descendre dans la maison du potier, et d'écouter ses paroles auprès de l'artisan qui travaillait. C'est ce qu'il consentirait encore à faire pour nous, j'en ai la con- fiance , si , à l'exemple de ces peuples , nous ne négligions pas de faire pénitence en toute humilité et du plus profond de notre cœur. Et plût au ciel que les désastres dont la flotte des Nort- mans vient de frapper, comme on le dit , les provinces de cet empire eussent suffi pour expier l'apparition de cet astre ter- rible (2) ! Mais je crains bien qu'il ne doive en résulter encore de la Vierge et de la Balance ; car l'apparition rie cette comète coïncide avec l'invasion des Nortraans, dont il parle plus bas, et le concours de ces deux circonstances ne peut convenir, d'après le récit des historiens, qu'à l'année 837. Voy. Annal. Fnldenxes dans Bou(iuct, VI, 210; Hermanni C/«ro«ic.,ibid.,226 ; Sigiberli Chronic, ibid.,234; et Fila Ludovici Pu ab Astronom ■ , cap. tvni, ihid., 120. (1) Sur la corruption des mœurs des Francs au temps de Louis le Dé- bonnaire, voy. ci-après rw/s<. de la Trandat., liv. iv, n''30. (1) Ce fut au mois de juin que les Nortmans vinrent fondre sur l'ile de Walcheren, Falacria , à l'embouchure de l'Escaut, brûlèrent la ville do Uuerst'de auj. Wyk-Te-Duersttde, à quatre lieues S. d'Utrecht ), rlinirent toute la Frise à contribution. ' D. Bonci., VI, Index r/ironotn/j., p. Lxxrx . LETTRES D'eGINHARD 227 qii('l(|ue nouveau" sujet de deuil , aunoneé par un si funeste prodige; à moins cependant que les coupables n'aient éprouvé sur eux-mêmes et sur tout ce qui leur appartient un châtiment assez grave , assez amer, quand ce fléau , fondant avec une force terrible, s'est appesanti sur eux d'une manière si cruelle, fouisse toujours mon très-pieux seigneur conserver sa force en Jésus-Christ et mériter la vie éternelle. *LX1I. AU FRÈRE N. A notre cher et vénérable frère en Jésus-Christ N. , Égin- liard salut éternel dans le Seigneur. — Les parents deN., notre vassal, sont prêts, comme ils nous l'ont eux-mêmes dé- claré, à vous payer la composition pour vos porcs. Depuis long- temps N. nous sert avec dévouement et fidélité. Nous nous adressons donc à votre charité pour que vous le traitiez avec autant d'indulgence que possible dans la composition dont il est votre débiteur aux termes de la loi, aiin que nous puissions encore recevoir de lui d'utiles services, et que vous-même vous nous trouviez toujours mieux disposé et plus empressé à se- conder vos désirs en tout ce qui est juste. Je fais des vœux pour que vous vous conserviez dans la grâce du Seigneur. LXIII (1). AU COMTE N. A magnifique , honorable et illustre personne le glorieux comte N. , Éginhard, salut éternel dans le Seigneur. — L'em- pereur, notre maître, a mandé par le veneur Dagolf au comte N. de convoquer à une réunion les comtes qui sont en Aus- trasie, c'est-à-dire Hatton, Poppon, Guébéhard et tous leurs collègues , pour aviser entre eux h ce qu'il y aurait à faire s'il survenait en Bavière quelque chose de nouveau (2). Ils ont pensé i; Lvn dans Duchesneel les autres éditeurs. fi) Ce passage semble se rapporter à la révolte de Louis le Gerinanifiiic en 8."2. On sait qu'au printeuips île cette année l'empereur s'avança jusqu'à 228 LETTRES D'ÉGINHABD. 2 qu'il serait bon que vous fussiez avec Hattouà cette assemblée. Ils vous prient donc d'examiner quel serait l'endroit le plus convenable pour vous réunir les uns et les autres , et de le leur indiquer. Le comte N. approuve leur détermination. * LXIV. AUX FRÈRES DU MONASTÈRE DE SELIGENSTADT. Au nom du souverain Dieu, Éginhard, pécheur, à ses très- chers frères du monastère des bienheureux martyrs du Christ Marcellin et Pierre , salut éternel dans le Seigneur. — Nous faisons savoir à toute votre communauté que , par la grâce de Dieu, nous sommes sain et sauf, et que nous désirons ardem- ment qu'il en soit de même de vous tous. De plus, nous vous avertissons , mes frères , de ne pas manquer à votre promesse et de ne jamais perdre notre souvenir auprès des saints Martyrs du Christ, auxquels, comme nous le savons, vous consacrez vos services de tous les jours. Aussitôt que notre pieux maître nous aura permis de nous rendre auprès de vous , nous serons heureux de vous retrouver, par leur intercession , en bonne santé et en état de grâce auprès du Seigneur. Aussi nous vous exhortons , très-chers frères , avec une paternelle sollicitude , à ne jamais oublier la profession que vous avez embrassée , et comment vous vous êtes consacrés au service de Dieu et de ses saints. Ayez donc toujours les yeux ouverts , soyez sans cesse sur vos gardes, de peur que le vieil ennemi du genre humain ne parvienne à vous tromper par ses ruses ou à vous faire tomber dans ses embûches. Faites, en sorte qu'en vous ap- pliquant sans relâche à célébrer les louanges de Dieu et à vivre humblement dans l'obéissance et !a fréquentation de son Église , vous- aidant les uns les autres , et portant en Augsbourg, où il reçut la soumission de son fils. Cette lettre pourrait se rattacher aux précautions qu'il dut prendre afin de prévenir une nouvelle j r«Svolte. LETTRES U'ÉGINHARU. 229 commun VOS fardeaux, il vous soit plus facile, avec l'heu- reux secours que le ('Jirist et ses saints martyrs Marcellin et ^*ierre vous prêteront ici-bas , d'obtenir le royaume étemel. Appliquez-vous à observer ces préceptes ; car ce sont , comme le dit l'Apôtre (t), des modèles que, vous qui êtes revêtus du sacerdoce , vous devez présenter pour être imités , en tout hon- neur et diligence, parles serviteurs du Christ, qui viendront chercher dans vos exemples le moyen de faire leur salut. Re- cevez donc avec bienveillance tous ceux qui vont venir vers vous, de telle sorte que, vous prêtant un secours mutuel, vous puissiez, avec l'aide de Dieu, les conduire pleins d'allégresse aux solennités pascales. Appliquez-vous encore à observer votre règle telle que je vous l'ai laissée , et efforcez-vous d'entourer le chef que je vous ai donné de respect et d'amour, afin que le respect que vous lui témoignerez tourne à votre avantage , et que le profit de vos âmes s'en accroisse de jour en jour. Nous faisons les vœux les plus ardents, très-chers frères, pour que votre sainte communauté se conserve en force et en santé. Quant à cette lettre que nous vous adressons , nous voulons qu'elle soit lue publiquement, en présence de tous les frères , et que l'on s'y conforme. LXV. A L'EMPEREUR. Mon humble personne ose offrir a la piété de son illustre seigneur ces prières d'office. Ce sont des psaumes que nous de- vons chanter, avec les autres oraisons, après la purification de Marie toujours vierge , pour obtenir que le Roi immortel vous accorde la santé dans cette présente vie, et vous fasse jouir pen- dant l'éternité , dans la gloire céleste, de la béatitude des saints. « Il lui suffit fréteniire la main pour empùclier le porte-clefs ( saint Pierre) d'être submergé ; cette main qui, grâce à la miséricorde divine, fait régner la vie dans l'éternité. » (t ) Saint Paul , dans sa seconde épitre aux Thessalonicien«. — Éginlian) Mpftelle plutôt la pensée que le texte même de cette épttre. 20 230 LETTBES D'ÉGINHABD. Lxvi (1). A UN évêqup:. Sous le nom de ses clients. Vos très-humbles clients s'empressent de mettre sous les yeux de leur très-:excellent maître le témoignage de leur entière obéissance. Ils protestent que leur dévouement n'aura pas d'au- tres bornes que celles de leurs faibles moyens, si, dans sa bonté, votre grandeur ne dédaigne pas de leur donner des ordres. Fidè- les en toute chose et pour toujours à vous et aux vôtres, placés auprès de votre clémence ou dans tout autre lieu , ils ont été heureux de promettre obéissance à vos gracieux commande- ments. Quant à présent, quoiqu'ils n'aient encore rien fait pour le mériter, cependant , pleins de confiance dans les paroles de votre promesse, ils n'hésitent point à se recommander à l'af- fection de votre charité. Ils font des vœux pour que votre béati- tude jouisse d'une bonne sauté. LXVII. A UN COMTE. Au nom de Notre-Seigneur Jésus- Christ , Éginhard, par le secours de la grâce divine, humble abbé, au comte N., son ami intime, salut éternel dans le Dieu sauveur. — Nous ne faisons que payer de retour, autant qu'il est en nous, les bien- faits de votre amitié lorsqu'on nous voit vous servir avec dé- vouement et en toute occasion respirer pour vous le plus vif intérêt. Mais de plus vous n'ignorez pas que , conformément aux bonnes intentions de votre serviteur et avec le secours de la miséricorde divine, vous êtes toujours sûr de trouver chez les nô- tres un égal dévouement. Aussi, dans notre sollicitude, nous vous adressons cette lettre afin que vous daigniez avoir pour nos ser- viteurs la même bienveillance que vous avez pour nous-mêmes. Il s'agit de ceux de nos clercs qui sont pourvus d'une prébende dans votre territoire (2) et dont en même temps le patrimoine est 1,1) LVIII dans Durhesne et les autres ëtlit. (2) Minhlerinm . l'étenduo A ces mots, Réginbald, s'étant réveillé, se hâta d'aller rapporter à Ratleig ce qu'il avait \n et entendu. Celui-ci en parla au prêtre qui voyageait avec eux , et tous deux con- vinrent que , si Réginbald recouvrait la santé qui lui avait été promise , ce serait une preuve de la véracité du songe. En effet, d'après la nature de la fièvre qui tourmentait celui qui avait eu le songe, il devait avoir un accès le jour même. Or il parut bien que ce n'était point une vaine illusion, mais ime révélation véritable , car ni ce jour ni les suivants il ne ressentit aucun des symptômes accoutumés. C'est ainsi qu'ils crurent à cette vision et cessèrent d'ajouter foi aux promesses du diacre. 6. Étant donc arrivés à Rome , ils reçurent l'hospitalité , près de l'église de Saint-Pierre-aux- Liens , dans la maison du diacre avec lequel ils étaient venus , et ils y passèrent quelques jours à attendre l'exécution de ses promesses. Mais celui-ci , ne pouvant remplir les engagements qu'il avait pris , inventait sans cesse de nouveaux délais pour dissimuler son impuis- sance. Ils eurent enfin avec lui une explication dans laquelle ils lui demandèrent pourquoi il cherchait ainsi à les tromper, le sommant de ne pas les retenir plus longtemps par ses faus- ses promesses et de ne plus mettre obstacle à leur départ eu cherchant à leur inspirer de vaines espérances. A ces paroles , voyant que sa fourberie ne pouvait plus désormais leur en imposer , il commença par faire connaître à mon notaire qu'il ne pourrait pas avoir les reliques qui m'avaient été promises , parce que son frère , auquel en partant il avait confié sa maison et tout ce qu'il possédait , était allé à Bénévent pour raison de commerce, et qu'il ignorait complètement à quelle époque il reviendrait. Il ajouta qu'il lui avait donné à garder ces reliques, comme tout le reste de sou mobilier, et qu'il ne pouvait pas HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. ^'^^ savoir ce qu'il eu avait fait , puisqu'il ne les trouvait nulle part dans la maison ; que Ratleig avisât donc à ce qui lui restait à faire, car il n'avait plus rien à attendre de lui. Après avoir tenu un tel langage à mon notaire , qui lui reprocha vivement de s'être joué de lui et de l'avoir indignement trompé , je ne sais quelles raisons vaines et frivoles il donna au prêtre de l'abbé Hilduin, qu'il avait flatté des mêmes espérances, poul- ie congédier également. I.e lendemain , les voyant tous deux fort tristes , il les engagea à venir avec lui visiter les tombeaux des saints ; il lui semblait , disait-il , qu'ils pourraient y trouver de quoi satisfaire leur désir, et ne pas en être réduits à re- tourner les mains vides dans leur pays. Cette proposition leur plut, et ils déclarèrent qu'ils étaient tout disposés à entre- prendre le plus tôt possible ce qu'il les invitait à faire. Mais lui, suivant son habitude, eut recours à de nouveaux subter- fuges , et, après leur avoir rendu quelque espérance , il les jeta par ces délais dans un tel découragement qu'ils résolurent de retourner dans leur pays sans avoir accompli l'objet de leur mission. 7. Mais mon notah-e, s'étant alors rappelé le songe de sou serviteur, se mit à presser son compagnon d'aller, sans leur hôte , visiter les tombeaux où celui-ci avait promis de les cou- duire. Ayant donc trouvé et loué un homme pour leur servir de guide , ils se rendent d'abord à la basilique de Saiuti-Tiburce , martyr, qui est située sur la voie Labicane (1) , à trois mille (•) La voie Labicane, via Labicana, conduisait de la porte Esquiline à Labicum, ville du Latium entre Tusculum et Préneste. Cest sur la droite , e^itre cette route et l'aqueduc Claudien , à une lieue E.-S.-E. de Rome , qu'était située l'église de Saint-Marcellin et Saint-Pierre , qui paraît être la même que celle qui fut placée depuis sous l'invocation de sainte Hélène et qui avait été construite par Constantin pour servir de mausolée à sainte Hélène, sa mère. L'édifice est de forme circulaire. Ses ruines, retrouvées par Bosio en 1394, étaient connues dans le pays sous le nom de Torre pi- gnattara. L'église de Saint-Tiburce, qui était bâtie tout auprès , a com- plètement disparu. Au-dessous de ces deux églises s'étendait la crypte dont parle Éginhard, et que l'on nommait cimetière d'entre les deux laurier* , 250 HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC- pas de la ville. Là ils contemplent avec la plus grande attention la tonàbe du martyr et examinent avec beaucoup de circons- pection s'il ne serait pas possible de l'ouvrir sans qu'on s'en aperçût. Ils descendent ensuite dans une crypte contiguë à la- dite église où les corps des bienheureux martyrs du Christ saint INIarcellin et saint Pierre avaient été ensevelis ; et après avoir observé la construction de leur tombeau , ils se retirent, espérant que leur démarche ne serait point connue de leur hôte. Mais il en arriva autrement qu'ils ne l'avaient pensé; car , sans qu'ils aient pu savoir par quels indices , la connaissance du fait lui arriva promptement , et, craignant qu'ils ne voulussent ac- complir sans lui leur dessein, il résolut de se hâter et de les prévenir. Comme il avait une pleine et entière connaissance des lieux, il leur adressa de séduisantes paroles pour les déterminer à s'y rendre tous ensemble , afin que , si Dieu daignait favoriser leurs desseins . ils fissent d'un commun accord ce qu'il serait convenable de faire 8. Sa proposition fut acceptée, et ils fixèrent ensemble le mo- ment d'en commencer l'exécution. Ayant donc jeûné pendant trois jours , ils se rendirent sur les lieux , la nuit , sans qu'aucun habitant de Rome les eût aperçus ; puis ils entrèrent dans la basilique de Saint-Tiburce, où ils cherchèrent d'abord à ouvrir l'autel sous lequel ils supposaient le corps du saint INIartyr placé ; mais ils eurent peu de succès dans le commencement de leur entreprise , car le tombeau construit en marbre très-dur résista d'autaut plus facilement à leurs efforts qu'ils n'avaient d'autres instruments que leurs mains. Abandonnant donc la sépulture du martyr, ils descendirent au tombeau des bienheureux Mar- cellin et Pierre, et là, après avoir invoqué Notre-Seigneur Jésus- Clirist et adoré les saints Martyrs , ils essayèrent de déplacer la cœmeterium inter duas latiros , ou cimetière de saint Marcellin, saint Pierre, saint Tiburce, martyrs, et de sainte Hélène. Voy. Bosio, Roma sub- terranea, II, liv. iv, chap. i\, p. 31 et suiv., et chap. xiv, p. 47. (Éd. d'A- ringhi, Rome, 165t.) IIISTOIHU UE LA lU.\.\bLA110.\ , ETC. -^' pierre qui recouvrait le sommet du monument. Apres lavoir enlevée, ils virent le très-saint corps de saint Marcellin , qui re- posait dans la partie supérieure du tombeau, et,près de sa tête, une table de marbre sur laquelle une inscription indiquait d'une manière positive à quel martyr appartenaient les restes qui étaient là gisant. Ils les soulevèrent avec la plus grande vénéra- tion, comme il était convenable, et, après les avoir enveloppés dans un riche linceul , ils les donnèrent ou diacre pour les em- porter et les placer en lieu siir. Puis , remettant la pierre à sa place, pour qu'il ne restât aucune trace de la soustraction qu'ils venaient de faire, ils retournèrent dans la ville à leur logement. Quant au diacre , affirmant qu'il voulait et pouvait conserver dans sa maison, située près de la basilique de l'apôlre Saint- Pierre-aux-Liens, le corps du saint Martyr qui lui avait été confié , il en remit la garde à son frère , nommé Lunison , et , persuadé que mon notaire se tiendrait pour satisfait , il se mit à le presser de recevoir le corps de sahit "Marcellin et de retourner avec ces reliques dans sou pays. 9. Mais Ratleig avait conçu un tout autre projet , et le roulait sans cesse dans son esprit. En effet , comme il me la depuis rapporté, il pensait qu'il ne lui était pas possible de revenir dans son pays avec le corps de saint Marcellin tout seul. C'eiU été un crime à ses yeux d'emporter les reliques de saint Mar- cellin, et d'abandonner celles de saint Pierre, qui avait été le compagnon de son martyre et qui depuis cinq cents ans et plus reposait avec lui dans le même sépulcre. Du moment que cette pensée-lui fut venue , le travail et le trouble de son imagination ne lui laissèrent plus de repos ; il lui sembla qu'il n'y aurait plus pour lui ni douceur ni plaisir à se livrer au sommeil ou à prendre de la nourriture avant d'être parvenu à réunir, pour les em- porter ensemble, les corps des deux Martyrs qui ne s'étaient ja- mais quittés ni dans le supplice ni dans le tombeau ; mais il ne sa- vait comment s'y prendre pour en venir ;» bout, il ne fallait pas songer à trouver un Romain pour 1 aider dans cette entreprise ; 252 niSTOIBE DE LA TRANSLATION, ETC. il n'en était même pas uu à qui il eût osé révéler son projet. Daus cette perplexité , il rencontra un moine étranger nommé Basile , qui depuis plus de deux ans était venu de Constantinople a Rome, et demeurait avec quatre de ses disciples,sur le moni Pa- latin, chez d'autres moines grecs du même ordre que lui. Il alla le trouver et lui découvrit le sujet de ses inquiétudes. Animé par les conseils de ce moine, fort de ses encouragements , il en prit tant de confiance qu'il résolut de tenter au plus tôt l'aventure, quoiqu'il y allât de sa tête (I). Ayant donc fait venir son compa- gnon, le prêtre de l'abbé Hilduin, il lui proposa de se rendre de nouveau secrètement, comme ils l'avaient déjà fait, à la basi- lique de Saint-Tiburce , et d'essayer une seconde fois d'ouvrir la tombe dans laquelle devait reposer le corps du martyr. 1 0. Sa proposition fut acceptée. Prenant donc avec eux les ser- viteurs qu'ils avaient amenés , ils partirent secrètement pendant la nuit , sans que leur hôte se doutât le moins du monde de l'endroit oij ils allaient. Lorsqu'ils furent arrivés , ils commen- cèrent par faire leurs prières devant les portes de l'église pour la réussite de leur entreprise, et entrèrent ensuite dans l'édi- fice : là ils se partagèrent en deux troupes ; les uns , avec le prêtre , restèrent dans l'église pour y chercher le corps de saint Tiburce; Ratleig avec les autres se dirigea dans la crypte con- tiguë à l'église vers les reliques de saint Pierre. Ce tombeau ayant été ouvert avec la plus grande facilité, il enleva, sans rencontrer aucun obstacle , les restes sacrés du saint martyr , et, après les avoir recueillis, il les renferma avec soin dans un (i) Cétail la loi romaine en vigueur a Rome au temps d'Éginbard qui prononçait la peine de mort contre les violateurs des tombeaux. Cette peine , qui existait dans l'ancienne législation romaine , avait Hé rétablie dans toute sa rigueur par les constituUons 3 et 4i de Juiicn et Constant , De se- pulclins vwlatis, lib. ix, tit. iviidu code Tliéodosien, ou tit. xix du code Justinien. (Vov. Bitter, Cod. Theodos., II), 153 etsuiv.,ei compar. l'art. Cïcii, du liv. VII des Capitul. de Charlemagne , dans Baluze, 1, 1066, et les dispositions des diverses lois barbares citées par Du Cange au mot rioia- tores scpukhrorum. > >;u' de soio (m'il avait fait [(repariT exprès. llepeudaiU li' prêtre qui chorcliait lo corps de saint 'liburce, après s'être épuisé on vains efforts, voyant qu'il ne pouvait obtenir aucun résultat , abandonna ses recherches pour aller retrouver Ratleig dans la crypte, et vint lui demander ce qu'il devait faire. Celui- ci lui répondit qu'il croyait que les reliques de saint Tiburcc étaient trouvées, et lui montra ce qui le déterminait à parler ainsi. En effet, peu d'instants avant l'arrivée du prêtre dans la crypte , il venait de découvrir , dans le sépulcre même où avaient wté renfermées les reliques sacrées de saint Marcellin et de saint Pierre, une ouverture de forme ronde , creusée dans l'intérieur du tombeau sur une longueur de trois pieds environ et sur un pied de largeur, et dans laquelle reposait une assez grande quantité de poussière très-fine. Ils pensèrent l'un et l'autre que cette poussière pouvait bien provenir du corps de saint Tiburce, dont les os auraient été enlevés , et qu'on l'avait sans doute placée dans ce tombeau , entre les corps de saint Marcellin et de saint Pierre, pour qu'elle fût plus difficile à trouver. Il fut convenu entre eux que le prêtre la prendrait et l'emporterait comme reliques de saint Tiburce. 11. Cela fait et arrangé de la sorte, ils regagnèrent leurs lo- gements avec ce qu'ils avaient trouvé. Ratleig, s'étant ensuite adressé à son hôte , lui redemanda les saintes reliques du bien- heureux Marcellin, dont il lui avait confié la garde, le priant de ne pas retarder son retour par d'inutiles délais. Non-seule- ment celui-ci satisfit sur-le-champ à sa réclamation , mais il lui offrit même, pour me les apporter, quelques reliques de saints réunies dans un sachet : interrogé sur leurs noms , il répondit qu'il me les ferait savoir lorsqu'il se rendrait auprès de moi. Tou- tefois il recommanda s, rejoignit, peu de jours après, avec! tous ses coiupaguons, dans ladite ville de Soleure, ceux (jui apportaient les reliques. Les deux troupes se réunirent, et, grossies sans cesse par une foule de peuple qui accourait de toute part en chantant des cantiques, elles arrivèrent pronipte- ment, au milieu de l'allégresse générale , dans la ville d'Argen- toralum, que Ton appelle maintenant Strasbourg. S'étaut en- suite embarqués sur le Rhin , ils descendirent le cours de ce fleuve jusqu'au lieu qu'on nomme le Port (1); là ils débarquè- rent sur la rive orientale , et à la cinquième station ils arrivè- rent à Michilenstadt , accompagnés d'une immense multitude qui exaltait les louanges de Dieu. Ce lieu, situé dans cette forêt de la Germanie que l'on nomme aujourd'hui Odenwald, est à peu près à six lieues du Mein. C'est là qu'ils trouvèrent la basilique que je venais de faire construire , mais que je n'a- vais pas encore dédiée. Ils y firent entrer les saintes reliques, et les y déposèrent comme si elles dussent y rester perpétuelle- ment. 15. Dès que tout cela m'eut été rapporté, je me hâtai aus- sitôt de me rendre à IMichileustadt, en faisant toute la diligence possible. Trois jours après notre arrivée, lorsque l'office des vêpres fut achevé et que tout le monde fut sorti , un ser- viteur de Ratleig, suivant Tordre de sou maître, demeura seul (\) Ce lieu (le Port, Portas) devait être situé un peu au-dessous du con- lluent du Necker avec le Rliiii. Ceux i[ui amenaient les reliciues ne purent débarijuer auparavant ; car ils auraient eu le Necker à traverser. C'est proba- blement l'endroit que l'on nomme aujourd'hui Sandhofer-falirt. à trois quarts de lieue environ au N.-O. de l'embouchure du Necker, oii il existe encore un bac et un lieu de débaniucmcnt. ( Voy. la carie du grand-duché de Hesse-DarmstaJt, en 2o feuilles, par Haas, feuil. 22; Darrastadt, 1807. ) De ce point de b rive droite du Rhin jusqu'à Michilenstadt ( aujour- d'hui Michcistadt, petite ville du grand-duché de IIcsse-Darmstadt , à dix lieues N.-E. de Heidelberg), terme de leur voyage, on compte dix de nos heues en ligne droite , tlisîance qui s'accorde assez bien avec le nombre des stations ou repos, Rasl en alleiuand , indiqué par Éginhard. (Voy. Du Cangc au mot Rasla. ) 25. 2^* UISTOIKE DE LA TBANSLATIOiX , ETC. dans l'église. Fermant alors les portes, il s'assit dans une petite cellule , et se prépara à veiller près des saintes reliques. Mais ayant été tout d'un coup surpris par le sommeil , il vit comme deux colombes entrer en volant par la fenêtre droite de l'ab- side, et se poser sur le faîte de la châsse au-desssus des saintes reliques: Tune de ces colombes était toute blanche, l'autre d'une couleur blanche nuancée. Après s'être longtemps prome- nées sur le faîte de cette châsse et avoir fait entendre tour à tour le gémissement particulier aux colombes , comme si elles se fussent parlé , elles sortirent par la même fenêtre et disparu- rent. Aussitôt une voix, résonnant au-dessus de la tête du servi- teur , prononça ces mots : « Va , et dis à Ratleig d'avertir sou maître que ces saints Martyrs ne veulent pas que leurs reliques reposent ici , et qu'ils ont choisi un autre lieu dans lequel ils désirent qu'elles soient promptement transportées. » Il ne put apercevoir celui dont la voix lui parlait ainsi ; mais lorsqu'elle eut cessé de se faire entendre , son sommeil se dissipa , et s'é- tant tout à fait évçjllé, il raconta à Ratleig, lorsque celui-ci revint dans l'église, tout ce qu'il avait vu. Ratleig, le lende- main même , aussitôt qu'il put se trouver avec moi , eut soin de me redire tout ce que son serviteur lui avait rapporté. Quant à moi , sans oser mépriser le mystère de cette vision , je pensai qu'il fallait attendre l'indice de quelque signe plus certain ; et cependant je fis enlever ces cendres sacrées des linges dont elles étaient enveloppées , et je les fis coudre dans des sacs de soie préparés exprès. Comme, en les considérant, je m'aperçus que les reliques de saint Marcellin étaient en plus petite quantité que celles de saint Pierre , j'attribuai cela à ce que saint Mar- cellin était sans doute d'une taille moins élevée que son com- pagnon ; mais le vol que l'on découvrit plus t-ard prouva qu'il en était autrement. Nous dirons en son lieu où , quand , par qui et comment ce vol fut commis et découvert. Maintenant il nous faut poursuivTe, sans l'interrompre, le récit que nous avons commencé. iiiSTOiHi: UK LA TnA^sLA^lO^, etc. 2i9 10. Mais on ooiiteiiiplant ce grand et adniiral)lt' trésor , plus précieux à mes yeux que toutes les richesses, je trouvai la cliàsse daus laquelle il était contenu trop indigne de lui ; celle diàsse était faite du bois le plus commun. Désirant la remplacer par une meilleure, un jour, après avoir accompli l'office du toir . j'ordonnai à l'un des sacristains den prendre les dimensions avec une baguette et de me les donner. Celui-ci, après avoir allume uu cierge, pour faire ce que je lui avais dit , ayant sou- levé le poêle qui couvrait la châsse et retombait tout autour . remarqua avec surprise que du coffre s'échappait un liquide sem- blable à du sang. Effrayé d'un tel prodige, il s'empressa de venir m'annoncer ce qu'il avait vu. Je me transportai aussitôt sur les lieux avec les prêtres qui se trouvaient là , et je contem- plai ce miracle, bien fait pour nous remplir d'étonnement et de stupeur. liOrsque la pluie menace , on voit les colonnes , les tables et les statues de marbre suinter et se couvrir d'humidité ; de même nous trouvâmes que le coffre qui contenait les très- saintes reliques était vraiment mouillé de sang, et qu'il en était trempé de toutes parts. Un miracle d'une nature si extraordi- naire , si inouïe nous épouvanta. C'est pourquoi, après nous être consultés, nous résolûmes de passer trois jours dans le jeiine et la prière, pour que la révélation divine daignât nous apprendre ce que c'était que ce grand et ineffable prodige et quel aver- tissement il renfermait pour nous. Au bout de trois jours de jeûne, comme déjà le soir approchait, le sang qui coulait d'une manière si horrible à voir commença tout à coup à sécher -, et, chose admirable, ce liquide, qui depuis sept jours entiers dégouttait continuellement comme d'une source inépuisable tarit entièrement en quelques heures, au point qu'au moment où , pendant la nuit, — c'était un dimanche , — la cloche nous appela dans l'église pour célébrer l'office qui précède le jour , il n'était plus possible d'en trouver dans le coffre aucun vestige. Mais les linges qui pendaient autour et qui avaient cté impré- gnés par le liquide restèrent couverts de taches de sang. Je rc- 260 HISTOIRE UE LA TUANSLATION, ETC. comiiiandai qu'on les conservât comme ils étaient , et l'eu peut y voir cucore a présent les traces de ce prodige inouï. Il est constant que le liquide était un peu salé , comme le sont les larmes, qu'il avait la fluidité de l'eau et la couleur du sang. 17. Dans la même nuit, un de nos serviteurs nommé Roland \it , pendant son sommeil, deux jeunes gens debout devant lui , .î déposé ce prérioiix trésor, y tut nnu'iiee en clwiriot par sus amis et ses parents. Klle y passa la nuit en prières au milieu de ceux qui veillaient auprès de la châsse. Durant cette veille, ses mem- bres reprirent toute leur force , et le lendemain elle revint au lieu d'où elle était partie, sur ses pieds, sans que personne la soutînt, sans qu'elle eût besoin d'aucun appui. 20. Quant à nous, nous nous levâmes à laube du jour et nous nous mîmes en route pour aller au-devant de nos compagnons. Nous étions suivis d'une foule de gens du voisinage, qui, atti- rés par la nouvelle de l'arrivée des reliques, s'étaient rassem- blés dès le petit jour devant notre porte , dans l'intention d'al- ler avec nous à leur rencontre. Nous les joignîmes à l'endroit où le ruisseau nommé Gernspriuz se jette dans le Mein (I); puis nous repartîmes tous ensemble, célébrant dans nos canti- ques la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et nous allâmes déposer les saintes dépouilles des bienheureux Mar- tyrs dans le haut Mulinheim , — c'est le nom que cet endroit a reçu vers ces derniers temps — ; et cela au milieu des trans- ports d'allégresse de tous ceux qui purent assister à cette céré- monie. îMais comme la foule était innombrable et que le peuple avait tout envahi avant notre arrivée, il nous fut impossible d'ap- procher de l'église et d'y entrer la châsse; alors nous élevâmes dans un champ voisin, sur une petite éminence, un autel en plein air -. la châsse fut déposée derrière l'autel, et nous y célébrâmes l'office divin. Après cette cérémonie , et comme les fidèles se retiraient chez eux , nous portâmes les restes sacrés des bien- heureux Martyrs dans l'église qu'ils avaient désignée, et, plaçant la châsse auprès de l'autel , nous fîmes célébrer la messe une seconde fois. Pendant l'office , un enfant âgé d'environ quinze ans, nommé Daniel, natif du i>ays Porcien(2), venu en ct'S J) Gernsprinz ou plutôt Gerspriiiz , Gasiwiitia (luviolus, petite ri v rire (jiii prend sa source un peu au-dfssous de Michcl.stadt et va se jeter (l.iiis le Mein en face d'AscliaffenbcHirg. (2) Le pays Porrien , pays ou comté de Porcéan, l'wjits Portianus, Pur- 2G4 HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. lieux avec d'autres pauvres mendiants, et si voûté qu'il n'aurait pu regarder le ciel sans se couchi;r sur le dos, s'approcha de la châsse, puis tomba tout d'un coup comme si on l'eût poussé. Il demeura longtemps étendu; on eût dit qu'ildormait, et cependant tous ses meniljres se redressèrent , ses muscles reprirent de la fermeté , et il se releva devant nous parfaitement guéri. Cela se passait le xvi des calendes de février (1). Il faisait ce jour- là un temps si clair et si beau qu'il égalait l'éclat d'un soleil d'été ; l'air était si doux, d'un calme si délicieux que cette journée semblait anticiper sur les belles journées du printemps. 21 . Le lendemain , après avoir renfermé les saintes reliques des bienheureux Martyrs dans une autre châsse, nous les pla- çâmes dans l'abside de la basilique, et , suivant la coutume des Francs , nous élevâmes au-dessus un chapiteau de bois ; puis , pour l'orner , nous l'entourâmes de draperies et de voiles de soie : nous fîmes dresser auprès un autel , et des deux côtés nous mîmes debout les deux croix , étendards de la passion de Isotre-Seigneur, qu'on avait portées devant la châsse durant le vovage. Enfin, suivant nos faibles moyens, nous disposâmes ce lieu de la manière la plus convenable et la plus décente pour y célébrer l'office divin. Des clercs furent désignés pour y veiller assidûment et pour chanter, avec une constante piété, les louan- ges du Seigneur. Pour nous , de notre propre volonté, et aussi pour obéir à une lettre du roi , qui nous était parvenue en route, nous partîmes , et le Seigneur ayant béni notre voyage, nous revînmes au palais (2) le cœur plein d'allégresse. censis, pays assez étendu de la Champagne, comprenait le territoire qui forme aujourd'hui l'arrondissement de Réthel et une partie de l'arrondisse- ment de Méiièrcs ( Ardennes) ; ses principales villes se nomment encore Chàteau-Porcien , Écly en Porcien et Chaumont en Porcien. (t / Le ivi des calendes de février. — Le 17 janvier 828 , comme cela ré- sulte du calcul établi plus haut. (Voy. ci-dess., p. 246. n. 1 ) (2) Au Palais, c'est-à-dire à Aix-la-Chapelle, où se tint en février l'assem- Mée dans laquelle on- traita principalement des affaires d'Espagne. ( Voy. les Aiinahs à l'année ^28 , ci oi\,s indignée cidess., p. i.'i6, nol. I. 23. 270 HISTOIBE DE LA TKAKSLATION , E£C. montrer, avant de me les rendre, ces reliques qui devaient m'élre restituées. Plus de huitjours s'étaient passés depuis Pâques, lors- que le roi quitta le palais pour aller à la chasse; alors Hilduin^ suivant nos conventions, retira les reliques de son oratoire où elles étaient gardées, et les lit porter dans la basilique de la Sainte- INIère de Dieu; puis, les ayant placées sur l'autel, i! m'envoya chercher pour que j'eusse aies reprendre. Quand je fus arrivé, il ouvrit la châsse où elles étaient renfermées, pour me montrer ce qu'il me rendait et ce que je recevais de lui. 27. Après cela, il enleva le coffre de l'autel et me le mit entre les mains; puis, ayant prononcé une prière qui convenait à la circonstance, il entonna lui-même, pour célébrer les louanges des saints jNIartyrs , une antienne que les chantres répétèrent après lui; et, pendant que nous nous retirions avec ce trésor inestimable, il nous suivit en chantant jusqu'à la porte de la basilique. Nous nous mîmes alors , avec croix et cierges, en célébrant la miséricorde du Seigneur, à marcher processionoel- lement jusqu'au modeste oratoire qui était en notre maison ; et, faute de mieux , nous y déposâmes les saintes reliques. Mais dans cette procession dont je viens de parler , depuis la basi- lique jusqu'à notre oratoire, il arriva un miracle qu'il est bon, je pense, de raconter. Nous sortions de l'église en chantant à haute voix les louanges de DieuNotre-Seigneur; tout à coup un parfum délicieux se répandit sur tout le quartier d'Aix-la-Cha- pelle qui touche à l'église et regarde le couchant : presque tous les habitants de ce quartier et en même temps tous ceux qui s'y trouvaient pour affaire ou pour tout autre motif furent si vivement frappés de ce parfum, sorte d'émanation divine, (|ue, laissant aussitôt tomber de leurs mains ce qui les occupait, ils s'empressèrent d'accourir vers l'église ; et guidés, pour ainsi dire, par les traces du parfum , ils arrivèrent en toute hâte jusqu'à notre oratoire , où ils savaient que ces reliques avaient été portées, et une foule iinionibrablc de peuple, dans l'extase ei l'admiration, envahit notre enceinte. La plupart de ceux qui HISTOIEË 1>E LA TJUNSLATION , KIC. 27 1 étiiionl accourus ignoraient entièrement ce dont il s'agissait , et cependant, remplis d'une pieuse allégresse, ils célébraient tous ensemble la miséricorde du Dieu tout-puissant. 28. Mais, lorsque le bruit se fut répandu que les reliques du martyr saint Marcellin étaient déposées en ce lieu , il nous vint , sans compter les habitants d'Aix-la-Chapelle , une si grande (|uantite de visiteurs des villages voisins et adjacents, et même d'endroits et de pays éloignés, que nous avions peine à péné- trer dans l'oratoire pour y célébrer les offices divins , si ce n'est pour les vêpres et pour les nocturnes. On amenait de toute part des gens infirmes ou atteints de différentes affec- tions , que leurs parents ou leurs amis venaient placer le long des murs de l'oratoire. Vous auriez pu voir tous les genres d'inûrmités parfaitement guéris sur des personnes des deux sexes et de tout âge , par la main puissante de Jésus-Christ et les mérites du bienheureux Martyr. Les aveugles recouvrent la vue , les boiteux marchent , les sourds entendent , les muets parlent ; les paralytiques eux-mêmes et des malades tombés dans un tel état de faiblesse qu'ils avaient dû se faire ap- porter par des mains étrangères sont rendus à la santé, et re- gagnent à pied leurs demeures. 29. Dès que ces faits furent parvenus jusqu'aux oreilles du roi par l'entremise de l'abbé Hilduin , ce prince résolut d'abord que , de retour au palais , il se rendrait dans notre oratoire , où tout cela se passait , pour y adorer le saint Martyr ; mais il en fut détourné par Hilduin , qui le détermina à faire porter les reliques dans la grande basilique. Une fois qu'elles y furent déposées, il vint se prosterner devant elles en grande humilité, et après que la messe eut été célébrée avec pompe , il fit aux bienheureux martyrs Marcellin et Pierre l'offrande d'un 'petit domaine nommé Ludovesdorf (1) , situé sur la rivière d'Alir, (t) Ludovesdorf sur l'Alir ; Ludovcsdnrf prtcdiolttm jiixia Aram {Lu- dovesirop/, dans Siirius ; Hludovcsllwrp, dans le manuscrit de Metz ). O.ttr position indiquée sur la carte de Bessdlius, E, h, sous le nom de Ludo , 272 HISTOIP.E DE LA. TKA>SLATIOIV , ETC. et compreuaut quinze manses et neuf arpents de vignes. La reine , de son côté , leur offrit sa ceinture , tissue d'or et de pierres précieuses et qui pesait trois livres. Cela fait, les reli- ques furent reportées à leur place , dans notre oratoire , et y restèrent pendant quarante jours et plus , jusqu'à l'époque où l'empereur avait coutume de quitter la cour pour aller chasser dans les forêts ; puis, après nous être procuré tout ce qui parut nécessaire pour notre voyage , nous sortîmes avec les reliques d'Aix-la-Chapelle. Mais, comme nous étions sur notre départ et que l'on disait la messe , une vieille femme , très-connue daus le palais , âgée de quatre-vingts ans environ et malade d'une contraction des muscles, fut guérie sous nos yeux. Nous apprîmes d'elle-même que , depuis cinquante ans , elle souf- frait de cette infirmité , et ne pouvait marcher qu'en se traînant, comme un animal à quatre pattes , à l'aide de ses genoux et de ses mains. 30. Ensuite nous nous mîmes en route , et, grâce à l'inter- cession des saints Martyrs , avec l'aide du Seigneur, nous ar- rivâmes en seize jours au village de Mulinheira, où nous avions laissé, en partant pour la résidence impériale , les restes sa- crés des bienheureux IMartyrs. Je ne saurais passer sous si- lence toute la joie, toute l'allégresse que firent éclater, à l'ap- proche des saintes reliques, les populations rassemblées sur notre passage ; et cependant je ne saurais l'exprimer et la rendre dans tous ses transports. Toutefois je vais essayer de le faire , pour qu'on ne m'accuse pas d'avoir, par négligence, laissé dans l'oubli un fait qui parle si haut à la louange du Seigneur. Et d'abord je veux rapporter ici ce qui s'accomplit à nos yeux et en présence d'une grande multitude lorsque que nous sortîmes du palais. Il y a sur une petite rivière nommé Worm (i) mescorp, est placée près de la source de lAlir, pctile rivière (|ui va se jeler dans le Kliin , entre Cologne et Coblentz , près de Sinzig [Zunichium). (I) Le Worin, ou plutôt le Wurm , rurmius, ruisseau qui coule au nord d'Aix-la-Chapelle et qui va »e jeter dans la Roer. HISTOIRE 1)K L\ TRANSLATION, ETC. 273 un pont éloigné do doux inillos environ du palais d' Vi\-la-('ha- pello. Arrivés là, nous nous arrêtâmes quelques instants pour donner à la fouie qui nous avait suivis depuis le palais et qui voulait s'en retourner le temps de faire ses dévotions. ]Nous vîmes alors un des assistants s'approcher des reliques avec une autre personne , puis dire à son compagnon en se tournant de son côté : « Par amour pour le saint Martyr, et en son « honneur , je te tiens quitte de tout ce que tu me dois. » L'autre lui devait , en effet, comme il le reconnaissait lui-même , une denii-livre d'argent. Nous eu vîmes encore un autre prendre un de ses compagnons par la main, et l'eatraîncr vers les reli- ques : <> Tu as tué mon père, lui dit-il, nous étions donc en- nemis jurés ; mais aujourd'hui , pour l'amour de Dieu et en l'honneur du saint MartjT, je dépose ma haine, je veux faire alliance avec toi : je veux qu'à partir de ce moment une amitié éternelle nous unisse. Et toi, saint Martyr, sois le témoin de cette amitié que nous nous promettons ici l'un à l'autre , et que ta vengeance retombe sur la tête de celui d'entre nous qui , le premier, tentera de rompre la paix ! » 31. Puis toute cette foule, qui était sortie avec nous du pa- lais , se mit à adorer en ce lieu et à couvrir de baisers les saintes reliques , et tous s'en retournèrent en versant des larmes abon- dantes, que dans leurs transports de joie ils ne pouvaient re- tenir. Une autre troupe de fidèles vint alors à notre rencontre, et nous accompagna, en chantant sans interruption le Kyrie é'/mon, jusqu'à la seconde station, où nous attendait une nou- velle troupe qui les remplaça; car, avant de nous quitter, ils firent comme les premiers leurs dévotions , et s'en allèrent. Et chaque jour, depuis l'aube jusqu'à la nuit, les fidèles se suc- cédant sans cesse nous accompagnèrent enchantant les louanges du Christ, Notre-Seigneur, et nous arrivâmes ainsi , Dieu ayant béni notre voyage, du palais d'Aix au bourg de Muliuheim. l-ne fois en ce lieu, nous plaçâmes sur l'autel les reliques en- fermées dans une châsse tout ornée de pierres précieuses. C'é- 274 HISTOIBE DE LA TRA^SLATIO^ , ETC. tait derrière ce même autel qu'où avait placé le coffre (jui con- tenait les cendres sacrées des Martyrs. Les reliques que nous venions d'apporter restèrent ainsi sur l'autel jusqu'au mois de novembre; alors, comme nous nous préparions à nous rendre au palais , nous fûmes avertis par une révélation de ne pas nous éloigner avant d'avoir réuni les cendres aux restes dont on les avait séparées. î\Iais je ne peux passer sous silence la ma- nière dont cette volonté suprême nous fut révélée ; car ce ne fut pas seulement par un songe, comme cela arrive ordinai- rement, mais ce fut par des signes, des miracles effrayants, adressés a ceux qui veillaient sur ce trésor, que les bieuhcu- reux Martyrs nous montrèrent qu'ils voulaient dans cette cir- constance une obéissanee entière à leurs ordres. 32. Il y avait parmi les clercs désignés pour garder l'église un certain Landolph ; il était chargé de sonner la cloche , et sou lit se trouvait placé près de la porte méridionale de la ba- silique. 11 s'était levé a l'heure ordinaire pour sonner, comme cela est d'usage , l'offlce de nuit et l'office du matin. L'office ayant été terminéavant le jour, comme il voulait dormir encore , il ferma les portes de l'église , et d'abord il s'agenouilla pour prier devant les cendres sacrées des Martyrs. Il en était, à ce qu'il raconte , au commencement du cinquantième psaume , lorsqu'il entendit près de lui résonner sur les dalles les pas d'un homme qui se promenait de côté et d'autre dans l'église. Saisi d'une vive frayeur, il se releva un peu sur les genoux, et se mit à regarder tout autour de lui , pensant que c'était sans doute un mendiant qui , pendant qu'on fermait les portes , était resté caché dans quelque coin. Puis , voyant qu'il n'y avait personne autre que lui dans l'enceinte de la basilique, il s'inclina de nouveau pour achever sa prière, et reprit le psaume qu'il avait commencé. Mais, avant d'avoir pu en dire un seul verset, il entendit tout à coup la châsse placée sur l'autel et qui contenait les saintes reliques de JMarcellin craquer vio- lemment comme si on l'eût frappée a coups de maillet et fait HIS'lOIUF. l)i: r.% THANSLATION, KTC 27Ô voUm- en éclats. Kt en luèine temps, deuv portes de l'église (piil venait de fermer, celle de l'ouest et celle du sud, véson- uèrent également comme si ou les eût poussées et secouées .ivec force. 33. Saisi de crainte et depouvante , ne sachant que faire, il se lève, s'éloigne de l'autel, et va se jeter tout tremblant sur son lit, oij le sommeil s'empara de lui tout aussitôt. 11 vit alors un homme dont le visage lui était inconnu s'arrêter devant lui, pour l'apostropher en ces termes : « Est-il \Tai qu'Kgin- liard pense à se rendre au palais avec tant de précipitation (ju il ne prendrait pas le temps de replacer auparavant dans l'endroit d'où elles ont été enlevées les reliques de saint Mar- eellin qu'il a rapportées dans cette église.' » — Landolph ayant repondu qu'il n'en savait rien. — « Eh bien, lève-toi dès la pointe du jour, et va lui recommander, par ordre des Martyrs, de bien se garder de s'éloigner ni de partir pour quelque endroit que ce soit avant d'avoir rendu ces saintes reliques à leur pre- mière demeure. » Alors Landolph, s'étant réveillé, se leva, et dès qu'il put arriver jusqu'à moi il me fit part de ce qu'on lui avait commande. Or il me sembla que je ne devais pas traiter cette affaire avec négligence; bien plus, je résolus d'exécuter sans le moindre retard l'ordre qui m'était donné. Ce jour-là même , je fis préparer tout ce que je crus nécessaire , et le len- demain je m'empressai de réunir , avec tout le soin possible , ces saintes reliques au corps dont elles avaient été séparées. Cela fut très-agréable aux bienheureux Martyrs , comme le mi- racle que je vais raconter l'atteste et le prouve clairement. La nuit suivante , nous assistions , comme d'habitude , dans l'église a l'oftice du matin, lorsque nous vîmes un vieillard qui venait pour y prier et qui , privé de l'usage de ses jambes , entrait en rampant sur les genoux et sur les mains. Cet homme, en pré- sence de nous tous , fut guéri par la puissance de Dieu et les mérites des bienheureux !Martyrs à Tinstant oii il entra , et si bien guéri que depuis lors il n'eut même plus besoin , pour 276 HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. marcher, de s'appuyer sur un l)âton. Il affirma en outre que, depuis cinq ans entiers, il était complètement sourd, et que cette infirmité avait cessé en même temps que la paralysie. Après ces dis ers événements, conformément a Tintention que j'ai déjà manifestée plus haut, je partis, l'esprit préoccupé de mille pen- sées, pour la résidence impériale, où je devais passer l'hiver. LIVRE IV. Miracles opérés à Mulinheim sur des sourds , des muets, K LA •fnA^sL\Tlo^ , etc. 270 le |)ri\ ou iùl consacre à taiic brûler des cierges aux saints IVlar lyre. Mais à peine avait-il achevé ces paroles qu'il sentit tout à coup , à ce qu'il nous assura , un grand soulagement. A l'ins- tant il cessa de souffrir, et l'appétit niêuie lui étant revenu, il prit quelque nourriture , et bientôt sa guérison fut si complète qu'il put dès le lendemain, sans ressentir le moindre malaise, sortir pour aller chercher ou pour faire tout ce quQ les besoins de son ménage exigeaient. Après cela , il vendit son porc , et c'était le prix de cette vente qu'il offrait alors, d'après sou vœu, aux bienheureux I^Iarlyrs. 37. Quant aux autres bienfaits et miracles que le Soigneur opéra par l'entremise des saints Martyrs pour le salut des honunes, comme je vois qu'il importe peu dans quel ordre ou les raconte, je crois pouvoir les décrire à mesure qu'ils se pré- senteront à ma mémoire. Car, dans le récit de ces miracles, c'est plutôt l'événement et la cause que la date précise qu'il faut considérer. Nous avions placé dans la basilique, avec toute la pompe ac- coutumée , les reliques des bienheureux Martyrs ; et , confor- mément aux institutions de l'Église , on y célébrait chaque jour le saint sacrifice de la messe. Un certain jour, il arriva que pen- dant le service divin , comme nous étions placé dans les par- ties supérieures de l'église et que nous avions les yeux fixés sur la foule rassemblée au-dessous de nous , nous aperçûmes un clerc, à demi-nu, qui était venu avec tous les autres pour assister à cet office et qui se tenait au milieu de la foule , tomber à terre tout à coup , et si rudement qu'il resta long- temps étendu sur les dalles comme un homme mort. Puis on l'entendit ronfler avec force ; alors quelques-uns de ceux qui l'entouraient s'efforcèrent de le soulever et de le remettre de- bout ; mais aussitôt le sang lui sortit avec tant de force par le nez et la bouche que tout le devant de son corps, c'est-à-dire la poitrine et l'estomac et jusqu'au vêtement qui lui couvrait le bas-ventre, fut inondé do cette hémorragie. On lui apporta de 2 80 HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. l'eau; il revint à lui peu à peu, reprit ses forces, et put nous parler distinctement. Nous lui adressâmes alors quelques ques- tions, et il nous apprit que, dès sa plus tendre enfance jusqu'au moment présent, il n'avait pu ni entendre ni parler; qu'il était né en Bretagne et que sa famille était anglaise ; que , voulant rejoindre sa mère, alors en pèlerinage à Rome, il s'était rais en route avec d'autres pèlerins qui s'étaient réunis pour se rendre dans cette ville; mais -qu'étant arrivé à Mulinheim il avait laissé partir sans lui ses compagnons , et s'y était arrêté; qu'il y avait aujourd'hui, jour de sa guérison, sept jours qu'il se trouvait eu ce lieu. Et comme nous lui demandions son nom, il nous ré- poudit qu'il l'ignorait complètement, parce qu'il n'avait jamais pu l'entendre depuis qu'il était devenu sourd. 38. Quelques jours après, nous étions, comme d'habitude, rassemblés dans l'église pour l'office du soir, lorsqu'une jeune lille du Berry, sourde et muette , que son père et son frère promenaient d'église en église pour obtenir sa guérison, fut amenée à Mulinheim et placée debout dans la basilique avec les autres malades ; tout à coup , comme si elle était saisie d'un accès de folie, elle se mit à agiter de toutes ses forces les ta- blettes qu'elle avait coutume de frapper l'une contre l'autre pour demander l'aumône , et les jeta avec fureur sur ceux qui se te- naient devant elle. Puis elle courut vers la muraille du côté gauche de l'église , comme pour la gravir , sauta en l'air à une hauteur de plus de trois pieds , et retomba à terre sur le dos. Elle y resta quelque temps étendue , plutôt semblable à un cadavre qu'à une femme endormie; et, comme elle était toute couverte du sang qui lui sortait avec ime force extrême par le nez et la bouche , ceux qui l'entouraient la relevèrent et la portèrent au milieu de la basilique. Elle y resta encore quelque temps éten- due ; enfin , comme si elle se réveillait en sursaut après un lourd sommeil , elle se dressa sur son séant , puis elle tendit les bras vers les assistants et les supplia par tous les gestes possibles de la remettre sur ses pieds. Apres l'avoir relevée, on la con- HlSTOllU; I)K I.\ TU,\NSI-\rlON , KTC. 28t »Iuisit près Je lautel. Là, voyant Ratleif,' qui se tenait dans le tliœur avec dautres clercs et qui la regardait , elle s'écria aus- sitôt : « Toi, tu es Ratleig; c'est là ton nom -, tu es li' servi- teur de ces Martyrs. » Ratleig lui ayant demandé d'où elle sa- vait cela et qui avait pu lui dire son nom ? « Ce sont , dit-elle , les saints qui reposent ici. Pendant que j'étais étendue et comme endormie , ils se sont approchés de moi , m'ont mis les doigts dans les oreilles, et m'ont dit : Une fois debout , lorsque tu te seras approchée de l'autel, tu verras devant toi un jeune clerc qui te regardera ; apprends qu'il se nomme Ratleig et qu'il est notre serviteur, car c'est lui qui a transporté nos corps en ces lieux. » Elle ne se trompait pas ; c'était bien lui , comme nous l'avons dit dans le premier livre , que nous avions envoyé à Rome pour y recevoir des mains du diacre les reliques des saints et pour nous les rapporter. C'est ainsi que cette femme eu notre présence , par la vertu des bienheureux Martyrs , fut délivrée du mauvais esprit qui la faisait souffrir et rendue à la santé la plus parfaite. Son père et son frère , qui l'avaient amenée , nous assurèrent que , depuis sa naissance , elle avait toujours été sourde et muette. 39. Quant au miracle que je vais rapporter, je ne l'ai pas vu ; mais je puis croire aux paroles de ceux qui me l'ont ra- conté , comme au témoignage même de mes propres yeux ; aussi ai-je résolu, sans hésiter, sans concevoir le moindre doute, de le publier non comme un ouï-dire , mais plutôt comme un fait dont j'aurais été témoin oculaire. Des marchands de Mayence qui avaient coutume d'aller ache- ter, dans la haute Germanie , du blé qu'ils rapportaient dans leur ville en descendant le cours du iNlein , reçurent dans leur bateau , afin de mériter la bénédiction du Seigneur, un aveugle , Aquitain de nation , nommé Aubri , et le conduisirent , à sa de- mande , jusqu'à la basilique des bienheureux Martyrs. Là ou le mit à terre , et il reçut l'hospitalité dans la maison du gar- dien de l'église , chez lequel il demeura sept jours ou peut-être 282 HISTOIRE DE LA TBAiNSLATlON , ETC. plus. Cet homme n'était pas seulement aveugle et aveugle de naissance , car il était privé des organes mêmes de la vue; mais tout son corps était affecté d'une horrible et repoussante infir- mité. Tous ses membres étaient agités d'un violent tremble- ment , qui l'incommodait au point qu'il ne pouvait lui-même approcherses aliments de sa bouche. Or, un jour, avant l'heure de midi , comme il s'était couché dans la maison de son hôtf et s'était endormi , il vit en songe quelqu'un s'approcher de lui et l'avertir de se lever au plus vite pour se rendre sur-le-champ à l'église , parce que le jour était venu où , grâce à la vertu des Saints, il devait être délivré de cette malheureuse infirmité. Il s'éveilla, se fit conduire à l'église, et vint s'asseoir sur une pierre devant la porte. On célébrait alors dans l'église, comme d'habitude , le service divin. Après avoir terminé les prières qui précèdent ordinairement le saint évangile, on en com- mença la lecture ; mais à peine en avait-on achevé deux ver- sets qu'on entendit tout à coup le malheureux trembleur s'é- crier, comme si on l'eût maltraité : « Viens-moi en aide, saint Marcellin ! » Ce cri ne laissa pas que de jeter du trouble dans l'assemblée; cependant une graude partie des fidèles , par res- pect pour la lecture de TÉvaugilc, resta en place ; mais un plus grand nombre accourut pour voir quelle était la cause de ce cri ; et , comme ils l'affirmèrent ensuite , ils trouvèrent ce mal- heureux , dans l'endroit où il s'était assis , gisant sur le dos, le corps allonge , le menton et la poitrine tout inondés du sang qui lui sortait en abondance par les narines. Après qu'ils l'eu- rent relevé et qu'ayaul bu un peu d'eau fraîche il fut revenu a lui , il rapporta qu'au moment où il avait poussé ce cri il avait cru recevoir sur la nuque un violent coup de poing, et que c'était pour cela qu'il avait imploré le secours du bienheu- reux martyr. Mais ou vit bien que C(; coup lui fut très-salu- taire ; car, dès ce moment , son horrible frisson disparut pour toujours sans laisser aucune trace. Le même homme demeura encore à Mulinheim [tendant deux ans enviror. ; et , durant ces msroïKU ni: i.v trakslxtion , etc. 283 (K'ux auiu'os. il 110 se p;issa |kis une seule nuit , comme il l'altcsla liii-mt'me, sans (itiil vît en souiie ces mêmes iMartyrs qui l'a- xaient fiuéri et sans qu'il reçut d'eux de nombreux avertisse- ments, qu'il était chargé de transmettre à d'autres personnes. Ko effet, nous voyons s'accomplir aujourd'hui la plupart des événements qu'il a prédits comme devant arriver (1). 40. Quelques jours après, nous vîmes encore un autre mal- heureux attaque d'une maladie semblable guéri à peu près de la même manière dans cette même basilique et par les mérites (le ces mêmes Saints. Une nnit que nous étions assis dans l'église pour célébrer l'ofllce du matin et entendre les lectures de la divine loi , un homme entra ; il portait un habit de clerc, tous ses membres tremblaient , et , appuyé sur un bâton , il avait peine à guider ses pas chancelants. Comme il s'inclinait pour prier près de la muraille, il poussa un grand cri, et tomba tout à coup la face contre terre ; puis , quelques moments après , il se releva parfaitement guéri de l'inlirmité dont il souffrait. Et comme nous lui demandions s'il avait aperçu dans le moment de sa guérison soudaine quelque autre signe particulier que ce que nous avions pu voir nous-même, il nous dit qu'un peu avant d'entrer dans la basilique il avait été , pour y prier, à la vieille église, située un peu plus au couchant, à une petite distance de'la nouvelle basilique où les Martyrs reposaient alors; mais que, l'ayant trouvée fermée, il s'était agenouillé devant la porte. Puis s'etant relevé, comme il se dirigeait vers la nouvelle église, il avait aperçu un clerc dont les cheveux blancs inspiraient le respect, vêtu d'une étole blanche, qui (I) Éginliarcl, dans sa lettre XLI ( voy. ci-clessiis, p. 2H ), écrite en 830, au moment des dissensions politiques qui amenèrent la déposition de Louis le Débonnaire, fait allusion à ces prétendues prophéties d'Aubri. En rap- prochant le posl-scriptum de cette lettre, omnia qnœ nunc in hoc rrr/iin f/cruntur, de ce passage, ex fjitilnis plcruqiic isi'NC implcri crriiimus, il nous semble qu'on peut en indnir<; que l'histoire de la translation a été écrile par K^inliard vers la même époque, aussitôt après sa retraite des aflancB , en 8:>(). 284 HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. marchait (levant lui et allait où il voulait aller lui-même. Il le suivit, à ce qu'il nous assura , jusqu'à la porte de la basi- lique. Puis, lorsqu'ils y furent tous deux arrivés, ce clerc qui le précédait s'arrêta , et se rangea contre le coté gauche de la porte , comme s'il voulait laisser entrer avant lui l'homme qu'il précédait tout à l'heure. Celui-ci hésita avant de passer le pre- mier; mais, obéissant à un signe de tête, il entra, et s'inclina pour prier. Alors le clerc se plaça derrière lui ; puis , le frap- pant du poing sur la nuque , il disparut aussitôt. Cependant personne autre que l'homme qui venait d'être rendu à la santé n'avait pu le voir. 41. A peu près vers le même temps , une nuit que nous nous étions levé pour aller à l'église , nous trouvâmes devant la porte un enfant étendu sous le porche et si horriblement rachitique que ses genoux touchaient à son menton. Il pria un de ceux qui nous suivaient de le porter dans l'église , et celui-ci, ému de compassion, l'emporta, et le déposa dans l'église , auprès de la grille du chœur. Aussitôt le sommeil s'empara de lui, il s'endormit à l'endroit oià il était étendu, et ne se réveilla qu'après que cette affreuse difformité eut tout à fait disparu par le secours bienveillant des saints Martyrs. La guérison fut si parfaite qu'à son réveil il put se lever tout seul de la place oià il avait fallu le porter et s'approcher de l'autel pour rendre grâces à Dieu. Cependant cet enfant , dès que le jour parut et que nous pûmes lui parler, nous apprit qu'il avait été, par trois fois, avant qu'on eût sonné la cloche, éveillé par un clerc qui lui était inconnu et qui venait l'avertir de ne pas oublier de se rendre à l'église pour l'office des matines. C'était ce qu'il avait fait ; et , comme nous l'avons vu , pendant (ju'il dormait dans l'église , il avait recouvré la santé. Quant à son âge, on pouvait lui donner quinze ans environ. 42. Nous en vîmes encore un autre : cette fois ce n'était pas un enfant, mais un vieillard très-âgé et tout décrépit, qui souf- frait de la même infirmité et qui fut guéri à la même place , HISTOIUE Ulî LA ÏUANSLATION, ETC. 28à de la même manière et a la même heure. Ce fut aussi pendant la nuit et au moment où nous nous rendions à l'église pour l'otTicc du matin qu'arrivé à la porte nous le trouvâmes sur le seuil même : il se traînait sur les genoux , appuyé sur deux béquilles, et s'avançait si lentement qu'il nous empêchait d'entrer dans l'église. Comme nous nous tenions derrière lui , réglant nos pas sur sa lente démarche, un délicieux parfum, s'élevaut de la basilique , arriva jusqu'à nous, et vint nous pénétrer d'une odeur si agréable qu'aucune composition artilicielle d'aromates et d'encens n'aurait pu l'égaler. Le vieillard finit par entrer, et s'étendit devant nous près de la balustrade, comme pour dor- mir ; nous entrâmes après lui dans la basilique , et nous étant assis à notre place, nous reprîmes, avec les autres, les psaumes qu'on chantait en ce moment. Mais à peine avait-on commencé la première leçon que nous entendîmes ce même vieillard pous- ser des gémissements et implorer du secours, comme s'il eut souffert quelque violence ; puis, bientôt après, nous le vîmes se mettre sur son séant, prendre brusquement les béquilles dont il s'aidait pour marcher et se relever tout droit. Cela, nous le vîmes de nos propres yeux. Pour lui, a ce qu'il racontait, il avait vu comme deux hommes qui l'avaient saisi , pendant qu'il était étendu , l'un par les épaules et les bras , l'autre par les jambes et les pieds , et, s'étant mis à le tirer, avaient ainsi redressé ses muscles, qui étaient tout contractés. Comme il affir- mait aussi qu'indépendamment de cette infirmité il était sourd, il nous dit qu'au moment où il s'était levé sur son séant, il lui était tombé sur la tête comme un violent coup de poing, et qu'en même temps il avait entendu une voix ordonner qu'il entendît à l'avenir. Ce vieillard, qui venait d'être ainsi guéri, était venu d'un pays de l'Helvétie appelé aujourd'hui Argovie, et il était Allemand de nation, ainsi qu'il nous l'apprit lui- même. 43 Nous vîmes encore un malheureux affecté d'une sembla- ble contractron des muscles , qui arrivait, disait-il, de la ville ?.S(; HISTOIRE DE LA TBANSLATION , ETC. de Liège, où repose ie corps de saint Lambert : c'était dans la nuit du dimanche. Après avoir achevé lofCce du matin , nous ■ ivions quitté Téglise, tandis que, suivant l'usage, en faveur des lideles qui, venus de loin, étaient impatients de retourner chez eux , un prêtre y célébrait le sacrifice de l'hostie de salut. Or. col homme, en présence de tous les assistants , tomba sur le pavé et pendant quelques moments y demeura étendu connue endormi. Puis, comme s'il se fût réveillé d'un profond som- meil, il se leva sans le secours de personne. Un de ceux qui l'entouraient ramassa les béquilles à l'aide desquelles il mar- chait auparavant et qui , dans sa chute . lui étaient échappées pour aller tomber au loin ; il les lui présenta, mais lui les re- fusa en disant : « Dieu me préserve d'y toucher désormais ! » Kt après avoir été guéri de celte manière , il regagna à pied son pays , d'où il était sorti plutôt en rampant quen marchant pour arriver jusqu'à l'église des saints Martyrs. •44. Peu de temps après , vers le mois de novembre , je me disposais , suivant ma coutume , à retourner à la cour pour passer l'hiver dans le palais; je m'étais mis en route, et je venais de Iraverser le llhin, lorsque j'atteignis un domaine royal nommé Zinsich (I ), où je résolus de m'arrêter. Après le souper, qui s'était prolongé assez avant dans la nuit, je m'étais retiré avec mes familiers dans la chambre où je devais reposer, lors- que le serviteur dont la fonction était de nous verser à boire entra précipitamment, comme pour nous annoncer quelque noux'elle. Je le regardai, puis: « Que veux-tu me dire, lui deman- dai-je , car je vois bien à ton air que tu as quelque chose à m'apprendre ? ■> — " C'est que , reprit-il , nous venons d'être témoins de deux miracles, et je venais pour vous en informer. >> ,îe l'invitai à nous dire tout ce qu'il voudrait, et il commença : « Tout a l'heure , vous veniez de quitter la table pour passer (2) Zinsich ouSinzig, Sinciaciis, Zimichiiini , anjoiinrimi bourg des Etats i,»russicns , province Rhénane , à sept lieues N.-O. de Coblcntz, près de l'embouchure de l'Abr dans le Rhin. HISTtMRU nu I.\ TUA.VSLATION , ETC. 287 clans votre cliambro ; je deseendis alors avee mes camarades daus le cellier qui se trouve au-dessous de cette salle à mauger. Là je me mis à distribuer de la bière à tous ceu\ de vos ser- viteur qui m'en demandaient, lorsque survint un domestique envoyé par un de nos camarades avec un flacon, qifil nous pria de lui remplir. Quand ou Teut fait, le domestique demanda pour lui un peu de cette bière. On lui en versa dans un vase qui était vide , et qui se trouvait par hasard placé sur le tonneau où était la bière. Déjà il rapprochait de sa bouche pour boire lorsqu'il s'écria tout étonné: « Mais ce n'est pas de la bière, c'est du vin. » — Celui qui avait rempli le (lacon et qui venait de tirer du même tonneau la liière donnée au domestique pré- tendit qu'il mentait. — « Prenez donc, dit celui-ci , et goiitez vous-même ; vous verrez que, bien loin de mentir, je n'ai jamais rien dit de plus vrai. » — L'autre prit la coupe, y goûta, et lui aussi nous assura que ce breuvage avait bien le goût du vin, et non pas le goût delà bière. Alors un troisième, un quatrième, bref, tons ceux qui étaient là se mirent à goûter les uns après les autres, et, de surprise en surpri.se, ils finirent par vider le tonneau, affirmant tous que c'était du vin et non pas de la bière qu'ils avaient bu. •45. Cependant, comme ils restaient tout stupéfaits d'admira- tion à la vue d'un tel prodige, il arriva que le cierge qui servait a les éclairer dans le cellier et qui brûlait attaché à la mu- raille, auprès du tonneau, tomba à terre, sans que personne l'eût touché , au milieu d'une grande quantité de liquide répandu sur le pavé; il s'y éteignit si complètement qu'il n'en resta pas la plus i>etite étincelle. L'un d'eux le ramassa précipitam- ment et courut vers la porte. INIais, au milieu des ténèbres, la peur le prit, et avant de sortir il s'arrêta sur le seuil eu s'é- criant : « Que les saints martyrs Marcellin et Pierre nous viennent en aide. » Aussitôt après cette invocation , le cierge qu'il tenait à la main se ralluma . » — Dès que j'appris ce qui venait de se passer, je m'empressai, comme c'était mon devoir, de cha)iter 288 HISTOFEE UE LA TfiA.NSLATIOiX , ETC. los louaugos du Dieu tout-puissant et de le remercier de ce que , glorifiant ses saints toujours et en tout lieu, il daignait nous réjouir par tant de miracles, nous ses serviteurs, alors possesseurs de leurs saintes reliques. Après que celui qui était venu m'apporter cette nouvelle eut achevé son récit , je le ren- voyai dans sa chambre. Quant à moi , je me mis au lit pour reposer , et , au milieu des pensées qui m'agitaient^ je cherchai avec étonnement ce que pouvait signifier cette bière changée en vin, c'est-à-dire ce changement d'une boisson de qualité infé- rieure en une autre bien préférable ; et pourquoi un tel prodige s'était accompli en ce lieu, dans une maison royale, plutôt que dans l'endroit où l'on avait déposé les saintes reliques des bien- heureux Martyrs , qui, par la vertu de Jésus-Christ, ont opéré tous ces miracles. J'eus beau chercher et réfléchir, je ne pus résoudre cette question d'une manière certaine : mais je demeu- rai et je demeurerai toujours convaincu que cette vertu diviiu' ft supérieure , à qui l'on attribue tous ces miracles et d'autres semblables, ne fait jamais rien ou ne laisse jamais rien arriver sans motif relativement aux objets de sa création , qui , je n'en doute pas, sont soumis à sa providence et placés sous sa direction. LIVRE V. Autres miracles arrivés à Mnlinlieim .- guérison de sourds, de muets, de paralytiques et d'aliénés — Lumière accordée à des voyageurs au milieu de la nuit. — Mémoire présenté à Tempereur. 46. Je quittai donc Mulinheim , comme je l'ai dit plus haut, pour me rendre à la cour. L'empereur Louis habitait alors son palais d'Aix-la-Chapelle, et il avait décidé qu'une assemblée des grands s'y réunirait vers le milieu de l'hiver (1). J'étais convoqué pour y assister avec les autres; mais comme je nie (I) Voy. les Âtinaieslh l'année 828 (ci-dess., p. 172). L'empereur revint k Aix la-Chapelle en novembre. HISTOIRE DE L\ TR\^SLATTOX, ETC. 289 trouvais lorcT de vivre loin do mes bienheureux Martyrs, le sojour du palais était pour moi peu agréable. Aussi , un mois ;iprès mon arrivée, je fis partir un de mes serviteurs , nommé l'.ilenhard, avec ordre de se rendre le plus promptemenl pos- sible à i'églisc des saiuts Martyrs , d'y visiter ceux de nos frères i|ue j'y avais laissés à mon départ pour y faire le service divin , et, après avoir examiné avec soin tout ce qui s'y passait, de revenir auprès de moi en toute hâte. Il s'y rendit , et y demeura trois jours. Le quatrième, il se disposait à s'en l'etourner, loiisque cet aveugle, nommé Aubri , dont j'ai déjà fait mention plus haut, le retint au moment de son départ, en lui disant (juil ne pouvait se mettre en route avant d'avoir été témoin d'un miracle dont le récit me ferait grand plaisir et me cau- serait même la joie la plus vive. 11 ajouta que, la nuit précédente, les bienheureux Martyrs lui étaient apparus , et l'avaient chargé de chercher un pauvre, nommé Gisalbert, afiligé d'une énorme bosse , et qui , tout courbé sous le poids de cette infirmité . s'appuyait sur de petites béquilles. Après l'avoir trouvé, il de- vait le placer pendant l'office du matin dans la galerie au-dessus du porche , auprès de certaines reliques déposées en cet endroit, afin que, par les mérites et la vertu des saints auxquels ces re- hqucs appartenaient, il fut délivré de cette bosse, qui le rendait difforme et tout voûté. Ellenhard se laissa persuader, et , sur le point de se mettre en route, il retarda d'un jour son départ. Cependant notre aveugle chercha le pauvre qui lui avait été désigné, et finit par le rencontrer. Alors, suivant les ordres qu'il avait reçus, il le plaça , pendant l'office du matin , dans la partie supérieure de l'église , près des reliques dont nous venons de parler. Or, ces reliques — ce que nous ne savions pas encore — étaient celles du bienheureux Marins , martyr, celles de sa femme Marthe et de ses fils Audifax et Habacuc (I). Elles nous (I) Saint Varius ou Claris, sainte Marthe, «a femme, saint Audifax et saint Habacueou Abachuin, leurs enfants , furent martyrisés sous les dernières années d'Aurelien, à la fin du troisième siècle. Leur fête se célébrait dans l'o- ÉGINHVRD. 2.S 290 niSTOIBE 1>E LA TRANSLATION, ETC. avaient été apportées dans la même châsse et en même temps que les restes sacrés de saint IMarcellin et de saint Pierre : mais celui qui s'en était chargé ne savait pas de quels saints files provenaient; car la personne qui me les envoyait avait promis de venir me trouver et de m'indiquer de vive voix à quels saints elles avaient appartenu. C'est ce qui se fit plus tard. Quant a notre pauvre , il fut donc placé par Aubri auprès de ces reliques. Mais pendant qu'on lisait, selon l'usage, la seconde leçon, pour 1 ofllce de nuit, on l'entendit pousser un grand cri , dont tous les assistants furent fort effrayés. Plusieurs clercs et parmi eux Ellenhard, qu'on avait prié d'attendre l'é- vénement , coururent à lui ; ils le trouvèrent , la face contre terre , étendu tout de son long , près de lautel , et le pavé, sur lequel il avait la figure appuyée , était tout mouillé de sang. On le releva ; de l'eau fraîche fut apportée , et on le fit revenir. Or il était sain et droit , sa bosse de chameau avait totalement disparu lorsqu'on le fit descendre de la galerie pour aller rendre grâces à Dieu dans l'église. Après que ce miracle eut été ainsi opéré , le serviteur que j'avais envoyé en ces lieux revint vers moi en toute hâte, et le récit de ce qu'il avait vu nous remplit de joie et d'allégresse. 47. Peu de temps après Ratleig, celui qui avait rapporté de Rome , ainsi que je l'ai raconté plus haut, les cendres sacrées des Martyrs, vint me trouver : il avait reçu l'ordre de partir, a ce qu'il m'affirma , pour m'apporter un n^moire qui renfer- mait plusieurs articles. Voulant m'expliquer cette démarche , il m'exposa que l'aveugle dont nous venons de parler lui avait ordonné , au nom des Martyrs , de consigner par écrit ces ar- ticles et de me les apporter, en me disant que j'eusse à me char- ger de ce mémoire pour le donner à lire à l'empereur. .le le riginc le; 20 janvier, jour île leur mort ; elle fut reportée au 19 postérieu- roinent au neuvit-nie siùcle, aprùs ((u'on eut réuni dans un même office la commémoration desainlSétiaslienetcelle de saint Fabien, saiilts du'20 jan- vier. { Voy Baillet , fie îles Snints , Janv,, -598 el 5Ij. ) HISTOIUE UK LA TBANSLATIOiV , ETC. 291 pris , je le lus en entier, et après l'avoir corrigé et transcrit de nouveau, je le présentai à l'empereur, comme Ratleig m'a- vait dit de le faire. L'empereur le reçut et le lut d'un bout à lautce; mais, quant aux ordres ou aux avertissements qu'on lui donnait dans ce mémoire, il n'en suivit qu'im très-petit nombre (1). Du reste, pour ce que contenaient ces articles, pour ce qu'il en prit et ce qu'il eu laissa , ce n'est pas ici , mais plutôt ailleurs, qu'il faudra en faire mention. Cependant il est une chose que je ne saurais passer sous silence , mais que je crois au contraire devoir raconter en détail et avec clarté : c'est la manière dont se fit cette révélation et comment l'ordre fut donné de faire ce mémoire et de le présenter à l'empereur. Voici comment tout se passa, au dire de Ratleig . ^ 11 y a quelques jours, me dit-il , nous nous étions rassem- blés dans l'église , comme d'habitude , pour y célébrer l'oflice de nuit; cet aveugle que vous connaissez m'aborda en me priant de le suivre dans quelque endroit solitaire. Je fis ce qu'il demandait, et j'enti-ai avec lui dans la cellule où j'ai coutume de reposer. Alors prenant le premier la parole : ■ Cette nuit, (I) En 874 Louis le Germanique vint passer quelque temps à Seligenstailt et se rendit ensuite à Francfort , où il tint une assemblée vers le coramen- cement de février. Apres avoir terminé les affaires de l'État , il s'occupait de ses dévotions, lors(]uil eut un songe (pie l'auteur des .Annales de Fulde raconte en ces ternies : — Vidit quadani nocte in somnis genito- rera suum Hludowicuin imperatorem , in angustiis conslitutum, qui eum hoc modo latino affatus est sermone : « Adjuro te per Dominain nostruni Jesum Cliristum ut me erîpias ab bis tormentis in quibu'î delineor , ut tandem aliquando vitam possim babere neternam. • Hae ergo v isione \>er territus, epistolas per cuncla regni sui monasteria deslinavit, obnixe |K)stulans ut animae in tormentis posit;E suis apud Deum precibus inter- venirent. Unde datur intelligi quod , tpiamvis menioratus imperator multa laudabilia et Deo piacita fecisset . plurima tanien legi Dei contraria in regno sno lieri permisit. Si enim , ut cetera omittam , baeresi .Nicolai- tarum firniiler et virililer rcsiitisset et monita Cabrielis archangeli , qu(E Einhardus allas duadecim capitulis comprcheusa ei oltiilit legenda etfacienda , observare citrasset , forsitan talia non pateretur. ' /intiahs Fuldeiis'S , ad aun. dccglxxiv . dans liouq., Ml, 179.) 292 HISTOIBE DE LA TRANSLATION , ETC. me dit-il, peu de temps avant que le son des cloches m'eût réveillé pour me faire lever, je vis comme en songe un homnn' m'apparaîlre : ses cheveux hlancs lui donnaient un air véné- rable; il était vêtu d'une robe blanche et tenait à la main uu' baguette d'or. Il m'adressa la parole en ces ternies : « Fait; attention , Aubri , l^ie dit-il , à bien comprendre tout ce que je vais te dire, et a le graver dans ta mémoire de manière ;i pouvoir le dicter fidèlement à ceux qui doivent l'écrire ; car jo veux que tout ce que je te dirai soit consigné par écrit pour être mis par ton seigneur sous les yeux de l'empereur. Il est en effet très-important pour le prince qui gouverne le royaume où ces Martyrs sont venus par ordre de Dieu non-seulement de prendre connaissance de ces avertissements, mais de les mettre a exécution. » 48. « Il commença alors et me dicta de suite une douzaine d'articles , en me recommandant de vous les rapporter par ordre et de vous les redire a vous et à quatre autres personnes quejc vais vous nommer, pour qu'ensuite vous eu fassiez un recueil et que vous le portiez à votre seigneur qui séjourne maintenant dans le palais, en lui enjoijmant, au nom des Martyrs, de le présenter à l'empereur le plus tôt possible. Puis il ajouta ; « Sais-tu qui je suis, moi qui te donne ces ordres? — Je lui répondis sans hésiter qu'il était saint Marcellin. — Non , dit- il, je ne suis pas celui que tu penses. Je suis l'archange Gabriel ; mais c'est parce que Dieu INotre-Seigneur a remis entre mes mains le soin de tout ce qui" concerne ces IMartyrs que j'ai pris la figure et l'extérieur de Marcellin ; et je viens en ce moment pour te faire connaître ce que j'ai ordonné d'écrire , parce que le Seigneur veut que ce soit sous la garantie des saints 3Iartyrs que ces articles arrivent à la connaissance de l'empereur, et cela sans le moindre retard. Pour toi , tu iras, comme je te l'ai dit , dès le point du jour, après l'office des matines , annoncer ce que tu as entendu à ceux que je t'ai désignés. — Mais, luidis-je. personne ne voudra croire qu'un Hisroiiu- DE LA ra.vNsi.vrio.N , uic. 293" ange ait daigné sViitietenir avec moi cl me charger damioncer de telles paroles. — 11 n'en sera pas ainsi, reprit-il, car je te donnerai le pouvoir de faire devant eux un miracle; et, quand ils l'auront vu, ils nélèveroiit plus aucun doute sur oc que tu leur auras appris par mon ordre. Je veux donc que tu dises a Batleig de te donner deux cierges neufs, qui n'aient pas encore ete allumes; puis, debout, devant l'autel , tu en tiendras un de la main droite, l'autre de la main gauche, et lorsque tu auras Gni de dire ce que je t'ai chargé de révéler, tu avertiras ceux qui t'écouteront qu'ils aient à ajouter foi à tes paroles couîme étant des ordres émanes de lange du Seigneur si les cierges qui sont dans tes mains s'allun)ent à leurs yeux sans le secours visible d'aucune flamme. >; Or, c'est ce qui arriva; le mémoire fut donc écrit; on me l'apporta et je l'offris à l'empereur ; ce prince l'accepta et le lut en entier. La raison qui m'a engagé à faire mention de ce mé- moire , au milieu de tant d'autres miracles , c'est cette particu- larité étonnante et extraordinaire des cierges qui , à l'occasion de ce mémoire qu'on avait ordonné d'écrire , s'allumèrent comme d'eux-mêmes ; miracle qui fut opéré par le mérite des bienheureux Martvrs , ainsi que l'avait annoncé d'avance l'ange qui alluma les deux cierges. 49. Presque au même moment, comme Ratleig venait de nous quitter pour retourner à l'église des saints Martyrs, ou nous apporta un autre mémoire contenant les paroles et les avertissements d'im démon , qui se donnait à lui-même le nom de Wiggon. Cette révélation se fit en présence de nombreux témoins , devant l'autel près duquel on avait i*eplacé les cendres sacrées des Martyrs, et en réponse aux demandes du prêtre qui avait lu l'exorcisme sur l'énergumène. ^ oici comme on ra- conte le fait : Il y a ^ dans le pays de Niedgau, une terre nommée Hecgstat (l), qui appartient au monastère de Saint-Na- (I) Le Niedgau {Pcitj us Mleiisis, yihhe , yUlingunc , \itignin., fie . IStlahyaoïrr dans le manusciit de Metz'. i>ays silué au nord àc Frant- 25. 294 HISTOIBE D£ I,A TftAINSLATlON , ETC. Zaïre (1). Une jeune fille, âgée de seize ans environ et pos- sédée de ce malin esprit, fut amenée de cet endroit par ses pa- rents à la basilique des Martyrs. Lorsqu'elle se fut approchée de la tombe qui renfermait les saintes reliques, le prêtre lut, suivant la coutume, l'exorcisme sur sa tête; puis, lui ayant demandé comment le démon était entré en elle, elle se servit, pour lui répondre, non pas de la langue vulgaire, quoiqu'elle n'en connût pas d'autre , mais de la langue des Romains. Le prêtre, tout surpris, lui demanda qui avait pu lui apprendre la langue latine, puisque ses parents, qui étaient là, n'en sa- vaient pas un mot? « Vous n'avez, répondit-elle, jamais vu mes parents. — Qui donc t'a donné le jour, reprit alors le prêtre, si ce ne sont pas là tes parents ? »' 50. Le démon répondit par la bouche de la jeune fille : « Je suis satellite et disciple de Satan, et je fus pendant longtemps portier des enfers ; mais voici plusieurs années que je ravage , avec onze de mes compagnons , le royaume des Francs. Le blé et les vignes , tous les fruits de la terre qui naissent à l'u- saje des hommes ont été , comme nous en avions reçu l'ordre , dévastés et détruits par nos mains; nous avons tué le bétail fort, aux alentours (le la Nied, Mdda, rivière qui prend sa source au Voselsberg, montagne de la Hesse, et va se jeter dans le Mcin , prés d'Ho- chst-Achsenhuisen. ( Voy. Bessélius , 709, liv. iv, n" cccxxiii , et sur la carte E, k. ) Hadrien de Valois , qui cite, p. 376 , ce passage même d'É- ginbard , s'est trompé en confondant la Nied hessoise avec une autre ri- vière du même nom qui coule en Lorraine à l'est de Metz , et va se jeter dans la Sarre près de Siersberg , Castrum Sigiberti. Le pays que cette riTière arrose ne renferme aucun des trois lieux Hecgestat , Urselle et Suntling, nommés par Éginhard, tandis qu'on les trouve tous trois dans le Kiedgau, au N.-O. de Francfort. Voy. la note suivante, et les netes 1,p. 297 et p. 302. (t) Le monastère de Saint-Nazaire , auquel appartenait le domaine d'Hecgstat ( Hecfjis/at dans le Ms. de Metz ) , aujourd'hui le Haut pt Bas Hoclistadt, village des États prussiens , près de Kronbarg , i quatre lieues et demie N.-O. de Francfort, est le monastère de l.orsch ou Laurisheim , placé sous l'invocation de saint Nazaire, et «itué à deux lieues E.-N.-E. de Worms, aujourd'liui dans le grand-duché de Hcsse-Darmstadt. HISTOIIU; 1)K I.A ru V.NSLATIO.N , ETC. 29J pjr les maladies ; nous avons déchaîne sur les honmu'S eux- mêmes la contagion et la peste ; enfin , toutes les calamités , tous les malheurs que depuis longtemps ils souffrent pour leurs péchés , c'est nous qui les avons préparés , c'est nous qui les faisons peser sur eux. » — Comme le prêtre lui demandait pour quelle raison on lui avait accordé un tel pouvoir ? « C'est, répondit-il , à cause de la malice de ce peuple et des iniquités de toute sorte commises par ceux qui le gouvernent. Ils aiment les présents et n'aiment pas la justice ; ils craignent l'homme plus que Dieu ; ils oppriment les pauvres , refusent d'entendre les veuves et les orphelins qui les implorent à grands cris ; ils ne rendent la justice qu'à ceux qui la leur achètent. Bren d'au- tres crimes encore , si nombreux qu'il est presque impossible de les compter , sont conmiis chaque jour et par le peuple et par ses chefs ; tels sont le parjure, l'ivrognerie, l'adultère, r homicide , le vol , le pillage , crimes que personne ne sait em- pêcher et qui , ime fois commis , ne sont punis par personne. Tous les puissants du monde sont comme les esclaves de leur honteuse cupidité ; ils abusent , pour satisfaire leur orgueil et leur vaine gloire , de ce haut rang où ils ont été placés pour gouverner leurs inférieurs. La haine et l'envie s'exercent dans leurs cœurs , moins contre les étrangers que contre ceux même qui leur sont unis par les liens du sang ou de la famille. L'ami ne croit pas en son ami , le frère hait le frère , le père n'aime pas son fils. Ils sont bien rares ceux qui payent fidèlement et pieusement la dîme ; ils sont bien plus rares encore ceux qui font l'aumône; et cela parce qu'ils regardent comme perdu pour eux tout ce qu'on leur commande de donner à Dieu ou aux pauvres. Ils ne craignent pas d'avoir, contre l'ordre du Seigneur , de faux poids et de fausses mesures ; ils s'entourent réciproquement de pièges perfides; ils ne rougissent pas de prêter de faux serments; ils n'observent ni les dimanches ni les jours fériés; ces jours, comme les autres jours, ils travail- lent au gré de leur caprice. C'est à cause de toutes ces choses 296 HISTOIBE UE LA TEAiNSLATlOiN , ETC. et de bien d'autres encore que Dieu prescrit aux hommes ou qu'il leur détend , et c'est parce que ce peuple par sou entête- ment s'est rendu rebelle aux ordres du Seigneur que nous avons reçu la permission et même l'ordre de répandre sur les hommes les maux que je viens d'énumérer , afin qu'ils portent la peine de leur parjure ; car ils sont parjures et men- teurs , puisqu'ils ne prennent aucun souci d'observer ce qu'ils ont promis au baptême. » — Voilà ce que le démon dit en latin par la bouche de cette jeune fille , qui ne parlait que la langue vulgaire. 51. Et comme le prêtre le pressait impérativement de sor- tir, « Je sortirai , dit-il , non pas à cause de tes ordres , mais à cause du pouvoir des saints Martyrs , qui ne me permettent pas de rester en elle plus longtemps. » A ces mots , il reuversii la jeune fille sur le [wvé, et pendant quelques instants il la tint là , comme endormie , étendue la face contre terre. Puis bientôt après, lorsqu'il se fut éloigné, cette jeune fille , sortant comme d'un profond sommeil , grâce à la vertu de .lésus-Christ et aux mérites des bienheureux Martyrs, se releva parfaite- ment guérie sous les yeux de tous les assistants frappés d'ad- miration; mais après l'expulsion du démon il ne lui fut plus possible de parler latin. C'était pour bien faire comprendre que ce n'était pas elle , mais le démon qui avait parlé par sa bouche. Hélas! ô douleur! dans quel temps de misères vivons- nous donc aujourdhui, que ce ne sont plus les gens de bien , mais les méchants démons qui nous prêchent ; que ce sont les instigateurs du vice, les conseillers de tous les crimes qui nous avertissent de penser à nous corriger ! 52. Vers la même époque , nous vîmes arriver une religieuse nommée Maréthrude , du pays de Wetéravie (1). Depuis dix (1 ) VVétéravie , Tf'ttaiciba , ff'elerabensis paf/us , ff'edrevi, etc.. eU', pays de la France orientale , qui tire de la rivière ff^eternha ou Weticr riba , die Fetler ou rcdder, le nom qu'il porte eticorc aujourd'hui .m taé entre Francfori et Hiiiis«'i) . il est (>arlasé inainlrnant entre le graii''!» Hisioiwi-: DK i.\ riuNsTMioN, kt:. 21>7 aus , cotte iiuilheuivuso soutirait tluDe si cnu'lle paralysie que (•'est à peiue si, depuis taut d'années, elle pouvait se servir de ses membres pour aucun dos usages de la vie. Ses parents n'en espéraient plus rien , car ils l'avaient déjà conduite dans tous les lieux de pèlerinage où ils avaient pu se rendre eu\-nu'mes. Mais ils l'amenèrent enfin à la basilique des saints Martyrs , et on la plaça, pendant l'office de nuit, près de la grille du chœin\ Or. les mérites et l'intercession des saints Martyrs lui eu- rent bientôt rendu la santé (ju'elle désirait depuis si longtemps. Sa guërison fut si radicale et si parfaite , tous ses membres re- prirent si bien leur vigueur qu'après être venue en litière elle put s'en retourner à pied. ^lais, comme elle regagnait sa de- meure , elle fut reprise au milieu du chemin par cette même infirmité dont elle se réjouissait d'être délivTée. Elle se re- pentit alors de s'en être allée, et demanda qu'on la reconduisît à la basilique des saints ÎNIartyrs. On l'y ramena, et elle re- couvra tout aussitôt la saute qu'elle avait perdue en s'éloignant de l'église. Elle fit donc vœu de ne plus quitter volontairement le territoire des saints Martyrs , et se construisit , non loin de l'église , une petite cellule pour y demeurer. Depuis lors elle resta , avec une grande dévotion, religieusement consacrée au service des bienheureux jMartyrs. 53. Peu de temps après , une autre femme fut encore, grâce certainement à ces bienheureux Martyrs , délivrée d'une grande infirmité. Voici le fait tel qu'il s'est passé au su de tout le monde. Il y a , dans le pays de Niedgau , un domaine qu'on nomme Urselle (I) et qui est à six lieues environ de la basi- b'que des saints Martyrs. Une femme de cet endroit était au lit le matin au sortir du sommeil ; selon l'habitude des gens duché de Hesse-Oarinstadt et le lanUgraviat de Hesse-Honibourg. ( Voy. Bessélius , p. ^50 , liv. iv , n" nwi. ) (Ti Urselle , L'rscila , dans le Medgau . aujourd'hui Oder et Mdei' l r- srl . à une lieue O. de Hoinbourg , dans le graud duché de Ilesse-D.uui- sizill. 298 HISTOIRE DE LA TBANSLAllO.N ^ ETC. qui s'éveillent, elle s'allongeait pour se dégourdir , en étendant les bras, avec de longs bâillements. Mais elle ouvrit la bouche un peu plus qu'elle ne devait : les articulations des mâchoires auprès de l'oreille se disloquèrent , et elle resta la bouche béante et immobile. Ne pouvant plus la fermer, et, dans cet état , ressemblant plutôt à un masque qu'à une flgure humaine , elle payait bien cher ce bâillement imprudent. Dès que cet accident fut connu des autres femmes qui demeuraient sur le même domaine , elles accoururent , et cherchèrent à soulager avec des herbes et par de frivoles enchantements les souf- frances de cette malheureuse. Mais leur vaine et superstitieuse présomption ne produisit aucun effet, ou plutôt tout ce que ces mains inhabiles essayèrent sur la malade , dans le but de la guérir, ne fit qu'ajoutera ses douleurs et empirer le mal. Sur ces entrefaites , le beau-frère de cette femme, étant sur- venu , donna l'avis salutaire de la conduire sans délai à la basilique des Martyrs, et assura que c'était là qu'elle serait guérie si jamais elle devait recouvrer la santé. Aussitôt ils la placèrent sur un cheval et se mirent en route avec elle. Quand ils arrivèrent dans le voisinage de l'église , ils la firent descendre pour marcher à pied. Parvenus à un endroit d'où l'on peut apercevoir la petite tour qui renferme les cloches de la basilique , ceux qui accompagnaient cette pauvre femme lui dirent de lever les yeux pour voir le clocher ; elle leva la tête , le regarda , et fut guérie tout aussitôt. Alors ils se proster- nèrent tous ensemble , célébrèrent la divine miséricorde par toutes les louanges qu'ils purent trouver , et s'étant relevés , ils coururent avec précipitation vers l'église. Là, après avoir adoré les saints Martyrs , ils firent quelques offrandes pro{X)r- tionnées à leurs moyens , puis ils s'en retournèrent chez eux en grande allégresse. J'ai vu cette femme de mes propres yeux , je lui ai parlé et je tiens d'elle-même les détails de tout ce qui lui arriva. 54. Maintenant je veux raconter ce qui s'est passé sous mes HISTOIRE DE LA IHA.NSLVTION , ETC. 299 propres veux le jour ilo la nntivité tics hionheiireux INIartyrs. Vu serf sourd et inuot , arrivé a Mulinhcim plus de trois ans auparavant, avait été établi portier dans la maison du gardien de réglisc; le jour de cet anniversaire venait de finir; on avait achevé l'office du soir, lorsque ce serf, qui était assis auprès de la porte, se leva tout à coup, outra dans l'église et tomba la face contre terre à la droite de l'autel . Le sacristain, en allant I>lacer devant l'autel un candélabre avec un cierge, le trouva là étendu, et vint sur-le-champ m'en avertir. Aussitôt j'entrai précipitamment dans l'église avec les personnes qui étaient avec moi, et nous trouvâmes cet homme étendu à terre, comme l'avait vu le sacristain. Nous le fîmes relever. Mais , comme s'il eût été enseveli dans le plus profond assoupisse- ment, il fut impossible de le réveiller. Enfin, il parut repren- dre ses sens et se leva ; puis , nous voyant autour de lui , il se tint debout , et adressa la parole en latin à ceux qui étaient près de lui. 11 y en a parmi nos gens qui assurent que six mois auparavant ce même serf, couché la nuit dans la maison d'un de nos hommes, avait déjà prononcé deux certains mots pendant son sommeil , et que dès lors il avait recouvré l'ouïe , dont jusque-là il était privé aussi bien que de la parole. Du moins on supposa que cela s'était fait ainsi , parce que de- puis le moment où il se réveilla il exécuta , comme s'il les eût compris, tous les ordres qui lui furent donnés. Mais ce qu'il y a de plus étonnant dans ce miracle, c'est qu'alors il n'enten- dait pas le latin, mais seulement la langue barbare, et qu'a- près sa guérisou il ne parla pas dans cette langue , mais en latin. En outre, il raconta qu'il avait vu les bienheureux Martyrs, et qu'ils lui avaient confié plusieurs choses pour les conmiuniquer à d'autres ; mais comme il différa de les trans- mettre au moment même , comptant les dire le lendemain , il en perdit si complètement le souvenir qu'il ne se rappela même pas avoir rien entendu. Comme il ignorait son nom, je voulus , à cause du résultat prospère de ce miracle , qu'on le 300 HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. iioniniiit Prospcr. Il vit encore, et demeure toujours chez le gardien de l'église, où il remplit le même service quaupara- vaiit. 55. Le jour avant que Prosper recouvrât la parole , c'est-à- dire la veille de cette fête , un jeune homme sourd et muet , comme lui , vint h la basilique. Il implora , par des gestes sup- pliants , le secours des IMartyrs , et mérita aussi de recouvrer, avec l'aide du Seigneur, l'usage des sens dont il était privé. Comme l'autre, il ignorait son nom , je l'appelai donc Godes- calk (1). Toutefois il no parla pas en latin comme Prosper ; mais ce fut dans l'idiome vulgaire , qui était celui de sa famille, qu'il s'exprima après que, par les mérites des Saints, la faculté de parler lui eut été donnée. 56. Cependant un devoir impérieux vint me forcer, comme d'habitude, de me rendre, vers le mois de décem})re, à la résidence royale; ce fut , si j'ai bonne mémoire , le jour même dos calendes que je quittai le lieu où reposent les Martyrs ; et le lendemain, pour la couchée, j'arrivai à la ville qu'on nomme aujourd'hui AYisbaden (2). Tout auprès de cette ville il y a une forêt; pour la traverser plus aisément, nous nous levâmes de meilleure heure que d'habitude , et nos serviteurs partirent en avant avec le bagage. Mais, au sortir de la ville où nous nous étions arrêtés, à peine s'étaient- ils mis en route que la nuit la plus noire les enveloppa de ténèbres si profondes qu'ils ne pouvaient plus du tout savoir de quel côté tourner leurs pas. En outre, le froid était excessif, et la neige qui couvrait la terre ne permettait pas de distinguer la route. Les sommets des montagnes qu'il fallait traverser étaient aussi comme as- siégés par les nuages , et l'on ne pouvait distinguer de combien (^) Godescalk, serviteur de Dieu ; got, god, D>.u; skalh ou scaUc, ser- viteur. ( Voy. Graff , Allhochdeu.lsch- Spmchschalz, t. IV, col. 132. ) 2) VVjsti.tden , ,W.s(6firfrt , les bains blancs; dans l'antiquiti- .tqiiSL4TI0N, ETC. forêts et des montagnes toutes couvertes de bois. ]Mais le pre- mier éclair avait été accompagné d'une si grande chaleur rfuMl leur sembla, à ce qu'ils rapportèrent, avoir senti la vapeur d'une fournaise ardente. Non-seulement cette exha- laison dissipa la nuée, mais elle fit fondre la neige qui couvrait les montagnes et toute la foret ; si bien qu'après le troisième éclair il ne resta plus aucune trace de cette forte gelée. Le soir même , lorsque nous fûmes arrivé à la station , ce prodige nous fut raconté par ceux qui Tavaienî vu et en avaient res- senti les effets. Comme nous avions une entière confiance en leurs paroles, nous célébrâmes , par des actions de grâces , la miséricorde du Dieu tout-puissant , qui daignait ainsi , par les mérites des saints ^Martyrs, nous venir en aide et nous consoler dans toutes les circonstances embarrassantes. 58. Certes, ce sont là de grandes choses, et nous devons rapporter à la puissance divine tout ce qui s'est fait , à notre connaissance, par les mérites de ces bienheureux ]Martyrs pour le salut des mortels ; mais dans le miracle dont je vais main- tenant consacrer la mémoire le doigt du Tout-Puissant ap- paraît d'une manière si manifeste et si claire qu'on ne saurait plus douter désormais qu'il ne soit toujours facile à Dieu de faire ce qu'il veut sur toutes ses créatures. Il y a , dans le pays de Niedgau , un village qu'on appelle Suntling (1). Un prêtre nommé \Valtbert y tenait une église. Cet homme, au grand regi-et des siens, étant devenu fou , fut amené à la basilique des Martyrs. Sa famille se com- posait de ses trois frères , dont l'un était prêtre et les deux autres laïques, et d'un quatrième parent, moine du monastère de Horenbach (2) , où lui-même avait été élevé dès sa plus (i; Suntling, dans le Niedgau, Suniilitjua ,Sciintilin§en, Suntilin^n, et (|uelquefois Gitnternteshusen, suivant Bessélius, p. 7H, liv. iv, n» cccsxiil, nniourd'hui Sinsling , près de Hochst sur le Mein , dans le daché de ."Jassau. ■2 Le monastère d'Horciibacti ou plutôt fiMornharh était une abbaye niSTOiaE DE LA TBANSLATION , ETC. 303 teudre eul'auce. Je leur demandai si quelque médcciu avait déjà essayé de le guérir. « Aussitôt, me répondirent-ils, que nous apprîmes qui! était devenu fou, nous le conduisîmes au monastère où il avait été élevé. Là, après que les médecins eurent employé toutes les ressources de leur art sans pouvoir chasser le mal , nos amis nous conseillèrent de le conduire ici et de le recommander à la merci des saints Martyrs. Et , en effet , nous sommes persuadés qu'ils peuvent le guérir, car nous savons qu'ils on ont sauvé bien d'autres. « Nous leur don- nâmes ensuite l'hospitalité , et pendant quatre jours ils restè- rent avec nous , amenant ce malheureux tous les jours à l'église , où ils le faisaient se prosterner devant les cendres sacrées des Martyrs. Le cinquième jour, le prêtre son frère et le moine qui était venu avec lui me prièrent de le garder avec ses deux autres frères laïques, jusqu'à ce qu'ils fussent eux-mêmes de re- tour, promettant de revenir trois jours après. Je consentis à ce qu'ils désiraient , et je confiai le malade à notre prêtre Hil- frid , qui le reçut et le fit conduire dans sa propre cellule. Ce jour-là même, vers le soir, ce malheureux tomba dans un accès de folie plus violent que de coutume ; et , dans sa fureur , s'éîant saisi d'un couteau qui, par hasard, se trouva sous sa main , il voulut tuer un de ses frères qui le gardait. Celui- ci évita la mort par une prompte fuite, et alla aussitôt avertir de cet accès de rage nos serviteurs qui se trouvaient près de là. Alors le prêtre que j'avais chargé du soin de le garder me demanda et obtint de moi l'autorisation de l'attacher. 11 est donc aussitôt lié avec des chaînes de fer et placé sur un lit ; puis ou ferme la porte à la clef, on le laisse seul dans la chambre, et ses frères s'établissent devant la porte pour veiller sur lui avec un grand soin, comme s'il eût pu s'é- de Bénédictins,, située dans ta ville et sur la rivière du même nom. Cette abbaye a été détruite au seizième siècle pendant la réforme. La ville dTIorn- bach, à deux lieues et demie S. de Deux-l'onts, fait aujourd'hui partie delà Bavière , cercle du Uliin- 301 HISTOIBE DE LA TBA>SLATION , ETC. (happer. Ct'peudaut k's liens qui le reteuaieut étaient faits do teiie sorte qif ainsi attaché il ne pouvait se tourner ni sur le côté droit ui sur le côté gauche , et qu'il était forcé de rester couché sur le dos. 59. Dans cet état il s'endormit, comme lui-même l'atteste , et son sommeil dura toute la moitié de la nuit. Mais s'étant reveillé au premier chant du coq , il s'aperçut qu'il était non- seulement débarrassé de ses liens, mais encore entièrement dé- Vwré de la folie dont il avait souffert. Aussitôt son âme toute entière se tourna vers le Seigneur, et, dans les transports de sa reconnaissance, il se mit à entonner des psaumes et des cantiques d'une voix si forte que, bien qu'il fût seul, il ('veilla tous ceux qui dormaient dans le voisinage de sa chambre. Se levant alors , il s'approcha de la porte et demanda à ses frères, qui y faisaient la garde, de le laisser sortir pour satis- faire quelque besoin. Mais ceux-ci, persuadés que c'était une ruse de folie, n'osèrent lui accorder ce qu'il demandait; ils tirent venir leur hôte, qui l'avait enfermé lui-même, et le priè- rent de vouloir bien lui parler. Hilfrid , après avoir causé avec lui et s'être assuré par ses réponses qu'il avait bien toute sa raison, lui ouvrit la porte et lui permit d'aller où il voulait; puis, à son retour, il lui demanda ce qu'étaient devenues les chaînes dont il était tout chargé au moment où on l'avait ren- fermé dans la cellule, et il répondit : « La chaîne avec laquelle \ous m'avez attaché est en bon état; et si vous voulez savoir où elle est, cherchez et vous la trouverez. » On alluma donc uu flambeau, et on la trouva devant le lit sur lequel cet homme avait été couché. Elle était à terre, arrangée de la même ma- nière , serrée avec les mêmes nœuds que lorsque l'on s'en était servi , et qu'après l'avoir disposée sur le lit avec le malade on avait laissé celui-ci seul dans la cellule. A qui doue faut-il at- tribuer ce miracle, si ce n'est à celui qui du néant a tout créé, et qui , dans ce qu'il a créé , peut faire des choses incom- prébcusihb .<; pour Thomnie^ in)possibles à expliquer dans au- 1 HISIOIKH l)K I.A TI'.VNSLATION, ETC. Wô ouiK' langue liiiiiKiiiie? Quel ost riioiniue eu effet qui pourrait seulement conjecturer ou expliquer par des paroles comment ce prêtre a éle délivré de ses liens, lorsque nous avons la con- viction qu'il n'est personne au monde qui, enchaîné comme h; fut ce prêtre et enfermé seul dans une cliambre, puisse se débarrasser seul de pareilles chaînes ? Quoi qu'il en soit, lorsque ceux qui Tavaieut conflé à uos soins fureut de retour, ils le trouvèrent tout à fait guéri et jouissant de toutes ses fai'ultés. Ils le ramenèrent donc chez eux en grande allégresse , clian- taut tous ensemble les louanges du Seigneur. — Ce fut ainsi que tout se passa; nous ne rapportons rien sur la foi d'autrui , mais nous étions là en persoime , et par la volonté de Dieu , nous avons pris connaissance de tout par nous-mème. Et si nous écrivons avec tant de confiance, c'est qu'il nous a été donné de nous convaincre , comme on dit , par le témoignage de nos propres yeux. Mais comme ce livre ne peut comprendi'e tout ce que nous avons entrepris d'écrire sur les mérites des saints Martyrs, nous le terminerons ici, et nous reprendrons plus convenablement ce qui nous reste à dire au commencement du livre suivant. LIVRE VI. Miracles opérés dans le palais impérial auprès ilcs rfli(|ut's des saints Martyrs. Cécité, rachitisme, paralysie, lièvre guéris par eux. GO. Dans le récit des signes et des prodiges que je me suis proposé d'écrire en ce livre, je crois devoir commencer par ceux qui ont été opérés dans le palais et qui sont venus à la connaissance non-seulement du peuple , mais encore du prince lui-même, des grands et en un mot de tous ceux qui fré- quentent la cour. Mais ce n'est pas là mon seul motif, c'est aussi parce que, en ce moment-là, dans notre petit oratoire, où s'accomplirent tous ces miracles, il n'y avait pas d'autres re- liques (]iio «elles des bienheureux IMarcellin et Pierre, en sorte 26. 306 HISTOIBE DE LA TKA>iSLAT10X , ETC. que toutes les guérisons , tous les miracles qui se firent lu , comme chacuu sait , appartiennent en propre et doivent être rapportés exclusivement à ceux-là dont il est constant que les seules reliques se trouvaient dans l'oratoire. Ces bienheureux Martyrs firent aussi , comme nous le monti^erons par la suite, un grand nombre de miracles et de prodiges dans des lieux consacrés à d'autres saints , et certaines personnes peuvent avoir. raison de croire qu'ils en partagent le mérite avec les saints dans les églises desquels ces miracles se sont opérés; et cela principalement parce qu il est assez sage de penser que des saints dont on croit le mérite égal devant Dieu ont pu travailler ensemble à effectuer ces miracles. Mais, quant aux mi- racles dont je vais parler, ce qui prouve qu'il n'en est pas ainsi , c'est qu'il est démontré bien clairement que jamais aucun mi- racle ne s'était effectué en ces lieux avant qu'on y eût transporté lesdites reliques des bienheureux Martyrs. Mais il est temps de commencer, comme nous l'avons promis , le récit de ces miracles qui ont eu lieu dans le palais impérial. Cl. 11 y avait parmi les chambriers de l'empereur un jeune Grec nommé Drogon (1) : ce jeune homme fut pris de la fièvre, et, depuis plusieurs mois déjà, soit négligence de ses parents, soit ignorance des médecins , il languissait sans espoir de guérison. Après que l'abbé Hilduin nous eut rendu les re- liques du bienheureux INIarcellin , comme je l'ai raconté dans le second livre, Drogon fut averti en songe devenir dans notre oratoire , d'y allumer un cierge de quatre deniers, puis d'iu- (I) Comme Drogon , Droqo, n'est pas un nom grec , mais un nom don- gine germanicjue , les BoUanUistes , tom. l,Juiiii, 199, not. 6, en con- cluent (|u'on doit lire Gracius ou Grieciensis , au lieu de Grcecus. Il faudrait donc traduire : Vu jeune homme, nommé Drogon , de Gratz , en Slyrie. Mais nous devons faire observer quu le nom d'un individu n'est 5ias toujours un indice certain de la nation on de la race à laquelle il aji- (larlieiit. Ln nom grec pouvait être donné à un Germain, et réciproque- ment. En ëtal)iiss;int la régie contraire d'une manière absolue , on s'e,\- IV3SC à tunibcr dans de graves erreurs. HISTOIUE DL LA TUANSLAf ION , ETC. 307 voquer le secours do saiut ÎMarcelliu , dont lo cher, on le lui assura, était conservé en ce lieu. S'il le faisait, la maladie dont il soutïrait depuis si longtemps devait cesser tout aussitôt. Drogon crut à cet avertissement , et se hâta d'accomplir le plus vite possible tout ce qu'on lui avait ordonné. Aussitôt il recouvra la santé, ses membres reprirent toute leur vigueur, et ce fut à pied qu'il retourna chez lui. 62. Il y avait également à Aix un autre jeune homme nommé Gerlac, de la ville de Reims : c'était un de ceux qu'oc avait fait venir de cette ville pour travailler aux constructions du palais. Ce jeune homme, environ six mois auparavant, avait été saisi à Aix d'une violente et cruelle infirmité ; tous ses muscles s'étaient contractés au point que ses pieds touchaient à ses fesses et ses genoux à son menton. Ses camarades et ses parents le prirent dans leurs bras pour l'apporter à ce même oratoire , et, comme il ne pouvait se tenir autrement, ils le pla- cèrent la face contre terre ; puis ils se mirent à prier avec une grande ferveur le saint Martyr de lui rendre la santé. C'était un dimanche : on l'avait apporté vers neuf heures du matin ; il resta là par terre jusqu'à trois heures de l'après-midi. Les clercs venaient d'achever, comme d'habitude, l'office de none, lorsque, soudain, de la châsse qui contenait les saintes reliques du bienheureux Martyr s'exhala un parfum inconnu, si doux et si pénétrant que toute l'enceinte de l'oratoire en fut remplie , et que tous les assistants étonnés se levèrent aussitôt , s'inter- rogeant avec curiosité les uns les autres pour savoir si tous ils avaient éprouvé la même sensation. Cependant ils virent tout à coup ce jeune homme comme tiré par plusieurs personnes qui l'auraient tenu; puis ses membres, qui tout à l'heure étaient contractés par le mal , s'étendre peu à peu. Ils comprirent que c'était là une manifestation de la vertu divine, et, soulevant le malade, ils le placèrent devant l'autel. Là ce jeune homme, s'étant mis à implorer, avec des larmes abondantes , l'assistance du Seigneur, fut si complètement redressé sous les yeux mêmes 308 HISTOIRE DE LA TKANSLATIOX, ETC. de tous les assistants que lui qui n'était venu dans l'oratoire que porté sur les l)ras d'autrui put , sur ses propres pieds , quitter ce même oratoire. Cependant on sait qu'il lui reste en- core quelque marque de l'infirmité dont il a souffert; car de- puis lors il est demeuré boiteuv du pied et de la jambe gauche, au point qu'il n'a jamais pu marcher sans l'appui d'un bâton, ['ourquoi cette guérison est-elle restée imparfaite ? je laisse a d'autres le soin de nous l'apprendre. Quant à moi, je ne vois qu'une manière probable de l'expliquer; c'est qu'il importait sans doute au salut de son âme qu'il conservât en lui quelque trace d'infirmité corporelle. 63. Ou appelle Juliers (1) un ancien raunicipe éloigné d'Aix- la-Chapelle de huit lieues environ. Une jeune fille qui demeu- rait sur le territoire de cette ville fut atteinte d'une maladie semblable et qui présentait les mêmes symptômes. Elle fut amenée à notre oratoire par sa mère et quelques-uns de ses autres parents. -Mais il se trouva qu'en ce moment un grand nombre de personnes étaient réunies pour entendre la messe ; on ne put donc l'introduire , et ses parents la placèrent en dehors , auprès de la fenêtre orientale , en attendant le mo- ment oij la foule se retirerait et leur permettrait de la trans- porter dans l'intérieur. Cependant on en était arrivé à peu près au milieu de l'office , l'évangile avait été lu, et l'on venait de faire l'oblation de l'hostie, gage de notre salut, lorsque tout a coup on voit cette jeune fille se pâmer : une sueur abondante lui couvre tout le corps , elle tombe enfin dans une espèce de léthargie. A de tels signes, supposant avec raison que la vertu divine opérait , ils enlevèrent la jeune fille de l'endroit où elle était couchée, et la placèrent comme endormie sur une pierre carrée qui se trouvait près de là. Ce fut là qu'en présence de la foule accourue pour contempler ce miracle, elle recouvra intégralement, dans l'espace d'une heure, avec l'aide de Dieu. (Il Juliers , Jidiiicum , sur la Roi^r, à six lieues N.-E. iVAix-la chapelle (Prusse , régence il'Aix la Cli.Hpcilej. HISTOIRE DK LA TBaNSLATI<»N , ETC. 309 l'usage do tous ses inoiubros. Au nombre dos spootulours so trouvaient aussi dos juifs ; lun doux nommé David, après 1 aooomplissement do ce miracle , s'ompressa d'accourir vers la fenêtre de la chambre où j'étais alors , et, m'ayaut appelé, me lit part du prodige dont il venait d'être témoin , eu ren- dant à Dieu dos actions de grâce de ce qu'il daignait opérer par ses Martyrs de si grands miracles pour le salut des mortels. 64. Dans ce même lieu , à Aix-la-Chapelle , il y avait un vieillard aveugle qui, subitement frappé de cécité depuis plus de trois ans, suivant son propre témoignage, était dans l'habitude d'aller, avec la foulo des pauvres, mendier de porte en porte quelques pièces do monnaie. Cet homme, ime nuit qu'il dormait dans son réduit, vit pendant sou sommeil quel- qu'un s'approcher et lui dire que, s'il voulait revoir la lumière, il devait aller à notre oratoire , et que là il trouverait un mé- decin qui, s'il l'implorait, pouvait lui faire recouvrer la vue. Mais cet homme s'y refusa, et maudissant la lumière qu'on offrait de lui rendre : « Qu'ai-je maintenant besoin , dit-il , de la vue que j'ai perdue depuis longtemps? Il vaut bien mieux pour moi en être privé que de l'avoir. Aveugle, je mendie, et personne ne me repousse , on s'empresse de subvenir à mes besoins. IMais qu'on me rende la vue, et l'on trouvera mauvais que je demande l'aumône ; or je suis vieux et faible, et je ne puis travailler. — Qu'importe, reprit alors son interlocuteur; pars sans différer ; car, que tu le veuilles ou non, tu recou- vreras la vue. » Le vieillard obéit à cet ordre et se rendit à l'oratoire, où il passa la nuit; mais cette nuit n'ayant produit en lui aucun changement, il revint dans sa masure. Or le même personnage lui apparut de nouveau durant son sommeil , ^corame la première fois, et, lui donnant les mêmes ordres, il lui enjoignit de retourner à l'oratoire. Le vieillard fit ce qui lui était ordonné, mais cette seconde démarche fut encore sans résultat. Cependant il revint sur un troisième avertisse- ment, et cette fois il ne se fut pa^ plus tôt prosterné devant 310 HISTOIBE DE LA TKAiVSLATION , ETC. l'autel pour prier qu'il recouvra la vue. Comme je lai vubieu souvent, pendant qu'il était encore aveugle, venir au milieu d'autres mendiants et de gens infirmes demander l'aumône devant ma porte , je n'ai pas voulu d'autre témoin de sa gué- rison que moi-même : ma conviction à cet égard m'a paru un témoignage suffisant et infaillible. G5. Comme le bruit salutaire de ces miracles et de bien d'autres encore se répandait par toutes les villes et les cantons voisins, une femme du pays des Ripuaires (1), aveugle de- puis longtemps , qui avait le désir et en même temps la con- fiance de recouvrer la vue , pria qu'on voulut bien la conduire Il notre oratoire. Arrivée là , elle passa trois jours entiers et autant de nuits dans la prière et le jeûne. Mais au bout de ce temps , comme elle n'éprouvait aucun symptôme de cette gué- rison tant désirée , on la ramena chez elle. Quelques jours se passèrent, et comme elle avait toujours l'espoir bien fondé de recouvrer la vue , elle pria de nouveau qu'on la conduisît vers les saintes reliques. Un seul serviteur l'y accompagna , car ceux qui l'avaient amenée d'abord , ne voyant dans cette nouvelle démarche qu'une folle et inutile confiance , avaient refusé de la (J) Dans le principe, le pays des Ripuaires , pagus Ribuarensis , RiptiU' ria, occupait tout le grand triangle dont la Moselle forme la base, la Meuse elle Rhin les deux c<3tés. ( Voy. Broverus, Armai. Trevir., tom. I, liv. vil , p. 362.; On peut croire (|He ce pays lire son nom des peuples Germnins,Francs,.Sicanibres, Btucti-res, Attuariens qui vinrent s'y établir sous la Uominatioti romaine , et (pii furent appelés Ripiiarii parce ([u'ils tiabitaient sur les rives du Rhin , de la Meuse et autres rivières voisines. Sous les Mérovingiens, le pays des Ripuaires forma la principale partie du royaume d'Austrasie : il fut érigé en duché sous les Carlovingieus, et di- visé en cinq comtés. Il fit ensuite partie du royaume de Lorraine. Les principales villes qu'il renfermait étaient Aix-la-Chapelle, Bonn, Duren, Cologne, Juliers et Andernach. Au reste, les savants ne sont pas bien d'accord entre eux sur les limites et l'étendue de ce pays. (Voy. Bessé- lius, liv. IV, n° cccLxxxi , p. 79 ; Hadr. de Valois, I\'otit. GalL, 478; Bro- verus, .4)111, Trevir., loe. cit. ; Funckerus, Introduclio ad Geo()rap/i. inedii . 207, not. etc.) I niSTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. 3ll suivre une socondo lois. Or , on cnnipnpnie et sons la conduite (le oe serviteur , elle arrive jus(iu'an cimetière du palais d Ai\- la-Chapelle, situé sur la montaçîne qui domine la ville du côté de Test ; et là , comme si la grâce divine ft)t venue à sa ren- contre, elle recouvra la lumière qu'elle regrettait depuis si long- temps. S'arrêtant alors, frappée de surprise et d'admiration, elle ordonna au serviteur qui la con;luisait de marcher après elle. « Jusqu'à présent, lui dit-elle, tu m'as précédée et je t'ai suivi partout où tu guidais mes pas ; mais maintenant je n'ai plus besoin que tu me conduises , car je vois la route par où nous devons aller, et j'aperçois d'ici, avec l'aide du Sei- gneur, la ville où reposent les saintes reliques que j'ai résolu de visiter. Occupe-toi seulement de me mener là , par le che- min le plus direct, à l'oratoire des Martyrs. " Cela dit, elle se rendit à l'oratoire, offrit à Dieu des actions de grâces, nous fit part du miracle qui venait de s'opérer en sa faveur , et re- tourna chez elle jouissant de la vue et pleine de joie. 66. Eschweiler (1) est un domaine royal à quatre lieues du palais d'Aix : il y avait là un homme qui depuis longtemps était attaqué d'une maladie d'intestins qui le faisait beaucoup souffrir. Ses parents en désespéraient au point que l'on ne voyait plus pour lui de guérison possible que dans l'emploi des caustiques. Un médecin fut donc appelé , et l'on prit jour poiir une opération qui n'aurait servi à rien. Mais dans l'intervalle une femme qui demeurait sur le même domaine eut un songe dans lequel il lui fut révélé que ce n'était point là le remède que cet homme devait employer pour sa guérison , parce qu'il lui fe- rait endurer des souffrances presque intolérables sans produire d'auti'es résultats et sans lui rendre la santé -, et que, s'il voulait guérir, il lui fallait aller au palais d'Ai.\-la-Chapelle , demander notre oratoire , et s'y faire placer, pour n'en pas sortir avant la fin du troisième jour; que de cette manière il était sûr de [{) Eschweiler, Ascwillarts, aiijourd'liui |)elile viile de Prusse , de la régence d'Aix-la-CliapelIc et à trois lieues N.-E. de cette ville. 312 HISTOIRE DE LA TRAIVSLATION , ETC. rpconvrer la santo. Dès {|u'ûn lui eut donné cet avertissement , il lit venir ses amis et ses parents , et les pria de vouloir bien accomplir ;i son égard tout ce que prescrivait cette révélation. Ils le mettent donc aussitôt sur un cheval et l'amènent à l'o- ratoire; puis, après l'y avoir placé, comme cela avait été re- commandé , ils se retirèrent pour revenir dans trois jours. Quant à lui, pendant les trois jours et les trois nuits qu'il demeura dans l'oratoire où ils l'avaient laissé , il ne cessa de prier Dieu pour sa guérison, et ses prières furent exaucées ; «ar il fut si complètement guéri que , d'après son propre té- moignace , il ne lui resta dans les intestins aucune trace de cette maladie dont il avait souffert pendant si longtemps. Ses amis revinrent comme ils l'avaient promis , et l'ayant trouvé en bonne santé , ainsi qu'ils le désiraient , ils le ramenèrent chez lui, non plus à dos de cheval comme il était venu , mais marchant sur ses propres pieds, en rendant tous ensemble des actions de grâces et au milieu des transports de leur commune allégresse. 67. Il y a dans le pays de Meuse, à huit lieues environ d'Aix- la-Chapelle , un autre domaine royal que les habitants nom- ment Gangelt (1). La demeurait une femme dont la iille, agee de huit ans environ , était atteinte d'une si terribh; pa- ralysie que depuis longtemps elle se trouvait dans l'impossi- bilité presque absolue de faire usage d'aucun de ses membres. Ku entendant parler de tous ces miracles , cette femme conçut, dans la piété de son cœur , l'espérance de voir sa fille rendue a la santé-, elle la prit donc sur-le-champ dans ses bras et la porta vers l'oratoire. Comme elle y arriva dans la matinée, à l'heure du repas, elle n"y trouva aucun de nos clercs \ car ils venaient tous de sortir pour aller prendre quelque nourriture. («) Oangolt, Cnngliidrii , aujourd'hui bourg de la régt'nce d'Aix-la-Cha- pelle, Pnisse , à cimi lieues S. de Ruremonde. Sur le pays de Meuse, Pagus MosaiiKS , vov. Uadr. de Valois, p. 561, et Uessflius , p., 692, liv. iv, n° ccnii. HISTOIKK 1>K iA TR \\SI,\T10N , ETC. 313 i'I'.e eulra copcudîml et (l«''posa sa (illc à côté d'ollo sur le pavé. Puis elle allunu» un petit cierge qu'elle avait apporte |)(>ur ol- trande , le plaça à terre devant son enfant , et alla se pros- terner, en grande dévotion, pour prier devant les cendres sa- crées des Martyrs. Cela fait , et dans l'instant même , la jeune nile , par la grâce divine , recouvra complètement la santé; tous ses membres reprirent leur vigueur, et, sans que sa mère s'en aperçût, elle se leva , prit le cierge qui était à terre devant elle, et se tint debout derrière sa mère pendant qu'elle était prosternée. IMais celle-ci, après avoir achevé sa prière, releva la tète de dessus les dalles , et ne voyant plus ni le cierge ni sa fille à l'endroit où elle les avait placés , elle se leva précipitamment , et en se retournant elle aperçut derrière elle sa fille avec le cierge à la main; alors, toute remplie de joie, elle se mit à chanter les louanges du Seigneur. Cependant, n'apercevant là personne à qui elle pilt raconter le miracle qui venait de s'accomplir 'car, excepté les pauvres qui passaient le jour et la nuit dans l'oratoire pour y demander l'aumône, il n'y avait, dans l'in- térieur , qu'elle et sa fille quand le miracle arriva ) elle ac- quitta ses vœux, offrit à Dieu des actions de grâces , et regagna à pied sa demeure avec sa fille tout à fait rendue à la santé. Maintenant je vais dire en peu de mots comment ce miracle est venu à ma connaissance. Gerward , bibliothécaire du pa- lais (I), à qui l'empereur avait aussi confié alors le soin de diriger les travaux et les constructions de la résidence impé- riale , revenait de Nimègue et se rendait au palais d'Aix-la- Chapelle. S'étant arrêté pour passer la nuit dans ce domaine dont j'ai parlé , il demanda à son hôte s'il savait quelque chose de nouveau sur le palais. " Rien en ce moment, répondit l'hôte , n'occupe les gens de la cour autant que les signes et les mi- racles qui s'opèrent dans la maison d'Éginhard, par rentremis^e (I) Gerward , bibliotliécaire dn palais, était lié d'amitié avec Kginliard. Voy. , ri-dcssus p. 188 et 200, les lettres XIV et X.XXII, qui lui sont adressées. •)' SI4 HISTOIRE DE LA IRANSLATION, ETC. Elle ^^nt et lui raconta en détail comment tout s'était passé. Or, Gerward, étant arrivé le lende- main auprès du roi , lui communiqua tout ce que les révélations de cette femme lui avaient appris au sujet de ce miracle. Le roi, à son tour, lorsque j'entrai comme d'habitude et que je me tenais debout devant lui , me fit part à moi et à tous ceux qui l'entouraient de ce que Gerward lui avait rapporté sur ce miracle, et en disant cela il admirait et il louait tout à la fois la miséricorde et la toute-puissance du Seigneur. C'est ainsi que j'eus le bonheur d'apprendre, de la bouche du roi, le mi- racle qui avait été opéré, à mon insu , dans ma maison. LIVRE VII. .Miracles opérés à Valencienncs , en Hainaut, par les .saintes reliques. Dix aveugles recouvrent la vue ; d'autres malades sont guéris. 68. Ce que je viens de raconter des miracles opérés dans le palais par les saints Martyrs suffit au plan de cet ouvrage. Il faut parler maintenant des miracles qui se sont accomplis dans les églises auxquelles , sur la demande de vénérables person- nages , je voulus bien accorder des reliques de nos Martyrs etoii elles sont encore eu ce moment honorées avec une grande ferveur. Georges , prêtre et abbé du monastère de Saint-Sauve le martyr, qui est situé au pays de Famars (1), dans le (1) Famars , Faniim Martis, qui n'est plus aujourd'hui qu'un petit vil- lage sans importance de l'arrondisscnicnt de Valencienncs, était dans l'an- Uauité un lieu célèbre par un tcniplc do Mars, f|ui lui a donné son norn>. J IIISTOIHE DE LA IHA>SLAT10N, ETC. 315 bourg de \ aleueicuues , sur la rivo de l' Kscaut , l'ut le preiuuT ;i qui je douuai de ces reliques ; il chargea uu diacre de les transporter du palais d'Ai\ audit niouastère. Cet lionuue , n'ayant avec lui qu'un seul compagnon, arriva dans le pays de Hesbaye, au bourg royal qu'on appelle Visé (1). 11 venait de descendre dans un prc voisin de ce bourg pour y faire rafraîchir ses chevaux , lorsqu'un des habitants de l'en- droit, qui était bossu et dont les mâchoires étaient toutes dis- tendues par une énorme tumeur, suite, disait-il, d'un long et violent mal de dents , entra dans le pré comme un furieux , portant une fourche de fer sur son épaule , et leur demanda tout en colère de quel droit ils faisaient paître leurs bêtes dans son pré. Alors le diacre qui portait les reliques et qui , dans le moment, s'apprêtait à les susprendre au bout d'une baguette qu'il venait de planter à cet effet : « Tu ferais bien mieux , lui dit-il , de te prosterner devant ces saintes reliques que j'ai entre les mains et de prier Dieu qu'il daigne , par l'entremise de ces MartjTS , te délivrer de la douleur que tu endures , car , à la tumeur que je vois sur ta flgure , je suis bien sûr que tu souf- Famars est mentionné dans la Notice des dignités et des provinces de l'empire romain comme faisant partie de la seconde Belgique. Le pays de Famars comprenait la plus grande partie du Hainaut. (Voy. Hadr. de Valois, Notitia Gall., 192 ; et Bessélius , p. 592 , liv. jv, n° cxlix ) (!) Le pays de Hesbaye ou la Hesbaye, pagiis Hasbanins, Hasbania, Haspinguio, dont le nom s'est conservé et qui sert encore aujourd'hui à dé- signer une partie de la province de Liège , est indiqué dans le partage du royaume de Louis le Débonnaire comme situé entre les Ardennes et le Brabant. Plas tard il fit partie de la basse Lorraine. Il était divisé en quatre comtés, et comprenait, suivant Le Mire, Diplomal. bi-lgica, I, 32, not. 37, et 264, not. i, le pays compris entre Tirlemont, Saint-Tron , Tongres, et Maëstricbt. (Voy. HaJr. de Valois, p. 242; et Bessélius, p. 623, liv. IV , n° cxcix. ; Si, comme je le pense , le bourg royal nommé par Éginhard Fuasidiuni est bien Visé ou Viset , ville ancienne de la province de Liège , située à trois lieues et demie N.-N.-E. de cette ville, sur la rive droite de la Meuse, possédant, dès le neuvième siècle, un pont sur cette rivière, et placée dans la direction d'Aix-la-Chapelle à Va- lenciemies , il s'ensuivrait que du temps d' Eginhard la Hesbaye s'étendait sur la nvo droite de la Meuse. 3IG HISTOIBE DE LA TRANSLATION, ETC. fres beaucoup. » A ces mots, noire homme, jetant la fourche qu'il tenait h la niaiu , se précipita la face eoutre terre devant les reliques, et, suivant le conseil du diacre, il se mil à implorer le Seigneur pour sa guérison. Quelques moments après, lor-s- qu'il eut achevé sa prière , il se releva si bien guéri qu'il n'a- vait plus ni enflure sur la face ni mal de dents , et que la bosse dont il était affligé avait entièrement disparu de sou dos. II entra donc au bourg à pas précipités , et invita tous ses parents et tous ceux de ses voisins qui se trouvaient là à venir avec lui chanter les louanges de Dieif et rendre des actions de grâces a Jésus-Christ Notre-Seigneur. Une foule immense de peuple se répandit dans le pré, et toute la population des alentours s 'y rassembla pour rendre grâces à Dieu de cette guérison. Tous prièrent le diacre de rester cette nuit au milieu d'eux, et il ne pou- vait guère le leur refuser ; car , s'il n'y eût pas consenti , ils étaient tout disposés à le retenir malgré lui. Ils veillèrent donc toute la nuit, et firent retentir tout le pays des louanges du Seigneur. Puis, le lendemain , le diacre s'étant remis en route , toute cette foule de peuple rassemblé l'accompagna en grande dévotion , et ne voulut ni s'arrêter ni se retirer que lorsque d'autres fidèles , que le bruit de ce miracle avait attirés à leur rencontre , furent venus les remplacer. Ce fut ainsi qu'à l'occasion de ce miracle les saintes reliques des Martyrs furent accueillies par les habi- tants de cette contrée, et que, sous la conduite du Seigneur , elles arrivèrent à la basilique de Saint-Sauve, où le prêtre Georges les avait envoyées. C'est de la bouche de Georges lui- même que j'ai entendu le récit de ce miracle; quant à ceux que je vais raconter maintenant, je reçus de lui un mémoire ou la série des faits est exposée dans l'ordre suivant. 09. La quatorzième année de l'enjpire de Louis- Auguste ( I ■ H'' La qu;U(irziéiiie aiiné»; du r«giie île Louis le Débonnaire s't'lctul du 2» janvier «27 ;iu 28 janvier 82«. Or, tous les événemenls racontés dans cenicinuire, p.ir l'abbé Georges » sont poslc'neurs à la restitution des ieli<|ues de sjrnl Martellin faite par labbc lUlduiu à K,:^inluad . laiiuelle HISTOIHE DE LA TU AiNSLATlON , ETC. 317 resiiuul |);ii- l;i gr;\cc du Christ , comme le Seigueur dai- gnait, pour raffermir la foi du peuple chrétien, manifester, aiusi qu'aux premiers temps de l'Église naissante, des signes et des miracles qu'il iiccomplissait par les mérites de ses saints, daus le palais même de l'empereur, le prêtre Georges, dans le palais à Aix-la-Chapelle, demandai l'abbe Éginhard et obtint de lui des reliques des bienheureux Martyrs du Christ Marcellin et Pierre, que cet abbé avait reçues de Rome tout récemment . d'où ses serviteurs les avaient apportées. Georges les renferma dans une châsse convenablement ornée d'or et de pierres pré- cieuses, et les envoya par son diacre , nommé Théotard, à la basilique de Saint-Sauve martyr, qu'il tenait alors des bienfaits, du roi ( 1 ). Ce diacre, étant arrivé à un domaine royal nomme Visé , rencontra un homme qui était bossu et qui souffrait si fort d'un insupportable mal de dents que, depuis quinze jours, il ne pouvait prendre , pour se soutenir , rien autre chose que de l'eau. Cet homme, d'après le conseil du diacre, s'étant pros- terné en prière devant les reliques que celui-ci portait, se mit a invoquer avec une grande ferveur la miséricorde de Notre- Seigneur Jésus-Christ, et grâce à l'intercession de saint Mar- cellin et de saint Pierre, tous les maux qui le faisaient souffrir disparurent, et après sa prière il se releva parfaitement guéri. Ce eut lieu à la fin de mars 828 ( voy. ci-dessus, [>. 269, note t ), et à la transla- tion de ces reliques dans le pjlais d'Ais-la-Chapolle. Il faut donc recon- naître , avec l». Bouipiet , V[, 27.', qu'il y a ici une erreur ou bien une faute de copiste, et lire auiio quintodecimo, la quinzième année du régne de Louis le Débonnaire, au lieu de la quatorzième année, ainto qiiarto- e sourd et muet obtint, par l'intercession des bienheureux IMartyrs, de recouvrer l'ouïe et la parole. Le même jour, une vieille femme du pays de Laon , nomntée Rodeltrude , qui depuis trois ans (I) Les Estinnes, Listuta', Ufltua dans le m an usent lic Metz , ou mieux Listiiiœ, Leptinœ et Liphlinœ , ancien château des rois d'Austiasie, co- libre dans l'histoire de l'Église par le synode (jue saint Boniface y tint en 7/»3. Les Estinnes forment aujourdliui deux villages : l'un, Estlnnes-aii- Mont, compris dans rarromlissement de Cliarleroi : l'autre, Estinnes-au-Vai, dans l'arrondissement de .Mons , (noviucc de Maiiwut Bclgi'itv . HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. Si 9 était privée de la luiiiiere du ciel, recouvra pareillemeut la vue au milieu de la messe; et le v des calendes de juillet uu enfaut, appelé Douatien, âgé de sept anseuviruu, et aveugle de naissance , fiit, pendant qu'on célébrait l'office divin, rendu à la lumière par les mérites des bienheureux Martyrs. 71. A la vigile des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul, c'est-à-dire le iv des calendes de juillet, ime petite fille nommée Théotbalde, qui paraissait agee de neuf ans et qui depuis trois années ne voyait plus, se trouva , pendant qu'on célébrait l'office du salut , placée au milieu de la foule ; et là , grâce aux mérites des saints Martyrs , elle recouvra , par la miséricorde divine, la vue dont elle était privée. Le même jour, un homme du village de Petit-Pont (1) , le nommé Dado, qui depuis six ans était tout courbé, au point de ne plus pouvoir lever la tète vers le ciel, et qui, par suite de cette infirmité, marchait le corps penché en avant et à l'aide de petites béquilles qu'il plaçait sous ses aisselles pour se soutenir, fut guéri de la même manière. A la même heure, et dans le même endroit, par la miséricorde de Dieu et les mérites des bienheureux Mar- tyrs , sa taille se redressa et il revint à la santé. 72. Le IV des nones de juillet, une veuve nommée Adalrade, qui depuis quatre ans était privée de la lumière et ne pouvait plus rien distinguer, ayant entendu parler de tous ces miracles, conçut l'espoir de recouvrer la vue, et, pleine d'une heureuse confiance , elle prit un kiton et se mit en route seule et sans guide pour se rendre à Valenciennes. Elle approchait de ce bourg, lorsqu'il lui sembla apercevoir de l'œil droit comme un rayon de soleil. Elle se mit alors à implorer, dans la pureté de son cœur , la clémence divine, et demanda que , par l'interces- sion des bienheureux Martyrs, il lui fût permis de voir l'église de Saint-Sauve. Sa prière fut exaucée à l'instant même , et elle (t) Petil-Pont, Ponticttliis . peut-êtie Font-à-Uactics ou Pont-,î-Mar(|, non loin de Vuleuciciiiics, entre Douay et Touniay. J'aî vainement cherché à placer celle position d une inanicrc prctibe. 520 HrsTOlllE DE LA TKA\SL\riO.\, ETC. obtint tout aussitôt de la miséricorde du Seigneur ce qu'elle avait souhaité. Le même jour, une autre femme, nommée Ruoitia, du pays de Noyon, aveugle depuis cinq ans, recouvra. Hu mili-eu du service divin, par le bienfait de JSotre-Seigneur .lésus-Christ et grâce aux mérites des saints Martyrs, la lumière qu'elle avait perdue. 73. Le jour de l'octave des Apôtres, c'est-a-dire la veille des uones de juillet, un homme du même pays, nommé Gunthard, fut amené par ses parents à la basilique de Saint-Sauve, comme frappé de paralysie. Il y avait déjà un an, disaient-ils, qu'il souffrait de cette infirmité, et tout le côté gauche de son corps était tellement affaibli qu'il ne pouvait ni approcher la main de sa bouche, ni se laver, ni se chausser. Cet homme, par la miséricorde de Dieu et les mérites des saints Martyrs, fut, pen- dant l'office du matin , le jour même de cette solennité, rendu ;i la santé. 74. De même un autre homme nomme Hildebon , qui était a\eugle depuis sa naissance et qui n'avait pas vu une seule fois dans sa vie la lumière du ciel, vint du monastère qu'on appelle Saint-Martin aux Deux-.Iunieaux ' t^ ; et pendant qu'on célé- brait la messe, le même jour, dans la même église, par l'inter- cession de ces mêmes saints et par la miséricorde et le secours de Dieu, il recouvra la lumière, et mérita de voir clairement ce qu'auparavant il n'avait jamais aperçu. Le jour des nones de juillet, une petite fille nommée Reginlindis, qut ne paraissait pas avoir plus de sept ans et qui depuis trois années était devenue aveugle , s'étant arrêtée avec les autres dans l'église pour entendre l'office divin , recouvra la vue, grâce aux mérites (I; Saint-Mai'tin-aux-.liiineau\, iiionasterimn Jd-duos-Gemellus , fonde, (Jii temps de Grégoire de Tours, à lune des portes d'Amiens. « In porl.i Ambianensi, in qua S. Martinus pauperem alsenlern, adluic catecliumenus. chiamyde decisa contexit, oratorimn a lidelilnis est :cditicatum in qin) pnelix religiosae deserviel)ant. « («ires- Turon., De miiacul. S, A/aitini, liv. I, cbap. 17,; Cette abbaye ayant été détruilo, Gui , évêipie d",4micns , l.i rétablit en 107.";, et y pla<;a «les religieux Voy. AV».. (ind, Christ. . >, t'iiti. HISTOIKE UE LA THAiMSLATION , KTG. 321 des saillis Martyrs , cii prescnco de tout le peuple asseiidjlé. Le IV des ides de juillet, une autre aveugle, Alagia, qui depuis deux aas environ était privée de la lumière, la recouvra soudain au milieu de la messe, par la volonté de INotre-Seigueur Jésus- (.Mu'ist, grâce à l'intercession et au\ prières des saints Martyrs. Le même jour, un aveugle très âge nommé Ermenward, du village de Ghcule (1) , qui depuis quatorze ans n'y voyait plus du tout, étant entré dans l'église pour entendre l'offlce du soir, se mit à invoquer les bienheureux. Martyrs ; aussitôt, sa cécité disparut, et, avec l'aide du Seigneur, il recouvra la vue qu'il regrettait depuis si longtemps. 75. Le vn des calendes d'août , une jeune 1111e possédée du malin esprit fut amenée dans l'église, et là, au moment où l'on célébrait l'office de la sainte offrande , le démon fut mis eu fuite , et elle obtint, par la vertu du Christ et les mérites des bienhenreu.\ Martyrs , de recouvrer intégralement la santé de l'esprit et du corps. — Tels sont les miracles et les prodiges que Notre-Seigneur Jésus-Christ a daigné opérer dans le bourg de. Valenciennes, par les mérites de ses martyrs Marcellin et Pierre, pour le salut du genre humain. Le prêtre Georges, dont j'ai fait mention plus haut, prit soin de les réunir dans un petit mémoire pour m'^en envoyer le récit, et moi j'ai jugé à propos de les insé- rer dans mon ouvTage. Le Georges dont je parle est le prêtre vénitien qui quitta son pays pour venir à la cour de l'empereur, et qui construisit dans le palais d'Aix , avec un art admirable , un de ces orgues que les Grecs appellent hydrauliques (I) Gheulc, Cauinica>i, près de Rœulx , ou peut-être Gocgiiies. à trois lieues un quart S. de Mons; mais cette dernii re interprétation me semble M oins probaliJe. 322 HISTOIBË DE LA T«A^SLATIO.\ , ETC. LivRK vm. Miracles opérés à Gand, dans le monastère de Sainl-llavoii, par les reliques des saints Martyrs. — Huit aveugles recouvrent la vue. D'autres malades sont soulagés. 7G. Un autre mémoire me fut adressé du monastère de Saint- Bavon, situé dans un endroit qu'on appelle Gand, sur l'Escaut , au confluent de ce fleuve et de la Lys, par les frères qui ser- vent Dieu dans ce monastère. Sur leur prière, je leur envoyai des saintes reliques de nos Martyrs , et voici par ordre ce qui se passa dans leur maison : L'an 828 de l'incarnation de Motre-Seigneur Jésus-Christ, sixième année de lindiction, les reliques des saints martyrs du Christ Marcellin et Pierre arrivèrent au monastère de Saint- Bavon, le vendredi v des uones de juillet. Le troisième jour, c'est-à-dire le dimanche suivant, qui était le trois des nones (1), une Jeune fille aveugle, nommée Hartlinde , du village de Fur- nes (.2) , qui , au dire de ses père et mère , était privée de la vue depuis huit ans, fut amenée devant l'autel sur lequel étaient placées les saintes reliques des ]Mart\TS ; et là, sous les yeux de tous ceux qui étaient présents , elle recouvra la lumière par la miséricorde du Seigneur. A huit jours de là , c'était le i\ des ides de juillet, on amena une autre jeune fille , nommée Helm- rade, aveugle comme la première et qui était du village qu'on M j Toutes ces dates du jour di- la semaine et de l'indicllon s'accordent parfaitement avec la date de l'année. En 828, lettre dominicale El) , Pâ- ques 3 avril , le 3 juillet ( sixième férié, v des nones ) est bien un vendredi et le 3 juillet [ m des nones ) un dimanche. Lindiction est comptée suivant le mode le plus ordinaire, à partir de 315. (2; Suivant les Bollandistes, tom. \,Jttnn, p. 202, not. c, le nom latin de Furnes, Furnm, qu'on ne trouve guère qu'au douzième siècle, pourrait être une contraction du mot Fiirsenum ( Fursetium dans le manuscrit de Metz;, employé par Égiuhard. Cette conjecture me parait d'autaiil plus pro- bable qu'il n'existe pas en Flandre d'autre lieu auquel on puisse appliiiuer le nom de Fur.'n:iiu}n. Furnes est situé à ufiif lieues et demie O.-S.-O. de Bruges Flandre occidenlaU-, Belgique . HISTOIRK DR LA TRANSI, \TION , ETC. 35S appelle Alaclielen [ l ). Au dire de ses parents, cette enfant , huit jours après son baptême, était devenue aveugle tout d'un coup. Klle ne se fut pas plus tôt approchée des restes sacrés des Martyrs que Dieu hii rendit la lumière qu'elle avait perdue depuis si longtemps. Trois jours après, la veille des ides de juil- let, on vit venir une jeune fille nommée Bildrade qui avait la taille toute courbée. Cette jeune fille était du \illage de Bode- ret ( 2 ) , qui appartient au monastère de Saint-Vaast. Elle s'age- nouilla devant les reliques de nos saints Martyrs, et là elle se mit à invoquer humblement Notre-Seigneur Jésus-Christ pour obteuir de lui sa guérison. Bientôt tous ceux qui étaient pré- sents virent sa taille se redresser, et elle fut assez heureuse pour que, dans l'espace d'un moment, son corps reprît sa position naturelle. 77. Quelque temps après, le xii des calendes d'août, une erame nommée Eddela, serve du monastère de Saint-Amand, et qui était du village de Baesrode ( 3 ) , aveugle, à ce que Ton disait, depuis plusieurs années, fit dans le même lieu d'heureu- ses prières, et recou^Ta la vue. Le même jour, im serf de Saiut Bavon, nommé Eberald, du village de Mullen (4), qui depuis plusieurs années était également privé de la lumière du ciel , recouvra , sous les yeux de tous ceux qui étaient présents et dans le même lieu , la lumière qu'il regrettait déjà depuis si {\) Machelen, Magie, entre Coiirtray et Gand, à quatre lieues et demie. S.-O. de celte dernière ville. (2)Boderet, Boderetium, Bodericia villa dans le manusoritdeMetz, peut- être Baudour, à deux lieues O. de Mons, ou mieux encore Bouret sur Candie (Pas-de- Calais;. (31 Le monastère de Saint- Amand-en-Puelle, S. Amandus in Fabula, ilans le diocèse de Tournay, à deux lieues trois quarts S. de cette ville. — Baesrode, Baceroda, est situé à une lieue E. de Termnnde, sur la rive droite (le l'Escaut. Les Bollandistes, tom. I, Jiinii, p. 202, col. 2, note /, tradui- sent Baceroda par Baeffroy, nom que j'ai vainement cherché sur les cartfs et dans les dictionaaires et qui d'ailleurs a peu d'analogie avec le nom lalin. (4) MuUen , MiUinium, à quatre lieues et demie 5.-0. de Gand et une lieue >. d'Audenaiile, iliiiis la Flnndre orientale (Belgique '-. 324 HISTOIRE UE I.A ïftANSLATIOX , ETC. longtemps. Ce même jour encore, deux veuves, qui étaient nv.-u- gles depuis nombre d'années, furent guéries de leur cécité dans ce même monastère. L'une de ces femmes se nommait Blidwara , elle était du village d'Éessene (1) ; l'autre Piicberthe, du village de Wormliout (2). 78. Vingt- cinq jours après, c'est-à-dire le jour de l'Assomp- tion de la Vierge, une femme nommée Angarihilde , du village de Ghoy (3;, se présenta devant les restes sacrés des Martyrs ; elle était si courbée qu'elle ne pouvait se dresser pour regarder le ciel, ainsi que le vit tout le peuple qui admirait ce qui était arrivé. Mais, le jour suivant^ c'est-à-dire le xvii des calendes de septembre , dans la même église, au moment de la lecture de l'Évangile, en présence des mêmes témoins, cette même femme se redressa complètement , et sou corps reprit si bien son ancienne attitude qu'il ne paraissait pas qu'elle eût jamais éprouvé cette affection violente qui l'avait tenue courbée vers la terre. Quelque temps après, le x des calendes d'octobre, c'est-à-dire le 22 septembre, un homme du village d'Alphcu, dans le pays de Taxandrie (4).. le nomme liodold, qui eu J) Éessene , A était réduit, à cause ilunc grande i'aiblesse du piod vl de la jaiiilu' gauche, a marcher appuyé sur deux béquilles , fut de inêine , en vue de tout le peuple, guéri si parfaitement que depuis lors il put se promener sans avoir besoin d'aucun appui. 79. Quatre jours après l'accomplissement de ce miracle, le VII des calendes d'octobre, un jeune homme sourd-uiuet et de plus estropié de la main gauche, nommé Hunwald, du village de Corbehem (1) , s'approcha des saintes reliques des Martyrs, et se mit à prier devant elles en suppliant. Aussitôt, par la vertu de Jésus-Christ , toutes les infirmités dont il souf- frait disparurent , et il recouvra si parfaitement la santé qu'on n'eût jamais dit qu'il avait été sourd-muet ni privé en rien de l'usage de sa main par une contraction des muscles. Le jour suivant, c'est-à-dire le vi des calendes d'octobre, une femme nommée Engilgarde , qui depuis nombre d'années souffrait d'une affreuse paralysie , fut guérie dans cette même église par les mérites des bienheureux martyrs et en présence de tout le peuple. Cette femme était une serve du village de Warcoin (2) ; tiésigné , au moyen âge, dès le septième siècle ( /^'j/a S. Trudonis, liv. ii. cliap.tO) sous le nom de Campania, Campinia, qai s"est conservé dans celui ae Campine, der Kempen en flamand. Suivant Alting, Nolitia Germait, infe- Wor.,part. ii, p. 35, la Campine, diviséeen Campine brabançonne et Campine liégeoise , comprend tout le pays des anciens Toxandri , et à plus forte raison le pays de Taiandrie, dont parle Éginhard. Wendelin , Leges salicœ illustratœ, seu illarum natale soluni demonstrat., chap viii, p. 79, donne à la Campine ou Taxandrie vingt-quatre lieues de long sur dix-sept de large. 11 est donc itrobable que VApennia villa d'Éginliardest bien le lieu nommé aujourd'hui Alphen , à trois quarts de Heue S. E. de Bréda, et situé aJors k l'extrémité N . du pays de Taxandrie. Voyez sur ce paysBessélius, 793, liv. iv, n"ccccxxxxii :Hadr. de Valois, p. 338;Hertius, ISotilia vclcr. Gcrmaniœ populor., part, ii, cli. I, Q. 12 , p. 80 , et Grammaye, De Toxandria , p. 2.";. (1) Corbehem, village à une lieue S.-O. de Douai, canton de Vitry, Pas- de-Calais , dont le nom m'a paru pouvoir être la traduction llamande du nom latin Corvium. J'ai vainement cherché, dans les environs de Gand et le reste de la Flandre , un nom qui s'en rapprochât davantage. (2) Warcoin ou Warcoing, Fuerecundia, aujourd'hui bourg de la pro- vince de Hainaot, de l'aiTondissement et à trois lieues N. de Tournay '. Bel- gique). ÉGINHARI». 28 326 HISTOIBE DE LA TRANSLATION, ETC. elle appartenait à 1 evêché de Tournai. Le lendemain , v des ca- lendes d'octobre , ime autre femme nommée Ramburge , du village de Bertinghem (1), qui par suite d'une attaque de pa- ralysie avait aussi une grande faiblesse dans toutes les parties inférieures du corps , recouvra , sous les yeux mêmes de tous ceux qui étaitent là présents , devant les reliques des saints Mar- tyrs , l'usage de tous ses membres , et fut ainsi délivrée dans l'espace d'un moment , par la volonté de Dieu , de cette infir- mité dont elle souffrait, disait-on, depuis dix ans. 80. Le même jour, un aveugle nommé Germar, du village de Schaltheim, situé près de l'embouchure de l'Escaut, dans la Frise maritime (2), vint au monastère implorer la miséri- corde du Seigneur et les bienheureux Martyrs , afin d'être dé- livré du mal dont il souffrait. Ses prières furent entendues, et il recouvra avec une joie bien vive la lumière dont il était privé depuis si longtemps. Quatre jours après que ce miracle eut été opéré par la volonté du Seigneur , la veille des calendes d'oc- tobre, une serve de Saint-Bavon, nommée Gundrade, du vil- lage de Audeghem (3) , qui depuis près de trois ans n'avait pas vu le soleil, s' étant prosternée devant l'autel pour prier, re- couvra à l'instant même, par un bienfait du Christ, grâce à l'intercession des saints Martyrs, la lumière qu'elle avait perdue (I; Bertinglicin dans le Boulonnais, ou peut-être BcFlhen dans la Flan- ilre française ;arrondisspmentd'Hazel)rouck, Nord;. — Bernem, à trois lieues S,-E. de Bruges , nom proposé par tes Bollandisles , p. 202 , not. a, me semble présenter bien peu d analogie avec celui de Berlingaheim, donné jiar Éginhard. (2) J'ai vainement cherché sur les meilleures cartes ce lieu, dont la posi- tion est indiquée par ÉginhanI dune manière précise. On peut croire, avec les BoUandistes , que I Escaut , dans un de ses fréquents envahissements, l'aura fait disparaître. (3i Audeghem, Aldingaheim, àoinqUeuesE. de Gand, Flandre orientale ( BelgiqUf. ) IIISÏOtRF I)K I. V TRA"NSl,\riON , ETC. 327 LIVR1-: IX. Aveugles, soiirils . muets, racliituiucs, paralytiques guéris par les rcliuues déposées à MaëstricUt. 81. Uu troisième mémoire me fut égalemeut envoyé par les frères du monastère, de Saint-Servais le confesseur (1). Ce mo- nastère est situé sur la Meuse , dans im bourg qui aujourd'hui même s'appelle Maëstricht , à huit lieues environ du palais d'Aix , et qui renfern^e une population très-nombreuse , surtout beaucoup de marchands. Le texte de ce mémoire , si je m'en souviens bien , était , je crois , conçu de cette manière. — L'ar- rivée des saints martyrs du Christ Marceliin et Pierre dans le bourg de Maëstricht eut lieu la veille des nonesdejuin. Car ce fut ce jour-là qu'une foule immense, qui s'était rassemblée pour les recevoir, alla de ce bourg à leur rencontre, louant et bénis- sant le Seigneur , dont la miséricorde ineffable et infinie dai- gnait visiter , dans la personne de si grands patrons , im peuple plein de foi et de confiance en lui. Ces cantiques et tous les transports d'une sainte joie continuèrent jusqu'à la basilique de Saint-Servais. Ou célébra l'office divin au milieu de l'allégresse générale ; puis , lorsque chacun eut regagné sa demeure , la châsse dans laquelle les cendres sacrées des Martyrs avaient été apportées fut placée à la droite de l'autel , près de la grille du chœur ; et tout le jour se passa pour le peuple de ce bourg en allégresse et en réjouissances. 02. Lorsque l'on revint dans l'église pour célébrer, selon la coutume, l'office du soir, il y avait dans la foule un enfant nommé Berngisus ; ses parents, venus du Condroz (2), leur pays, (1 ) Les reliques données par ÉginharJ an monastère de Saint-Servais furent retrouvées intactes en «623. Voyez dans les Bollandistes , tora. I, ■/unii, p. 204, not. a, le procès-verbal de leur invention (2) Le Condroz, Pagus Cundensiiis, Cinidrtisiiis dans le Ms. de Metz_ pays qui tire son nom des Condrusi . peuple germanirjue nommé par Cé- sar, de Bello Gallico, liv.ii, c. 4, et liv. vi, c. 32, et qui dés lors hiibitail 328 HISTOIRE DE LA TRANSLATION, ETC. quelques jours auparavant, l'avaient amené avec eux. Il était aveugle de naissance. Tout à coup, en présence de tous les as- sistants , cet enfant tomba sur le pavé et resta quelque temps étendu comme plongé dans un profond sommeil ; mais bientôt il ouvrit les yeux , et par un bienfait du Christ îs'otre-Seigneur , sjrâce aux mérites de ses saints , il vit la lumière qu'il n'avait jamais aperçue auparavant. Cinq jours après, c'est-à-dire le vi des ides de juin , un homme nommé Hildimar , qui était sourd- muet , recouvra devant les reliques sacrées de ces saints Mar- tyrs, par la vertu de Jésus-Christ, l'usage de l'ouïe et de la parole. 83. Encore ce même jour, une jeune fille nommée Adallinde, serve du monastère de Saint-Lambert (1), qui non-seulement était sourde et muette , mais de plus aveugle , et qui , en outre, par suite d'une contraction des muscles , avait tout le corps ployé d'une si misérable manière que ses genoux touchaient à sa poitrine , fut placée par les siens auprès des saintes reliques des Martyrs , et là , grâce à la miséricorde divine , elle recouvra , avec ime admirable promptitude , sous les yeux mêmes de tous les assistants, la lumière, l'ouïe et la parole ; tous ses membres se redressèrent, et elle revint à la santé. Le lendemain, c'est-à- dire le V des ides de juin , un serf du roi , nommé Bérohad , du village de Crécy (2) , affligé dans tout le côté droit d'une contraction des muscles qui le rendait impotent , se présenta aux environs de l'Ourte. Le Cundroz est mentionné dans les Annales de Saint-Bertin en «.'Q et dans le partage des États de Lothaire en 870. Ce \)ays, dont le nom subsiste encore, fait aujourd'hui partie de la province de Liège. Il comprend la région située sur la rive droite de la Meuse, entre ce fleuve et l'Ourte, une partie de l'ancien duché de Limbourg et le N.-O. de l'ancien marquisat de Franohimont Voyez Iladr. de Valois, p. 134, au mot Condrusi, etBessélius, liv iv, n''cvm,p. 573, au mot Condieslrium. (t) Sainte-Marie et Saint-Lambert de Liège. Voyez ISov. Gai. Christ., Ilf, 936. (2) Crecy Crestiacum, arrondissement d'Abbcville, Somme ; ou peut- être , dans le même département , Cressy, arrondissement de Montdidier ( l'ioardie ). HISTOIRE Dli l-V IHVNM.\1U>M , KIC 320 devant les saintes reliiiues ; aussitôt sa taille se redressa , et il recouvra sur-le-champ la santé qu'il avait perdue. l*areille chose arriva pour une Jeune Glle nommée Théotildis, du bourj^ même de ^Maëstricht. Sa main droite, par suite d'une semblable eoutraction des muscles , était ployée et toute tordue , au point qu'elle ne pouvait en faire auciui usage. Cette jeune fdle, le même jour, auprès des saintes reliques, fut guérie de la même nianière. 84. A la vue de ces miracles, le peuple rassemblé dans la basilique se mit, dans l'evaltalion de ses transports d'allégresse, à élever la voix vers le ciel et à célébrer les louanges du Sei- gneur par des hymnes et des litanies. Tout à coup survint uu enfant qui était sourd ; il s'arrêta au milieu de la foule, stupé- fait comme s'il edt été frappé de la foudre. Puis, lorsqu'il se fut avancé jusque devant l'autel du saint Sauveur, qui est place dans le milieu de l'église, le sang lui jaillit des narines , et il rc- cou\Ta rouie dont il était privé depuis longtemps. Le lende- main, c'est-à-dire le iv des ides de juin, nous jugeâmes à propos d'exhausser un peu la chasse qui renfermait les restes sacrés des Martyrs, alui que , se trouvant ainsi plus élevée que l'autel auprès duquel elle était placée, elle fut aperçue plus fa- cilement par ceux qui s'en approchaient. iVous étions occupes de ce travail et nous chantions en même temps des litanies et des cantiques , lorsqu'une jeune fille , serve du monastère de Saint-Servais , qui depuis sa naissance avait les pieds con- tournés par suite d'une contraction , et les mains toutes dislo- quées par suite d'un relâchement des muscles , et qui de plus était muette , fut apportée par les siens dans l'église et placée devant la châsse. A l'instant même elle recouvra la santé, et si bien qu'elle se trouva tout d'un coup en état de parler, de marcher et de se servir de ses mains pour tous les usages la vie. 8.S. Une femme du bourg même de Maëstricht avait une serve aveugle nommée Adalgarde-, eMc entra dans l'église. Is- '.'.s. 330 HISTOIRE DE LA TRANSEATIO?! , ETC. confia aux saints martyrs Marcellin et Pien-e , aUn qu'il lui fût donné par leur intercession de recouvrer la vue , et la laissa auprès de leurs reliques. L'office du soir venait de finir lorsque cette tcnnne, qui était restée dans l'église, tomba tout à coup sur le pavé comme si quelqu'un l'eut poussée. Elle s'y roula long- temps ; puis enfin, au milieu de retoimemeut et de l'admiration du peuple qui l'entourait, elle se releva, ayant complètement re- couvré la vue. Cela arriva le jour des ides de juin, vers le soir , comme la nuit commençait à tomber. Un homme du territore de Genève, dans le pays des Bourguignons , le nommé Théotgairc, atteint de cette maladie que les médecins désignent sous le nom grec de TTrowa-iç, spasme , et que l'on pourrait nommer en latin avec assez de justesse tremulosa , tremblement, à cause de cette agitation continuelle de tous les membres qui en est le symp- tôme , cet homme vint a notre église , et se mêla à la foule.qui s'y était rassemblée pour entendre la messe , comme cela se fait le dimanche. Apres la lecture de l'Évangile, comme on récitait le Credo , symbole de la foi chrétienne , ce malheureux tomba à terre tout d'un coup, et. pendant qu'on achevait l'office divin, il y resta étendu presque immobile et semblable a un mort plutôt qu'à un vivant. Le sang coulait eu abondance de ses na- rines. Mais après que la mes.se eut été achevée , la foule qui le regardait le vit avec admiration se relever parfaitement guéri et complètement débarrassé de son tremblement. Ce miracle s'opéra le xvm des calendes de juillet ; c'était un dimanche, comme je l'ai dit plus haut. 8G. La quatrième férié , xv des calendes de juillet ( le mer- credi 17 juin}, un serf du monastère de Meldert ( 1 j , nomnif 1 , Le monastère de MeWect, Mclflnidinm , était une abhaye fie feniiiics , Vjndée aus-eptiemc siècle, sous riiivocation de sainte Erniclinde, par saint l'épinde Landen. Cette at.liaye avant été détruite, ses biens passèrent au < iiapitre de Saint-Barlhéiemy de Liège. ( Voy. les Boilandistes, tom. l.Jun/i, |i. 20* , col, 2, not. /. ) Cependant elle n'est mentionnée ni dansle torn, lil, diofège «k Liège, ni dans le tom. V. diocèse de Matines, du i\ov. Cul. Chiist. IKSTOIHE DE f.A TKANSLATfON , ETC. 331 Fok'liard , dont les jambes et les pieds étaient tout ditïoniies par suite d'une affreuse contractioa des muscles , fut daus ce même lieu, en présence de tout le peuple, parfaitement guéri. l.e M des calendes du même mois , vint un homme qui entra dans l'ésîlise avec le reste des fidèles. Sa main et son bras droits étaient agités d'un mouvement circulaire des plus étran- ges; on eût dit qu'il était obligé de tourner la meule, et cela sans s'arrêter un moment. Il avouait que c'était pour avoir en- freint le commandement de Dieu en travaillant à la meule un dimanche que cette iniirmité lui était survenue , et que ce châtiment , qui lui avait été infligé , datait déjà d'une année tout entière. Il s'approcha donc des restes sacrés des Martyrs . et, après qu'il lèsent invoqués avec ferveur, ce mouvement d'un homme qui tourne la meule se calma tout d'un coup, et son bras se tint en repos. Cet homme nous apprit qu'il venait du monastère écossais qu'on nomme les Fosses ( 1 ) , et qu'il s'ap- pelait Dothius. 87. La veille de la Saint-.T eau- Baptiste , c'est-à-dire le ix des calendes de juillet , un homme qui se disait habitant de la cité de Tournay vint à Maéstricht daus l'église de Saiut- Servais. Il avait été, comme lui-même nous l'apprit, sourd et muet de naissance. Mais, conduit par ses amis à l'église de Saint-Sébastien , il avait commencé là à entendre et à parler , très- imparfaitement toutefois, ca^on pouvait à peine com- Meldert est aujourd'hui un village ilu Brabant belge, à une lieue et demie (). de Tirleniont. (I, Les Fosses ou Fosse, Fossœ ou Fosscnxe Scotorum monustenuvi . ancienne abbaye du diocèse de Liège, fondée vers 650 par saint Foillan et saint Lltan , fils de Fyltan , roi de Momonie , en Irlande. Ce monastère était appelle monasferium Scotorum, parce que, du temps d'Éginhani. on donnait encore .i l'Irlande le nom de Scotia major. L'abbaye de Fosse . mentionnée dans le partage du royaume de Lothaire en 870, commenra à dé- cliner dans les premières années du dixième siècle, et cessa d'exister bientôt flprès.,Voycz Tsov. Gai. Christ., 111,932. Fosse est aujourd'hui un village du canton et à deux licucs O.-S.-O. de Stavelot dans la province de l.iège l Belgique '. 332 HISTOIRE DE LA TUANSLA TIOX , ETC. prendre ses paroles, et, lorsque les autres lui parlaient, il ne pouvait dissimuler combien le sens de l'ouïe était chez lui peu développé. Cet homme, s'étant rendu à l'église pour l'office du matin , se prosterna devant les saintes reliques et sendormit. Bientôt après il se réveilla comme si quelqu'un l'eût touché , et demanda à ceux qui l'entouraient (jui est-ce qui lui avait donné un coup de poing sur le visage. Tous lui répondirent que personne ne l'avait frappé ; il se releva , et au même mo- ment il se trouva si bien guéri qu'il put dès lors entendre et parler parfaitement sans éprouver aucune gêne. 88. Le même jour, pendant qu'on célébrait la sainte messe , une femme nommée Adallinde apporta avec elle deux cierges pour les brûler dans l'église ; elle en tendit un de la main droite à l'un des gardiens afin qu'il l'allumât, et conserva l'autre dans la main gauche pour l'allumer ensuite au premier. Mais , ô miracle ! pendant que le gardien allumait le cierge qui lui avait été donné , celui que cette femme tenait encore à la main s'en- flamma tout à coup , par un effet de la volonté divine , sous les yeux de tous ceux qui étaient là présents. 89. Le monastère d'Eike est un couvent de femmes situé sur la Meuse (1). Il y avait là une religieuse nommée Saliga, gi- sante , toute perdue par une affreuse paralysie qui lui tenait tout le corps , excepté le bras droit. Pendant qu'elle dormait , il lui sembla voir un de ses voisins s'approcher d'elle et l'inter- peller en ces termes : « Que faites-vous là ? » Elle répondit fout simplement qu'elle reposait sur son fit. « jNIais vous n'avez (I) Eike, Eikc ou Eicka monasteritim, abbaye de femmes située sur la Meuse, à une lieue E. de Maaseyk ou Maseyk, entre MacstriclU et Uure- moude. dans la province de Limbourg. Fondé vers 730 par Adalliart et «iruniara, pour leurs lillcs, sainte Herlindc etsainte Renilde, ce monastère lit partie du lot de Clinrles le Cliauve lors du partaï^e des États du Lolhairc m M70 ; il fut détruit |>ar les Nortmans en 8Si« , et relevé environ cinf|uantc ans après par Ritliier, évêiiue de F^iége . qui le pla(;a sous l'invocation de sainte Marie, et y éUiblit des religieux. Voyez V.o-. Call. Chrht.. Ml, 'fifi, et les Bollaudistes, (oui. III, Vurlii.^.Ti*'. HISTOIRE OK l.v rHA^SL\T10^; ETC. 3.Î3 doue pas cuteudu parlor dos saints qui sont venus a INlai'Striclit , dans l'église de Saiut-Servais ? » Et, coninic elle aflinnait quou ne lui eu avait jamais rieu dit, « Alors levez-vous bien vite, s'écria le personnage , et rendez-vous en toute hâte à cette église ; car c'est là que vous recouvrerez l'usage de tous vos membres. » .Mais comme à son réveil elle ne tint pas compte de ce qu'on lui avait dit, elle reçut la nuit suivante, encore de la même manière, un semblable avertissement , pour qu'elle se rendit à ÎNIaëstricht. Cependant elle méprisa cet avis aussi bien que le premier, et différa de nouveau le voyage qu'on lui ordonnait. Mais la troisième nuit elle vit encore le même homuie devant elle. Il lui demanda d'un ton sévère pourquoi elle faisait si peu de cas de ses avertissements; puis, lui frap- pant le côté du bâton qu'il tenait à la main , il lui ordonna de se rendre sans plus tarder à iMaëstricht. Elle u'osa pas refuser d'obéir à l'autorité de cette troisième vision; elle appela donc ses proches et ses amis, et, s'étant fait conduire à Maëstricht, ainsi qu'on le lui avait ordonné , elle se flt placer dans l'église de Saint-Servais auprès des cendres sacrées des ÎNIartyrs. Ce fut là qu'elle attendit la guérison qui lui avait été promise , et que , ciuq jours après son arrivée , à la grande admiration de tous les assistants , elle fut assez heureuse pour recouvrer toute sa sauté et l'usage de tous ses membres. LIVRE X. Deux miracles sont opérés par rintercession de saint Prolus et de saint Hyaeinlhe et par celle de saint Hermès dans l'église de Saint-MarceUin et de Saint-Pierre. 90. Il reste encore deux mirades des plus remarquables, que non-seulement je ne crois pas pouvoir passer sous silence , mais dont je regarde même la relation comme devant terminer de la manière la plus convenable ce quatrième mémoire que j'ai maintenant entre les mains. Sans doute on peut citiiic que les 334 HISTOIRt Dli LA TRA^SLAr^O^, ETC. bienheureux martyrs saint Marcellin et saint Pierre partagent avec d'autres saints le mérite de ces miracles , puisque l'un a été opéré devant ces reliques , à l'arrivée de celles de saint Protus et de saint Hyacinthe (1), et que l'autre s'est ac- compli le jour de la nativité de saint Hermès , et , sans aucun doute , par la vertu de ses propres reliques ; cependant je crois que c'est à saint Marcellin et à saint Pierre qu'il faut principalement les attribuer , puisque ces miracles ont eu lieu dans l'église même où reposent les cendres sacrées des deux -Martyrs. JNous sommes garant de tout ce qui s'est fait en cette circonstance , car il nous a été donné par la miséricorde divine d'en être témoin oculaire. Mais terminons ce préambule , et passons aux miracles que je dois raconter. 91 . Grégoire, évêque de Rome, qui fut successeur d'Eugène et eu même temps de Valentin sur le trône pontiGcal (2) , voulant agrandir l'église de Saint-Marc l'évangéliste , dont il (t) Saint Protiisct snint Hyacinthe, eunuques de sainte Eugénie, furent martyrisés avec leur maîtresse sous fempereur Valérien vers 237, ou plu- tôt sous Diocléticn vers 304. On n"a rien de bien positif sur leur liistoirc ; on sait seulement qu'ils étaient honorés dés le quatrième siècle dans l'Église l'omaine. Leur fête est marquée au tl seotcmbre dans le calendrier du pa|)C Libère. Voyez Baillet, Fies des Saiiils, Septembre p. 223 ; et Bosio , Roma sublerraiica, Il , 234, liv. iv , chap. 34. — Saint Hermès est l'un des saints les plus célèbres et les plus anciennement honorés dans l'Eglise romaine. Préfet delà ville de Rome, converti au christianisme par le pape Alexan- dre l^', il fut martyrisé sous l'empereur Adrien ; son nom est marqué au 28 août, dans le calendrier dressé sous le pape Libère au quatrième siècle. On le retrouve dans le sacranientaire du pape Gélase, dans celui de saint Grégoire le Grand , où la messe de son office a une préface propre , dans le calen- drier romain du septième siècle, dans presqu»; tous les Martyrologes depuis ceux qui portent le nom de saint Jérôme et de Bédé jusqu'au Martyrologe romain moderne. Cette célébrité du culte de saint Hermès explique pour- quoi Éginhard attachait un si grand prix .'i ses reliques. (Voy. Baillet. ^^oû/ , p. 931.) (2) Grégoire IV, préire de l'Église romaine, du titre de Saint-Marc, fut élu après la mort de Valentin vers le mois de septembre 827. Eugène H , prédécesseur de Valentin , était mort dans le mois d'août do la même an- née (le 27, suivant Fleury). Valentin occupa donc pendant uii mois à l)eiric le troue pontilical. Voyez les Annales à l'année 827. IIISTOrrVE DE I.A TU\>(S1.ATI0?J, ETC 335 avait été niré , et y construire un monastère , fit elierchcr dans les eimeticrcs et dans les églises situées loin de la ville, pour tâcher de trouver des reliques de saints martyrs; et celles qu'on découvrit , il les lit rapporter dans l'église qu'il venait délever avec magnificence. Or, le hasard voulut que, dans le temps ou il allait faire ouvrir le tombeau du bienheureux Hermès pour en retirer les restes sacrés . un des nôtres , qui cette année était venu à Rome pour y faire ses dévotions suivant l'usage des pénitents, se mêlât avec les autres pèlerins à la foule ras- semblée devant l'église du martyr. Cet homme , après avoir examiné avec attention ce qu'on faisait , conçut , dans la sim- plicité de son cœur, et cependant avec quelque fondement, l'espoir de se procurer des reliques du bienheureux martyr. Il alla trouver le diacre Deusdona, dont j'ai souvent parlé dans le premier livre , et le pria avec instance de se faire livrer par les gardiens de l'église quelque peu de ces reliques , et de le lui remettre pour me l'apporter. Le diacre se rendit aussitôt a ses prières , et promit de faire immédiatement ce qu'on lui deman- dait. Il donna donc aux gardiens une somme d'argent, et reçut en retour non-seulement des reliques de saint Hernies , mais aussi des reliques de saint Protus et de saint Hyacinthe , dont les corps étaient déposés dans la même église. 11 s'arrangea pour me faire parvenir ces dernières reliques par un de ses amis nommé Sabbatin, qu'il m'envoya avec celui des nôtres qui lui avait persuadé de faire tout cela. Quant à ce qu'il put se pro- curer des restes de saint Hermès , il me l'apporta lui-même comme un présent d'une grande valeur. Cependant ayant été averti de l'arrivée des reliques de saint Protus et de saint Hya- cinthe, nous allâmes processionnellement à leur rencontre; et après les avoir reçues avec honneur, comme il était convenable , nous les fîmes transporter, en chantant des hymnes et des prières, dans l'église, où elles furent placées, avec la châsse qui les renfermait, auprès des reliques des bienheureux martyrs saint Marcellin et saint Pierre. Le lendemain, une femme du 336 HISTOinE OE LA TRANSLATION, ETC. petit domaine de Baldradesladt (1), situé dans le voisinage, entra dans l'église avec toute la foule : cette femme était pos- sédée du démon. Bientôt le méchant esprit entra en fureur, il la renversa, la brisa contre le pavé, puis il se mit à faire de- vant tous un aveu public de sa malice. î^t comme le prêtre en l'exorcisant lui demandait qui il était, d'où il venait, quand et pourquoi il était entré en cette femme , il répondit à chaque question , disant qu'il n'était pas simplement un démon , mais que c'était lui le plus méchant de tous les êtres vivants. Et comme le prêtre lui demandait la cause d'une si grande per- versité, il avoua qu'il ne devait qu'à lui ce penchant décidé pour le mal. Le prêtre s'infonna ensuite s'il avait jamais été au ciel, il répondit affirmativement, et confessa qu'il eu a\ait été chassé à cause de son orgueil. Et comme le prêtre lui de- mandait encore s'il avait vu le Christ Notre-Seigneur, il répondit qu'il avait vu le Christ dans l'enfer lorsque, pour le salut du genre humain , il daigna mourir et y descendre. 92. Mais quand le prêtre vint à lui demander s'il connais- sait les noms des martyrs dont les reliques avaient été appor- tées la veille dans notre église : « Leurs noms , dit-il , me sont bien connus, car j'assistais en personne à leur ?nartyre, et en songeant à la gloire éternelle qui les attendait j'endurais tous les tourments de la jalousie. Et voici que je trouve en eu.\ maintenant des ennemis acharnés, car ils me font souffrir mille tortures incroyables, et, malgré ma résistance, ils me forcent à sortir de ce vase où je restais caché depuis si long- temps. — Mais lorsque tu seras sorti , continua le prêtre , où iras-tu? — J'irai, répondit le démon, dans la plus mauvaise route, et je me rendrai dans des contrées lointaines et dé- sertes. » Puis, après qu'il eut, sur les ordres du prêtre, ra- conté à quelle occasion et de quelle manière il était entré en (J) .l'ai vainement cherdié sur les meilleures cartes et dans les répcrtoirea géographiques ce nom (Je Hou situé prés (IcSeligensladt. iitsroiRK i)i; r.A tiu^si-vtio\ , etc. 337 cette feninu' , il se tourna vers elle et lui dit : « AppreutLs, malheureuse créature , qu'avant de sortir je vais rompre et briser tes os, et que je te laisserai toute mutilée pour que tti te souviennes du temps où nous avons vécu ensemble. » Alors cette femme, comme si elle eiU eu la conscience de sa fai- blesse, se mit à implorer à voix basse et d'im Ion suppliant l'aide des saints Martyrs. Mais aussitôt le démon, frémissant de colère et exhalant sa rage furieuse par la bouche même de l'infortunée, lui coupa la parole, et lui imposa silence. C'était un spectacle bien extraordinaire pour nous autres , qui étions là présents , que de voir ce méchant esprit s'exprimer si diffé- remment par la bouche de cette pauvre femme , et d'euîendre tantôt le son d'une voix mâle, tauttlt le sou d'une voix fémi- nine, mais si distincts l'un de l'autre qu'on ne pouvait croire qu'elle parlât seule et qu'on s'imaginait entendre deux per- sonnes se disputer vivement et s'accabler réciproquement d'in- jures. Et en effet, il y avait deux personnes, il y avait dcuv volontés différentes ; d'un côté le démon qui voulait briser le corps dont il était en possession , et de l'autre la femme qui désirait se voir délivrer de l'ennemi qui l'obsédait . Cette oppo- sition des deux volontés se manifestait d'une manière assez claire, assez évidente par la différence des voix et par cette diversité des paroles qu'ils se renvoyaient l'un à l'autre. Apres que l'office du divin mystère eut été achevé comme d'habi- tude , nous sortîmes de l'église pour aller prendre quelque soin de notre corps. En partant nous ordonnâmes à cette femme d'attendre la, avec les gardiens, le moment de notre retour, bieiî convaincu que , par la puissance de Jésus-Christ et les mérites de ses martyrs, le perfide démon dont elle était possédée ne tarderait pas à sortir. Et en effet nous ne fûmes pas déçu dans notre espoir. Car, lorsqu'après avoir achevé notre repas nous revînmes à l'église, le démon avait été mis en fuite et nous trouvâmes sa victime saine et sauve , maîtresse de toute sa raison et louant le Seigneur dans des transports de joie. 338 IIISTOIUK 1)/. l.\ TIU>iSLAT10> . ETC. Persouue iic peut nier ({ue le iniraele qui fut opéré h l'arrivée des bienheureux martyrs du Christ saint Protus et saint Hya- cinthe ne se soit passé de la manière dont nous venons de le raconter; quant a celui que nous attribuons a saint Hermès , nous allons maintenant en exposer clairement tous les détails. 93. Cologne est une niétropole située sur le Rhin dans le pays des Kipuaires. Une femme de cette ville souffrait depuis longtemps d'un relâchement des muscles dans toute la partie inférieure du corps a partir des reins. Sou infirmité était si grave que , privée de l'usage de ses jambes et de ses pieds , elle ne pouvait se déplacer qu'assise , les pieds étendus en avant et en s'appuyant sur ses mains pour se traîner à terre. Cette femme , ayant entendu i>arler des miracles et des prodiges que le Seigneur avait opérés par l'intermédiaire de ses saints mar- tyrs Marcellin et Pierre, pour la guérison de malades et de gens infirmes, conçut un vif désir de se rendre à leur église ; et comme elle ne pouvait y aller commodément que par eau, elle se fit amener en bateau par des marchands qui venaient la pour la fête des saints Martyrs. Ce fut le jour de leur nativité qu'elle arriva , et elle y demeura pendant quelque temps , dans Fespoir de recouvrer la santé. Mais voyant que sa guérisMi était différée, — en effet on la différait, on ne la refusait pas; ce n'était pas ailleurs , c'était bien là , mais ce n'était pas en ce moment, c'était à une autre époque que cette guérison devait avoir lieu, — elle résolut de partir pourMayence. La fête de saint Alban approchait, et c'est dans cette ville que se trouvent léglise et le célèbre monastère placés sous l'invocation de ce martyr. Arrivée là, elle se mit, auprès du tombeau du martyr, il supplier le Seigneur pour obtenir sa guérison. Cependant elle vit en songe un jeune clerc s'approcher d'elle; il portait à la main des chaussures neuves qu'il lui ordonna de prendre et de se mettre aux pieds. C'est ce quelle fît. Puis le clerc lui ordonna de retourner, chaussée de la sorte , au lieu d'où elle venait, et d'attendre là l'arrivée du médecin qui sans aucun HISTOIRE DE LA TR \NSLATJO.\ , ETC. 3:i9 doute devait la guérir. A sou réveil , pleine de eouliaucc dans cette vision , elle fit toute la diligenee possible pour revenir à l'église des saints ÎNIartyrs, où elle devait recouvrer la santé; et là pendant deux mois, inèlee a la foule des pauvres, elle at- tendit l'accomplissement de la promesse que la vision lui avait faite. Siu- ces entrefaites, a peu |)rès vers le milieu du mois d'août, le diacre Deusdona, dont j'ai si souvent parlé dans le premier livre de cet ouvrage, arriva de Rome et m'apporta, comme un grand présent , une articulation du doigt de saint Hermès le martyr. Après avoir reçu cette relique, nous ren- fermâmes dans une châsse . et nous la fîmes placer dans la partie supérieure de la basilique , précisément au-dessus de la porte occidentale de Téglise. Cependant cette femme qui était venue , comme je l'ai déjà dit , sur la foi de la vision que Dieu lui avait envoyée , et qui restait là depuis plus de deux mois sans rien éprouver du secours qui lui avait été promis, se figura qu'elle s'était laissé prendre à une vaine illusion, et se mit à songer à retourner dans son pays. Elle s'arrangea avec des marchands pour qu'ils la ramenassent chez elle ; et elle de- vait, le dimanche suivant, qui tombait le v des calendes de septembre, jour de la Saint-Hermès ( le 28 août), s'embarquer avec eux pour revenir à Cologne. Mais la veille du jour fixé sans remise pour son départ . aux approches de la nuit , comme nous venions de terminer, suivant l'usage, l'office du soir, et que nous nous retirions pour aller prendre quelque repos, cette femme, voulant entrer dans l'église au moment où tout le monde eu sortait, s'arrêta sur le seuil. Là, en présence do tous, elle fut saisie d'une sorte de stupeur, et elle resta quelques instants muette et immobile; puis, après que du sang eut jailli de tous les ongles de ses pieds , elle revint à elle , tendit la main à ceux qui l'entouraient, et, s'étant mise debout, elle se dirigea vers le tombeau des Martyrs. Lorsqu'elle s'en fut approchée , elle se prosterna pour prier devant l'autel , et elle y resta la face contre terre jusqu'à la tin de l'hyume que dans sa fervente 340 HISTOIRE WE LA. TRAXSLATTOX, ETC. piété , la foule , remplie à la fois d'allégresse et d'admiration , avait entonnée à îa louange du Seigneur. Alors elle se leva , et elle était parfaitement guérie ; mais elle ne voulut plus retourner dons sa ville natale. C'est donc avec raison qu'on attribue ce miracle à saint Hermès, puisqu'il a été accompli le jour même de sa nativité et sous ses reliques. Mais les bienheureux martvrs Marcellin et Pierre n'ont pas pu rester étrangers à cette œu\Te, car c'est leur église qui en a été le théâtre , c'est leur aide que cette femme , qui fut guérie , implora sans cesse pendant tout le temps de son pèlerinage. 04. Tels sont, parmi les innombrables miracles opérés par les saints Martyrs , ceux que j'ai résolu de confier à la mémoire des lettres , d'après ce que j'ai vu par moi-même ou ce que j'ai appris par la relation fidèle de témoins véridiques. Pour les iidorateurs du Christ et pour les serviteurs respectueux des Martyrs , je ne doute pas que ce ne soit là une lecture agréable ; car ils pensent, je le sais, que rien de ce que Dieu a résolu de faire ne lui est impossible. Quant aux incrédules, quant à ces liommes qui déprécient la gloire des saints, comme je suis sur d'avance que ce serait là pour eux une cause d'ennui et de dégoût , je crois devoir leur conseiller de n'y point du tout jeter les yeux ; car je craindrais que, choqués de la faiblesse de de mon style, ils ne pussent retenir leurs blasphèmes et leurs sentiments envieux et qu'ils n'en vinssent ainsi à déclarer tout haut qu'ils haïssent Dieu et leur prochain, qu'on leur ordonne d'aimer. Fin. TABLE. Pag.» Avertissement ■ Notice ^ Pièces justificatives ^-'^ Vie de Charlemagne 1 Annales ^^ Lettres ^''^ Histoire de la translation 240 '\'- CE DC 0073 .TA 1856 COO EINHARC ACC# 1066169 33 OEUVRES La Bibliothèque Th< 5 Libra Université d'Ottawa University of Echéance Date Due g»u^'^* [ i ^i2f0l'9*. : ■B22FEV'94 0 8 AOUT 199^ 1 0 AOUÎ 199^ CE -ja_ "o 'o ;m n • • "O n o «o ;cn • û: lu ; fO : 1*1 a oc fw X > z U u i-i UJ o lU o